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Titre : Les curiosités artistiques de Paris : guide du promeneur dans les musées, les collections et les édifices / par René Ménard,...
Auteur : Ménard, René (1827-1887). Auteur du texte
Éditeur : C. Delagrave (Paris)
Date d'édition : 1878
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb324399536
Type : monographie imprimée
Langue : français
Langue : Français
Format : 1 vol. (722 p.) ; in-18
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Format : application/epub+zip
Description : Contient une table des matières
Description : Avec mode texte
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6478182s
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-Z LE SENNE-11913
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 30/09/2013
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LES
CURIOSITÉS ARTISTIQUES
DE PARIS
(+) Ce signe, placé devant la désignation d'un tableau ou d'un objet d'art, est destiné à appeler plus particulièrement l'attention des personnes qui ne pourraient faire dans nos musées qu'une visite tout à fait sommaire.
LES
CURIOSITÉS ARTISTIQUES DE PARIS
GUIDE DU PROMENEUR
DANS LES
MUSÉES, LES COLLECTIONS ET LES ÉDIFICES
PAR
René MÉNARD ANCIEN RÉDACTEUR EN CHEF DE LA GAZETTE DES BEAUX-ARTS AUTEUR DE LA MYTHOLOGIE DANS L'ART ANCIEN ET MODERNE
PARIS LIBRAIRIE CH. DELAGRAVE 15, RUE SOUFFLOT, 15
1878 Tous droits réservés
LES
CURIOSITÉS ARTISTIQUES DE PARIS
LE LOUVRE
NOTICE HISTORIQUE SUR LES BATIMENTS
Le Louvre au Moyen Age. — Dans les premiers temps de la monarchie et jusqu'à une époque où Paris était déjà une véritable ville, la Seine, au delà des murailles, était bordée de bois et de marécages sur ses deux rives. Le bois de Boulogne actuel n'est que le reste d'une forêt qui longeait le fleuve et dont les taillis épais s'étendaient jusqu'à l'emplacement où s'élève maintenant le Pont-Neuf. Le défrichement de ces terrains est dû à des établissements religieux; les principaux étaient, sur la rive gauche, l'abbaye de Saint-Germain des Prés, dont les possessions s'étendaient jusqu'à Issy, et sur la rive droite, le couvent de Saint-Germain-l'Auxerrois, dont les limites ne sont pas bien exactement connues. A-t-il existé de ce côté un manoir ou rendez-vous de chasse appartenant à nos rois? On n'est pas d'accord sur ce point, qui importe d'ailleurs assez peu, puisque le Louvre ne commence en réalité pour nous qu'avec Philippe-Auguste.
Le Louvre fut établi comme une forteresse, qui pût servir à la fuis de résidence pour le roi et de prison pour ceux qu'il voulait enfermer.
En effet, le Louvre était une prison d'État : on assure que ce fut le comte de Flandres, Ferrand, fait prisonnier à la bataille
de Bouvines, qui l'inaugura. Il y fut enfermé après avoir été promené en spectacle dans Paris sur un char attelé de quatre chevaux. Le peuple accourait de toutes parts pour le voir et chantait une chanson de circonstance dont le refrain était : Quatre ferrans bien ferrés Traînent Ferrant bien enferré.
La sombre forteresse n'était pas seulement une prison : elle servait de refuge au roi dans les jours d'agitation populaire.
Enfin, c'est de la grosse tour érigée au centre de de l'enceinte de ce château que relevaient tous les grands fiefs du royaume.
« C'était dans la grosse tour du Louvre, dit le comte de Clarac, que l'on mettait en dépôt les archives de l'Etat et le trésor de la Couronne.
Philippe y renfermait le sien, qu'il gardait aussi quelquefois au Temple ; Louis VIII, d'après son testament, fait en 1225 et rapporté par Guillaume le Breton, avait aussi réuni au Louvre le fruit de ses épargnes.
Pendant plus de trois cents ans, cette tour conserva ce privilége.
Comme pour réunir en un seul lieu tout ce qui contribue à la force des Etats, l'or et les armes, la grosse tour, pendant les deux premiers siècles de son existence, fut aussi l'arsenal de nos rois, et sous PhilippeAuguste non-seulement on y conservait les grands et les petits engins, les armures, ainsi que les nerfs, les cuirs de bœuf et le bois qui servaient à les faire, mais on y avait même établi une fabrique de toute- sorte d'ustensiles de guerre. En 1391, on retira de la grosse tour une partie des armes qu'elle contenait, et on les remplaça par des livres. » CLARAC. (La Sculpture ancienne et moderne.) Ce fut, en effet, Charles V qui fonda la bibliothèque royale,.
dont la place était naturellement au Louvre. Les constructions entreprises par Philippe-Auguste se multiplièrent sous ses suc- cesseurs et une foule de bâtiments accessoires vinrent compléter l'appropriation de l'édifice. Le Louvre, à la fin du moyen âge, présentait le type complet d'un château féodal avec toutes ses dépendances. Sauval nous a laissé une très-curieuse description du vieux Louvre, que nous rapportons ici : « La grosse tour, nommée tour neuve ou forteresse du Louvre, dans l'histoire féodale, l'effroi des vassaux indociles, était ronde et entourée d'un large fossé. Elle communiquait à la cour par un pont, dont une partie bâtie de pierre était soutenue par une arche ; l'autre partie se composait d'un pont-levis ; l'entrée de ce pont était une construction couronnée par une forme angulaire et surmontée par une statue de Charles V tenant en main son sceptre. Cette grosse tour communiquait
aussi aux bâtiments qui entouraient la cour par une galerie de pierre.
» Les bâtiments qui entouraient la cour principale et fortifiaient la grosse tour étaient, ainsi que les clôtures des basses-cours et jardins, surmontés d'une infinité de tours, de tourelles de diverses hauteurs et dimensions, les unes rondes, les autres quadrangulaires, dont la toiture en terrasse, en forme conique ou pyramidale, se terminait par des girouettes ou des fleurons.
» On a conservé le nom de quelques-unes de ces tours ; celles du Fer-à-Cheval, des Porteaux, de Windal, situées sur le bord de la Seine, la tour de l'Etang, celle de l'Horloge, de l'Armoirie, de la Fauconnerie, de la Grande-Chapelle, de la Petite-Chapelle, de la Tornelle, la tour de l'Écluse, sur le bord du fossé, la tour de l'Orgueil, la tour de la Librairie, où Charles V avait réuni jusqu'à neuf cents volumes, collection immense pour le temps. La bibliothèque du roi Jean, son père, n'était composée que de huit ou dix volumes.
» Les faces des bâtiments qui entouraient la principale cour présentaient des pans de mur percés comme au hasard, et de petites fenêtres grillées, sans ordre et sans symétrie. Avant Charles V, ces bâtiments n'avaient que deux étages ; ils en eurent quatre sous ce roi, ce qui diminua la clarté et la salubrité de la cour. L'intérieur de ces bâtiments, où le jour ne pénétrait qu'à travers des fenêtres étroites et grillées était sombre et triste comme celui d'une prison.
» Par quatre portes fortifiées, appelées porteaux, on pénétrait dans le Louvre. La principale entrée se trouvait sur le bord de la Seine.
Entre les bâtiments du Louvre et cette rivière était une porte flanquée de tours et de tourelles, qui s'ouvrait sur une avant-cour assez vaste ; on la parcourait en longeant une partie du fossé du château. Arrivé au milieu de la façade, on trouvait une autre porte, fortifiée par deux grosses tours peu élevées et couvertes d'une terrasse. Sous Charles VI, cette porte fut décorée de la figure de ce roi et de celle de son père, Charles V, figures placées dans des niches et sculptées par Philippe de Fontières et Guillaume Josse, habiles statuaires pour le temps.
» Une autre entrée se voyait en face de l'église Saint-Germainl'Auserrois. Elle est encore sur pied et, comme on voit, fort étroite, bordée de deux tours rondes, avec une figure de chaque côté savoir : celle de Charles et l'autre de Jeanne de Bourbon, son épouse. Les autres portes, moins considérables, se trouvaient aux autres faces de l'édifice. » Les pièces principales des bâtiments qui environnaient la cour intérieure consistaient en une grande salle, ou salle Saint-Louis ; sa hauteur allait jusqu'au comble. On y trouvait la salle Neuve du roi, la salle Neuve de la reine, la Chambre du conseil, qui consistait en une chambre et en une garde-robe nommée Garde-robe du conseil de la Trappe ; une chambre de la Trappe et une salle basse dont Charles V, en 1366, fit orner les murailles de peintures représentant des oiseaux, des cerfs et autres animaux au milieu de paysages. C'était dans une
superbe salle que les rois régalaient les princes étrangers et que se donnaient les festins.
« La chapelle basse, dédiée à la Vierge, était la plus considérable de toutes celles que contenait le Louvre. On voyait sur sa porte des figures de Notre-Dame, de sainte Anne et d'anges qui les encensaient, tandis que d'autres anges semblaient exécuter un concert avec divers instruments de musique. Charles VI avait fait placer dans l'intérieur de cette chapelle treize statues de prophètes.
» Il existait dans l'enceinte du Louvre un arsenal, un grand nombre de basses-cours entourés de bâtiments dont voici les noms : la Maison du four, la Panneterie, la Saucerie, l'Épicerie, la Pâtisserie, la Fruiterie, le Garde-manger, l'Echansonnerie, la Bouteillerie, le lieu où l'on fait l'hypocras. » Charles V habitait quelquefois le palais de la Cité, car ce fut là qu'il reçut en 1373 la visite de l'empereur Charles IV ; mais il s'empressa de lui faire connaître son Louvre. L'empereur souffrait d'un violent accès de goutte, en sorte qu'on fut obligé de le conduire en bateau, et, dit Christine de Pisan, « le roi lui montra les beaux maçonnages qu'il avait faits au Louvre édifier.
L'empereur, son fils et ses barons, moult bien y logea, et .partout le lieu était moult richement paré. En salle dina le roi, les barons avec lui, et l'empereur en sa chambre. »
Cependant le Louvre fut complètement abandonné après Charles V, et l'hôtel Saint-Pôl devint la demeure de nos rois qui néanmoins le quittèrent bientôt pour l'hôtel des Tournelles.
Celui-ci devint à son tour résidence royale, et ne cessa de l'être que le jour où la mort de Henri II en fit décider la destruction.
Pendant ce temps le Louvre fut complètement abandonné, et lorsque François Ier monta sur le trône, les anciens bâtiments étaient dans un état complet de délabrement.
De ce Louvre primitif il n'est rien resté, mais on connaît exactement la place des principales tours. Dans la cour intérieure du Louvre actuel, des lignes en asphalte blanc ou en granit, tracées sur le pavé en 1868, figurent exactement le plan de l'ancienne forteresse de nos rois. Des fossés larges et profonds, alimentés par les eaux de la Seine, environnaient l'ensemble de ces anciennes constructions.
Le Louvre sous la Renaissance. — Le roi François Ier voyant les bâtiments du Louvre tomber en ruines, résolut de les réparer; mais ce château délabré, construit en vue des
habitudes féodales, pouvait difficilement convenir aux élégances mondaines de la cour de France sous la Renaissance, et le roi, renonçant à une restauration reconnue impossible, résolut d'élever une résidence nouvelle sur l'emplacement de l'ancienne.
Il s'adressa d'abord à l'architecte Serlio, dont les plans ne furent pas agréés ; Pierre Lescot fut alors chargé de la construction du nouveau palais. En 1541, on commença les démolitions, et peu après les travaux de reconstruction, qui durèrent jusqu'à la mort de Henri II, en 1556. Le nom de Jean Goujon, qui a exécuté les sculptures, est lié intimement, dans l'histoire de ce bâtiment, à celui de Pierre Lescot, qui a tracé le plan de l'édifice et dirigé la constuction.
« Ce n'était plus une forteresse redoutable qu'il s'agissait d'élever, dit M. de Guilhermy; il fallait un palais, disposé et décoré suivant le système nouveau qui, depuis la fin du quinzième siècle, tendait de plus en plus à supplanter les traditions du moyen âge. L'antique donjon central ne devait pas reparaître. Le plan de Pierre Lescot comprenait quatre façades dont deux existent encore ; de grands pavillons, coiffés de combles d'ardoise à la française, devaient remplacer, aux quatre angles du monument, les vieilles tours féodales désormais proscrites.
L'aile occidentale, entre le dôme de l'Horloge et l'angle sud-ouest de la cour, fut entreprise la première. Lorsque François Ier mourut, en 1547.
l'œuvre n'avait pas fait de grands progrès. Henri II la poursuivit avec une plus grande activité. Sous son règne, l'aile occidentale fut achevée, et celle du midi à peu près construite jusqu'au guichet qui se trouve en face du pont des Arts ; le pavillon destiné à garnir l'angle formé par la jonction de ces deux corps de logis fut aussi terminé et prit le nom de Pavillon du roi. » GUILHERMY. (Itinéraire archéologique de Paris.) Pierre Lescot avait été admirablement secondé par les sculpteurs qu'il avait appelés près de lui, Jean Goujon et Paul Ponce. La suite des sculptures de Jean Goujon commence aux deux œils-de-bœuf qui précèdent l'angle de gauche de la cour du Louvre. Ce sont des victoires, des renommées, diverses figures allégoriques, des cariatides et des petits génies, sculptés en bas-reliefs sur l'édifice. Paul Ponce avait fait les frontons où l'on voit la Terre, la Mer, l'Abondance, Mars, Bellone, la Géométrie, le Commerce, etc. Il avait aussi décoré l'attique du côté du sud; lors de la destruction de cette partie du bâtiment, les figures furent sciées et placées, les unes (la Justice et la Piété),
sous le vestibule qui traverse le pavillon central de la colonnade; les autres ont été enlevées et sont aujourd'hui à l'École des beaux-arts.
Après la mort de Henri II, Catherine de Médicis vint habiter le Louvre, mais elle abandonna les projets de Pierre Lescot.
C'est à elle qu'on doit la galerie qui se dirige perpendiculairement vers la Seine. Elle est actuellement occupée par une partie du musée des antiques. Vers 1564, la reine délaissa tout à fait le Louvre, pour ne s'occuper que du nouveau palais qu'elle fit commencer en dehors de la ville et qui est devenu le palais des Tuileries.
Charles IX et Henri III ont habité le Louvre et c'est dans les appartements du rez-de-chaussée que la Saint-Barthélemy a été organisée; une tradition erronée désigne une fenêtre du Louvre comme le point d'où le roi aurait tiré sur le peuple, mais cette fenêtre a été construite après la Saint-Barthélemy.
Examinons maintenant dans quel état était le Louvre, à la fin du seizième siècle, lorsque Henri IV monta sur le trône.
« Si, du côté des Tuileries, dit le comte de Clarac, ce qu'on devait à Henri II présentait un édifice d'une architecture sans faste, mais assez régulière, il n'en était pas de même du côté de Saint-Germainl'Auxerrois. On n'avait pas encore travaillé à cette façade. François Ier avait bien, il est vrai, fait disparaître plusieurs fois des anciennes tours ; mais il en restait encore assez pour donner au Louvre l'aspect d'une forteresse ou d'une prison.
» On arrivait à la porte d'entrée que par un pont-levis flanqué de deux tours. A l'extrémité de cette façade orientale, vers la Seine, l'architecture élégante de Lescot venait se rattacher aux constructions gothiques de Philippe-Auguste et de Charles V. Près de riches sculptures, d'ordres décorés avec recherche, de portes et de fenêtres ornées dans le goût florentin, l'intérieur de la cour offrait des murs chargés d'ornements gothiques, des portes écrasées et des fenêtres petites, étroites, percées çà et là sans régularité, et où le jour ne pénétrait qu'avec peine. Vers la rivière, la façade n'était pas terminée, et il est à croire que Lescot y avait suivi le même système que dans la partie extérieure de l'aile tournée vers le couchant, et que l'architecture en était très-simple. Dans le côté du nord, l'aile du château de Charles V existait encore en entier ; François 1er et Henri II n'y avaient pas touché : ainsi l'on se figure aisément l'effet singulier, mais piquant, que devaient produire les ogives, les galeries suspendues, les tourelles et les ornements fantastiques, les statues de Raymond du Temple, de Jean de Saint-Romain, à côté des arcs en plein cintre, des corniches
bien profilées, des ordres grecs et de tout le luxe d'architecture et de sculpture de P. Lescot, de J. Goujon et de Paul Ponce. » Henri IV chargea l'architecte Ducerceau de réunir les Tuileries au Louvre par une grande galerie. Après Ducerceau, ce furent Dupeirac et Metezeau qui travaillèrent pour Henri IV; ils élevèrent un étage au-dessus de l'appartement du Louvre, là où est actuellement la galerie d'Apollon. La grande galerie se trouvait achevée vers 1608, mais après la mort du roi tous les travaux furent de nouveau suspendus.
Henri IV a donné au Louvre une destination qu'il n'avait pas eue avant lui : il y établit des logements pour les artistes et les artisans les plus distingués. Ses intentions sont clairement manifestées par des lettres patentes du 22 décembre 1608.
« Nous avons eu cet égard en la construction de notre galerie du Louvre, d'en disposer les bâtiments en telle forme que nous y puissions loger commodément quantité des meilleurs ouvriers et plus suffisants maîtres qui se pourroient recontrer, tant de peinture, sculpture, orfèvrerie, horlogerie, sculpture en pierrerie, qu'autres de. plusieurs et excellents arts, tant pour nous servir d'iceux, comme pour être par par ce même moyen employés par nos sujets en ce qu'ils auroient besoin de leur industrie, et aussi pour faire comme une pépinière d'ouvriers de laquelle, sous l'apprentissage de si bons maîtres, il en sortiroient plusieurs qui, par après, se répandroient partout notre royaume, et qui sçauroient très-bien servir le public, etc. »
Le Louvre au dix-septième siècle. — Le dix - septième allait ouvrir pour le Louvre une ère nouvelle.
« Louis XIII, dit M. Ferdinand de Lasteyrie, qui fit si peu pour la France, a fait beaucoup pour lui. C'est au fils de Henri IV qu'on doit la reprise des travaux de la cour carrée, c'est-à-dire la continuation plus ou moins heureusement entendue de l'œuvre de Pierre Lescot.
Dans le plan primitif, cette cour ne devait guère avoir que le quart de la superficie qu'elle occupe aujourd'hui. Le nouveau roi ayant décidé de donner un plus grand développement à son palais, l'architecte Lemercier, plein de respect pour l'œuvre de son devancier, eut l'excellente idée de se borner à répéter fidèlement le corps de bâtiment dû à Pierre Lescot, en séparant la copie de l'original, c'est-à-dire la nouvelle construction de l'ancienne, par un pavillon central qui, tout en rompant l'uniformité, devait en faire ressortir d'autant mieux la symétrie. C'est également à Lemercier qu'est due l'idée de répéter la même façade sur les quatre côtés de la cour, en élevant au centre de chacun d'eux un pavillon pareil au premier et percé aussi d'un vestibule à colonnes. Ce plan, en apparence modeste, était un trait de gé-
nie. Bien que modifié dans quelques-uns de ses détails, il a donné naissance à l'un des plus beaux et des plus nobles ensembles de bâtiments qui soient au monde.
Le premier pavillon seulement fut achevé par Lemercier. C'est celui qu'on appelle actuellement le pavillon de l'Horloge, et dont le vestibule met en communication la cour du Louvre avec la place du Carrousel.
Là encore, bien que ce fût son œuvre personnelle, Lemercier, en homme de goût, s'est astreint à suivre pieusement, jusque dans les moindres détails, le style de Pierre Lescot. » Lemercier trouva un habile collaborateur dans le sculpteur Jacques Sarrazin, auquel on doit les huit cariatides colossales, groupées par deux, qui décorent le pavillon de l'Horloge, qu'on nomme plus communément aujourd'hui pavillon de Sully.
Un incendie survenu en 1661 détruisit tout le corps de bâtiments où se trouve aujourd'hui la galerie d'Apollon, au moment même où l'on se préparait à y donner une grande fête. Cet événement est raconté avec les plus grands détails dans la Muse historique de Loret; l'auteur consacre à ce récit une lettre entière qu'il qualifie d'incendiaire et que nous reproduisons ici, parce qu'elle peint bien les mœurs du temps.
Dimanche un feu prompt et mutin, Sur les neuf heures du matin, Se prit à la maizon Royale, Dans cette Galerie, ou sale, Où l'on prétendait (à peu près) Danser Balet dix jours après ; Et telle fut sa violence, Que malgré toute diligence, Pour détourner l'embrazement, Ce magnifique Bâtiment Qu'on nommait sale des peintures, Devint d'effroyables mazures ; Et ce lieu charmant qui, jadis, Des yeux étoit le paradis, Parut lors un afreux image ; Le feu poussoit plus loin sa rage : Mais, par grande dévotion, Dans cette dézolation, On y porta la sainte Hostie, Par qui fut la flâme amortie ; Le vent changeant en un moment, Cela sauva visiblement Les chambres du Roy, de la Reine,
De cette incendie inhumaine.
Après cet éfet merveilleux, Ou bien plutôt miraculeux, Le Roy, Monsieur, les Reynes mesmes, Avec des tendresses extresmes, De reconnoissance et d'amour, Et tous les Princes de la Cour, Ducs, Marquis, Maréchaux de France, Et Prélats de haute importance, Conduizirent dévotement, L'adorable Saint-Sacrement, Jusqu'au Lieu de son tabernacle, Touchez du précédent miracle, Auquel ils avoient grande foy, Sur tous, les Reynes et le Roy.
Dont les Ames très-éclairées, Et de vices bien épurées, Scavent discerner comme il faut Les assistances du Très-Haut.
L'auteur énumère ensuite tous les braves gens qui, au risque de leur vie, ont contribué à arrêter les progrès du feu et termine ainsi :
Enfin ne faut point qu'on s'étonne, Si le feu n'épargna personne, S'il fait quelquefois des débris, Des plus beaux et riches lambris, Puisque cet élément barbare, A la fin des temps se prépare, De consumer en ce bas lieu Les ouvrages même de Dieu, Dans lesquels sa sagesse abonde, Assavoir l'Air, la Terre et l'Onde Et sans respecter mesmement Les Astres ni le Firmament.
Après ce terrible incendie, les bâtiments furent réédifiés et Le Brun fut chargé d'en diriger la partie décorative. Mais le règne de Louis XIV a marqué son empreinte sur les bâtiments du Louvre d'une manière bien autrement décisive.
Lorsque Colbert prit la charge de surintendant des bâtiments, Le Vau était l'architecte du palais; seulement, le ministre goûtait peu les plans de cet artiste, qu'il ne trouvait pas assez grandioses pour la majesté royale. Comme il était difficile de changer sans motif l'architecture d'une aussi vaste construction,
il fit exécuter en relief le projet de Le Van et appela les architectes à venir l'examiner et donner leur avis. Ceux-ci, naturellement, déchirèrent à l'envie le projet de leur confrère, et, fort de l'opinion publique, Colbert fit suspendre les travaux. Il ordonna en même temps un concours, décidant que celui qui aurait obtenu l'assentissement du roi serait chargé d'élever l'édifice.
Les concurrents se présentèrent en nombre, mais un seul projet plut à Colbert; il ne portait pas de nom d'auteur. On l'attribua d'abord à un artiste étranger qui n'aurait pas voulu se nommer. Quand on apprit que l'auteur n'était pas un architecte, mais un simple médecin, Claude Perrault, les quolibets commencèrent à pleuvoir sur les architectes battus au concours.
et on disait partout que l'architecture en France devait être bien malade, puisqu'elle avait recours au médecin. Les hommes spéciaux froissés dans leur amour-propre en même temps que blessés dans leurs intérêts, s'écrièrent que le monument était inexécutable. Colbert, arrêté par des considérations techniques et redoutant un effondrement, se vit obligé de renoncer au seul projet qui le satisfit ; mais les architectes n'y gagnèrent rien, car il résolut aussitôt de confier le travail à un étranger.
Le Bernin avait alors une réputation colossale que la postérité il est vrai, n'a pas ratifiée, mais qui était universellement admise : en Italie, on le plaçait sans hésiter à côté de MichelAnge, et en matière de.goût, l'Italie, à cette époque, était l'arbitre de l'Europe. Colbert, qui voulait mettre au service du roi les hommes les plus éminents de tous pays, songea donc au Bernin; mais il ne se contenta pas de lui demander des plans pour le Louvre, il voulut faire venir l'artiste lui-même. Ce projet pourtant présentait de sérieuses difficultés. Le Bernin avait soixante-huit ans, et on pouvait supposer qu'il hésiterait devant un voyage aussi fatigant. D'un autre côté, on savait que le pape tiendrait beaucoup à ne pas laisser partir un artiste qui depuis un demi-siècle n'avait cessé de travailler aux embellissements de la Ville-Eternelle, et que le peuple romain regardait comme la plus grande gloire de l'Italie. Mais l'idée de Colbert avait reçu l'agrément du roi, et Louis XIV n'était pas homme à abandonner un projet qui flattait sa vanité.
Les premières négociations traînèrent en longueurs, et,
comme le roi commençait à s'impatienter, on eut recours aux grands moyens. Louis XIV écrivit au Bernin la lettre suivante : « Seigneur cavalier Bernin, je fais une estime si profonde de votre mérite, que j'ai un grand désir de voir et de connaître une personne aussi illustre, pourvu que ce que je souhaite se puisse accorder avec le service que vous devez à notre Saint-Père le Pape et avec votre commodité particulière. Je vous envoie en conséquence ce courrier exprès, par lequel je vous prie de me donner une satisfaction, et de vouloir entreprendre le voyage de France, prenant l'occasion favorable qui se présente, du retour de mon cousin le duc de Créqui, ambassadeur extraordinaire, qui vous fera savoir plus particulièrement le sujet qui me fait désirer de vous voir et de vous entretenir des beaux dessins que vous m'avez envoyés pour le bâtiment du Louvre ; et, du reste, me rapportant à ce que mon dit cousin vous fera entendre de mes bonnes intentions, je prie Dieu qu'il vous ait en sa sainte garde, seigneur cavalier Bernin. (Signé) Louis. (Contre-signé) DE LIONNE). A Paris, le 3 avril 1665. »
Le Bernin recevait en même temps le portrait de Louis XIV avec un encadrement enrichi de diamants, représentant une valeur de trois mille écus, et il apprenait que des artistes, envoyés de France par leur gouvernement, avaient reçu pour mission d'exécuter des copies d'après ses principaux ouvrages.
Décidément le roi de France se faisait le courtisan du Bernin, et il était impossible à l'artiste de ne pas obtempérer à ses désirs: Mais il fallait encore obtenir l'assentissement du pape, et on savait combien Alexandre VII tenait à ne pas se séparer d'un homme qu'il regardait comme la plus grande illustration de son règne. Louis XIV lui écrivit donc : « Très-Saint Père, ayant déjà reçu d'ordre de Votre Sainteté deux dessins pour mon bâtiment du Louvre, d'une main aussi célèbre que l'est celle du cavalier Bernin, je devrais plutôt penser à la remercier de cette grâce qu'à lui en demander une nouvelle. Mais comme il s'agit d'un édifice qui, depuis plusieurs siècles, est la principale habitation des rois les plus zélés pour le Saint-Siége qu'il y ait dans toute la chrétienté, je crois pouvoir m'adresser à Votre Sainteté avec toute confiance. Je la supplie donc, si son service le lui permet, d'ordonner au dit cavalier de faire un voyage ici pour terminer son travail. Votre Sainteté ne pourrait m'accorder une plus grande faveur dans la circonstance présente, et j'ajouterai qu'en aucun temps elle ne pourrait en faire à une personne qui soit avec plus de vénération et plus d'attachement que moi, Très-Saint-Père, votre dévoué fils. (Signé) Louis. — Paris, 16 avril 1665. »
Le duc de Créqui vint en grande cérémonie remettre cette lettre au pape et se rendit ensuite chez le Bernin, en compagnie de tout son cortège officiel. L'autorisation de voyage fut donnée mais pour trois mois seulement, et les termes mêmes de la lettre du pape montrent qu'il ne cédait qu'à contre-cœur au désir du plus puissant roi de l'Europe. Cette lettre est écrite en latin : « A notre très-cher fils en Jésus-Christ, Louis, roi de France, trèschrétien, Alexandre, pape, salut : » Mon bien-aimé fils, le très-noble seigneur duc de Créqui, ambas sadeur de Votre Majesté, nous a remis vos lettres et nous prie instamment de vous accorder, pour trois mois, la présence à Paris de notre cher fils le cavalier Bernin. Bien que cet artiste soit nécessaire ici pour la construction des portiques du Vatican et pour les autres bâtiments de Saint-Pierre, néanmoins, voulant écarter tout obstacle, nous vous donnons volontiers cette preuve de notre grande bienveillance envers vous, saisissant cette occasion d'envoyer à Votre Majesté, du fond de notre cœur paternel, notre bénédiction apostolique. Donné à Rome, à Sainte-Marie-Majeure, sous l'anneau du pêcheur, le 23 avril 1665, de notre pontificat le onzième » Le roi de France avait poussé la galanterie jusqu'à envoyer à l'artiste un maître d'hôtel et tout un personnel domestique, et le voyage triomphal du Bernin s'accomplit dans des conditions dont l'histoire de l'art n'offre pas d'autre exemple. A Florence, le grand-duc fit mettre à sa disposition le palais Riccardi et sa propre litière pour l'accompagner jusqu'à la frontière. A Lyon, les artistes, les ingénieurs et une quantité de curieux allèrent au-devant de lui dansla campagne, et les autorités, qui le reçurent aux portes de la villes, le complimentèrent au nom du roi, suivant un cérémonial qui n'était usité que pour les princes du sang. Partout où il passait la population accourait pour voir l'hôte du roi de France, et Baldinucci, qui a publié les lettres du Bernin, en cite une où l'artiste, pourtant bien habitué aux honneurs, dit en plaisantant qu'un éléphant en voyage n'inspirerait pas plus de curiosité dans la campagne.
Aussitôt que le Bernin fut arrivé à Paris, Colbert vint lui rendre visite et fixer l'entrevue avec le roi, qui eut lieu le 4 juin 1665. Toute la cour était piquée par la curiosité ; celle du roi fut tellement vive, qu'oubliant l'étiquette, il n'attendit pas que le cavalier lui fût présenté, et s'avançant vers la porte du salon,
il souleva la portière de sa main royale pour voir plus tôt le grand artiste. Le Bernin était un homme d'esprit et un parfait courtisan : il demanda à faire avant tout autre chose le portrait du roi, et pendant qu'il y travaillait, il ne ménageait pas les flatteries à son modèle. Il savait y mettre un à propos que toute la cour admirait Louis XIV, selon la mode du temps, portait des mèches de cheveux qui, descendant presque jusqu'aux sourcils, cachaient ainsi une grande partie du front.
L'artiste travaillait à son buste, quand, cédant à une soudaine inspiration, il se lève et, relevant doucement les cheveux de son modèle, s'écrie qu'un pareil front devrait être connu de l'univers. Le mot fut trouvé adorable et tout Paris le répétait le lendemain: si bien que la mode survint de se coiffer à la Bernin, c'est-à-dire en laissant le front plus découvert.
Cependant Colbert, qui était homme de goût en même temps qu'homme d'Etat, ne goûtait nullement le plan adopté par le Bernin pour l'achèvement du Louvre. Il regrettait toujours la grande colonnade du médecin Claude Perrault, dont le frère, Charles Perrault, était premier commis à la surintendance des bâtiments. Celui-ci, qui désirait la commande pour son frère, ne manquait pas d'attirer l'attention de Colbert sur les défauts du projet et de lui faire mettre le doigt sur la plaie. Il faisait au Bernin une guerre sourde, une guerre de courtisan, dont il a lui-même raconté les pérépéties dans ses mémoires. Dans le projet, la porte d'entrée était mesquine, et la façade sur le bord de l'eau présentait une multitude de petites fenêtres trop rapprochées les unes des autres. Charles Perrault, se gardant bien de critiquer ouvertement, ne manquait pas d'insister sur l'importance de la porte d'entrée dans un palais, sur la solennité d'allure qu'exigeait la demeure d'un aussi grand roi. Colbert ne disait rien, mais il comprenait parfaitement.
L'Italien, qui était d'une vanité extrême, ne supportait pas la plus légère observation. Aussi Charles Perrault ne lui en faisait-il aucune, mais il posait parfois à son élève, nommé Mathias, les questions les plus embarrassantes. C'est ainsi qu'ayant remarqué l'absence de symétrie entre les diverses parties du bâtiment, il demanda des explications à cet élève.
« Le cavalier, dit-il dans ses mémoires, qui m'entendit faire
cette demande, entra aussitôt en fureur, et me dit les choses du monde les plus outrageantes, et entre autres que je n'étais pas digne de décrotter la semelle de ses souliers. »
Une autre fois Charles Perrault s'approche de Colbert et lui fait à l'oreille une petite observation. Le Bernin se fâche et veut savoir ce qu'on a dit. Quand Colbert lui eut fait part de l'objection, il répondit simplement : « On voit bien que monsieur n'est pas de la profession; il ne lui appartient donc pas de dire son sentiment sur une chose à laquelle il ne connaît rien. » — « M. Colbert, ajoute Charles Perrault, lui dit qu'il avait raison et qu'il ne fallait pas s'arrêter à ce que je disais. Le cavalier retourna chez lui et M. Colbert monta à l'appartement qu'il avait dans le Louvre. Je le suivis et en passant dans un corridor, je lui demandai pardon de la liberté que j'avais prise de parler sur le dessin de M. le cavalier. — « Croyez-vous, me dit-il tout en colère, que je voie pas tout cela aussi bien que vous? Peste soit du b qui pense nous en faire accroire. » Cependant Colbert s'était tellement avancé qu'il était impossible de reculer. On avait fait grand fracas du voyage du Bernin, et toute l'Europe savait que le plus grand architecte du monde avait quitté le service de Sa Sainteté pour venir bâtir le palais du roi de France. La pose de la première pierre du monument eut donc lieu avec la plus grande solennité, et sous cette pierre on scella une médaille représentant d'un côté le roi et de l'autre la façade du Bernin. Ce projet, qu'on peut étudier dans l'ouvrage de Blondel, présentait, entre autres inconvénients, celui de détruire entièrement les constructions de Pierre Lescot, que l'artiste italien supprimait sans autre cérémonie. Mais outre l'édifice, on établissait une grande place s'étendant jusqu'au Pont-Neuf, ce qui eût entraîné la démolition de l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois; sur cette place devait s'élever une fontaine mouumentale, en forme de rocher, avec Louis XIV au sommet et des divinités mythologiques tout autour.
Charles Perrault, obligé de céder, n'en continuait pas moins sa guerre sourde et ses petites intrigues. Les entrepeneurs et les ouvriers français,soit qu'ils ne fussent pas habitués à travailler selon les méthodes italiennes, soit qu'ils obéissent à un mot d'ordre, affectaient de ne pas comprendre le Bernin et le ser-
vaient tout de travers. Celui-ci, exaspéré, demandait qu'on fit venir des Italiens, et Charles Perrault se gardait bien de faire la moindre objection; seulement il présentait des devis formidables au malheureux ministre, qui enrageait, mais n'y pouvait rien.
Cependant les courtisans, qui avaient deviné la pensée de Colbert et qui voulaient s'en faire bien venir, lui vinrent en aide dans cette circonstance. On continuait avec le Bernin le système de flatteries et d'adulations, mais on parlait en même temps du beau climat de l'Italie et des rigueurs du nôtre. On se demandait avec anxiété si le grand homme pourrait supporter un hiver qui pourrait être rude. Et si son dévouement allait aboutir à un malheur, la gloire du roi n'en serait-elle pas atteinte?
Le Bernin était rompu à toutes les intrigues de la cour : il comprit, et se tira en homme d'esprit d'une situation délicate.
Il parla de sa famille qui était restée à Rome, reçut des lettres constatant l'impatience où était le saint-père de revoir son cher artiste, fut indisposé, toussa, et finalement supplia le roi de le laisser passer l'hiver en Italie, se mettant d'ailleurs entièrement à sa disposition pour le reste de ses jours. Colbert fut ravi et versa des larmes feintes : toute la cour admira le désintéressement du roi, qui consentait à se séparer d'un pareil homme.
Les compliments sur le génie du Bernin montèrent à un diapason inouï et l'artiste reçu en partant les plus splendides cadeaux. Charles Perrault lui remit au nom du roi une pension de trois mille livres pour lui et une de douze cents pour son fils.
En même temps Colbert, qui tenait beaucoup à ce que le Bernin ne revint pas, mais parût rester au service du roi, lui commanda une statue colossale de Louis XIV, qu'il devait faire à Rome, dans son atelier, et en se faisant aider cette fois par des praticiens italiens.
Le Bernin partit ainsi comblé d'honneurs et de présents ; mais, dès qu'il ne fut plus là, son projet fut abandonné. Colbert s'en tenait toujours à celui de Claude Perrault; seulement comme les hommes de l'art le déclaraient impraticable; on songea à revenir à l'ancien plan de Le Vau. Colbert pourtant sortit encore victorieux de cette lutte, et il employa pour cela un stratagème
qui peint bien l'esprit du temps. Il savait combien le roi tenait à paraître le maître et à faire tout par lui-même : il proposait souvent le contraire de ce qu'il voulait pour donner au roi le plaisir de le battre et d'avoir raison. Il fit donc apporter à Louis XIV le dessin de Le Vau et celui de Claude Perrault.
Le roi, après les avoir examinés, demanda l'avis de Colbert, qui déclara hautement sa préférence pour le projet de Le Vau.
« Eh bien, moi, dit le roi, je choisis l'autre. » Colbert s'inclina, et c'est ainsi que le médecin Claude Perrault éleva la colonnade du Louvre, qui, malgré le dire des architectes du temps, ne semble pas encore près de s'effondrer. Boileau put dire alors : Notre assassin renonce à son art inhumain, Et, désormais, la règle et l'équerre à la main.
Laissant de Galien la science suspecte, De mauvais médecin devient un architecte.
La colonnade du Louvre est en effet un des monuments les plus admirés de Paris : elle saisit l'esprit et impose l'admiration par son allure solennelle et grandiose. Elle présente surtout à nos yeux une qualité précieuse et qui n'est pas commune en architecture : cette facade est une page d'histoire, elle réalise le rêve du dix-septième siècle, et traduit absolument l'idéal d'une époque. Mais si, au lieu de voir le monument en philosophe et en historien, on veut le considérer en architecte, si on veut fouiller au fond des choses et se demander ce qu'il y a derrière cette façade, l'enthousiasme se refroidit un peu et on est obligé de reconnaître la justesse de certaines critiques. Il est aisé de voir que Perrault avait tout sacrifié à sa façade, et que cette façade n'étant pas d'accord pour la hauteur avec les autres parties du Louvre, entraînerait des modifications importantes et souvent malheureuses.
« Ce n'est pas nous assurément, qui refuserons de reconnaître le caractère grandiose de cet immense péristyle qui, du haut de son stylobate, domine la plus belle partie de Paris, et dont les colonnes cannelées portent jusqu'à une élévation prodigieuses leurs riches chapiteaux d'ordre corinthien. Mais il a ses défauts, comme toute chose en ce monde. Sans parler des artifices employés pour en maintenir les architraves et les soffites, des armatures de fer, qui seules arrêtent la dislocation de cette grande machine, disons que la colonnade n'est qu'un placage, une décoration de théâtre, un embarras même dans l'ordon-
'nance générale du palais. Perrault, qui n'était pas architecte, ne tint aucun compte des dispositions intérieures du Louvre, et ne se préoccupa nullement de mettre son œuvre en rapport avec celle de ses prédécesseurs. Aussi, la construction de la colonnade a-t-elle jeté la perturbation dans toute l'économie du Louvre. Sa longueur excédait tellement l'étendue de ce côté du palais, qu'il fallut doubler aussitôt d'un autre placage la façade considérable bâtie par Le Vau, en regard de la Seine. Sa hauteur était telle que la balustrade, posée sur sa corniche, dépassait de beaucoup la ligne des combles qui couvraient les trois autres côtés de la cour. Il était difficile de continuer, au revers de la colonnade, l'attique de Pierre Lescot et ses toitures à la française, dont les successeurs de cet habile homme avaient habilement suivi le dessin. Perrault imagina, pour se tirer d'affaire, de répéter, à la place de l'attique, l'ordre qui formait le premier étage. Aucune modification plus funeste n'apparaît dans l'histoire des vicissitudes du Louvre. Le second étage de Perrault détruit tout le système des proportions; il écrase de son poids la délicatesse des ordres inférieurs, et cette seconde édition d'une des parties les plus importantes de l'édifice, superposée immédiatement à la première, vient accroître à l'excès la monotonie, qui déjà résultait de la reproduction trop prolongée des façades de Pierre Lescot. »
F. DE GUILHERMY. (Ilinénaire archéologique de Paris.) A peine la colonnade du Louvre était-elle achevée, que les goûts du roi ayant changé, on ne s'occupa pas du tout du palais sur lequel on avait tant rêvé.
« A la Cour, les châteaux se succédaient comme les maîtresses ; c'était toujours pour le dernier venu qu'on se montrait le plus prodigue. La colonnade du Louvre n'avait pas atteint son architrave que Versailles en prenait la place dans la faveur royale. A partir de 1670, le budget du Louvre éprouva d'année en année des réductions plus sensibles. Les travaux cessèrent tout à fait en 1680. Devenus inutiles pour l'avenir, les dessins et les projets de Perrault furent déposés dans la bibliothèque particulière du cabinet du roi, où ils ont toujours été conservés depuis. Inachevé à l'extérieur, dépourvu de toitures dans une partie de son développement, composé de corps de logis immenses, la plupart sans voûtes, sans plafonds, sans escaliers, ce palais, qui était destiné à présenter l'image matérielle de la puissance du roi de France, passa, en peu d'années, à l'état d'une ruine misérable. Ce qui pouvait offrir un abri fut divisé en une foule de petits appartements, que le roi ou ses ministres concédaient à des artistes ou à des gens de lettres. Les trois ou quatre salles les plus spacieuses et les plus habitables servirent aux réunions des académies. Des échoppes s'adossèrent aux murailles. Des masures s'élevèrent au milieu de la cour.
M. Vitet, dans son excellente étude sur le Louvre, a spirituellement comparé l'aspect intérieur de cet édifice, pendant près d'un siècle, à
celui des arênes d'Arles ou de Nîmes, quand une population tout en- tière campait sur les gradins, sous les arceaux des galeries et jusque dans l'épaisseur des murailles. On prétendait alors que, pour achever le Louvre, le meilleur moyen eût été de le mettre à la disposition d'un des quatre ordres mendiants pour tenir ses chapitres et loger son général. Louis XV songea un instant à faire terminer les constructions tant de fois reprises et toujours abandonnées. Mais les travaux entrepris sous son règne se bornèrent à une restauration, très-urgente d'ail- leurs, et surtout pour les parties les plus récentes; elle fut exécutée par Gabriel, et le palais consolidé se trouva en mesure d'attendre des jours meilleurs. » Le Louvre au dix-neuvième siècle. — En créant le musée national, et en l'établissant dans le Louvre, la première République avait fait des changements assez importants dans la disposition intérieure des salles, mais elle n'avait pas sensiblement modifié l'ensemble du palais. Napoléon Ier avait à cœur de terminer ce vaste édifice qui présentait partout des parties inachevées. On voulut d'abord s'attaquer aux quatre grands corps de logis de la cour carrée qui constituent Le Louvre proprement dit.
« Là, dit M. Ferdinand de Lasteyrie, se présentait une grave question. Comment construire la partie supérieure de ces quatre façades, dont une portion était déjà terminée en attique, selon le plan de Lescot, tandis qu'une autre, plus moderne, était couronnée par un troisième ordre? Voulant régulariser le tout, quel modèle préférer? Une commission spéciale fut chargée d'examiner la question, et l'avis presque unanime de cette commission fut que l'attique de Pierre Lescot devait prévaloir. Mais l'empereur ne partagea point cette opinion, et natu- rellement l'avis du maître prévalut. La seule concession faite au pl-an primitif fut que rien ne serait changé aux deux premiers corps de bâtiments qui flanquent le pavillon de l'Horloge. Les trois autres côtés de la cour et la façade méridionale furent donc achevés tels qu'on les voit aujourd'hui, avec un troisième ordre couronné de balustrade et sans toit apparent.
» Napoléon eût voulu également compléter la réunion du Louvre aux Tuileries par la construction d'une seconde galerie parallèle, ou à peu près, à la galerie construite par Henri IV. Le temps lui manqua ; d'autres entreprises, encore plus vastes et beaucoup moins pacifiques, absorbèrent bientôt son attention et toutes ses ressources. Il ne put qu'amorcer ce grand travail par les deux bouts : — d'une part, en prolongeant de quelques travées l'aile des Tuileries attenante aux pa- villon Marsan; — d'autre part, en érigeant à neuf, à l'angle nordouest du Louvre, un pavillon, dit le pavillon Beauvois, où devait être la chapelle. Encore ce dernier bâtiment, aujourd'hui démoli, ne fut-il ni couvert ni même achevé. »
La Restauration ne fit absolument rien pour le Louvre ; sous Louis-Philippe on parlait continuellement de l'achever, mais la liste civile, qui avait la jouissance des palais et l'Etat qui en avait la propriété, reculèrent également devant la dépense. En somme on laissa l'édifice dans un état de délabrement que ceux qui l'ont vu peuvent seuls se figurer. La galerie d'Apollon menaçait ruine et on la traversait sur un mauvais corridor en planches : l'exposition de peinture masquait pendant la moitié de l'année les chefs-d'œuvre contenus dans le musée, et une longue galerie de bois, annexée à la grande galerie qu'elle touchait dans toute sa longueur, faisait naître des craintes incessantes d'incendie.
La République de 1848 mit heureusement fin à ce déplorable état de choses. Dès le 28 février, un décret du gouvernement provisoire ordonnait l'achèvement du Louvre, et quelques jours après la galerie de bois disparaissait et avec elle le danger d'incendie. L'Assemblée constituante vota un crédit spécial pour les restaurations nécessaires dans la galerie d'Apollon, restauration qui fut exécutée avec un rare talent par M. Duban ; enfin elle régularisa le décret du 28 février, en ordonnant l'expropriation immédiate de toutes les masures qui encombraient le Carrousel et se prolongeaient jusqu'au Louvre, dont l'achèvement fut irrévocablement résolu, mais ne fut définitif que sous Napoléon III.
Les bâtiments élevés sous Napoléon III ont été l'objet d'appréciations très-diverses, et la critique s'est montrée quelquefois sévère à ce sujet. Voici comment ils sont jugés par un homme compétent, M. Ferdinand de Lasteyrie : « Au règne de Napoléon III devait appartenir l'avantage d'accomplir l'œuvre décrétée en principe par le gouvernement républicain.
» Un architecte de génie n'eût pas été de trop pour sa réalisation.
Visconti n'avait que du talent. Il en déploya beaucoup dans les détails de l'édifice; mais ces charmants détails ne rachètent pas suffisamment les défauts graves de la conception. Et d'abord, ayant pris pour centre de son projet la façade extérieure du vieux Louvre, qui, dans le principe, en formait les derrières, partie par conséquent moins ornée que le reste, le nouvel architecte du Louvre se trouva forcément amené, dans les constructions neuves, à surcharger cette donnée trop simple d'une foule d'ornements plus ou moins parasites; — et cela contrairement au principe qui veut que le point central de l'édifice soit plus
richement décoré que ses accessoires. Même faute pour les pavillons.
Voulant à tout prix faire du grand, Visconti ne sut, malheureusement, trouver la grandeur que dans la masse. Son point de départ se perd entre quatre énormes pavillons encadrant des corps de logis immenses, qui tous écrasent le vieux Louvre, surplombent la grande galerie et rapetissent ridiculement le château des Tuileries. Quant à l'arc de triomphe du Carrousel, à peine lui laissent-ils l'importance que peut avoir une pendule dans la décoration d'un salon. Et puis, que dire de ces quatre cours latérales que le public ne voit jamais. ni le soleil non plus, humides enclos hors de toute proportion avec l'élévation des bâtiments?
» La mort de Visconti a fait la fortune d'un architecte jusque-là peu connu, M. Lefuel, qu'il s'était adjoint dans la direction des travaux, et qui, depuis lors, a eu l'honneur d'être seul chargé de les achever. Ce ne serait pas chose aisée aujourd'hui que de bien discerner la part d'éloge ou de blâme revenant à chacun d'eux. Les fautes proviennent la plupart de la conception primitive, du plan adopté. Mais il y a aussi beaucoup à louer dans les détails, beaucoup à admirer surtout dans l'exécution. C'était, par exemple, une heureuse idée que cette longue suite d'arcades surmontées de terrasses qui règne sur toute la façade Intérieure des nouveaux bâtiments. En même temps qu'elles donnaient un peu de légèreté, de pittoresque et de saillie à ces constructions d'ailleurs si-massives, les promeneurs, les passants, fort nombreux en Cet endroit, se réjouissaient d'avance d'y trouver un précieux abri contre la pluie ou le soleil. On a eu malheureusement l'inexplicable idée de les fermer au public. » Ce portique percé d'arcades cintrées est décoré d'un ordre corinthien qui supporte un stylobate continu ; les tympans des arcades sont ornés de feuillages sculptés et la frise est richement décorée. Une corniche saillante forme le bord de la terrasse au-dessus des portiques. Cette terrasse est décorée de statues représentant les personnages qui se sont illustrés dans les arts, les lettres et les sciences. En partant du pavillon Sully, dans l'ancien Louvre, elles sont placées dans l'ordre suivant :
A gauche : A droite.
Du pavillon Sully au pavillon Daru. Du pavillon Sully au pavillon Colbert.
1. Jean Goujon. 2. Du Cerceau.
3. Cl. Lorrain. 4. Massillon.
5. Grétry. 6. Mignard.
7. Regnard. 8. Amyot.
9. Marigny. 10. P. Commines.
il. J. Cœur. 12. Fléchier.
13. A. Chénier. 14. Joinville.
15. Keller. 16. Saint-Simon.
17. Coysevox. 18. Louvois.
19. J. Cousin. 20. Lalande.
21. Le Nôtre. 28. Lavoisier.
23. Glodion. 24. Vauban.
25. G. Pilon. 26. Sully.
27. Gabriel. 28. Denis Papin.
29. Lepautre. 30. Condorcet.
Du pavillon Daru-au pavillon Denon. Du pavillon Colbert au pavill. Richelieu.
31. Lhospital. 32. Bossuet.
33. Lemercier. 34. Voltaire.
33. Descartes. 36. J. Racine.
37. A. Paré. - 38. Bourdaloue.
39. Richelieu. 40. De Thou.
41. Montaigne. 42. Suger.
43. Houdon. 44. La Bruyère.
45. Dupérae. 46. S. Bernard.
47. Jacques de Brosse. 48. Turgot.
49. Cassini. 50. Molé.
Du pavillon Denon au pavillon Mollien. Du pavill. Richelieu au pavill. Turgot.
51. D'Aguesseau. 52. Montesquieu.
53. J.-H. Mansard. 54. J..-J. Rousseau.
55. N. Poussin. 56. Froissart.
57. G. Audran. 58. Buffon.
59. J. Sarrazin. 60. Mazarin. 61. N: Coustou. 62. Colbert. 63. Le Sueur. 64. Abailard.
65. C. Perrault. 66. Malherbe., 67. Ph. de Champaigne. 68. Rabelais.
69. P. Puget. 70. Grégoire de Tours.
Du pavillon Mollien au pavillon Les- Du pavillon Turgot au pavill. de Rohan.
diguières.
71. P. Lescot. 72. Corneille.
73. J. Bullant. 74. La Rochefoucauld.
75. Le Brun. 76. Fénelon.
77. Chambiche. 78. Boileau.
79. Libéral Bruant. 80. Molière.
81. Ph. Delorme. 82. Mézeray.
83. B. Palissy. 84. Pascal.
85. H. Rigaud.. 86. La Fontaine.
Dans les pavillons centraux, le rez-de-chaussée et le premier étage sont ornés chacun d'un double rang de colonnes corinthiennes accouplées. Celles du milieu supportent des groupes colossaux entre lesquels est placé un écusson supporté par des
figures symboliques. Le second étage, imité du pavillon de l'Horloge, dans la cour du Louvre, est percé trois baies à plein cintre entre lesquelles se groupent deux à deux de grandes cariatides. Un fronton richement sculpté et un dôme à quatre pans couronnent le toit des pavillons.
Les sculptures qui décorent le nouveau Louvre sont de MM. Duret, Barye, Guillaume, Cavelier, Simart, Dumont,.Jouffroy, etc.
On pourrait croire que l'énorme agrandissement du palais répondait à une augmentation équivalente dans l'emplacement réservé aux collections, pour lesquelles l'ancien local était depuis longtemps insuffisant. Il n'en a rien été : le musée a, il est vrai, gagné quelques salles, mais il en a perdu d'autres, et la grande galerie a été rognée de moitié. La politique et les bureaux ont envahi tout le reste.
LES COLLECTIONS DU LOUVRE NOTICE HISTORIQUE
L'ancienne collection royale. — C'est dans la collection de François Ier qu'il faut chercher l'origine de notre musée national. Le roi de France, passionné pour les beaux-arts, grand admirateur de ce qui se faisait en Italie, faisait recueillir et acheter à grands frais des objets d'art de tout genre. Il ne se contentait pas de charger des agents spéciaux, comme le Primatice, de lui rapporter des tableaux, des statues, des bronzes, des médailles, il attirait à sa cour les artistes italiens et se mettait en relation directe avec ceux qui ne pouvaient venir. Cette première collection était au palais de Fontainebleau, où le roi résidait habituellement. Elle comprenait environ 47 tableaux, provenant presque tous de l'école italienne, et subit peu de modifications pendant la période agitée de nos guerres religieuses.
Le nombre des ouvrages qui composaient la collection royale sous Louis XIII était encore assez restreint.
Mazarin était grand amateur d'art et il enrichit son cabinet des dépouilles de Charles Ier, dont les riches collections furent vendues aux enchères publiques par ordre du Parlement.
« Charles Ier, roi d'Angleterre, avait payé 80,000 livres sterling [2 millions) la collection des ducs de Mantoue, collection qui passait, à juste titre, pour la plus magnifique qui existât en Italie. De précieuses acquisitions vinrent encore augmenter ce trésor, et après la fin tragique du prince on inventoria 1,387 tableaux, 399 statues, distribués comme ornements dans les châteaux royaux. Le Parlement fit faire l'estimation de cette collection, et, séduit par le chiffre de 49,903 livres sterling auquel elle s'éleva, il en ordonna la vente publique au profit de l'Etat.
Cette vente eut lieu de 1650 à 1653, et l'on peut trouver dans le cataogue contemporain, publié par Vertue, quelques renseignements sur 'origine, l'estimation des tableaux, sur les prix d'adjudication et les toms des. acquéreurs. Au nombre de ces derniers figura surtout le lameux Jabach, de Cologne, riche banquier, qui résidait à Paris, rue Saint-Merry. Cependant, après tant de prodigalités, l'heure des rerers devait sonner pour le fastueux banquier. Forcé d'en venir à me liquidation, il vendit d'abord au cardinal Mazarin ses Corrége ainsi que la plupart des tableaux qui avaient appartenu à Charles Ier, et il fit lui-même un inventaire de ses obj ets précieux, qu'il adressa à M. du Metz, trésorier du casuel, afin que celui-ci les proposât au oi. »
VILLOT. (Notice des tableaux du Louvre.) Après la mort de Mazarin, tous les objets d'art qu'il possédait furent acquis pour le roi, et Colbert ne cessa d'augmenter les richesses du cabinet de Louis XIV, qui vint prendre place dans es somptueux appartements de Versailles. Mais ces chefs-d'œu- rre, dispersés dans les appartements royaux n'étaient guère ac- cessibles au public et ne pouvaient être, par conséquent, d'une tien grande utilité pour l'étude des jeunes artistes.
La collection de Louis XV s'enrichit encore d'un choix de tadeaux fait par ordre du roi et sous la direction de Rigaud, dans la superbe collection des princes de Carignan. Des comnandes faites aux artistes pour la décoration des résidences royales ont fourni également un certain nombre de tableaux, la plupart conçus dans le style qu'on appelait alors galant, et ces ableaux, bien que ne se rattachant pas au noyau de la collection royale, font aujourd'hui partie de notre musée. Les tableaux et les dessins, devenus trop nombreux pour les appartements,.
ommencèrent à s'entasser dans les magasins, où ils étaient xposés à de graves détériorations. Le public, d'ailleurs n'était, ous aucun prétexte, admis à les visiter.
M. Villot attribue à Lafont de Saint-Yenne l'idée de faire dmettre le public dans la collection royale et de donner aux
œuvres d'art qui la composaient les soins nécessaires pour les empêcher de dépérir. Lafont de Saint-Yenne écrivait les lignes suivantes dans son Dialogue du Grand Colbert : « Vous vous souvenez sans doute, ô grand ministre, de l'immense et précieuse collection de tableaux que vous engageâtes Louis XIV de faire enlever à l'Italie et aux pays étrangers, avec des frais considérables, pour meubler dignement ses palais. Vous pensez (eh! qui ne le penserait pas comme vous !) que ces richesses sont exposées à l'admiration et à la joie des Français de posséder de si rares trésors, ou à la curiosité des étrangers, ou enfin à l'étude et à l'émulation de notre école? Sachez, ô grand Colbert, que ces beaux ouvrages n'ont pas revu la lumière et qu'ils ont passé des places honorables qu'ils occupaient dans les cabinets de leurs possesseurs, à une obscure prison de Versailles, où ils périssent depuis plus de cinquante ans. »
Ces plaintes ne furent pas écoutées; ce fut seulement en 1750 que le roi permit l'exposition publique d'une partie de son cabinet. Cent dix tableaux des maîtres flamands et français vinrent, par les soins du marquis de Marigny, prendre place dans le palais du Luxembourg et le public fut admis à les visiter le mercredi et le samedi de chaque semaine. Le reste de la collection resta en réserve à Versailles pour renouveler la décoration des appartements, mais ceux qui vinrent à Paris furent choisis parmi ce que le roi possédait de plus beau.
La collection royale subit peu de modifications sous Louis XVI ; cependant elle s'enrichit d'un certain nombre de tableaux des maîtres hollandais, pour lesquels le roi avait une affection toute particulière. On chercha aussi à organiser sur une plus grande échelle l'embryon du musée tenté sous le règne précédent, et il fut décidé que les plans et modèles des forteresses de France, jusque-là placés dans la grande galerie du Louvre, iraient prendre place aux Invalides et seraient remplacés par les chefsd'œuvre de la collection royale, en peinture et en sculpture. On ne devait laisser dans les appartements royaux que ce qui était strictement nécessaire à leur décoration. Ce projet toutefois ne fut pas réalisé : le public fut même privé de la vue des tableaux exposés aux Luxembourg. En effet, le roi ayant ordonné un changement dans la distribution intérieure du palais, toutes les œuvres d'art qu'il renfermait furent ramenées à Versailles et réintégrées dans les magasins. En 1785, il n'y avait pas à Pa-
ris la moindre collection ouverte au public et où les artistes pussent étudier librement.
Tel était l'état des choses quand la Révolution éclata. Le décret constitutionnel de 1791, qui fixe à vingt-cinq millions la liste civile de Louis XVI et lui assigne les Tuileries pour résidence, décida également que le palais du Louvre recevrait le dépôt des monuments des sciences et des arts. Néanmoins ce projet ne put encore recevoir une réalisation immédiate.
Fondation d'un Musée. — Lorsque la Révolution éclata, l'idée d'une grande collection publique, ouverte aux études, était un besoin que tout le monde devait ressentir également. Aussi, malgré les grands événements qui auraient dû, à ce qu'il semble, préoccuper exclusivement les esprits, l'organisation de notre musée national date de l'époque la plus agitée de notre histoire. Voici le texte du décret adopté par la Convention, dans la séance du 27 juillet 1793 : ART. 1er. Le ministre de l'intérieur donnera les ordres nécessaires pour que le Muséum de la République soit ouvert le 10 août prochain dans la galerie qui joint le Louvre au Palais national.
ART. 2. Il y fera transporter aussitôt, sous la surveillance des commissaires des monuments, les tableaux, statues, vases, meubles précieux, marbres déposés dans les maisons des Petits-Augustins, dans les maisons ci-devant royales, tous autres monuments publics et dépôts, excepté ce que renferment actuellement le château de Versailles, les jardins, les deux Trianons, qui est conservé par un décret spécial dans ce département.
ART. 3. Il y fera transporter également les peintures, statues, bustes antiques qui se trouvent dans toutes les maisons ci-devant royales, châteaux, jardins, parcs d'émigrés et autres monuments nationaux.
ART. 4. Il sera mis à la disposition du ministre de l'intérienr, par la trésorerie nationale, provisoirement, une somme de 100,000 livres par an pour faire acheter dans les ventes particulières les tableaux ou statues qu'il importe à la République de ne pas laisser passer dans les pays étrangers, et qui seront déposés au Musée, sur la demande de la Commission des monuments.
ART. 5. Il est autorisé à faire les demandes nécessaires pour le transport des tableaux et statues dans le Musée des dépôts particuliers où ils sont maintenant.
Cette fois, le décret fut observé et le Muséum français, appelé ensuite Muséum central des arts, ouvrit peu de temps après sa promulgation. L'ancienne collection royale, devenue collection
nationale, s'enrichit beaucoup par suite des campagnes d'Italie, où les traités firent venir en France, comme trophées de la victoire, une foule de chefs-d'œuvre fameux.
Les guerres qui remplissent le règne de Napoléon Ier marquent également les transformations du Musée. Une foule de tableaux qui faisaient partie de l'ancienne collection sont envoyés en province et forment le noyau des musées départementaux. Ils sont remplacés par de magnifiques ouvrages que l'empereur nous envoie d'Italie, d'Espagne et d'Allemagne. Quand arrive l'heure des revers, l'étranger reprend tout ce qui lui a appartenu, sans daigner se le faire rendre par un traité régulier, ou plutôt contrairement au traité régulier qui consacrait le respect des propriétés publiques. L'empire en tombant, laissa le Musée plus pauvre qu'il n'était auparavant.
Pour remplir les vides du Musée, la Restauration fit replacer au Louvre les tableaux qui avaient été pendant l'empire exposés dans le palais du Luxembourg, savoir les toiles de Rubens sur la vie de Marie de Médicis, celles de Le Sueur sur l'histoire de saint Bruno, et les ports de France par Joseph Vernet. En joignant ces tableaux à ceux qui provenaient de l'ancienne collection, on reconstitua un Musée nouveau. En même temps, le Luxembourg fut affecté à la création d'une collection d'ouvrages des artistes modernes.
Il ne faut pas oublier de nommer ici le Musée Charles X, collection d'antiquités égyptiennes et grecques extrêmement intéressantes et dont Champollion a été le premier conservateur.
Quant au Musée d'Angoulême, aujourd'hui Musée des sculptures du Moyen âge et de la Renaissance, on ne peut guère en faire honneur à la Restauration, qui n'a fait que placer dans des salles nouvelles des ouvrages appartenant antérieurement à nos collections publiques.
Préoccupé uniquement des galeries de Versailles, Louis-Philippe s'est toujours montré d'une parcimonie extrême à l'égard du Louvre. Le public, cependant, croyait à une augmentation notable de nos collections nationales, quand il a vu ouvrir une riche série de tableaux de l'école espagnole, qui occupait plusieurs salles du Louvre. Mais cette collection a été revendiquée par la famille d'Orléans comme lui appartenant et elle lui a été
rendue après 1848. En fin de compte, le règne de Louis-Philippe compte à peu près comme zéro dans l'histoire du Musée.
Malgré la pauvreté de son budget, le musée a trouvé moyen de faire quelques acquisitions pendant la période agitée de 1848 à 1851 ; mais ces acquisitions furent en somme peu importantes.
Le Louvre, durant cette période, n'a eu que 50,000 fr. par an pour acheter des objets d'art. Comment, avec une somme aussi modique, pourrait-on accroître les collections de peintures, de dessins, de sculptures antiques et modernes, de vases, d'antiquités assyriennes et égyptiennes? Une belle statue antique, un seul tableau de grand maître absorberait, et au delà, les 50,000 fr. destinés aux besoins de tous les départements. » VILLOT. (Notice des tableaux du Louvre.) Pendant cette période de quatre années, le musée s'est sensiblement amélioré quant à la disposition, car c'est seulement de cette époque que date le classement rationnel dont on ne s'est plus départi depuis. En outre on a cessé de faire dans la grande galerie des expositions annuelles de peinture et de sculpture, usage qui privait le public du Musée pendant six mois de l'année.
Le Musée a fait sous le dernier empire des acquisitions assez importantes : la collection Campana, la collection Sauvageot et la collection Lacaze. Un désir du souverain, ratifié par un vote de la Chambre, nous a valu la première; les deux autres sont dues à la générosité des amateurs dont elles portent le nom. Mais le chiffre de l'allocation pour les musées n'a jamais dépassé celui qui avait été alloué primitivement sous la Convention, alors que les œuvres d'art se payaient dix fois moins cher qu'aujourd'hui.
On s'est souvent plaint de l'insuffisance des fonds destinés à accroître nos grandes collections ; quand le Musée relevait de la liste civile, on espérait toujours que s'il se présentait une occasion importante, le souverain pourrait lui venir en aide. Auourd'hui que le Musée est revenu à l'Etat, son avenir est tout entier dans les mains de ceux qui votent le budget; il importe donc que le public sache exactement en quoi il consiste. Voici quelles sont en moyenne les sommes affectées à l'entretien de nos musées :
MATÉRIEL
Habillement des gardiens, gagistes et ouvriers. 29,700 Chauffage et éclairage 37,000 Impressions, lingerie, frais de bureaux, dépenses diverses du matériel. 26,150 Restaurations diverses, rentoilage, cadre, reliure, achat de livres, etc. 20,400 Dépense des ateliers (chalcographie, restauration des sculptures, moulages, Musée naval). Commande de planches pour la chalcographie. 28,780 -4c~MMt<<cM~<ff~je~d'ar<. 75,000 Musée de Saint-Germain (matériel). 21,000 Total. 238,030 personnel , , , , , , , , , , , , , , , , 404,650 Total du chapitre XLII. 642,680
Le chiffre pour les acquisitions du Musée, que la Convention avait porté à 100,000 fr., est donc aujourd'hui de 75,000 fr., et cette somme doit être répartie entre les collections de peintures, de dessins, de sculptures, d'antiquités, d'objets d'art de toute espèce que possède le Louvre. Le malheur du Louvre est de contenir plusieurs collections d'un ordre très-différent, bien que réunies dans le même bâtiment. Si nous comparons le Musée national de France à celui d'Angleterre, nous verrons que le chiffre des acquisitions que peuvent faire nos voisins est beaucoup plus considérable que le nôtre, par la seule raison que le musée chez eux est divisée en sections qui sont pourvues chacune d'un budget spécial. Ainsi notre musée de peinture répond à la National Gallery, notre musée d'antiquités au British Muséum, et notre musée d'objets d'art de la Renaissance et des temps modernes répond au South Kensington. Si l'on place la somme dont peut disposer annuellement chacune des trois collections anglaises à côté de celle dont dispose notre Musée, où les trois sections sont réunies, on comprendra pourquoi nous ne pouvons pas lutter sous le rapport des acquisitions nouvelles.
L'administration des Musées, — Le;personnel de l'administration du Louvre comprend trois catégories distinctes : 1° les conservateurs et les attachés à la conservation ; 2° les commis préposés aux écriture ; 3° les gardiens.
Il ne faut pas faire aucune confusion entre les conservateurs du Louvre et les commis et employés de l'administration. Le conservatoire du Louvre (on nomme ainsi la réunion des conservateurs), est avant tout un corps savant ; il ne se recrute pas par les voies ordinaires de l'administration et son travail se rattache essentiellement à l'insiruction publique. La mission d'un conservateur roule sur trois points : 1° rechercher les meilleures occasions pour enrichir la collection qui lui est confiée, en comblant autant que possible les lacunes qu'elle peut présenter ; 2° classer cette collection méthodiquement de manière à en rendre l'étude instructive pour le public ; 3° publier un catalogue raisonné de sa collection afin de mettre le public au courant des travaux les plus récents de la science et de la critique.
La rédaction d'un catalogue est un travail extrêmement aride et qui présente presque toujours des difficultés immenses. Le mérite d'un catalogue n'est pas dans le charme de la narration, car le style en est forcément sec et sommaire, mais il consiste à accumuler le plus de renseignements possibles sur un espace aussi restreint que possible. Aussi un catalogue raisonné est surtout utile pour les travailleurs de seconde main, qui sont sûrs de trouver là un renseignement toujours exact sur l'objet dont ils veulent parler. Or ce sont ces travailleurs de seconde main, ces vulgarisateurs qui, dans les journaux quotidiens, dans les revues, dans les livres d'éducation, dans les volumes d'étrennes, dans les publications de tout genre destinées aux gens du monde, répandent sous toutes les formes et popularisent l'instruction artistique et archéologique, et c'est dans les catalogues du Lonvre qu'ils puisent nécessairement.
Les catalogues du Louvre font foi ; ils représentent pour notre pays la science officielle, et si le catalogue contient une erreur, on peut être certain que toute la France la répétera après lui. La haute opinion que le public se fait du savoir des conservateurs tient à l'excellence des catalogues publiés jusqu'à ce jour et à la compétence reconnue des hommes placés à la tête de nos collections. Malheureusement la série des catalogues est loin d'être complète. Il y a au Louvre des collections qui, faute d'un catalogue raisonné, sont absolument lettre morte pour le
public; en passant, il regarde d'un œil indifférent une foule d'objets, qui ne manqueront pas de l'intéresser le jour où on voudra bien lui en donner l'explication.
L'emplacement des collections diverses qui composent le Musée du Louvre est quelquefois difficile à trouver quand on ne connaît pas à fond tous les détours du palais.
La grande porte placée sous la colonnade du Louvre, quand on vient de la place Saint-Germain-l'Auxerrois, donne accès du côté gauche au Musée égyptien, du côté droit au Musée asiatique. L'entrée du musée des sculptures du moyen âge et de la Renaissance est dans la cour du Louvre, à gauche, si on arrive par la place Saint-Germain-l'Auxerrois, à droite si on arrive par le pont des Arts. L'entrée du musée de la sculpture moderne est à côté du pavillon Sully (ou de l'Horloge), et l'entrée du musée de la sculpture grecque et romaine est sous le vestibule du même pavillon. Toutefois ce musée a une autre porte ouverte au delà de la cour du Louvre entre les pavillons Daru et Mollien.
Pour les salles du premier étage, l'entrée la plus fréquentée est par l'escalier placé à gauche du pavillon de l'Horloge. Cet escalier mène à la galerie Lacaze, par laquelle on arrive à la galerie d'Apollon, qui donne accès sur le salon carré du musée de peinture. C'est également par le pavillon de l'Horloge qu'on arrive au musée des dessins, qui tourne autour de la cour, aboutit au musée des objets d'art, après lequel on rencontre l'escalier qui redescend au musée assyrien. Un escalier analogue, placé au fond du musée égyptien, aboutit d'un côté au musée oriental (ancien musée des souverains) et de l'autre au musée des antiquités au bout duquel on retrouve la galerie Lacaze et la galerie d'Apollon.
MUSÉE DE PEINTURE
COLLECTION LACAZE
Quand on entre au Musée par la porte placée à gauche du vestibule, sous le pavillon de l'Horloge, en avant de la cour
du Louvre, on trouve un escalier. Arrivé au premier étage, on laisse à main gauche le musée des dessins et on prend à main droite la porte qui ouvre sur la salle Lacaze. Le nom de cette salle vient du généreux amateur qui, après avoir formé cette belle collection, en a fait don au Musée. Le portrait de Louis Lacaze, peint par lui-même, à l'âge de quarante-cinq ans environ, occupe le fond du panneau d'entrée; il tient une palette à la main. Louis Lacaze est né à Paris le 6 mai 1798 et mort dans la même ville, le 28 septembre 1869.
Nous ne pouvons faire ici une biographie de cet ami des arts ; mais voici un extrait de l'article publié par le Journal des Débats, le 19 octobre 1869 :
« On a déjà beaucoup parlé de M. Louis Lacaze depuis sa mort récente; on en parlera plus encore. Il est bien naturel que la reconnaissance publique s'empare du nom du donateur du Musée, de l'Ecole de Médecine et de l'Académie des sciences. Ses fondations prennent place tout à la fois à côté de celles de Luynes et de Montyon; l'art et l'humanité protégeront sa mémoire contre l'oubli.
» Il entrait cependant bien peu dans les goûts de cet homme modeste de se placer sur un piédestal. Comme le sage, il a caché sa vie, et si ses donations perpétuent son nom, on peut dire que c'est malgré lui. Tel il a vécu, tel on le retrouve dans ses dernières dispositions.
Il laisse au Musée sa collection ; il émet un simple vœu pour que ses tableaux, qu'il aimait tant, ne soient pas disséminés ; il lègue en rentes annuelles 15,000 francs à l'Académie des sciences, 5,000 fr. à l'Ecole de médecine ; il précise les branches de la science qu'il veut encourager : la physiologie, la physique, la chimie ; il désigne les maladies qu'il veut encore combattre après sa mort : la phthisie et la fièvre typhoïde; mais voilà tout. Pour sa mémoire, il ne demande rien. Quoi qu'il en soit, le nom de M. Louis Lacaze nous appartient au même titre que ses donations ; il est irrévocablement attaché à la galerie qui contiendra ses tableaux, non moins qu'aux prix qu'il a fondés. »
La collection Lacaze comprend des maîtres de toutes les écoles, mais surtout de l'école française du dix-hutième siècle.
Les attributions données par le célèbre amateur ont été respectées par l'administration.
Panneau à gauche. — GREUZE (1725-1805) — 210 — Son portrait. — 208 — Gensonné. — Ces portraits de sont qu'ébauchés.
LE MOYNE (1688-1737)— 225 — Hercule et Omphale.— Peinture
intéressante, parce qu'on y voit poindre les blancs nacrés et les roses pâles qui vont devenir la coloration habituelle de l'école française. Le Moyne, qui, dans son plafond du salon d'Hercule, à Versailles, s'est montré vraiment grand peintre, n'apparait ici que comme un peintre aimable.
DENNER (1685-1747) — 53 — Tète de Vieille femme. On en trouve d'analogues dans presque toutes les grandes collections.
Nous signalons celle-ci à titre de curiosité, mais non comme œuvre d'art.
AD. OSTADE (1610-1685) — 87 — Intérieur d'école. — Authenticité douteuse.
RIGAUD (1659-1743) — 241 — le Cardinal de Polignac.
PATER (1696-1736) — 235 — la Toilette. — Pater est un imitateur de Watteau, qu'on avait absolument oublié dans la première partie de ce siècle et que les amateurs ont remis à la mode depuis quelques années. Il est bien loin d'avoir les qualitées de peintre de son maître, mais il ne manque pas d'esprit dans la tournure qu'il donne à ses personnages. Dans la Toilette, il y a une petite figure vue de dos qui est d'une désinvolture charmante : c'est la soubrette, vêtue de rouge, qui fait chauffer un linge devant le feu.
FR. HALS (1584-1666) — 65 — la Bohémienne. — Superbe peinture, d'une touche franche et hardie. C'est une jenne fille au regard vif, au sourire franc, à la physionomie étincelante de vie et de santé, peinte avec brutalité, mais aussi avec ce charme d'improvisation dont le maître d'Haarlem a donné parfois d'admirables exemples.
BOUCHER (1703-1770) — 161 — Vénus chez Vulcain. — On peut voir ici toute l'insuffisance des formes dans le dessin de Boucher.
CHARDIN (1699-1779). — Outre le Bénédicité, répétition origi- nale d'un tableau identique de la galerie française, on trouvera sur ce panneau un assez grand nombre d'études de Chardin, car L. Lacaze était grand amateur de ce maître. Ces études, ustensiles de ménage, pièces de faïences, gobelets d'argent, fruits ou petits gâteaux, groupés d'une manière souvent heureuse, forment des petits tableaux d'un aspect fort agréables pour l'œil.
Nous recommanderons particulièrement la Fontaine de cuivre
rouge — 176 — le Bocal d'olives — 175 — le Gobelet d'argent — 181 — etc.
Chaque tableau que faisait Chardin arrachait à Diderot des cris d'admiration. Voyez plutôt le compte rendu du Salon de 1763 :
C'est celui-ci qui est un peintre; c'est celui-ci qui est un coloriste ! Il y au Salon plusieurs petits tableaux de Chardin; ils représentent presque tous des fruits avec les accessoires d'un repas. C'est la nature même; les objets sont hors la toile et d'une vérité à tromper es yeux. Celui qu'on voit en montant l'escalier mérite surtout l'atten,ion. L'artiste a placé sur une table un vase de vieille porcelaine de la Chine, deux biscuits, un bocal rempli d'olives, une corbeille de fruits, leux verres à moitié pleins de vin, une bigarade avec un pâté. C'est que ce vase de porcelaine est de la porcelaine ; c'est que ces olives sont réellement séparées de l'œil par l'eau dans laquelle elles nagent; c'est qu'il n'y a qu'à prendre ces biscuits et les manger, cette bigarade et l'ouvrir et la presser, ce verre de vin et le boire, ces fruits et les peler, ce pâté et y mettre le couteau. On n'entend rien à cette magie. Ce sont des couches épaisses de couleur appliquées les unes sur es autres, et dont l'effet transpire de dessous en dessus. D'autres fois, en dirait que c'est une vapeur qu'on a soufflée sur la toile ; ailleurs, me écume légère qu'on y a jetée. Rubens, Berghem, Greuze, Loucherbourg vous expliqueraient ce faire bien mieux que moi, tous en 'eront sentir l'effet à vos yeux. Approchez-vous, tout se brouille, s'aplatit, disparaît ; éloignez-vous, tout se recrée et se reproduit. On m'a lit que Greuze, montant au Salon et apercevant le morceau de Charlin que je viens de décrire, le regarda et passa en poussant un profond soupir. Cet éloge est plus court et vaut mieux que le mien. Qui est-ce qui payera les tableaux de Chardin quand cet homme rare ne sera plus ? Il faut que vous sachiez encore que cet artiste a le sens droit et parle à merveille de son art. Ah ! mon ami, crachez sur le 'ideau d'Appelles et sur le raisin de Zeuxis. On trompe sans peine un artiste impatient, et les animaux sont mauvais juges en peinture.
N'avons-nous pas vu les oiseaux du jardin du roi aller se casser la tête contre la plus mauvaise des perspectives ? Mais c'est vous, c'est noi que Chardin trompera quand il voudra.
Chardin, après avoir été fort délaissé pendant toute la prenière moitié de ce siècle, est redevenu en faveur, et ce n'est que justice. Nous trouvons même que l'engouement à son égard va peut-être un peu trop loin : nous croyons ne rien rabattre de son nérite en déclarant que, malgré tout ce que peuvent dire auourd'hui les critiques en renom, une terre cuite antique, ou un iessin de l'école florentine ont une tout autre valeur à nos yeux.
LANCRET (1696-1743) — 212 — le Théâtre italien. — Ce tableau, qui a été gravé par Schmidt, est assez important dans l'œuvre de Lancret. Il représente les acteurs de la comédie italienne' groupés autour de Gille : Culombine et le docteur sont à droite, Arlequin, Silvie et Scapin, à gauche.
WATTEAU (1684-1721) — 263 — Assemblée dans un parc. — Plusieurs personnages, hommes, femmes, enfants, causent jouent et font de la musique, près d'une pièce d'eau placée dans un parc. Les scènes galantes sont toujours bien à leur place dans ces jardins enchantés, où l'on cause d'amour à l'ombre des bosquets, dont l'écho ne répète que des notes tendres. Nous voyons là tout un petit peuple amoureux, vivant, se remuant et s'amusant, parmi des arbres comme la nature n'en fait pas, mais comme il en pousse dans le monde de la fantaisie. — 264 — L'escamoteur.
D. TÉNIER (1610-1690) — 136 et 137 — l'Été et l'Hiver.
CALLET (1741-1823)— 167 — le Triomphe de Flore.
BOUCHER (1703-1770) — 163 — le Peintre dans son atelier.
REMBRANDT (1607-1669) — 98 — Portrait d'homme.
PATER (1696-1736 — 236 — Conversation dans un parc. — 237 — la Baigneuse.— Ce tableau, qui a été autrefois attribué à Watteau, est en somme d'une facture assez maigre.
REGNAULT (1754-1829) — 240 — Les Trois Grâces. — Cette peinture, placée un peu haut, est d'un aspect singulier qui marque assez bien la transition entre le goût du dix-huitième siècle et celui qui a prévalu au commencement du dix-neuvième Le Pausianas français en parle dans un style qui n'est pas sans analogie avec celui de la peinture elle-même. « Les Trois Grâces, dit-il, son grandes comme nature; à leur pose aimable, à leurs traits, aux tons frais qui les colorent et aux charmes du pinceau qu'elle ont inspiré, il est imposible de les méconnaitre. » FRAGONARD (1731-1806 — 202 — l'Orage. — Tableau de paysage dont M. L. Lacaze faisait le plus grand cas.
REMBRANDT (1607-1699) — 96 (+) La femme au bain. — Ce tableau est la pièce capitale de l'école hollandaise dans la collection Lacaze; ceux qui veulent donner à toutes choses un nom historique pourront baptiser cette figure du nom de Betsabée : pour nous, nous n'y voulons voir que ce que le peintre y a
nis, une femme qui se baigne. — Eh bien! franchement, elle en avait besoin ! vont s'écrier les personnes qui dans la peinture ne voient que le sujet, et elle aurait même dû accomplit cette petite formalité avant de se présenter ainsi au public. On peut présumer d'ailleurs que cette cérémonie n'avait lieu que dans es grandes occasions, car la bonne dame qui se lave ainsi, et lont une vieille servante est en train d'essuyer les pieds, tient en nain une lettre qu'elle vient de lire; dans la pensée du peintre, cette lettre n'est peut-être pas étrangère à cette toilette inaccouumée. Ajoutons que cette femme entièrement nue, est par-dessus le marché d'une laideur rare, et que l'aspect du tableau repousse tout d'abord par sa vulgarité; néanmoins, la puissance lu modelé est si irrésistible, la chair est si vivante, le relief si saisissant, qu'il faut malgré tout saluer l'œuvre d'un grand naître, mal inpiré cette fois, mais toujours inimitable !
Chose singulière, cette vilaine femme a été peinte plusieurs lois par Rembrandt, dans le même costume et vers la même epoque, c'est-à-dire en 1664. Ceux qui ont vu la Femme au bain le la National Gallery, à Londres, ont certainement reconnu, bien que la pose en soit différente, le modèle qui a posé pour le ableau de la galerie Lacaze. La malheuresuse que le peintre a ainsi vouée à l'immortalité n'était assurément pas sa femme, puisque Rembrandt est devenu veuf en 1642; mais l'hypothèse mise à ce sujet par M. Paul Mantz nous paraît assez vraisemlable.
« Le maître, dit-il, avait d'abord cherché des consolions dans le ravail, mais le jour vint où le veuvage lui ayant paru lourd, il se réa des affections nouvelles. On ne sait trop quelle était Heudrickie aghers, on ignore si sa liaison avec Rembrandt fut bien orthodoxe, mais elle fut tellement intime, qu'il naquit bientôt à Amsterdam une petite fille, qui fut baptisée dans la Oude kerke, le 30 octobre 1651.
Jn document retrouvé par M. Scheltema prouve que l'artiste reconnut enfant de Hendrickie et qu'il la nomma Cornélia. Cette période de la le de Rembrandt est encore fort obscure ; toutefois on est tenté de onclure, d'après le rapprochement des dates, que Hendrickie Jaghers dû poser pour les études de femmes que le maître multiplia alors.
on corps n'avait pas la pureté grecque, ses énormes mains n'étaient as italiennes ; mais s'il est vrai que Rembrandt l'aima et qu'elle ait aidé à faire des chefs-d'œuvre, elle restera désormais de nos mies. »
DAVID TÉNIER (1610-1690) — 125 — Le duo.
WATTEAU (1684-1721) — 261 — L'indifférent. — C'est un jeune danseur, à la mine effrontée, qui porte la jambe en avant comme pour faire une pirouette, et semble ravi de se voir affublé d'un jolie habit bleu de ciel et d'un manteau rose. —
262 — La Finette. — Jeune fille vêtue d'une robe verdâtre, qui est assise dans un paysage complètement chimérique, et joue de la mandoline en regardant le spectateur. Ces deux tableaux, qui ont fait partie de l'ancienne collection du marquis de Ménars, ont été popularisés par la gravure. Ils sont d'une facture exquise, mais malheureusement. un peu fatigués.
FRAGONARD (1732-1805) — 197 198-199 et 200 — Ces tableaux semblent être des portraits et avoir été destinés à se faire pendant. La touche facile et heurtée, habituelle à Fragonard, est à nos yeux une qualité secondaire, mais qui est fort prisée aujourd'hui.
« Fragonard a été plus loin que personne dans cette peinture enle- vée qui saisit l'impression des choses et en jette sur la toile comme une image instantanée. On a de lui, dans ce genre, des tours de force, des merveilles, des figures où il se révèle comme un prodigieux Fa Presto.
On voit dans la galerie Lacaze quatre portraits de grandeur naturelle à mi-corps. Au dos de l'un je lis ceci écrit, me semble-t-il, de sa main : Portrait de M. de la Bretèche, peint par Fragonard en 1769, en une heure de temps. Une heure ! rien de plus. Il lui suffisait d'une heure pour camper, bâcler et trousser si fièrement ces grands portraits où se déploie et s'étale toute cette fantaisie à l'espagnole dont la peinture d'alors habille et ennoblit les contemporains. Une heure pour couvrir toute cette toile! A peine s'il jette ses touches; il dégrossit à grands coups les visages, les indique avec les plans d'un buste commencé, tire les traits comme d'un fond de bile. Son pinceau étend les couleurs en lanières à la façon d'un couteau à palette. Sous sa brosse enfiévrée qui va et vient, les collerettes bouillonnent et se guindent, les plis serpentent, les manteaux se tordent, les vestes se cambrent, les étoffes s'enflent et ronflent en grands plis matamoresques. Le bleu, le vermillon, l'orange coulent sur les collets et les toques ; les fonds sous les frottis de bitume, font autour des tètes un encadrement d'écume; et les tètes elles-mêmes jaillissent de la toile, s'élancent de cette balayure furibonde, de ce gâchis de possédé et d'inspiré. » DE GONCOURT. (L'Art au XVIIIe siècle.) PH. DE CHAMPAIGNE (1602-1674 — 51 — Portrait de Jean Antoine de Mesme, président à mortier du parlement de Paris.
RIBÉRA (1588-1656) — 32 — Le pied-bot. — C'est un jeune mendiant, à la mine crasseuse et joviale, qui tient son chapeau
et sa béquille, en attendant qu'un passant lui fasse l'aumône.
La coloration de cette toile, bien que d'un aspect terreux et monotone, est d'une singulière puissance, et il y a une exubérance de vie bien saisissante dans cet infirme couvert de haillons, qui dans l'espoir que vous lui ferez la charité, sourit en montrant deux rangées de dents superbement blanches.
JEAN STEIN (1626-1679) — 122 — Repas de famille.
CH. COYPEL (1694-1752) — 188 — Portrait de l'acteur Jelyotte en costume de femme. — Il est placé tout près de la porte.
Charles Coypel était poëte en même temps que peintre. Ces aptitudes multiples lui ont attiré de la part de Voltaire la critique suivante : On dit que votre ami Coypel Imite Horace et Raphaël ; A les surpasser il s'efforce, Et nous n'avons point aujourd'hui De rimeur peignant de sa force, Ni peintre rimant comme lui.
Panneau à droite. — Pour suivre ce panneau dans l'ordre indiqué, il faut revenir sur ses pas et repartir du portrait de M. Lacaze, placé à l'entrée de la salle.
FRAGONARD (1731-1806) — 196 — La chemise enlevée, est l'esquisse d'un tableau qui a été gravé sous ce titre et dont le peintre a fait plusieurs répétitions.
D. TÉNIERS (1610-1690) — 134 — Les joueurs de boule.
GREUZE (1725-1805) — 206 — Tête de jeune fille.
LARGILLIÈRE (1655-1746) — 221 — Le président de Laage.
LE NAIN (trav. vers 1640) — 227 — Repas de paysans.
Cette toile, qui est datée de 1642, est une œuvre d'une impression triste, d'une coloration terne, mais qui n'est pas dépourvue de saveur. Cependant, il faut bien le reconnaître, ce tableau n'ajoute pas beaucoup à la gloire des Le Nain, ces peintres mystérieux sur lesquels on sait en somme si peu de chose.
PH. DE CHAMPAIGNE (1602-1674) — 50 — Le prévôt des marchands et les échevins de la ville de Paris. — C'est un des bons tableaux du maître ; un article de M. Paul Mantz, nous fournit sur cette toile de précieux renseignements :
« M. Lacaze acheta cette peinture en 1851, à la vente Sébastiani, et il la paya 1,550 fr. Personne absolument n'en voulait. M. Lacaze couvrit la dernière enchère, non-seulement parce qu'il trouvait le tableau honorable, mais aussi par une sorte de pitié pour cette pauvre toile qui, tombant entre des mains barbares, aurait été probablement dépecée.
Ce tableau importe d'ailleurs à l'histoire de la magistrature parisienne, et nous approuvons fort M. Lacaze de l'avoir sauvé. Philippe de Champaigne y a représenté huit figures agenouillées au pied d'un crucifix posé sur un socle, dans lequel est encastrée sous forme de bas-relief une image de sainte Geneviève. Ces dignes personnages sont le prévôt des marchands, le procureur du roi, quatre échevins, le greffier et le receveur de la ville. Le tableau n'est point daté. Guillet de SaintGeorges, qui a écrit une notice sur Philippe de Champaigne, insérée dans les Mémoires sur la vie des académiciens, nous fournit une vague indication : « Dans les années 1649, 1652 et 1656, il fit pour la maison de ville de Paris trois tableaux où sont les portraits des différents magistrats de la ville, élus sous trois diverses prévôtés : le premier sous la prévôté de M. Le Féron, le second sous celle de M. Le Febure, et le troisième sous celle de M. de Sève. » Des armoiries placées au bas des portraits des deux principaux personnages permettront sans doute de les reconnaître, et par suite de dater ie tableau. Quoi qu'il en soit, il y faut voir une des meilleures toiles de Champaigne. Les tètes sont sincèrement étudiées, et avec cette préoccupation de marquer finement l'individualité du modèle. L'animation du regard, les lèvres qui vontparler, la gravité de l'attitude, donnent une haute valeur à cette collection de figures qui, sévères, demeurent intimes. Ici l'art et l'histoire vont de compagnie. Vraiment, lorsqu'on voit quel savant portraitiste était Philippe de Champaigne, on se prend à regretter que la fatalité des circonstances, le caprice d'une ambition imprudente l'aient conduit à composer de grands tableaux prétentieux et vides ; autant il est glacé dans ses machines d'apparat, autant il a le sentiment de la vie lorsqu'il se trouve face à face avec une personnalité qui parle à son esprit ou à son cœur. Champaigne, dont on a voulu faire un Français, est toujours resté Brabançon ; il est l'homme et le peintre des choses vues, et non des choses imaginées. »
ÉCOLE FRANÇAISE (dix-huitième siècle) — 271 (+) Portrait de femme.—Cet admirable portrait représente une dame inconnue, quoiqu'on l'ait autrefois désigné comme étant madame Lenoir.
Il a été exécuté par un peintre auquel on a voulu donner toutes sortes de noms célèbres, Chardin ou Tocqué, mais qui, malgré toutes les recherches, est resté anonyme. Ce chef-d'œuvre mystérieux est peut-être la perle de la collection, et l'inconnu qui en est l'auteur était un véritable maître.
WATTEAU (1684-1721) — 260 (+) Gilles. — Voici un tableau
peut-être unique dans l'œuvre du maître, qui s'est presque toujours complu dans des toiles de très-petite dimension. C'est un portrait en pied, grand comme nature, le portrait d'un comédien debout dans ses habits blancs, et qui fier de sa collerette et de ses chaussures à bouffettes, regarde fixement le spectateur en laissant tomber les bras, d'un air moitié moqueur, moitié ébahi.
Ce morceau est de la plus extrême rareté, mais peut-on dire que ce soit une œuvre capitale ? Watteau refroidissait sa verve quand il s'attaquait à une toile de cette taille ; et malgré tout le talent qu'il a su déployer ici, on sent qu'il est plus à son aise dans les petits sujets intimes, et il en a d'exquis dans la galerie Lacaze.
RIGAUD (1659-1743) — 2-12 — Portrait de J. F. P. de Créqui, duc de Lesdiguières.— Il est extrêmement jeune, mais déjà affublé d'une cuirasse et d'une perruque monumentale. C'est un portrait d'une distinction exquise.
HUBERT ROBERT (1733-1808) — Un portique.
CHARDIN (1699-1779) — 171 — Le Château de cartes.
D. TÉNIERS (1610-1690) — 138 — Le ramoneur.
BRAUWER (1608-1640) — 43 — Homme taillaut sa plume; — 45 — Le fumeur.
LARGILLIÈRE (1656-1746) — 224 — Largilliére, sa femme et sa fille. Le peintre s'est représenté au milieu d'un jardin, en compagnie de sa femme et de sa fille, qui chante un morceau de musique.
LANCRET (1690-1743) — 213 — Le gascon puni.
NATTIER (1685-1766) — 230 — Mademoiselle de Lambesc et le comte de Brionne. — La princesse est représentée en Minerve qui arme son jeune frère.
ÉCOLE HOLLANDAISE (dix-huitième siècle) — 155 — Portrait de vieille femme.
VESTIER (trav. en 1786) — 256 — Portrait de jeune femme.
Salle de Henri II. — En sortant de la galerie Lacaze on entre dans la salle de Henri II ; c'est une petite salle oblongue, où on a placé quelques tableaux de maîtres français : Bouclier, Van Loo, Prudhon, de la Porte, etc. Nous ne nous arrêterons pas sur ces tableaux, dont aucun ne mérite d'être désigné d'une manière spéciale, et après avoir traversé cette salle, nous arrivons au salon des sept cheminées.
SALLE DES SEPT CHEMINÉES
La salle des sept cheminées, dont le nom bizarre n'est justifié par rien, et comme le salon d'honneur de l'école française moderne. Le plafond est décoré de figures monumentales par Duret et de médaillons représentant les maîtres qui se sont rendus illustres pendant le premier quart de ce siècle.
1er Panneau. — L. DAVID (1748-1825) — 149 (+) Les Sabines. — Ce célèbre tableau occupe toute la largeur du panneau. On sait de quelle gloire colossale Louis David a joui de son vivant, et de quel injuste dédain ses meilleurs ouvrages ont été l'objet de la part des romantiques de 1830. La génération actuelle, plus équitable à son égard, lui a rendu sa véritable place en se tenant à égale distance de ces opinions excessives.
Si ses personnages semblent quelquefois figés comme des figures de marbre, si son coloris terne et monotone manque de charme et d'éclat, on ne peut lui contester une mâle énergie, un trèsgrand savoir et une complète originalité. Le timide Vien peut bien passer historiquement pour être le précurseur de David, mais son robuste élève l'a tellement éclipsé, que Vien serait tout à fait inconnu sans David.
Le tableau des Sabines exprime si bien les idées et les doctrines de David, qu'on pourrait presque le regarder comme un manifeste. La disposition des deux figures principales est d'une symétrie voulue. Romulus va lancer son javelot contre Tatius qui se baisse pour parer le coup. Hersilie, femme de Romulus, sépare les combattants, au milieu desquels une Sabine à genoux vient de déposer trois petits enfants, tandis qu'une autre embrasse la jambe de Tatius en l'implorant. Plus loin une mère présente son enfant aux lances des soldats. Dans le fond on aperçoit la bataille qui se continue et les remparts abruptes de la ville naissante.
On a beaucoup reproché à David d'avoir placé les deux héros sur le même plan, et d'avoir donné aux mouvements de leur corps une pondération calculée. Cette pondération, David l'avait vue sur nombre de bas-reliefs antiques, et convaincu que la peinture devait obéir aux même lois que la sculpture, il en a
fait le nœud de sa composition : c'est par une raison analogue qu'il établit ses deux figures dans une sorte de cadence qui donne de la froideur à la scène et n'exprime nullement le tumulte et l'imprévu d'un combat. Mais comme il sait être naïf quand il oublie ses théories, et que faute d'un modèle ancien qu'il se serait cru obligé de reproduire, il est forcé de recourir directement à la nature ! Je n'en veux pour exemple que ces charmants petits enfants qui sont à terre, et notamment ce nouveau-né, encore emmailloté, qui se tête le pouce.
C'est dans sa prison du Luxembourg que David a conçu l'idée première de son tableau. Sa femme, dont le père était royaliste, avait quitté son époux quand elle l'avait vu siéger à la Convention parmi les plus ardents montagnards. Mais lorsqu'il fut emprisonné, non-seulement elle revint le voir, mais encore elle lui prodigua les marques de la plus touchante sollicitude. Après être sorti de sa prison, David, voulant montrer que la tendresse des femmes a plus de puissance que toutes les haines politiques, composa son tableau des Sabines.
Lorsque David exécuta ce tableau, sa réputation d'artiste était si grande, que les dames de l'aristocratie, qui à ce moment commençaient à rouvrir leurs salons, onbliaient son rôle politique pour ne voir en lui qu'un génie qu'il fallait honorer.
Delécluze, qui a connu intimement David, dont il était l'élève, raconte un incident assez singulier qui survint pendant une visite de madame de Bellegarde à l'atelier du maître et qui est bien caractéristique des mœurs du temps.
La belle figure et les grands cheveux noirs de madame de Bellegarde le frappèrent, et il exprima devant ces trois dames le regret de n'av oir pas eu à sa disposition , pour peindre la tète de la femme à genoux qui montre ses enfants, la figure de madame de Bellegarde.
Cette observation flatteuse, faite par un homme dont le talent excitait alors une admiration universelle, et adressée à une jeune femme qui ne manquait pas de vanité, fut très-bien prise par madame de Bellegarde, qui, en effet, laissa retoucher d'après la sienne la tète de la femme à genoux. Ce fait se répandit dans la ville, mais en passant d'abord par tous les ateliers de peinture du Louvre, ce qui lui fit prendre un coloris un peu plus cru, mais absolument faux. Ce qu'il sera peut-être difficile de faire comprendre aujourd'hui, et ce qui est cependant trèsvrai, c'est que ces mauvaises plaisanteries d'atelier, loin de blesser les personnes qui en étaient l'objet, flattaient au contraire leur vanité. Ma-
dame de Bellegarde en particulier était si loin de s'en plaindre, qu'elle affectait de paraître au théâtre avec ses grands cheveux noirs disposés à peu près comme David les a peints dans son tableau des Sabines.
On était si entèté de tout ce qui se rapportait à l'antiquité, que la com- plaisance des jeunes beautés grecques qui s'étaient présentées à Apelles pour l'aider à peindre sa Vénus paraissait une action louable, par cela seul qu'il s'agissait de l'intérêt des arts.
DELÉCLUZE. (David, son école et son temps.) On imaginerait difficilement les acclamations enthousiastes avec lesquelles on accueillit le tableau de David lorsqu'il fut terminé. Cette frénésie pour les Sabines, qu'on regardait assez généralement comme le chef-d'œuvre de la peinture, dura quelques années ; mais si le public applaudissait très-fort, il n'achetait pas, et David, pour tirer parti de son tableau, résolut d'en faire une exposition publique à son profit. Elle eut lieu dans une salle du Louvre alors inoccupée, et où sont aujourd'hui les pastels. L'exposition, ouverte au mois de nivôse de l'an VIII, dura jusqu'au mois de prairial de l'an XIII, c'est-à-dire plus de cinq ans.
David avait fait sur son tableau une notice explicative, qu'on vendait pendant l'exposition et qui est fort curieuse, parce qu'elle nous fait pénétrer dans l'intimité des idées de cette époque. Comme on n'avait encore fait en France aucune exposition payante pour les œuvres d'art, l'artiste commence par s'autoriser de l'exemple des anciens : L'antiquité n'a pas cessé d'être la grande école des peintres modernes et la source où ils puisent les beautés de leur art. Nous cherchons à imiter les anciens dans le génie de leurs conceptions, la pureté de leur dessin, l'expression de leurs figures et les grâces de leurs formes. Ne pourrions-nous pas faire un pas de plus et les imiter aussi dans leurs mœurs et les institutions qui s'étaient établies chez eux, pour porter les arts à leur perfection?
L'usage, pour un peintre, d'exposer ses ouvrages aux yeux de ses concitoyens, moyennant une rétribution individuelle n'est point nouveau.
Le savant abbé Barthélémy, dans son Voyage du jeune Anacharsis, parlant du fameux Zeuxis, ne perd pas l'occasion d'observer que ce peintre retirait de la vue de ses ouvrages des rétributions qui l'enrichirent à un tel profit qu'il faisait souvent don de ses chefs-d'œuvre à la patrie, disant qu'il n'y avait point de particulier en état de les payer. Il cite à ce sujet les témoignages d'Elien et de Pausanias. Ils nous prouvent que, pour les ouvrages de peinture, l'usage de l'exposition publique était admis chez les Grecs.
De tous les arts que professe le génie, la peinture est incontestablement celui qui exige le plus de sacrifices. Il n'est pas rare de mettre jusqu'à trois ou quatre ans à terminer un tableau d'histoire. Je n'entrerai ici dans aucun détail concernant les dépenses préalables auxquelles un peintre est obligé. L'article seul des costumes et des modèles est très-considérable. Ces difficultés, n'en doutons pas, ont rebuté beaucoup d'artistes ; et peut-être avons-nous perdu bien des chefsd'œuvre que le génie de plusieurs d'entre eux avait conçus et que leur pauvreté les a empêchés d'exécuter. Je vais plus loin : combien de peintres honnêtes et vertueux, qui n'auraient jamais prêté leurs pinceaux qu'à des sujets nobles et moraux, les ont dégradés et avilis par l'effet du besoin ! Ils les ont prostitués à l'argent des Phryné et des Laïs : c'est leur indigence seule qui les a rendus coupables ; et leur talent, fait pour fortifier le respect des mœurs, a contribué à les corrompre.
Qui empèche donc d'introduire dans la République française un usage dont les Grecs et les nations modernes nous ont donné l'exemple ? Nos anciens préjugés ne s'opposent plus à l'exercice de la liberté publique.
La nature et le cours de nos idées ont changé depuis la Révolution; et nous ne reviendrons pas, j'espère, aux fausses délicatesses qui ont si longtemps comprimé le génie. Pour moi, je ne connais point d'honneur au-dessus de celui d'avoir le public pour juge. Je ne crains de sa part ni passion ni partialité : ses rétributions sont des dons volontaires qui prouvent son goût pour les arts ; ses éloges sont l'expression libre du plaisir qu'il éprouve ; et de telles expressions valent bien, sans doute, celles des temps académiques.
Louis DAVID. (Le tableau des Sabines.) L'artiste entre ensuite dans le récit de l'événement qu'il a voulu représenter, puis il termine en répondant à certaines critiques qui s'étaient produites au sujet de la nudité absolue de son Romulus et de son Tatius. Il rappelle que dans l'antiquité les dieux et les héros se représentaient généralement nus, et après avoir cité une foule d'exemples, il termine ainsi : Et combien d'autres autorités ne pourrais-je pas citer encore ! Celles que je viens de rapporter suffiront sans doute pour que le public ne s'étonne pas que j'aie cherché à imiter ces grands modèles dans mon Romulus, qui lui-même est fils d'un dieu. Mais en voici une que j'ai réservée pour la dernière, parce qu'elle est le complément de toutes les autres : c'est Romulus lui-même, qui est représenté nu sur une médaille, au moment où, après avoir tué Acron, roi des Céninéens, il porte sur ses épaules un trophée formé de ses armes, qu'il déposa ensuite dans le temple de Jupiter Férétrien ; et ce furent là les premières dépouilles opimes. Actuellement que je crois avoir répondu d'une manière satisfaisante au reproche que l'on m'a fait ou qu'on pourra me faire sur la nudité de mes héros, qu'il me soit permis d'en appeler aux
aux artistes. Ils savent mieux que personne combien il m'eùt été plus facile de les habiller : qu'ils disent combien les draperies me fournissaient de moyens plus aisés pour détacher une figure de la toile.
Je pense au contraire qu'ils me sauront gré de la tàche difficile que je me suis imposée, pénétrés de cette vérité, que qui fait le plus, peut faire le moins. En un mot, mon intention, en faisant ce tableau, était de peindre les mœurs antiques avec une telle exactitude que les Grecs et les Romains, en voyant mon ouvrage, ne m'eussent pas trouvé étranger à leurs coutumes.
Louis DAVID. (Le tableau des Sabines.) L. DAVID (1748-1825) — 148 — Léonidas aux Thermopyles. —
La composition de ce tableau est conçue dans un esprit analogue à celui du tableau précédent. Léonidas, assis sur un rocher, est entouré des Spartiates qui se préparent à la mort; l'aveugle Euritus, conduit par un ilote, brandit sa lance ; des soldats s'embrassent ou élèvent des couronnes en regardant l'un d'entre eux qui, avec son épée, trace ces mots sur le rocher :« Passant, va dire aux Lacédémoniens que nous sommes morts ici en obéissant à leurs ordres. » Le tableau de Léonidas, commencé en 1802, fut ensuite complètement abandonné par son auteur. Mais en 1814, lorsque les alliés envahirent la France, David se hâta de terminer un tableau où il voulait montrer ce que l'héroïsme pouvait contre la multitude. Toutes les qualités du maître se retrouvent dans ce tableau, mais à un degré moindre que dans les Sabines.
Il est certain, comme on peut s'en convaincre en regardant le Léonidas avec attention, que cet ouvrage, considéré sous le rapport de la composition et de l'exécution, a éte achevé sous l'influence de deux manières, de deux systèmes très-distincts. Le jeune homme qui lie sa chaussure, les deux autres qui offrent des couronnes, celui qui trace l'inscription, et le groupe du vieillard et de son fils se tenant embrassés, ont été conçus, tracés et presque entièrement peints à la première époque; tandis que l'aveugle, le personnage assis à la gauche de Léonidas, les doux soldats nus qui vont pendre leurs armes à un arbre, ainsi que les figures du fond, ont été dessinés et entièrement peints lorsque David termina cet ouvrage; en effet, l'œil le plus faiblement exercé ne pourra manquer de saisir l'extrême différence qu'il y a entre les attitudes élégantes et la fermeté du dessin des figures peintes vers 1802 et le laisser-aller de celles que l'artiste n'exécuta que douze années après. Cette disparate est sensible au point d'en devenir parfois choquante.
Quant à Léonidas, l'intention prêtée à ce personnage, son attitude et
son expression n'étaient point encore entièrement arrêtées dans l'esprit du peintre. Ce qui fixa ses idées à ce sujet est un camée antique qui représente un héros de la mythologie grecque ayant absolument la même attitude que le Léonidas. Ce plagiat reproché, avec beaucoup d'autres, à David, ne portait aucune atteinte à sa conscience d'artiste, » DELÉCLUZE. (David, son école et son temps.) GÉRARD (1779-1837) — 238 — La Victoire et la Renommée — 239 — l'Histoire et la Poésie. — Ces figures ailées, qui supportent et déroulent une tapisserie, devaient servir d'encadrement au tableau de la Bataille d'Austerlitz, aujourd'hui à Versailles.
De belles esquisses par Géricault et Prudhon sont placées sur le même panneau; elles proviennent d'une donation récente et ne sont pas encore inscrites au catalogue.
Deuxième Panneau. — GROS (1771-1835) — 275 (+) Le champ de bataille d'Eylau. — Eugène Delacroix a donné de ce tableau la description suivante : « Dans la représentation de l'héroïque champ de bataille où les Français, en nombre bien inférieur, épuisés par les marches, aveuglés par la neige et à demi noyés dans la fange et les glaces, avaient terrassé les barbares du Nord, le peintre déroule à perte de vue le morne aspect des plaines de la Pologne. Les rangs entiers des régiments tombés à leur place de bataille sont étendus sous la neige comme des gerbes couchées uniformément dans cette cruelle moisson d'hommes. Le village d'Eylau brûle encore à droite. La garde, les restes de l'armée demeurent rangés et l'arme au bras sur ce champ de carnage. Çà et là des chevaux moribonds, secouant les frimats de la nuit, se dressent par un dernier effort sur leurs jambes affaiblies, et retombent près de leurs maîtres étendus morts. Le Russe, le Français, le Lithuanien, le Cosaque à la barbe hérissée et chargée de glaçons, tombés l'un près de l'autre, ne présentent plus que des tas informes sous leur manteau de neige. Ici, un sabre inutile dans une main qui ne peut plus le saisir ; là, le canon sur son affût fracassé et enterré dans la neige avec l'artilleur écrasé lui-même en le défendant, et dont le bras roidi l'entoure encore.
» Ce tableau sinistre, formé de cent tableaux, semble appeler l'œil et l'esprit de tous côtés à la fois ; mais ce n'est encore que le cadre de la sublime figure de Napoléon. On le voit au milieu de la toile, arrêté dans sa lugubre promenade et suivi de ses maréchaux. Une de ses mains laisse flotter les rênes de son cheval ; l'autre, élevée en l'air, par un geste mélancolique, semble accuser les maux de la guerre.
C'est peut-être la plus belle conception de l'artiste et aussi le portrait 1 e plus magnifique et assurément le plus exact qu'on ait fait de Napo-
léon. Ce grand homme aurait dû, commme Alexandre, interdire à d'autres qu'à son peintre favori le droit de reproduire son image. Gros seul a su le peindre : c'est dans ses ouvrages seulement que nos neveux trouveront le type immortel de ses traits. »
EUGÈNE DELACROIX.
(Revue des Deux-Mondes, 1er septembre 1848.
GIRODET (1714-1824) — 250 — Scène du déluge. — Ce tableau, qui a joui autrefois d'une très-grande célébrité, est piacé en haut du panneau. Girodet n'avait pas ce qu'on appelle un tempérament de peintre : ce qu'il a été, il l'a dû surtout à ses fortes éludes. C'était un homme très-lettré et passionné pour les beaux-arts, dont il aimait également les manifestations les plus diverses. Il adorait la musique et il a écrit des poëmes imités de l'abbé Delille et des traductions d'ouvrages grecs. Il a passé une grande partie de sa vie à faire des séries de compositions, fort intéressantes d'ailleurs, tirées de Virgile, Anacréon, etc ; mais son bagage comme peintre se réduit à un petit nombre de tableaux, et si on excepte l'Endymion, ils manquent en général de spontanéité ; on y sent trop la peine énorme que l'artiste s'est donné pour les exécuter.
La Scène du déluge montre bien les efforts du peintre et la tournure de son esprit. L'intérêt dramatique est calculé et gradué avec une recherche infinie ; c'est une conception d'homme de lettres traduite par un pinceau savant.
Au milieu des eaux qui ont tout envahi, un rocher émerge, couronné d'un arbre; dernière espérance d'une famille qui vient y chercher un refuge contre la tempête. Un homme portant son père sur ses épaules et retenant sa femme qui presse un petit enfant sur son sein, cherche à gravir le rocher : à la longue chevelure de la femme se suspend un jeune garçon, en sorte que toute cette grappe humaine, qui oscille au-dessus de l'abîme, n'a d'autre espoir de salut que le suprême effort tenté par le père. Le malheureux, pour s'aider à gravir le rocher à pic, a saisi de ses doigts désespérément crispés, une branche, qui à ce moment même ploie et se brise sous le poids ; toute espérance est irrévocablement perdue. Cette scène de désespoir est vraiment émouvante, bien qu'on y sente un peu l'apprêt et ce qu'on pourrait appeler la ficelle dramatique.
GIRODET (1767-1824) — 251 — Le Sommeil d'Endymion. —
Voici un sujet qui nous ramène à des idées plus riantes. Ce tableau est également placé à gauche du spectateur, sur le même panneau, mais il est placé sur la cimaise, et c'est une bonne fortune de pouvoir examiner de près cette charmante toile, qui est assurément le chef-d'œuvre de l'artiste. Retiré dans la grotte du mont Latmos, Endymion est couché sur une peau de tigre, et son beau corps, dont la partie supérieure est seule éclairée, repose mollement dans la pénombre des feuillages. L'Amour, qui voltige dane la verdure avec ses ailes de papillon, écarte en souriant les branches, pour laisser passer le rayon amoureux de la lune, qui vient s'épanouir sur le visage du beau dormeur.
C'est une conception ravissante de fraîcheur et de jeunesse, et Girodet n'a pas su retrouver plus tard ces accents de lumière, que font si heureusement valoir les ombres mystérieuses du bocage.
Le sommeil d'Endymion est le premier tableau de Girodet : il l'a exécuté à Rome, quand il était pensionnaire de l'Académie de France. Voici l'extrait d'une lettre que le jeune artiste écrivait de Rome à son bienfaiteur, le docteur Trioson : « Je suis fort occupé, dans ce moment-ci, de ma figure pour l'Académie ou plutôt de mon tableau. Je vous en dirai le sujet, puisque vous le désirez, mais je serai bien aise que personne ne le sache : je ne l'ai pas dit à M. David, auquel cependant j'écris de temps en temps.
Je fais un Endymion dormant; l'amour écarte les branches des arbres auprès desquels il est couché, de manière que les rayons de la lune l'éclairent par cette ouverture, et le reste de la figure est dans l'ombre.
Je ne crois pas la pensée mauvaise ; quant à l'effet, il est purement idéal, et par conséquent très-difficile à rendre. Le désir de faire quelque chose de neuf, et qui ne sentît pas simplement l'ouvrier, m'a peutêtre fait entreprendre au delà de mes forces ; mais je veux éviter les plagiats. » PRUD'HON (1758-1823) — 459 (+) La Justice et la Vengeance divine poursuivant le crime. — Quoique Prud'hon se soit surtout complu dans la représentation des sujets aimables et presque érotiques, il est vraiment tragique dans ce tableau. Dans un paysage éclairé par la lune, est étendu par terre le corps nu d'un jeune homme assassiné. Le meurtrier, tenant dans ses mains une bourse et un poignard, s'enfuit, poursuivi par deux figures allégoriques qui planent dans les airs : la Vengeance,
tenant une torche pour éclairer la marche du coupable, qui cherche en vain l'obscurité, et la Justice, personnifiée par les balances et le glaive. Les teintes vagues des buissons, les larges ombres projetées sur le sol, le contraste des lueurs rougeâtres de la torche avec la pâle clarté des rayons lunaires, produisent sur le spectateur un effet saisissant et comme un frisson d'effroi.
Le grand tableau que nous voyons avait eté commandé à Proud'hon pour le Palais de Justice. Voici la lettre dans laquelle l'artiste expose lui-même au préfet de la Seine son idée et ses prétentions : « Précis du tableau destiné pour la grande salle du tribunal criminel au Palais de Justice : » La Justice divine poursuit constamment le Crime; il ne lui échappe jamais.
» Couvert des voiles de la nuit, dans un lieu écarté et sauvage, le Crime cupide égorge une victime, s'empare de son or et regarde encore si un reste de vie ne servirait pas à déceler son forfait. L'insensé !
il ne voit pas que Némésis, cette agente terrible de la Justice, comme un vautour fondant sur sa proie , le poursuit, va l'atteindre et le livrer à son inflexible compagne. Tel est le sujet du tableau qui doit être placé dans la salle du tribunal criminel du département de la Seine.
» Ce tableau, de huit pieds de hauteur sur dix de largeur, serait du prix de quinze mille francs.
» Il serait payé par tiers de cinq mille francs, à trois époques différentes : la première, à la présentation de l'esquisse ; la seconde, lorsque le tableau serait ébauché, et la troisième, lorsqu'il serait entièrement terminé.
» Je me charge de finir dans l'espace de dix mois, à dater du jour où je recevrai l'arrêté du préfet qui décide irrévocablement de son exécution.
» Tous mes efforts seront employés dans ce tableau à répondre aux intentions du Conseiller d'Etat, préfet de la Seine, et à le rendre, par son énergie, digne du local qu'il doit occuper.
PRUD'HON, peintre.
Musée des artistes, ci-devant Sorbonne.
» Paris, ce 5 messidor an XIII. »
Le tableau de Prud'hon, exposé au Salon de 1808, a produit une sensation assez vive, mais surtout par son étrangeté. La critique du temps ne voyait que par les principes de David, et elle ne comprenait pas qu'un peintre de petits sujets comme Prud'hon eût l'audace d'aborder un grand sujet historique. Le
persiflage alla donc son train et la chanson qui accompagne le petit article qu'on va lire, retentit bientôt dans les ateliers : elle est tirée de l'Observateur au Muséum. Paris 1808 : SALON DE 1803 N° 484. — M. PRUD'HON « La Justice, devancée par la Vengeance divine, poursuit le Crime : bonne couleur, effet de convention, comme tant d'autres auxquels on ne fait pas grande attention. Dessin très-incorrect : le bras de la Justice tenant l'épée n'est nullement heureux ; l'action en est forcée et hors absolument de nature.
AIR : Jeunes amants, cueillez des fleurs.
Dessinez mieux, monsieur Prud'hon, Surtout fuyez l'allégorie; Car de ces êtres de raison Le connaisseur même s'ennuie.
Vous colorez avec grand art Un sujet de simple caprice; Mais c'est méchant de votre part D'avoir torturé la Justice.
La postérité, plus équitable, a porté un jugement bien différent sur Prud'hon, et son tableau compte aujourd'hui dans l'opinion parmi les plus grands chefs-d'œuvre de l'école française.
« Enfin parut, en 1808, le tableau de la Justice et la Vengeance divine poursuivant le Crime. C'est l'ouvrage le plus important de Prud'hon.
Dans cette composition, le mélange des caractères vigoureux et des beautés touchantes se présentait avec tous les avantages possibles : la franchise de l'effet, la décision des lignes, tout y frappant et attachant.
Ce fut un rude coup pour ses adversaires et un objet de surprise pour cette masse inhabile qui, incapable par elle-même de porter un jugegement quelconque, est toujours disposée à s'en rapporter à celui de la haine. Napoléon, supérieur aux cabales et frappé de l'excellence de l'ouvrage, donna au peintre la décoration. Accordée spontanément par l'empereur et à cette époque féconde en miracles, cette distinction était immense ; elle tirait à l'instant de la foule des artistes et plaçait au premier rang un homme presque obscur la veille. Ses ennemis, et il comptait dans ce nombre tous les peintres, lui reprochèrent d'avoir peint le crime avec des traits trop repoussants ; à leur gré, il eût fallu de la grâce jusque dans la figure du brigand teint de sang, marchant sur l'innocente victime dont il emporte les dépouilles. » EUG. DELACROIX.
(Revue des Deux-Mondes, 1er novembre 1846.)
PRUD'HON (1758-1823) — 460 — Portrait de madame Jarre. — Ce portrait a figuré au Salon de 1822.
Disons un mot du magnifique Portrait de madame Jarre, qui pourrait tenir sa place parmi les plus beaux de Titien, de Van Dyck et de Velasquez. C'est une brune aux yeux de velours, dans toute la plénitude de sa beauté ; elle est vêtue d'une robe décolletée, la taille sous le sein, selon la mode de l'Empire, en gaze blanche lamée d'or.
La lumière s'étale complaisamment sur une poitrine du plus admirable modelé et qui semble se gonfler au souffle de la vie, et les con- tours de son séduisant corsage se noient dans des ombres que le Corrége seul eût pu faire aussi suaves. Prud'hon connaissant à fond la pratique matérielle de son art, beaucoup trop négligée par les artistes de son temps, ébauchait en grisaille, revenant sur sa préparation avec des glacis, employant le blanc dans les ombres, au lien de les frotter de bitume et de jaune de Naples ; aussi ses tableaux conservent-ils leur fraîcheur, tandis que ceux de ses confrères changent de ton, verdissent dans toutes les parties ombrées et se craquèlent par l'abus des huiles siccatives.
THÉOPHILE GAUTIER. (Paris-Guide.)
Cette dernière remarque n'est pas absolument juste. Les peintures de Prud'hon conservent, il est vrai, leur coloris, mais plusieurs de ses tableaux sont horriblement craquelés.
Louis DAVID (1748-1824) — 157 — Portrait de Pecoul, entrepreneur des bâtiments du roi Louis XV, beau-père de David. —
153 — Portrait de madame Pecoul. — Deux autres portraits, non inscrits au catalogue et sans numéro.
MADAME LE BRUN (1755-1842) — Portrait de Paisiello, com- positeur de musique.
GUÉRIN (1774-1833) — 277 — Le retour de Marcus Sextus. —
Ce Marcus Sextus est un personnage imaginaire dont l'histoire ne fait mention nulle part ; le peintre a supposé un proscrit de Sylla qui, rentrant dans sa maison, trouve sa femme morte et sa fille désespérée. Le tableau fut exposé en 1799, au moment où un grand nombre d'émigrés commençaient à rentrer en France, et on vit une allusion politique dans l'intention du peintre. Il n'en fallut pas davantage pour assurer à Guérin un. prodigieux succès, qui était d'ailleurs appuyé sur un talent réel.
« Non-seulement le tableau fut constamment environné d'une foule immense pendant les trois mois d'exposition, mais le peintre fut l'objet
d'une suite d'ovations et de triomphes qui faillirent ruiner le peu de santé qu'il avait. Outre les invitations qui lui furent faites par l'ancienne aristocratie, par les banquiers, par les personnes à la mode, et même par les fonctionnaires de l'Etat, tous les théâtres lui offrirent ses entrées gratuites, et Guérin ne paraissait jamais dans un de ces lieux publics sans être couvert d'applaudissements à son entrée et pendant les entr'actes. »
DELÉCLUZE. (David, son école et son temps.) GUÉRIN (1774-1833) — 282 — Clytemnestre. — L'artiste a touvé un effet véritablement tragique dans le rideau rouge à travers lequel tremblote la lumière d'une lampe. On aperçoit au fond Agamemnon, qui est endormi dans une posture pleine de noblesse : Balzac, dans sa Physiologie du mariage, se plaint de la façon ridicule dont dorment beaucoup de maris, et il leur propose pour modèle la manière dont Agamemnon sait dormir, dans le tableau de Guérin. Ce talent du roi des rois ne lui a d'ailleurs pas servi à grand'chose, car Clytemnestre tient en main le poignard et s'apprête à frapper son époux. Cependant elle semble hésiter, mais Égysthe, placé derrière elle, l'excite en lui parlant à l'oreille. Cette hésitation de Clytemnestre au dernier moment est une conception dramatique inconnue aux anciens : dans les vases antiques où cette scène est représentée, Clytemnestre tient sa hache à double tranchant et frappe sa victime résolûment.
Troisième panneau. — GÉRICAULT (1791-1824) — 242 (+) Le radeau de la Méduse. — Ce tableau a été le signal d'une rénovation dans la peinture. La relation publiée par Corréard, un des survivants du naufrage, avait causé dans le public une émotion indicible. C'est le passage suivant de cette relation qui a été le point de départ du tableau de Géricault : « La frégate la Méduse, accompagnée de trois bâtiments, la corvette l'Echo, la flûte la Loire et le brick l'Argus, quitta la France le 18 juin 1816, portant à Saint-Louis (Sénégal) le gouverneur et les principaux employés de cette colonie. Il y avait à bord environ quatre cents hommes, marins ou passagers. Le 2 juillet, la frégate tombait sur le banc d'Arguin, et après cinq jours d'inutiles efforts pour remettre le navire à flot, un radeau fut construit, et cent quarante-neuf victimes y furent entassées, tandis que tout le reste se précipitait dans les canots. Bien tôt les canots coupèrent les amarres, le radeau qu'ils devaient traîner à la remorque resta seul au milieu de l'immensité des mers. Alors la faim, la soif, le désespoir armèrent ces hommes les uns contre les au-
tres. Enfin, le douzième jour de ce supplice surhumain, l'Argus recueillit quinze mourants. » (Extrait du rapport de Corréard, l'un des survivants de la Méduse.) Géricault, avant d'entamer sa grande toile, a fait plusieurs esquisses très-différentes les unes des autres et dont plusieurs s'éloignent beaucoup de la composition définitive. M. Ch. Clément, auteur d'un livre qui est ce qu'on a publié de plus complet sur Géricault, donne de longs détails sur la manière dont l'artiste a procédé dans la marche de son travail; en voici quelques extraits : Géricault employa le printemps et l'été de 1818 à compléter ses informations et ses études. Avec ce besoin d'exactitude qui est l'un des traits caractéristiques de notre temps, et qui était plus accusé chez lui que chez personne, il dressa le procès-verbal de cette affaire avec l'àpreté, la persistance et la minutie qu'y mettrait un juge d'instruction.
Il rassembla un véritable dossier bourré de pièces authentiques, de documents de toute sorte. Il s'était beaucoup lié avec MM. Corréard et Savigny, les principaux survivants parmi les acteurs de ce drame dont il se faisait raconter toutes les navrantes et horribles peripérities. Il fit d'après eux plusieurs études qui lui servirent pour son tableau. Tout l'intéressait ; il voulait tout savoir. Il avait retrouvé le charpentier de la Méduse, qui était l'une des quinze personnes échappées au désastre, et il lui avait fait faire un petit modèle du radeau qui reproduisait tous les détails de la charpente avec la plus scrupuleuse exactitude, et sur lequel il avait disposé des maquettes de cire. Il l'avait dessiné à part, et M. Camille Marcille conserve un de ces curieux croquis. Comme so n atelier de la rue des Martyrs était trop petit pour qu'il pût songer à y exécuter son tableau, il en avait loué un autre de très-vastes di- mensions dans le faubourg du Roule ; il était ainsi à deux pas de l'hô- pital Beaujon. C'est là qu'il allait suivre avec une ardente curiosité t outes les phases de la souffrance, depuis les premières atteintes jusqu'à l'agonie et les traces qu'elle imprime sur le corps humain. Il y trouvait des modèles qui n'avaient pas besoin de se grimer pour lui montrer toutes les nuances de la douleur physique, de l'angoisse morale : les ravages de la maladie et les terreurs de la mort. Il s'était arrangé avec les internes et les infirmiers, qui lui fournissaient des cadavres et des membres coupés.
« En général, Géricault se servait de modèles de profession. Quelques-unes des figures de la Méduse sont cependant des portraits. M. Corréard a posé pour le personnage qui tend les bras vers l'Argus ; M. Savigny pour celui placé immédiatement au pied du mât ; M. Jamar pour la figure qui se trouve entre M. Savigny et le nègre, et pour le jeune homme du groupe du premier plan ; Eugène Delacroix pour la figure repliée sur elle-même, les bras pendants et la tête appuyée au radeau;
M. Dastier, officier d'état-major, pour l'homme vu de dos tout à la droite du radeau ; quant au nègre qui fait des signaux, c'est Joseph, un modèle bien connu dans les ateliers, il n'y a pas à s'y tromper; l'une des tètes du second plan a été faite d'après celle du charpentier de la Méduse ; enfin, c'est le modèle Gerfard qui a servi pour le personnage étendu tout à la gauche de la composition. »
CHARLES-CLÉMENT. (Géricault.) La dimension énorme donnée à une scène toute d'actualité, était une protestation contre les théories classiques, et il serait difficile aujourd'hui d'imaginer à quel point un pareil sujet, traité de cette façon, renversait toutes les idées reçues en matière d'art, à l'époque où ce tableau parut au salon de 1819?
de plus l'opinion publique voyait là une intention politique.
Le capitaine qui, en 1816, avait si mal conduit son navire, était un ancien émigré, qui n'avait pas vu la mer depuis vingtcinq ans, et devait son grade, non à son expérience, mais à son dévouement dynastique.
L'opposition avait vivement attaqué le ministre qui avait ainsi confié un équipage à un homme incapable de le diriger, et la représentation poignante du désastre qui en avait été la conséquence ne pouvait manquer de causer une vive émotion.
Géricault signale lui-même dans une lettre l'étrange façon dont son tableau est apprécié dans les journaux : « Cette année, nos gazetiers sont arrivés au comble du ridicule. Chaque tableau est jugé d'abord selon l'esprit dans lequel il a été composé.
Ainsi vons entendez un article libéral vanter dans tel ouvrage un pinceau vraiment patriotique, une touche nationale. Le même ouvrage, jugé par l'ultra, ne sera plus qu'une composition révolutionnaire où règne une teinte générale de sédition. Les tètes des personnages auront toutes une expression de haine pour le gouvernement paternel. Enfin, j'ai été accusé par un certain Drapeau blanc d'avoir calomnié par une tète d'expression tout le ministère de la marine. Les malheureux qui écrivent de semblables sottises n'ont sans doute pas jeûné quatorze jours, car ils sauraient alors que ni la poésie ni la peinture ne sont susceptibles de rendre avec assez d'horreur toutes les angoisses où étaient plongés les gens du radeau. » L'idée d'entasser sur un radeau battu des vagues, de malheureux affamés dont la nudité affirmait encore la maigreur, fut presque universellement blâmée comme incompatible avec l'idée de beauté que l'art doit avant tout chercher, et un critique célèbre qualifia le tableau de naufrage de la peinture Un petit
groupe d'admirateurs passionnés se forma néanmoins autour du jeune maître et commença dans les arts l'évolution d'idée qu'on a appelée le romantisme. Mais dans la masse du public la tentative hardie de Géricault fut complètement désapprouvée, et après la mort du peintre, survenue en 1824, ses héritiers vou- laient couper la toile en morceaux dans l'espoir d'en tirer plus de profit : le musée en fit heureusement l'acquisition au prix de 6,000 francs, et il est aujourd'hui classé parmi les chefsd'œuvre de l'école française.
GÉRICAULT (1791-1824) — 243 (+) Officier de chasseurs à cheval chargeant : « Il est à peine nécessaire de décrire ce bel ouvrage, l'un des plus connus et des plus populaires de Géricault. Le cheval gris pommelé, vu de trois quarts, par la croupe, et marchant à droite, gravit au galop les escarpements d'un terrain rocheux. Le jeune officier qui le monte, le sabre au poing, la pelisse flottante, se retourne sur la selle, commande du geste et de la voix et enlève l'escadron de chasseurs que l'on voit au second plan, tout à la gauche du tableau. Dans son effort, le cheval se cabre, et, effrayé par l'éclat d'un obus, rejette la tète du côté du spectateur, en faisant un mouvement contrarié de la plus grande énergie ; l'une de ses jambes de derrière est repliée presque jusqu'à terre; il tend l'autre dans un écart démesuré, au point de ne plus toucher le roc que par du tranchant du sabot. Les deux figures se détachent en force sur le fond éclairé des lueurs fauves du combat, et la lumière, pittoresquement distribuée, ne tombe en plein que sur la croupe et sur la tète du cheval, sur la cuisse et sur le visage du cavalier. »
CHARLES CLÉMENT. (Géricault.) Ce tableau qui a figuré au salon de 1812 est le premier que Géricault ait exposé, il avait alors 21 ans. David s'écria en voyant cette peinture : « D.'où cela sort-il ? je ne reconnais pas cette touche. »
La critique du temps est assez curieuse à relever.
« Il y aurait un mérite à avoir inventé la figure d'un officier de hussard (sic) annoncé sous le n° 445. Cette figure est parfaitement en rapport avec l'ajustement et les habitudes du cavalier militaire. Le mouvement de l'homme et surtout le mouvement du cheval, fort exagérés, ce me semble, ont cependant de l'effet : la couleur, à laquelle on pourralt désirer un peu plus de chaleur, ne manque pas d'harmonie ; la touche est facile et spirituelle. Je pense que l'auteur traiterait avec succès le tableau de batailles de moyenne dimension. M. Géricault se montre au Salon pour la première fois. » Journal de l'Empire, 16 novembre 1812.
GÉRICAULT (1791-1824) — 244 — Cuirassier blessé quittant le feu. — C'est au moment des désastres qui précédèrent l'invasion que ce tableau a été conçu. Il est inférieur au précédent et a figuré au salon de 1814.
« Abattu, harassé, le soldat vaincu descend avec peine une pente glissante en tenant par la bride son cheval, compagnon fidèle de ses infortunes, en s'appuyant de l'autre sur son sabre désormais inutile.
Il retourne la tète et regarde une dernière fois la colline où s'est consommée la défaite. La souffrance est empreinte dans ses traits, dans toute son attitude. Tout est bien perdu ; le ciel lui-même, d'un aspect funèbre n'est éclairé que par une lueur à l'horizon. Les jours mauvais sont venus. Le souffle le plus puissant inspire cette composition-sublime, et à l'égard du sentiment pathétique, Géricault ne s'est jamais élevé plus haut. C'est une conception gigantesque, homérique, du plus admirable caractère. Mais là doit s'arrêter la louange. L'exécution de cet ouvrage est incomplète et imparfaite ; elle ne résiste pas à l'analyse. L'ensemble est peu achevé; ce n'est guère qu'une ébauche. Le dessin de la figure est vague : elle paraît un peu vide, et le cheval, replié sur lui-même, n'est pas possible. On dirait que le peintre, ayant mal pris ses mesures, l'a fait entrer de force dans sa toile. Lorsque Géricault exécuta ce tableau, il était dans de très-mauvaises dispositions. Il le fit très-vite, en quinze jours ou trois semaines, et sans entrain. Il en était très-mécontent et disait de la. tête du cuirassier : « C'est une tête de veau avec un grand œil bète !» Il y a du vrai dans cette appréciation, et l'artiste savant avait le droit d'être sévère pour lui-même. » CHARLES-CLÉMENT. (Géricault.) GÉRICAULT (1791-1824) — '245 — Un carabinier. — Cette figure vue à mi-corps semble peinte en quelques heures. Ce n'est qu'une étude, mais une étude d'une hardiesse et d'une franchise superbe.
DROUAIS (1763-1788) — 189 — Marius à Minturne. — Bon tableau, placé un peu haut et qui est le début d'un jeune homme mort à la fleur de l'âge, laissant des regrets universels. Il était l'élève chéri de David, qui, lorsque Drouais remporta le prix de Rome, le suivit en Italie. David écrivait ensuite : « Je pris, dit-il, le parti de l'accompagner en Italie, autant par attachement pour mon art que pour sa personne. Je ne pouvais plus me passer de lui; je profitais moi-même en lui donnant des leçons, et les questions qu'il m'adressait seront des leçons pour ma vie. J'ai perdu mon émulation, » FABRE (1766-1837) — 192. — Néoptoléme et Ulysse enlevant à
Philocléte les flèches d'Hercule. — Fabre est un des plus anciens élèves de David, qui comptait beaucoup sur son avenir. C'était un artiste instruit, mais dépourvu d'activité, aussi a-t-il peu produit. Il est surtout connu par sa liaison intime avec le poëte Alfieri et la comtesse Albani, qui lui laissa sa fortune. Fabre était un très-grand connaisseur, et a réuni une magnifique collection de tableaux qu'il a laissée à Montpellier, sa ville natale.
REGAULT (1754-1822) — 466 — Éducation d'Achille par le centaure Chiron. — Ce tableau, exposé au salon de 1783, a été le morceau de réception de l'artiste à l'Académie de peinture.
Regnault a été considéré quelques temps comme un rival de David, mais il était loin d'avoir la même puissance.
MADAME LE BRUN (1755-1842) — 82. — Portrait de madame Le Brun et de sa fille.
DAVID (1748-1825) — 159 — Portrait du pape Pie VII. — Cet admirable portrait, un des chefs-d'œuvre du maître, a été exécuté en 1805 au palais des Tuileries. — 152 — Bélisaire demandant l'aumône. — Ce tableau est une réduction, retouchée et signée par David, d'un ouvrage plus grand qui avait paru au salon de 1781. David était alors un débutant et il est intéressant de voir comment il est apprécié par Diderot : « Ce jeune homme, dit-il, montre de la grande manière dans la conduite de son ouvrage; il a de l'âme; ses tètes ont de l'expression sans affectation, ses attitudes sont nobles et naturelles ; il dessine, il sait jeter une draperie et faire de beaux plis ; sa couleur est belle sans être brillante. Je désirerais qu'il eût moins de roideur dans ses chairs, ses muscles n'ont pas assez de flexibilité en quelques endroits. Rendez par la pensée son architecture plus sourde, et peutêtre que cela fera mieux. Si je parlais de l'admiration du soldat, de la femme qui donne l'aumône, de ces bras qui se croisent, je gâterais mon plaisir et j'affligerais l'artiste, mais je ne saurais me dispenser de lui dire : Est-ce que tu ne trouves pas Bélisaire assez humilié de recevoir l'aumône ? Fallait-il encore la lui faire demander ? Passe ce bras élevé autour de l'enfant, ou lève-le vers le ciel qu'il accusera de sa rigueur. »
Quatrième panneau. — GROS (1771-1835) — 274 (+) La peste de Jaffa. — L'admiration qu'inspira ce tableau au salon de 1804, où il fut exposé, fut si universelle que les artistes et les élèves peintres vinrent y déposer une palme d'honneur.
Bien que le temps l'ait fait noircir et craqueler, il est encore
aujourd'hui classé parmi les plus grands chefs-d'œuvre de la peinture. Nous emprunterons à Eugène Delacroix la belle description qu'il en a donnée : « L'école française, accoutumée à la discipline de David et aux sujets puisés dans l'antique, s'étonnait de l'intérêt que cette action comtemporaine empruntait à la seule fidélité de la représentation. A la vérité, l'uniforme français s'y trouvait mêlé aux costumes variés de l'Orient ; la figure humaine, dans la peinture des Pestiférés, s'y offrait aussi dans des conditions où le mélange de ces divers éléments n'avait rien de forcé ni d'étrange. Gros avait tiré un parti énorme de ces oppositions, et loin que l'habit européen en paraisse plus mesquin, il est des parties de ce tableau où cet habit, en raison de sa simplicité même, prend un intérêt particulier. Nous citerons pour exemple la figure de ce malade assis de face, à gauche et sur le devant du tableau, qui, le menton appuyé sur ses poings crispés, semble en proie à une fièvre affreuse. Une capote de soldat l'enveloppe, et le simple bonnet de police qui descend jusque sur ses yeux, et dont la pointe déroulée pend le long de son épaule, compose un ajustement aussi neuf que frappant. Un autre exemple, entre une multitude d'autres, peindra mieux eneore l'effet de ces contrastes. Dans le même coin de gauche, on voit un dragon accroupi à terre, le dos appuyé contre la muraille.
Par un geste frénétique, il tend les deux bras à la fois pour avoir du pain. Cet homme est entièrement vétu de son uniforme étriqué et porte autour de la tète un mauvais chiffon entortillé. Ce misérable corps, sous cet habit militaire, paraît plus dénué, plus effrayant que les corps entièrement nus ou vêtus à moitié qui se roulent près de lui dans la poussière. Gros est plein de ces traits que la description ne peut qu'affaiblir et qui saisissent fortement à l'aspect de sa peinture. »
EUGÈNE DELACROIX.
(Revue des Deux-Mondes, septembre 1848.) Gros, qui était élève de David, avait un tempérament absolument personnel auquel pourtant il n'obéissait qu'à regret, car il tenait pour excellent l'enseignement qu'il avait reçu de son maître et il voulait le transmettre à ses élèves. A la fin de sa vie, le romantisme apparaissait, et de jeunes novateurs, avec un enthousiasme plus exalté que réfléchi, commençaient à attaquer le principe même de l'école. Le jour de l'enterrement de Girodet, comme on vint à parler du déclin des études, Gros s'accusa personnellement d'en être la cause indirecte, par les exemples qu'il avait donnés dans ses ouvrages. C'est alors qu'il conçut ce grand tableau mythologique pour lequel la critique a été si dure à son égard et qui était en effet très-faible. Gros est
un singulier exemple du peu de mesure avec lequel les artistes jugent quelquefois leurs propres ouvrages.
GUÉRIN 1774-1833) — 279. — Phèdre et Hippolyte. — Cette scène paraît aujourd'hui bien froide et son aspect théâtral fatigue l'esprit plus qu'il ne le séduit. Guérin sentait la peinture en acteur et ses personnages semblent déclamer des vers plutôt que penser et agir réellement. Par contre, ses tableaux sont d'un grand intérêt pour l'histoire du théâtre, et les gestes que nous voyons ici répondent exactement aux traditions de la Comédie française à cette époque; on sait, en effet, que Guérin était un grand ami de Talma.
Nous comprenons difficilement aujourd'hui l'enthousiasme d'une génération dont les idées étaient aussi différentes des nôtres. Cependant les artistes, qui dans tous les temps se dénigrent assez volontiers les uns les autres, mêlaient leurs applaudissements à ceux du public. On peut juger de leur opinion par une lettre de Girodet, dont voici un extrait.
« Le sujet de Phèdre accusant Hippolyte devant Thésée est un des plus heureux de la peinture ; on peut même dire qu'il est éminemment pittoresque, tel que l'a conçu Guérin, qui a su fondre ensemble Euripide et Racine, et qui en s'appropriant, en quelque sorte, le génie de ces deux .grands hommes, a montré toutes les ressources du sien. » A. Couple. (Œuvres de Girodet.) GUÉRIN (1774-1833) — 280. — Andromaque el Pyrrhus. — Ce tableau présente les mêmes qualités et les mêmes défauts que le précédent.
GIRODET (1767-183) — 252.— Atala au tombeau. — Ce tableau, très-admiré autrefois, semble une vignette grandie et tout le talent du peintre n'empêche pas le manque de proportion entre le sujet, qui est une illustration de roman, et ce tableau qui semble, une grande page d'histoire. La scène est d'ailleurs traitée d'une manière touchante, mais dans un coloris savonneux et une facture creuse qui en atténuent singulièrement le charme.
GÉRARD (1770-1837) — 236. — Psyché recoit le premier baiser de l'Amour. — Charmante composition : le papillon, symbole de l'ame , voltige sur la tête de la jeune fille, assise sur un tertre de gazon; son air ingénu et un peu étonné s'explique par la présence de l'Amour qui, invisible pour elle, dépose un baiser sur
son front. Lamartine, qui était grand admirateur de Gérard, lui a adressé les vers suivants, en même temps qu'un exemplaire de son Jocelyn : Sous les traits de Psyché, toi qui peignis une âme, Pour créer comme toi, je fais de vains efforts ; Jette à mes deux amants un éclair de ta flamme, Et mes âmes auront un corps.
H. GÉRARD. (Correspondance de François Gérard.) Le tableau de l'Amour et Psyché eut un succès prodigieux au salon de 1798 où il figura : pourtant il souleva aussi quelques critiques. On trouva que l'expression touchait à l'afféterie et que le modelé, à force de simplification, finissait par manquer d'accent. Dans un groupe d'artistes, le sculpteur Giraud, montrant le torse de l'Amour, s'avisa de demander si le torse était peint en long ou en large. Le mot courut tout Paris.
GÉRARD (1770-1837) — 240. — Portrait d'Isabey. — Les commencements de Gérard ont été difficiles, et malgré son talent, il gagnait péniblement sa vie au début de sa carrière, Isabey, déjà célèbre comme peintre en miniature et très-répandu dans le monde, lui proposa de peindre son portrait, étant bien certain qu'il attirerait l'attention. C'est ce beau portrait que M. Eugène Isabey a donné au Louvre et qui fut le premier ouvrage remarqué de Gérard. La petite fille qu'on voit à côté d'Isabey est devenue depuis madame Cicéri.
PRUD'HON (1758-1823) — 458. — L'Assomption de la Vierge.— Ce tableau commandé à Prud'hon en 1816 pour la chapelle des Tuileries, est loin de valoir les autres ouvrages du même maître qui se voient au Louvre.
GRANET (1775-1849) — 256. — Intérieur de la basilique basse de Saint-François d'Assise à Assise. — Ce tableau très-remarquable sous le rapport de la couleur et de l'effet, est malheureusement très-abîmé.
GÉRICAULT (1791-1824). — Course de chevaux.
COCHEREAU (1793-1817) — 127. — Intérieur de l'atelier de Datid. — Ce petit tableau est assez curieux parce qu'il passe pour être d'une exactitude absolue : tous les personnages sont des portraits, parmi lesquels on regrette de ne pas voir le professeur en train de corriger. Parmi les élèves on reconnaît
Schnetz et Pagnest ; le modèle qui est sur la table est un nommé Polonais, autrefois très-fameux dans les ateliers : c'est lui, dit-on, qui avait posé pour le Léonidas de David. Cochereau est mort extrêmement jeune et ce tableau est le seul qu'on connaisse de lui.
LE SALON CARRÉ
Quand on est dans le Salon des sept cheminées, il faut prendre la porte qui est à main droite en tournant le dos aux Sabines de David : cette porte ouvre sur la salle des bijoux antiques; un vestibule rond, qui vient ensuite, donne accès, par une belle grille en fer forgé, à la galerie d'Apollon, au bout de laquelle on trouve le Salon carré. Ce salon a été complètement restauré et décoré par l'architecte Duban. Dans les voussures on voit des trophées et des statues allégoriques sur les Beaux- Arts, dues au statuaire Simart. On a placé dans cette belle et grande salle un choix de tableaux pris indistinctement dans toutes les écoles de peinture jusqu'au dix-septième siècle inclusivement. Comme dans la fameuse tribune du Musée de Florence, il n'y a ici que des chefs-d'œuvre, et l'œil ne risque point de s'égarer. Toutes les toiles qui se trouvent dans cette salle doivent être examinées l'une après l'autre et avec le plus grand soin.
Premier pnnnenu. — PAUL VÉRONÈSE (1528-1588)— 93 (+) ( Les noces de Cana. — Cette admirable peinture, qui est venue à Paris à la suite des guerres de Napoléon, et nous avons eu le bonheur de la conserver, le gouvernement autrichien ayant con- senti à prendre en échange un tableau de Ch. Le Brun sur un i sujet analogue.
« Paul Véronèse a introduit dans cette immense composition les por- traits d'un grand nombre de personnages célèbres. D'après une tradi- tion écrite, conservée dans le couvent de Saint-Georges et communi- quée à Zanetti, il parait que l'époux assis à gauche, à l'angle de la table, et à qui un nègre, debout de l'autre coté, présente une coupe, , serait don Alphonse d'Avalos, marquis du Guast, et la jeune épouse placée près de lui, Eléonore d'Autriche, reine de France. On remar- que un fou derrière elle. François 1er, coiffé d'une façon bizarre, est as- sis à ses côtés ; vient ensuite Marie, reine d'Angleterre, vètue d'une s robe jaune. Soliman 1er, empereur des Turcs, est près d'un prince nègre qui parle à un des serviteurs ; plus loin, Victoire Colonna, marquise de Pescaire, tient un cure-dents. A l'angle de la table, l'empereur Charles V, vu de profil, porte la décoration de l'ordre de la Toison a
d'or. Paul Véronèse s'est représenté lui-même, avec les plus habiles peintres de Venise, ses contemporains, au milieu du groupe de musiciens qui occupe le devant du tableau. Il est en habit blanc et joue de la viole ; de l'autre côté, Titien joue de la basse ; le vieux Bassan joue de la flûte ; derrière lui, le Tintoret l'accompagne avec un instrument semblable ; enfin, celui qui est debout, vêtu d'une étoffe brochée, et qui tient une coupe remplie de vin, est Benedetto Cadiari, frère de Paul. — Ce tableau, cité par Vasari comme une merveille, était placé au fond du réfectoire du couvent de Saint-Georges-Majeur, à Venise.
VILLOT. (Notice de l'Ecole italienne ) Les noces de Cana du Louvre sont considérées comme le chefd'œuvre de Paul Véronèse. Le peintre était là dans son élément : il s'agissait pour lui de déployer, au milieu d'une architecture élégante et grandiose, un splendide festin dont les convives, superbement bariolés dans leurs costumes de velours et de satin, montrent tous des visages radieux, exempts d'inquiétudes et d'une santé florissante. Cette manière singulière de comprendre l'histoire n'est pas sans avoir soulevé des critiques, de la part des gens amoureux de l'exactitude avant tout. Il ne faudrait pas croire cependant que le grand peintre vénitien fût ignorant au point de croire qu'une noce dans un pauvre village de la Judée, pût ressembler aux magnificences qu'il étale dans son tableau; c'est le résultat d'un parti pris. Paul Véronèse est un vrai Vénitien, et peut-être l'incarnation la plus complète de l'école; ces magnifiques ordonnances architecturales où se meut tout un peuple richement vêtu, ces vases précieux, ces brillantes étoffes, ces jardins enchantés qu'on entrevoit au travers des colonnades de marbre, n'est-ce pas là ce que rêvait Venise, la ville des fêtes, des repas somptueux, où la musique, les fleurs, l'amour et les festins étaient l'occupation quotidienne d'une société qui ne connut jamais l'ennui ni la passion? Ce rêve poursuivait Paul Véronèse jusque dans ses scènes religieuses. Comme les anciens Grecs, qui pensaient honorer les dieux par la joie et le rire, l'artiste vénitien se plaignait dans ses lettres de l'aspect lugubre sous lequel les peintres ont coutume de représenter une croyance qui promet tant de bonheur aux élus : ce bonheur, il le plaçait, comme tous les Vénitiens, dans la magnificence et l'éclat radieux de la mise en scène. Derrière des dessins décrits par Ridolfi, on lit des notes de l'artiste comme celle-ci :
« Si jamais j'ai le temps, je veux représenter un repas somptueux dans une superbe galerie, où l'on verra la Vierge, le Sauveur et Joseph.
Je les ferai servir par le plus grand cortége d'anges qui se puisse imaginer, occupés à leur offrir, dans des plats d'argent et d'or, des viandes exquises et une abondance de fruits superbes. D'autres s'emploieront à leur présenter, dans des cristaux transparents et des coupes dorées, des liqueurs précieuses, pour montrer le zèle des esprits bienheureux à servir leur Dieu. »
Dans une autre note, Il parle d'un tableau représentant Jésus et sa mère, autour desquels des anges tiennent le soleil, la lune, les étoiles, un pélican, un phénix, etc., et en même temps la terre se couvre de fleurs et de fruits. On voit qu'il n'y a nulle philosophie, nul mysticisme dans cette façon toute orientale de concevoir le bonheur; Paul Véronèse n'est ni un mystique, ni un philosophe, il se contente d'être un admirable peintre.
GIORGIONE. — (1478-1511) — 39 — Concert champêtre. — Ce joli tableau, qui est placé à gauche, en se rapprochant de la porte de la galerie d'Apollon exprime dans toute sa netteté la tendance de l'école vénitienne, c'est-à-dire ce qu'on appellerait aujourd'hui l'art pour l'art. En effet l'idée est complètement absente et la composition n'existe que pour le charme de l'oeil : deux jeunes hommes dans un costume de fantaisie, une femme nue qui joue de la flûte et une autre à demi-vêtue qui verse de l'eau dans un réservoir en pierre, le tout d'une admirable couleur et dans un ravissant paysage, voilà le concert champêtre de Giorgione.
CORRÉGE (1493-1534)— 19 (+) Mariage mystique de sainte Catherine d'Alexandrie. — L'enfant Jésus, sur les genoux de la Vierge, passe son anneau au doigt de sainte Catherine, derrière laquelle on voit saint Sébastien debout et tenant des flèches. Vasari parle de ce chef-d'œuvre dans la vie de Girolamo Carpi : « Étant arrivé à Modène, il resta émerveillé à la vue des tableaux du Corrége, mais l'un d'eux surtout le frappa de stupéfaction : ce fut ce tableau, ouvrage divin, qui représente la Vierge avec l'Enfant Jésus, épousant Sainte-Catherine, Saint-Sébastien, et d'autres figures avec des airs de tète si admirables qu'elles semblent faites dans le paradis.
Il est impossible de voir de plus beaux cheveux, de plus belles mains et un coloris plus charmant, plus naturel. » VASARI. (Vie des peintres.)
L'opinion émise en passant par Vasari est encore juste aujourd'hui, et le tableau du Corrége est d'une conservation si admirable, qu'on le dirait fraîchement sorti des ateliers du maître.
SIMONE MEMMI — (1284-1341) — 260 — Jésus-Christ marchant au Calvaire. — Simone Memmie est un des chefs de l'ancienne école de Sienne, et un des ancêtres de la Renaissance : l'attribution de ce petit tableau est contestée.
FRANCIA. — (1450-1517) — 306 — La Nativité.
RAPHAEL SANZIO (1483-1520)— 370 (+) Saint Michel terrassant le démon. — Au milieu d'un désert hérissé de rochers, dont les fentes laissent échapper les flammes de l'enfer, l'archange saint Michel, recouvert d'une cuirasse de fer et d'or, vient de s'abattre comme un oiseau de proie sur le démon, qu'il a terrassé, et qu'il va transpercer de sa lance. Les ailes du guerrier céleste sont encore à demi ouvertes et son écharpe vole derrière lui ; il vient de s'élancer du haut des cieux et son pied effleure à peine l'épaule de son ennemi, qui se tord dans les efforts d'une rage impuissante. Cette belle et gracieuse figure forme un superbe contraste avec celle du démon terrassé que Raphaël, avec son sentiment exquis des convenances, a dissimulé à l'aide du raccourci, de façon que l'ange domine absolument toute la composition.
« Comment représenter le visage de saint Michel ? Quels traits pouvaient convenir au chef invincible et invulnérable des milices célestes, au héros de diamant ? La tète de ce héros du ciel est un des chefsd'œuvre les plus accomplis de Raphaël : elle est si noble, si lumi- neuse, si imposante, qu'à peine ose-t-on la regarder. On y retrouve toute la fierté de l'Apollon Pythien ; elle présente, en même temps, dans chaque trait la sévérité, la vigueur, la finesse dont les plus belles tètes antiques de Minerve offrent seules la réunion. Les sourcils droits et immobiles, les plans simples et fermes du front et des joues, attestent la tranquille supériorité de l'ange qui a vaincu sans efforts et qui triomphe sans orgueil. Un trait à peine sensible, placé entre les sourcils, indique un léger mouvement des muscles; là seulement, et dans la saillie de la lèvre inférieure, se manifestent le sentiment de la victoire et le dédain. L'agitation de la chevelure, les mouvements de la draperie, l'action des bras et des ailes, forment avec la tranquillité du visage une opposition sublime.
EMÉRIC DAVID. (Chefs-d'œuvre de la peinture.) Ce tableau a beaucoup souffert par des restaurations succes-
sives. Vasari dit qu'il a été peint pour François 1er, mais il paraît avéré aujourd'hui qu'il aurait été commandé par Laurent de Médicis. Celui-ci voulait en faire présent au roi de France, dont il désirait l'appui dans sa querelle avec le duc d'Urbin. On a prétendu aussi que Raphaël avait choisi ce sujet pour complaire au pape, en faisant sentir au roi de France que le grand maître de l'ordre de Saint-Michel et le fils aîné de l'Église ne pouvait s'empêcher de terrasser le démon de l'hérésie que Luther venait d'évoquer de l'enfer. Mais cette opinion n'est guère soutenable, attendu que le tableau a été fini au mois de mai 1518, et c'est seulement la veille de la Toussaint de l'année 1517 que Luther afficha pour la première fois ses propositions contre les indulgences ; le pape y attacha si peu d'importance qu'il crut simplement à une jalousie de moines.
HOLBEIN LE JEUNE (1498-1554) — 211 — Portrait d'Anne de Clèves, reine d'Angleterre, femme de Henri VIII. — Figure admirable de finesse et de modelé, mais d'un aspect assez étrange. Elle est debout, vue de face et les mains jointes.
VAN DYCK (1599-1641) — 142 (+) Charles 1er. — Le roi d'Angleterre est représenté debout, la tête coiffée d'un chapeau à grands bords, la main gauche posée sur la hanche et la droite appuyée sur une canne. Derrière lui, un écuyer, qu'on dit être le marquis d'Hamilton, retient la bride d'un cheval, Ce tableau, si riant dans son aspect, quand on le considère au point de vue de la peinture, a pourtant quelque chose de sinistre par les souvenirs qui s'y rattachent. Dans les jours orageux qui précédèrent la mort de Louis XVI, le roi de France ne cessait de contempler cette radieuse peinture, qui pour les autres était une œuvre d'art et pour lui prenait la valeur d'une sombre prophétie.
LE TINTORET (1512-1594) — 355 — Suzanne au bain. — (En haut)
LE GUERCHIN (1591-1664) — 42 — La résurrection de Lazare — 46 — Les Saints protecteurs de Modène. — Ce dernier tableau est placé de l'autre côté des noces de Cana ; c'est là qu'il faut nous mettre actuellement pour continuer notre examen.
LE BASSAN (1510-1592) — 300 — Le Christ descend de la croix.
RUBENS (1577-1640) — 433 — Thomyris, reine de Scythes, fait plonger la tête de Cyrus dans un vase rempli de sang. — La jeune reine est en robe de satin blanc et couverte d'une parure éblouissante ; du trône où elle est assise, elle contemple en souriant l'exécution de ses ordres sauvages.
LE SUEUR (1617-1655) — 523 — Apparition de sainte Scholastique à saint Benoît. — Saint Benoît, à genoux et en prière, voit dans le ciel sainte Scholastique, portée par trois anges et accompagnée de jeunes filles couronnées de roses blanches, symbole de virginité. Les apôtres saint Pierre et saint Paul sont près d'elles et montrent à saint Benoît le ciel, nouveau séjour de la sainte. Toute cette scène est d'une délicatesse esquise et d'une distinction ravissante.
ANDRÉ DEL SARTO (1487-1531) — 380 — Sainte Famille. — Tableau célèbre, mais extrêmement abîmé.
La Vierge, assise à terre vers la gauche du tableau, présente l'enfant Jésus à saint Elisabeth. Le jeune saint Jean, retenu par sa mère, est debout et lève sa main vers le ciel. Deux anges, dans une attitude de tendre adoration, se tiennent derrière la Vierge. Le dessin de cette belle composition a toute l'élegance florentine sans aller jusqu'au maniérisme tourmenté des lignes que n'évite pas toujours Michel-Ange lui-même. Les contours, enveloppés dans une pâte riche et chaude, ne se cernent pas et ne s'arrêtent pas durement ; et, quoique le groupe présente des recherches d'eurhythmie, il ne se durcif pas en poses sculpturales. Chose singulière, ce peintre si malheureux en réalité, donne à ses figures un air de bonheur candide et de bonté naïve ; une sorte de joie innocente retrousse le coin de leurs lèvres, et elles rayonnent, illuminées d'une sérénité douce, dans l'atmosphère tiède et colorée dont l'artiste les entoure. On peint son rêve et non sa vie. » THÉOPHILE GAUTIER. (Paris-Guide.) Les madones d'André del Sarto se ressemblent entre elles et on croit y retrouver l'image de cette Lucrezia del Fede qu'il aima si follement et qui eut sur la vie du malheureux artiste une influence si funeste. Ce fut pour la revoir qu'il quitta la France, où il avait été appelé par François Ier et comblé d'honneurs et de présents. Le roi ne le laissa partir qu'en lui faisant jurer sur l'Evangile de revenir sous peu de mois, et lui confia une somme considérable destinée à réunir pour la France une collection d'oeuvres d'art. Mais sa faiblesse pour sa femme l'ayant entraîné à dissiper cet argent, il n'osa plus retourner en
France et tomba bientôt dans un état voisin de la misère.
La peste l'enleva à quarante-deux ans. Sa femme l'abandonna à ses derniers moments ; il mourut seul, privé de soins et de secours.
LÉONARD DE VINCI (1452-1517) — 459 — La Vierge, l'enfant Jésus et sainte Anne. — La composition de ce tableau célèbre semble un peu bizarre au premier abord. La Vierge, presque de profil, est assise sur les genoux de sainte Anne, et se baisse pour prendre l'enfant Jésus, qui caresse un agneau. Le sujet de ce tableau se rapporte à une image miraculeuse qui, dans l'église de San Celso, à Milan, parut un jour resplendissante de lumière devant les fidèles. L'image de San Celso devint l'objet de la dévotion populaire et fut reproduite par différents artistes avec des variantes.
HOLBEIN (1498-1554). — 208. Portrait d'Érasme. — C'est un des chefs-d'œuvre du maître.
ANTONELLO DE MESSINE (1414-1493) — 31 (+) Portrait d'homme.
— Cette belle tête est au Louvre depuis quelques années. C'est une condottière à la mine farouche, à la bouche fine et pincée, et dont le regard profond accuse un singulier mélange d'intel- ligence et de volonté, mais sans la moindre bonhomie. Un pareil type est suffisant pour caractériser toute une époque, mais il n'y a qu'un grand maître qui soit capable d'écrire ainsi l'histoire, avec une physionomie.
MEMLING (fin du quinzième siècle) — 288 — Saint Jean-Baptiste. — 589 — Sainte Marie - Madeleine. — Ces deux fines peintures, qui proviennent de l'ancienne collection du roi de Hollande, servaient autrefois de volets à un tryptique dont la partie centrale n'est pas connue.
Deuxième panneau. — Nous entendons sous ce titre le panneau dans lequel est la porte qui ouvre sur la grande galerie, et au bas duquel se trouve la Belle Jardinière, de Raphaël.
RAPHAEL (1483-1530) — 362 (+) La belle Jardinière. — Ce tableau, peint en 1508, est le dernier que Raphaël ait éxécuté à Florence, au moment où il allait partir pour Rome ; il est impossible de pousser plus loin la candeur et l'ingénuité que dans cette scène calme et pure, où la Vierge, dans une prairie
émaillée de fleurs, contemple l'Enfant-Dieu qui lève la tête vers elle. Ce n'est pas encore le style grandiose des peintures de la dernière manière du peintre mais la grâce des mouvements, la pureté du dessin et la souplesse des figures annoncent une observation attentive de la nature et un goût exquis dans le choix des formes. Le symétrie hiératique est tout à fait abandonnée et l'impression religieuse résulte de la suavité chaste d'un type que depuis quinze. cents ans l'humanité rêvait sans pouvoir le réaliser.
« Le tableau est désigné sous le nom assez singulier de la BelleJardinière, parce que la Vierge est assise sur une pierre dans une prairie richement couverte de plantes et de fleurs. Elle regarde avec lune grâce inexprimable l'enfant Jésus, qui, debout devant elle, pose un bras sur les genoux de sa mère et lève vers elle ses regards remplis d'amour. Le petit saint Jean, agenouillé à droite et s'appuyant sur sa croix, contemple son divin compagnon, avec une tendre admiration: Le fond est un paysage dans lequel serpente une rivière, avec les montagnes et une ville à droite, dans le lointain. Ce tableau est ceintré dans le haut.
Ce magnifique ouvrage, traité avec l'esprit le plus élevé, et dont les têtes surtout sont remplies d'âme et d'expression, présente pourtant quelques parties paraissant non terminées, comme les mains et les pieds, qui ne sont qu'indiqués. Il s'y trouve aussi quelques négligences le dessin ; néanmoins cette Madone est une des plus belles que le génie de Raphaël ait créées. » PASSAVENT. (Raphaël.) RAPHAEL (1483-1520) — 364 (+) La grande sainte famille de François Ier. — Cette toile célèbre appartient à la troisième matière du maître. La couleur en est un peu briquetée et le prenier aspect n'est pas très-séduisant, mais l'impression grandit le plus en plus à mesure qu'on l'analyse. L'Enfant-Dieu s'élance le son berceau, dans les bras de sa mère, qui se penche vers ai pour le prendre dans ses bras. Sainte Elisabeth est agenouilavec le petit saint Jean, et saint Joseph,, dans une attitude ontemplative, est de l'autre côté du tableau. Deux anges, dont un croise les bras en signe d'adoration, tandis que l'autre ipand des fleurs sur. la Vierge et L'Enfant-Dieu, complètent la.
composition.
Ce tableau, dont la célébrité est immense, a été ébauché par les Romain, ce qui explique le ton rougeâtre des chairs et la irceur des ombres, défaut assez ordinaire chez cet artiste. On
a imaginé une fable par laquelle Raphaël aurait donné ce tableau à François Ier, par reconnaissance pour sa générosité; il est démontré aujourd'hui qu'il a été commandé par Laurent de Médicis pour être offert par lui au roi de France.
— 368 — Saint Michel. — Ce petit tableau, qu'on appelle le petit saint Michel pour le distinguer de l'autre, est intéressant parce qu'il marque les débuts de Raphaël et sa période Péruginesque; il est plein de réminiscences du Dante. Derrière l'archange, couvert d'une armure d'or, qui terrasse les monstres qui l'entourent; on aperçoit les pécheurs repentants chargés de chapes de plomb, rôdant mystérieusement autour de la ville que détruit le feu du ciel, et les hypocrites et les voleurs tourmentés par des serpents.
— 369 — Le petit saint Georges, qui fait pendant au précédent, a été peint à la même époque et rappelle beaucoup le Pérugin. Le saint chevalier, couvert d'une armure d'acier et monté sur un cheval blanc, s'apprête à frapper le monstre avec son épée. Sa lance brisée est par terre, et dans le paysage on aperçoit une femme qui s'enfuit.
ANDRÉA SOLARI (?-1530) — 394 — La Vierge au coussin vert.
LUINI (? vers 1530) — 332 — Salomé recevant la tête de saint Jean-Baptiste.
CLAUDE LORRAIN (1600-1682). — Deux paysages de forme ovale..
POUSSIN (1594-1665) — 453 (+) Diogéne (paysage). — Le philosophe est représenté au moment où il jette son écuelle ; mais tout l'intérêt du tableau est dans l'admirable paysage, où la figure ne joue qu'un rôle accessoire. La belle lumière argentine répandue sur l'ensemble, montre que si Nicolas Poussin est en tout temps un homme de ligne et de style, il sait aussi être coloriste à ses heures.
PH. DE CHAMPAIGNE (1602-1674) — 79 — Le Christ mort cou- ché sur son linceul. — Peinture sur bois qui parait avoir été exécutée pour Port-Royal. — 87 — Le cardinal de Richelieu, superbe portrait en pied.
RIGAUD (1659-1743) — 477 — Portrait en pied de Bossuet.
JOUVENET (1644-1717) — 301 — La descente de croix. — Cette
oile monumentale fait ici bonne contenance, bien qu'on ait encore l'œil tout imprégné des colorations de Titien, de Rubens et de Paul Véronèse. C'est en effet le chef-d'œuvre de Jouvenet et une des belles pages dont s'honore notre art national.
VALENTIN (1600-1534) — 586 — Concert.
JORDAENS (1593-1678) — 254 — L'enfance de Jupiter. — C'est une interprétation toute flamande de la mythologie antique. Le loi des dieux est figuré sous les traits d'un enfant rose et joufflu, qui tient un biberon et qu'une satyre amuse avec le tapage de sa musique, tandis qu'une nymphe aux formes exubérantes est occupée à traire la chèvre Amalthée.
Troisième panneau. — Sous ce titre nous désignons le anneau qui fait face aux Noces de Cana.
PAUL VÉRONÈSE (1528-1588) — 96 — Le repas chez Simon le harisien occupe tout le haut de ce panneau. Bien que ce taleau n'ait pas autant d'éclat que les Noces de Cana, qui sont iis-à-vis, c'est une magnifique peinture. Elle représente encore ne table avec de somptueux personnages, qui ressemblent moins aux apôtres de l'Evangile qu'à des praticiens de Venise.
Jésus-Christ est assis à l'angle de la table et la Madeleine essuie iieusement ses pieds avec son opulente chevelure. La scène se sasse sous un portique circulaire qui laisse apercevoir divers difices dans ses entrecolonnements.
MURILLO (1616-1682) — 539 — La Conception immaculée de la ierge. — Au milieu d'une brume lumineuse où volent les chéabins, la Vierge, posant les pieds sur le croissant de la lune et roisant les bras sur sa poitrine, s'élève vers le efel où plongent déjà ses yeux baignés d'extase. Sa tête est couronnée d'étoiles, et un manteau d'azur jeté sur sa robe blanche et ses épaules. Il a ans tout l'ensemble de dévotion et d'afféterie, de myticisme et le charme mondain, qui est le caractère particulier de Murillo, qu'il n'a jamais peut-être poussé plus loin qu'ici. Ce tableau et acquis, à la vente du maréchal Soult, au prix de 615,000 .ncs.
POUSSIN (1594-1665) — 434 — Saint François-Xavier rappent à la vie la fille d'un Japonais. — C'est une toile impor.nte dans l'œuvre du Poussin, qui s'est bien rarement attaché à des personnages de grandeur naturelle. Néanmoins les
hautes qualités du chef de l'école française nous semblent plus franchement accusées dans quelques-unesdes toiles que nous décrirons en parcourant d'autres salles.
BRONZINO (1502-1572) — 87 — Portrait d'un sculpteur; il est vêtu de noir et tient en main une statuette de femme.
PARIS BORDONE (1500-1570) — 82 — Portrait d'homme.
LÉOARD DE VINCI (1452-1519) — 462 (+) La Joconde, surnom d'une dame appelée Mona Lisa. Cette, peinture est extrêmement célèbre et Vasari en parle avec. admiration.
« Léonard de Vinci, dit-il, entreprit de faire pour Francesco del Giocondo le portrait de Mona Lisa, sa femme, et après quatre ans d'un, travail assidu, il le laissa imparfait. On le voit à présent chez le roi de France, à Fontainebleau. Qui veut savoir jusqu'à quel point l'art peut imiter la nature, peut s'en rendre compte facilement en examinant cette tête, car il a représenté les moindres détails avec une extrême finesse. Les yeux ont ce brillant, cette humidité que l'on observe toujours pendant la vie ; ils sont cernés de teintes rougeâtres et plombées d'une vérité parfaite ; les cils qui les bordent sont exécutés avec une excessive délicatesse. Les sourcils, leur insertion dans la chair, leur épaisseur plus ou moins prononcée, leur courbure suivant les pores de la peau, ne pouvaient pas être rendus d'une manière plus naturelle. Le nez et ses belles ouvertures d'un rose tendre respirent.
La bouche, sa fente, ses extrémités qui se lient par le vermillon des lèvres à l'incarnat du visage, ce n'est plus de la couleur, mais c'est vraiment de la chair. Au creux de la gorge, un observateur attentif surprendrait le battement de l'artère; enfin, il faut avouer que cette figure est d'une exécution à faire trembler et reculer l'artiste le plus habile du monde qui voudrait l'imiter. Mona Lisa était très-belle, et pendant qu'il la peignait, Léonard eut soin de l'entourer de musi- ciens, de chanteurs, de bouffons, qui l'entretenaient dans une douce gaîté, afin d'éviter cet aspect mélancolique que l'on observe dans la plupart des portraits. Aussi remarque-t-on dans celui de Léonard un sourire si agréable, que cette peinture est plutôt une œuvre divine qu'humaine, et qu'on la tenait pour une chose merveilleuse et vivante à l'égale de la nature elle-même. »
VASARI. (Vie des peintres.) On pourrait aujourd'hui faire quelques restrictions à ces éloges, du moins sous le rapport du coloris, qui a certainement changé Th. Gautier a donné sur la Joconde une appréciation enthousiaste : « La Joconde ! dit-il, sphinx de beauté qui souris si mystérieusement dans le cadre de Léonard de Vinci, et semble proposer à l'admiration
des siècles une énigme qu'ils n'ont pas encore résolue, un attrait invincible ramène toujours vers toi! Oh! en effet, qui n'est resté accoudé de longues heures devant cette tète baignée de demi-teintes crépusculaires, enveloppée de crêpes transparents et dont les traits, mélodieusement noyés dans une vapeur violette, apparaissent comme une création du rêve à travers la gaze noire du sommeil ? De quelle planète est tombé, au milieu d'un paysage d'azur, cet être étrange avec son regard qui promet des voluptés inconnues et son expression divinement ironique ? Léonard de Vinci imprime à ses figures un tel cachet de supériorité, qu'on se sent troublé en leur présence. Les pénombres de leurs yeux profonds cachent des secrets interdits aux profanes, et les inflexions de leurs lèvres moqueuses conviennent à des dieux qui savent tout et méprisent doucement les vulgarités humaines. Quelle fixité inquiétante et quel sardonisme surhumain dans ces prunelles sombres, dans ces lèvres onduleuses comme l'arc de l'amour après qu'il a décoché le trait! Ne dirait-on pas que la Joconde est l'Isis d'une religion cryptique qui, se croyant seule, entr'ouvre les plis de son voile, dût l'imprudent qui la surprendrait devenir fou et mourir? Jamais l'idéal féminin n'a revêtu de formes plus inéluctablement séduisantes. Croyez que si don Juan avait rencontré la Mona Lisa, il se serait épargné la peine d'écrire sur sa liste trois mille noms de femmes ; il n'en aurait tracé qu'un, et les ailes de son désir eussent refusé de le porter plus loin. Elles se seraient fondues et déplumées au soleil noir de ses prunelles. » INCONNU (seizième siècle) — 523 (+) Portrait d'un jeune homme coiffé d'une toque noire. — Autrefois on l'attribuait à Raphaël; il a été ensuite catalogué sous le nom de Francia, et à présent on le classe parmi les inconnus. C'est un des chefsd'œuvres les plus étonnants du salon carré.
RAPHAEL (1483-1520) — 363 — La Vierge au voile. — La tête ceinte d'un léger diadème, la Vierge soulève d'une main émue le voile qui recouvre l'enfant Jésus endormi sur un coussin dans la campagne et le fait voir au petit saint Jean, agenouillé près d'elle. Raphaël a rendu son nom inséparable de celui de la Madone, et quand nous disons dans nos prières : « Salut Marie, pleine de gràce», nous pensons au grand peintre en même temps qu'à la reine des cieux.
GHIRLANDAJO (1449-1494) — 202 — La Visitation. — Cette intéressante peinture du maître qui eut l'insigne honneur d'avoir Michel-Ange pour élève, a été rapportée au commencement de ce siècle parmi nos trophées; les commissaires étrangers l'ont laissée au musée en 1815.
« Ghirlandajo a peint une Visitation, que nous possédons au Louvre,
et dans laquelle il s'est placé directement et sans l'intermédiaire de ses contemporains, en présence de l'Evangile. La Vierge, enveloppée dans un grand manteau bleu qui tombe jusqu'à terre, se penche vers sainte Elisabeth agenouillée devant elle. Derrière la mère du précurseur une jeune femme est debout, les mains jointes et le corps respectueusement incliné vers la Vierge. Derrière la Vierge est une autre femme, qui se redresse avec dignité. La majesté divine ne pouvant dépouiller Marie de son humilité, le peintre a voulu sans doute montrer dans ce personnage secondaire un reflet de la splendeur du Verbe. Ces deux figures accessoires sont admirables : ce sont deux anges, moins les ailes ; la seconde surtout est d'une beauté à côté de laquelle pâlit la beauté des personnages principaux. Ceux-ci, malgré l'émotion reli.
gieuse qui les domine, portent encore une empreinte trop individuelle pour exprimer les idées générales: ils appartiennent trop exclusivement au quinzième siècle et sont trop Florentins pour parler la langue universelle de l'Eglise. Ce sont des portraits : les individus qu'ils représentent, quoique vivement et sincèrement émus, sont trop accessibles aux passions accidentelles de la vie. » GRUYER. (Les Vierges de Raphaël.)
VAN EYCK (1390-1441) — 162 (+) La Vierge au donateur. — Sous un riche portique terminé au fond par des arcades qui donnent sur la campagne, la Vierge, enveloppée d'un ample manteau rouge, tient sur ses genoux l'enfant Jésus, tandis qu'un petit ange, vêtu d'une longue robe bleue, vole derrière elle et s'apprête à lui poser sur la tête une riche couronne d'or, couverte de perles et de pierreries. L'enfant Jésus bénit le donateur, qui est vêtu d'une robe de brocart blanc et or, et s'agenouille enjoignant les mains. A travers les arcades on aperçoit une grande étendue de pays, une rivière traversée par un pont, une ville avec ses tours et ses églises, un jardin où se promènent des paons et d'autres oiseaux, des roses, des glaïeuls, des fleurs diverses, puis des petits personnages, et au fond des montagnes qui terminent l'horizon. Le prodigieux ni de toutes les parties n'est pas moins surprenant que l'étonnante conservation de cette superbe peinture, qui est peinte depuis quatre cents ans et a gardé plus de fraîcheur que bien des tableaux qui n'ont pas plus de vingt ans de date. Mais, malgré son esquise délicatesse, Van Eyck est plus près de la terre que du ciel. Ses madones ont un air de propreté et de toilette qui rap- pelle la ménagère et non la divine apparition qui n'emprunte à la forme humaine que ce qu'il en faut pour être la mère de Dieu.
VAN DYCK (1699-1641) — 150 — Portrait de Richcirdot et de son fils, — Cet admirable portrait était autrefois attribué à Rubens. (Ce tableau et le suivant sont maintenant transférés dans la grande galerie.) RUBENS (1577-1640) — 460 — Portrait d'Hélène Fourment, seconde femme de Rubens, et de deux de ses enfants.
La femme de Rubens, vêtue en blanc, est assise dans un fauteuil et vue presque de profil, tournée à gauche. Elle porte sur la tète un large chapeau de feutre gris orné de plumes, qui projette une ombre légère sur la figure, et tient sur ces genoux un petit garçon coiffé d'une toque noire avec des plumes et des nœuds rouges. A gauche, une petite fille debout, relevant son tablier. Les tètes seules de ce tableau sont assez avancées, mais le reste est à l'état d'ébauche. Dans le fond, indiqué par un léger frottis, on aperçoit entre les deux enfants un arbre, un oiseau qui vole, et à droite, près du fauteuil, deux mains d'un autre enfant. VILLOT. (Notice du Musée.) SÉBASTIEN DEL PIOMBO (1485-1547) — 229 — La Visitation — La tête de la Vierge a longtemps passé pour avoir été peinte par Michel-Ange; mais c'est une hypothèse qui ne repose sur aucun fondement.
GÉRARD DOW (1598-1674) — 121 — La Femme hydropique. — Le fameaux tableau de la femme hydropique faisait autrefois partie de la galerie royale de Turin. Il fut donné aug énéral Clause], par le roi Charles-Emmanuel IV, comme témoignage de sa satisfaction. Le général en a fait hommage au musée du Louvre. Quoique fort simple, la composition est une des plus importantes de Gérard Dow. Une femme atteinte d'hydropisie, est assise dans un fauteuil près d'une fenêtre. Sa fille en larmes lui tient la main, tandis qu'une servante offre à la malade une cuillerée de bouillon. Le médecin debout, tient une fiole qu'il considère attentivement.
LE TITIEN (1477-1576)— 452 (+) Alphonse de Ferrare et Laura de Dianti. — Cette superbe peinture est souvent désignée sous le nom de la Maîtresse du Titien. Mais c'est là un titre de fantaisie que rien ne peut justifier: une jeune femme tient d'une main ses cheveux, et de l'autre une fiole de parfums. Un homme placë derrière elle lui présente un miroir. D'après des médailles et des portraits authentiques, on croit y reconnaître Alphonse 1er duc de Ferrare, et Laura de Dianti. Dans une répétition de
ce tableau qui se trouve à Ferrare, la femme est représentéepresque nue, ce qui fait supposer que Titien l'a peinte lorsqu'elle était la maitresse du duc, et que lorsqu'elle fut son épouse, la même composition fut reproduite avec un vêtement.
TERBURG (1608-1681) — 526 (+) Un Militaire offrant des pièces- d'or à une jeune femme.
« Le Lansquenet de Terburg, ce gros homme en harnais de guerre, avec sa cuirasse, son pourpoint de buffle, sa grande épée, ses bottes à entonnoir, son feutre posé par terre, sa grosse face enluminée, mal rasée, un peu suante, avec ses cheveux gras, ses petits yeux humides et sa large main, potelée et sensuelle, dans laquelle il offre des pièces d'or et dont le geste nous éclaire assez sur les sentiments du personnage et sur l'objet de sa visite, — cette figure, un des plus beaux morceaux hollandais que nous possédions au Louvre, qu'en savons-nous ? On a bien dit qu'elle était peinte au naturel, que l'expression était des plus vraies, et que la peinture en était excellente. Excellente est peu concluant, il faut en convenir, lorsqu'il s'agit de nous apprendre le pourquoi des choses. Pourquoi excellente? Est-ce parce que la nature y est imitée de telle façon qu'on croit la prendre sur le fait? Est-ce parce qu'aucun détail n'est omis? est-ce parce que la peinture en est lisse, simple, propre, limpide, aimable à regarder, facile à saisir, et qu'elle ne pèche en aucun point ni par la minutie, ni par le négligé? Comment se fait-il que depuis qu'on s'exerce à peindre des figures costumées dans leur acception familière, dans une attitude posée, et certainement posant devant le peintre, on n'ait jamais ni dessiné, ni modelé, ni peint comme cela?
» Le dessin, où l'apercevez-vous, sinon dans le résultat, qui est tout à fait extraordinaire de naturel, de justesse, d'ampleur, de finesse et de réalité sans excès? Saisissez-vous un trait, un contour, un accent, un point de repère, qui sentent le jalon, la mesure prise? Ces épaules fuyantes en leur perspective et dans leur courbe, ce long bras posé sur la cuisse, si parfaitement dans sa manche ; ce gros corps rebondi, sanglé haut, si exact dans son épaisseur, si flottant dans ses limites extérieures: ces deux mains souples qui, grandies à l'échelle de la nature, auraient l'étonnante apparence d'un moulage. » EUGÈNE FROMENTIN. (Les Maîtres d'autrefois.) REMBRANDT (1608-1669) — 419 (+) Portrait de femme. — Rembrandt, qui a fait tant d'admirables portraits d'hommes, en a rarement exécuté d'après des femmes, mais celui que nous avons dans le salon carré du Louvre est un chef-d'œuvre unique en son genre. C'est une jeune femme (419), avec les traits assez forts, mais réguliers, les lèvres épaisses, les yeux bruns, les cheveux abondants et tirant sur le roux, la physionomie tran-
quille et souriante: une chemisette plissée que recouvre une épaisse fourrure compose son costume. Il y a dans ce portrait une puissance de relief, une intensité de vie, qui semble affadir toute autre peinture dans le voisinage, même quand cette peinture est du Titien.
METZU (1615-1658) — 293 (+) Un Militaire recevant une jeune dame.
« Le tableau que nous avons sous les yeux est un de ses plus beaux ouvrages. Il représente l'intérieur d'un appartement richement décoré.
Un militaire, que l'élégance de son costume et plus encore la noblesse de son maintien font reconnaître pour un homme d'un rang distingué, reçoit la visite d'une jeune dame, et lui fait servir des rafraîchissements.
Il est debout, tenant à la main son chapeau orné de plumes de diversescouleurs, auprès d'une table couverte d'un de ses beaux tapis de l'Orient, qui ont si souvent fait briller l'habileté des peintres flamands et hollandais. Un valet présente un citron sur une soucoupe. On peut supposer que cette jeune dame vient solliciter quelque grâce ; la douleur la plus touchante, l'éloquence la plus persuasive animent sa physionomie ; un sentiment respectueux et tendre se laisse voir sur celle du cavalier : l'âme de Metzu s'est peinte dans ces deux figures. Tous les détails sont rendus avec un art admirable : la cuirasse, l'or et les broderies des vêtements du militaire, le siège couvert de velours bleu sur lequel est posé un de ses gants, le tapis, le velours violet et le satin blanc, dont se compose l'habillement de la jeune femme, sont des chefs-d'œuvre pour la délicatesse de l'exécution, pour l'harmonie et pour la vivacité du coloris. Ce tableau présente peut-être parmi de grandes beautés quelques légers défauts; mais ils sont si peu importants que nous ne croyons pas devoir les relever. Metzu y a pleinement développé son beau talent. »
EMERIC DAVID. (Chefs-d'œuvre de la peinture.) Quatrième panneau. Nous désignons sous ce titre le panneau qui est adossée à la galerie d'Apollon.
PAUL VÉKONÈSE (1528-1588) — 160 — Jupiter foudroyant les Crimes.
Ce tableau, qui est un plafond, fut primitivement placé dans la chambre du conseil des Dix, au palais ducal, et l'allégorie qu'il représente s'expliquait d'elle-même. Jupiter, irrité des crimes de la terre, descend des sommets de l'Olympe, son noir sourcil froncé et secouant de sa puissante main une flamboyante poignée de foudres. Rien de plus noble, de plus majestueux, de plus homériquement antique que la figure du dieu. Au-dessous de lui un Génie, planant les ailes ouvertes et tenant un livre où sont écrites les décisions de l'éternelle justice, chasse à coups de fouets les Crimes, qui se précipitent avec
un effarement tumultueux. Sa chevelure blonde se déroule en longues boucles soulevées par l'impétuosité de son vol. On dirait la descente de Phébus-Apollon au commencement de l'Iliade. Les Crimes sont la Rébellion, la Trahison, la Luxure et la Concussion, punis par le conseil des Dix, et Paul Véronèse les a caractérisés d'une manière ingénieuse et poétique sans tomber pour cela dans la laideur. En peinture surtout, les monstres « par l'art embellis » doivent plaire aux yeux, et c'est là un précepte qu'un peintre vénitien n'oubliera jamais. Paul Véronèse peignit ce magnifique plafond après un voyage à Rome, où il vit l'antique et Michel-Ange. Un artiste, quelque grand qu'il soit par lui-même, ne peut que hausser son style au contact de ce sublime génie. Raphaël lui-même sortit plus fort de la Sixtine entr'ouverte un moment. » THÉOPHILE GAUTIER. (Paris-Guide.) HERRERA (1576-1656) — 536 — Saint Basile dictant sa doctrine.
— Cette étrange peinture est l'œuvre d'un maître espagnol, dont l'humeur sombre et farouche est demeurée en quelque sorte légendaire.
La tradition rapporte que, ne pouvant vivre avec personne, il fut abandonné successivement par ses amis et ses élèves, et qu'une vieille servante, le seul être au monde qu'il ait pu supporter, l'aidait à ébaucher ses tableaux. Herrera eut trois enfants: l'aîné mourut à la fleur de l'âge, donnant les plus belles espérances; le second lui vola son argent et s'enfuit à Rome; sa fille se mit au couvent. Poursuivi comme ayant fait de la fausse monnaie, Herrera se réfugia dans le collége des jésuites, où il peignit un tableau qui fut tellement admiré par le roi, que celui-ci lui accorda sa grâce en disant : « Celui qui a un tel talent ne doit pas en faire un mauvais usage. »
Il était nécessaire de dire un mot du personnage pour faire comprendre le bizarre tableau qu'on a sous les yeux et qui représente saint Bazile dictant à des religieux les inspirations qu'il reçoit du Saint-Esprit. A ses côtés on voit Diego, évêque d'Osma, un des premiers inquisiteurs, saint Bernard, abbé de Citeaux, saint Dominique et saint Pierre le Dominicain. « Herrera le vieux, dit Théophile Gautier, était un maître d'une humeur terrible et farouche. L'aspect de sa peinture confirme sa légende. Le saint Basile présidant un concile a bien la mine la plus rébarbative qui se puisse imaginer, et le Saint-Esprit qu'il place audessus de sa mitre ressemble à un faucon se précipitant sur sa proie.
Jamais bandits n'eurent des têtes plus sinistrement féroces que les évèques, les moines et les inquisiteurs qui l'entourent. Il y a surtout un
moine hâve, maigre, osseux, à demi eoglouti dans sa cagoule, dont le sourire convulsif fait vraiment peur. S'il jetait son froc, on verrait apparaitre le pourpoint rouge, le petit manteau et le pied de cheval de Méphistophlès. »
LE CARAVAGE (1569-1609) — 27 — Portrait d'Alof de Wignacourt, grand maître de Malte en 1609. — C'est un admirable portrait d'homme en pied, recouvert d'une riche armure, et portant en main le bâton du commandement. Le personnage ici représenté est un grand maître de Malte, et l'auteur du portrait est le Caravage, le père du réalisme en peinture. C'était un artiste d'une singulière énergie, mais il était fils d'un maçon et n'avait reçu aucune éducation dans sa jeunesse. D'un caractère violent et querelleur, il fut obligé de s'enfuir de Rome pour se soustraire aux conséquences d'un homicide. Il avait précédemment voulu se battre avec son rival, le Josepin, dont il avait été le domestique, mais le Josepin, qui était noble, refusa de se commettre avec un roturier. Caravage étant allé à Malte, fut créé chevalier par le grand maître de l'ordre dont nous voyons ici le portrait, et dès qu'il se vit anobli, il songea à provoquer de nouveau son vieil ennemi, le Josépin, qui cette fois ne devait plus avoir de prétexte pour lui refuser satisfaction. Au moment de quitter Malte, il eut une dispute avec un chevalier qu'il blessa grièvement, il fut jeté en prison pour ce fait. Il parvint à s'échapper ; mais arrivé à Naples, il se querella avec des soldats dans un cabaret, fut blessé, obligé de s'enfuir et se cacha dans une felouque, qui mit aussitôt à la voile et le déposa sur les frontières de la Toscane, où il mourut misérablement dans un bouge. — 26 — Le Concert. — Neuf musiciens vus à mi-corps jouent de divers instruments.
LIONELLE SPADA (1576-1622) — 402 — Le Concert. — Trois jeunes gens et un enfant réunis autour d'une table se préparent à exécuter un concert.
LE GUIDE (1575-1642) — 325 — L'Enlèvement de Déjanire.
PÉRUGIN (1446-1524) — 426 (+) La Vierge et l'Enfant. — Cet admirable tableau, qui vient de l'ancienne collection du roi des PaysBas, montre la madone adorée par deux anges et deux saintes.
L'illustre maître qui a eu Raphaël pour disciple n'est représenté dans aucun musée d'Italie par une page plus digne de lui.
BELLIM (?-1507) — 59 — Portraits d'hommes. Ces deux têtes à chevelures bouffantes sont coiffées d'une toque noire : on a cru longtemps qu'elles offraient l'image de Jean et Gentile Bellini. Cet opinion est abandonnée aujourd'hui. Ces deux visages au reste, sont loin d'être beaux, mais leur laideur est expressive, et la physionomie est d'une personnalité saisissante.
LE POUSSIN (1594-1665) — 447 (+) Portrait du Poussin. — Le portrait du Poussin, par lui-même, est vraiment magistral et c'est un ouvrage d'autant plus précieux qu'il ressort complètement des habitudes du peintre. C'est en effet une œuvre unique en son genre, et il a fallu que M. de Chantelou, le bienfaiteur du Poussin, l'exigeât en quelque sorte pour décider le peintre à reproduire lui-même ses traits. Poussin lui écrivait: « Je confesse ingénument que je suis paresseux à faire cet ouvrage, auquel je prends peu de plaisir et j'ai fort peu d'habitude, car il y a vingt-huit ans que je n'ai fait aucun portrait. » Le chef de l'école française s'est représenté enveloppé d'un large manteau, avec la tête presque de face.
LE TITIEN (1477-1576) — 446 (+) La Mise au tombeau. — Le corps du Christ, porté par Joseph d'Arimathie et deux autres disciples, est déposé dans le sépulcre; la Vierge, accablée de douleur, est sur le point de s'évanouir. Le Titien est le peintre de la santé, de la richesse et du sourire, mais il sait aussi à ses heures demeurer grave et austère.
LE CORRÉGE (1494-1534) — 20 (+) L'Antiope. — Tandis que Jupiter a pris pour la regarder la forme d'un satyre, Antiope, mollement couchée sur une draperie bleue, arrondit son bras au-dessus de sa tête. A ses pieds l'Amour, qui a posé son carquois, s'endort ou plutôt fait semblant de dormir innocemment sur une peau de lion. Ces figures d'un ton admirable se détachent avec un relief puissant sur un bois dont la teinte sombre et veloutée se marie avec la lumière qui les dore et se concentre sur la poitrine d'Antiope. Tout ici semble baigné dans une atmosphère tiède et harmonieuse, qui dissimule les contours et accuse mollement les saillies par d'insensibles transitions. Ce magnifique tableau est considéré comme un des plus précieux du Musée.
REMBRANDT (1608-1669) — 410 (+) Le Ménage du menuisier.
— Cet admirable petit tableau, dans lequel on a voulu voir une sainte Famille, est un intérieur éclairé par un rayon de soleil.
Jamais on n'a poussé plus loin l'effet saisissant d'un effet de lumière entrant subitement par une lucarne et venant se résumer au centre du tableau avec une franchise et un éclat éblouissant. C'est assurément un des chefs-d'œuvre de Rembrandt.
ADRIEN VAN OSTADE (1610-1685) — 379 (+) Le Maître d'école.
— Assis à une table, le maître d'école menace de sa férule un enfant qui pleure en tenant son chapeau. Divers groupes d'enfants sont occupés à jouer ou à étudier leur leçon.
CLOUET (1500-1572) — Portrait d'Élisabeth d'Autriche, reine de France, femme de Charles IX. — C'est un petit chef-d'œuvre d'élégance et de distinction.
LA SALLE DES FRESQUES. — Tout à côté de ce portrait une porte donne accès à un petit salon auquel on arrive aussi par un escalier qui part du Musée des antiques. Ce petit salon a reçu le nom de salle des fresques. Jusqu'à présent on n'avait guère vu de fresques dans le musées, par la raison que ce genre de pointure est inhérent à la muraille sur laquelle' elle est inhérente. On a pourtant trouvé moyen d'en apporter, et la salle où nous sommes en renferme plusieurs qui sont bien intéressantes, car ce sont des fresques de Bernardino Lecini. Ce sont d'abord celles qu'il avait exécutées dans la villa Pelucea à Monza: elles représentent un Bacchus enfant jouant sous une treille. La Nativité, l'Adoration des mages et le Christ ont été acquises à Milan en 1867. Quand on quitte la petite salle des fresques on se retrouve dans le salon carré.
MUSÉE DE PEINTURE
ÉCOLE ITALIENNE
SALLE DES MAÎTRES PRIMITIFS. — Quand on quitte le salon carré pour entrer dans la grande galerie, on trouve à main droite une salle qui contient les maîtres primitifs de l'école italienne. Comme l'ordre chronologique est toujours celui qu'il faut suivre quand on veut comprendre la marche des beaux-arts,
nous nous transporterons tout d'abord au fond de cette salle qui n'est d'ailleurs pas très-grande, et nous allons assister ici aux premiers bégayements de la peinture en Italie.
La peinture cependant n'avait jamais cessé d'être cultivée, mais pendant la barbarie du moyen âge elle était tombée dans un état complet de dégradation. Les rapports commerciaux qui avaient de tout temps existé avec l'empire de Byzance, avaient amené en Italie un très-grand nombre de produits des manufactures byzantines, qui étaient en général fort supérieurs à tout ce qui se faisait en Occident. Mais cet art byzantin, avec ses formes hiératiques, ses plis raides, ses attitudes conventionnelles, était lui-même dégénéré et reposait bien moins sur une série de principes tirés de l'imitation de la nature que sur des recettes et des procédés conservés par tradition.
Beaucoup de peintres byzantins étaient venus se fixer en Italie où ils exerçaient leur profession. Un de leurs élèves, Cimabué, est indiqué par Vasari comme le premier qui s'écarta des routines admises et recourut à l'étude de la nature. Il est démontré aujourd'hui que des tentatives de progrès et d'innovation ont eu lieu sur plusieurs points à la fois dans le même temps, et la gloire de Cimabué consiste moins à avoir fait des recherches que d'autres faisaient comme lui qu'à s'être élevé au-dessus d'eux.
Toutefois, Cimabué est encore un peintre byzantin et c'est à Giotto son élève, auquel revient l'honneur d'avoir posé les fondements de la peinture moderne, en abordant directement l'étude de la nature. Giotto renonça à l'emploi exclusif de l'or pour les fonds de ses tableaux, et le premier tenta de le remplacer par des ciels et des paysages; enfin, dans la figure, il rechercha les traits particuliérs de chaque personnage et put ainsi donner de la ressemblance à ses portraits : c'est par lui que les traits de Dante nous ont été conservés.
Il est très-difficile; quand on est habitué à la peinture contemporaine, de comprendre le mérite de tous ces vieux peintres dont les ouvrages barbares occupent le fond de la salle où nous sommes : c'est une période d'efforts et de tâtonnements, et pour en apprécier la portée il faut être déjà initié à l'histoire de l'art.
Il n'est pas un de nos peintres qui ne se sente une immense supério- rité sur le pauvre Giotto. Mais ne pourrait-il pas leur dire :
Sans moi, qui suis si peu, vous seriez moins encore.
(BOURSAULT.) Il est sûr que, quand un bourgeois de Paris prend un fiacre pour aller au spectacle, il est plus magnifique que les plus grands seigneurs de la cour de François Ier. Ceux-ci, par les pluies battantes de l'hiver, allaient à la cour à cheval, avec leurs femmes en croupe, au travers des rues non pavées, qui avaient un pied de boue et pas de réverbères. Faut-il conclure que le connétable de Montmorency ou l'amiral Bonnivet étaient des gens moins considérables dans l'Etat que le petit marchand de la rue Saint-Denis?
Je conçois bien qu'on n'ait pas de plaisir à voir les œuvres de Giotto.
Si l'on dit : « Que cela est laid ! » on peut avoir raison ; mais si l'on ajoute : « Quel peintre pitoyable ! » on manque de lumières.
STHENDAL. (Histoire de la peinture en Italie.) Quand nous avançons quelques pas vers le milieu de la salle des primitifs, le caractère change rapidement, si rapidement même qu'on sent une lacune dans le musée ; l'art ne se transforme pas si vite qu'on pourrait le croire ici; mais la plupart des maîtres du quatorzième siècle n'ont peint que des fresques, et la peinture murale n'est pas du ressort des collections. Aussi quand nous arrivons au milieu de la salle, le mouvement en avant est déjà très-accentué, et on dirait qu'une baguette magique a transformé les tableaux. Filippo Lippi nous montre une imitation déjà rigoureuse de la nature, et dans Angelico de Fiesole on trouve une inspiration profonde et sûre d'elle-même.
L'inspiration, c'est ce qui caractérise cette période de l'histoire, où l'esprit humain s'est élevé si haut. On trouve encore quelquefois des inexpériences qui font sourire, mais il y a une force de sentiment qui commande l'admiration. Presque tous les ouvrages de ce temps sont religieux, et parmi les peintres un grand nombre sont des moines. C'est le moment décisif de la Renaissance, le moment des suprêmes efforts, des grandes découvertes : Paolo Uccello fixe les lois de la perspective ; Signorelli fait des études anatomiques qui rendront Michel-Ange possible; la gravure est découverte par Finiguerra, et la peinture à l'huile est apportée en Italie par Antonello de Messine. En même temps, l'imprimerie, venue d'Allemagne, commence à se répandre et donne au choc des idées qui se croisent en tous sens dans les lettres, dans les sciences, dans la philosophie dans la politique, une impulsion extraordinaire.
Quand les auteurs anciens sont imprimés, traduits, livrés à la publicité, quand les statues antiques sont retirées pieusement de la terre où elles étaient enfouies depuis mille ans, et vont prendre place dans les palais, l'antiquité, qui dévoile aux peintres ses splendeurs, devient le but suprême de leurs études.
Les princes lettrés encouragent partout les recherches savantes et les travaux d'érudition. Ce moment, qui fut le triomphe de la Renaissance, est celui où furent exécutés les tableaux qui forment la troisième partie de cette salle, celle qui ouvre sur la grande galerie. Voici Mantegna qui évoque devant nous les aspirations mythologiques de son temps et Lorenzo Costa qui, dans son charmant tableau du Louvre, nous retrace la vie de ces petits princes italiens, avec leurs élégances raffinées, leur goût pour l'étude et leur amour pour les beaux-arts. Le mouvement de la Renaissance est fini et, en franchissant la porte qu i nous sépare de la grande galerie, nous allons nous trouver en plein dans le siècle d'or.
Panneau à droite (en partant du fond de la salle.) CIMABUÉ (1240-1302) — 153 — La Vierge aux anges. — C'est un tableau étrange, hiératique et barbare. La Vierge, assise sur un trône, ouvre de grands yeux et tient sur ses genoux un enfant Jésus aussi immobile que sa mère. Des anges nimbés d'or et régulièrement superposés sont placés à ses côtés. Les draperies, à plis symétriques, ne laissent pas deviner la forme humaine qu'ils enveloppent; on voitque la peinture n'est pas encore dégagée de la chrysalide où l'en serrait le moyen âge. Cependant ce tableau, exécutée pour l'église de San Francesco de Pise, est un des ouvrages célèbres du vieux peintre, et pourrait soutenir la comparaison avec la fameuse Madone de Santa Maria Novella de Florence, que le peuple, dans son enthousiasme, porta triomphalement dans les rues de la ville et que Charles d'Anjou alla visiter dans l'atelier de l'artiste.
« Cimabué fit ensuite pour la même église (de San Francisco de Pise), un grand tableau représentant l'image de Notre-Dame avec l'Enfant Jésus à son cou et un grand nombre d'anges autour d'elle ; le tout sur un fond d'or. Il fut enlevé, il y a peu de temps, de l'endroit où il avait été mis primitivement, afin de construire l'autel de marbre que l'on y voit maintenant, et placé dans l'intérieur de l'église à côté
de la porte, à main gauche. Cimabué reçut des Pisans pour cet ouvrage beaucoup d'éloges et une riche récompense. » VASARI.
Il est aujourd'hui bien difficile de s'expliquer l'admiration que pouvaient inspirer autrefois de pareils ouvrages. Mais ce tableau, par sa raideur même a l'avantage de déterminer très-nettement une époque, et en le prenant comme point de départ, on jugera aisément de l'immensité des efforts qui ont été faits pour arriver au siècle d'or, dont les chefs-d'œuvre sont à quelques pas plus loin dans le même musée.
BENOZZO GOZZOLI (1420-1498) — 199 — Le triomphe de saint Thomas d'Aquin. — Benozzo Gozzoli, le peintre du Campo Santo, a exécuté peu d'ouvrages de petite dimension, et Vasari signale notre tableau comme le meilleur qu'il ait fait.
« Dans le dôme (à Pise), derrière le siége de l'archevèque, il peignit en détrempe, sur un petit panneau, un saint Thomas d'Aquin au milieu d'un grand nombre de docteurs qui discutent sur ses ouvrages.
Parmi ces figures, on remarque le pape Sixte IV, une foule de cardinaux, de chefs et de généraux de différents ordres religieux. Ce tableau est le meilleur et le plus fini que Benozzo ait jamais fait. » VASARI.
C'est, en effet, du dôme de Pise que vient cette bizarre composition, qui se divise en trois zones. En haut, on voit le Christ avec saint Paul tenant son glaive, Moïse portant les tables de la loi et les quatre évangélistes écrivant sous l'inspiration divine.
Dans la zone centrale, saint Thomas d'Aquin, portant ses livres sur ses genoux, et escorté de Platon et Aristote, debout à ses côtés, apparaît dans un disque de lumière; sous ses pieds est étendu, foudroyé par l'éloquence du saint, le docteur de l'Université de Paris, Guillaume de Saint-Amour qui fut l'adversaire des ordres mendiants. Enfin, au bas du tableau, le pape Alexandre IV, entouré des cardinaux, préside l'assemblée d'Agnani, où fut débattue la querelle des ordres mendiants.
FRA FILIPPO LIPPI (1412-1469) — 220 — La Nativité. — Filippo Lippi est en quelque sorte le père du réalisme. En place des fonds d'or des maîtres primitifs, nous avons ici un véritable paysage et une étable en ruines dont toutes les pierres sont peintes une à une avec une inexpérience naïve, mais bien intéressante pour l'historien de l'art.
Ce qui ajoute encore à l'intérêt de ce tableau, c'est que la Vierge nous montre l'image de cette Lucrezia Ruti, pensionnaire du couvent pour lequel Filippo Lippi peignit cette Nativité, et qui fut enlevée par le peintre. Vasari raconte ainsi cette histoire : « Les religieuses de Sainte-Marguerite lui ayant commandé le tableau du maître-autel, il aperçut un jour, pendant qu'il y travaillait, une fille de Francesco Buti, citoyen florentiu, envoyée là comme pensionnaire ou comme novice. Fra Filippo remarqua Lucrezia ; c'était le nom de la belle et gracieuse jeune fille et s'y prit de telle façon qu'il obtint des religieuses de faire son portrait pour représenter la Vierge dans le tableau qu'il exécutait. Ce rapprochement ayant encore augmenté son amour, il fit tant et si bien qu'il détacha Lucrezia des religieuses et l'enleva précisément le jour où elle allait voir l'exposition de la ceinture de la Vierge, relique vénérée de l'endroit (Prato). Un tel événement fut un sujet de honte pour les religieuses et de peu de satisfaction pour Francesco, père de Lucrezia, qui mit tout en œuvre pour ravoir sa fille. Mais celle ci, soit par peur, soit par tout autre motif, ne voulut jamais revenir. Elle resta donc avec Filippo, dont elle eut un fils, aussi nommé Filippo, et qui fut, comme son père, un peintre habile et célèbre. » VASARI.
Ce fils, plus connu sous le nom de Filippino, est celui dont on admire les fresques à l'église del Carminé de Florence. Quant à Filippo Lippi, il mourut, dit-on, empoisonné par le père de la jeune fille qu'il avait enlevée.
ANGELICO DE FIESOLE (Fra Giovanni — 1387-1455) — 182 (+) Le couronnement de la Vierge.
« Le tableau dans lequel Fra Giovanni; se surpassant lui-même, montra une grande habileté et une haute intelligence de l'art, fut surtout celui placé dans la même église (Saint-Dominique de Fiesole), à côté de la porte, en entrant à main gauche. Il a représenté JésusChrist couronnant la Vierge au milieu d'un chœur d'anges, d'une multitude infinie de saintes et de saints, si nombreux, si bien faits, avec des tètes et des poses si variées, que l'on éprouve un plaisir d'une douceur incroyable à les contempler. Il semble même que les esprits des bienheureux ne peuvent être autrement dans le ciel, ou, pour mieux dire, ils seraient ainsi s'ils avaient un corps, car non-seulement ces bienheureux sont vivants, leurs traits délicats et doux, mais le coloris entier de ce tableau paraît l'ouvrage d'un saint ou d'un ange semblable à ceux qui y sont retracés. C'est donc avec bien grande justice que ce bon religieux a toujours été appelé frère Giovanni Angelico.
Dans le gradin, les sujets de l'histoire de la Vierge et de saint Dominique sont également divins dans leur genre. Aussi, quant à moi, je puis affirmer avec vérité que je ne vois jamais cet ouvrage sans qu'il
me paraisse nouveau, et lorsque je le quitte, il me semble que je ne l'ai pas encore vu. » VASARI.
Pour désigner avec précision les élus représentés, l'artiste a écrit le nom des uns autour de l'auréole ou sur les bords du vêtement, et a donné à d'autres des symboles qui les font reconnaître. Ainsi, à gauche, on lit les noms de Moïse, de saint Jean-Baptiste, des apôtres saint André, saint Pierre, saint Barthélemy, saint Jacques le Mineur, saint Simon. Les évangélistes saint Jean et saint Marc ont un livre à la main. Saint Augustin, évêque d'Hippone, tient une plume. Les chefs d'ordres, saint Benoît, saint Antoine, saint François d'Assise, ont des manteaux parsemés d'étoiles ou de fleurs d'or. Saint Dominique porte une tige de lis et un livre. Un soleil sert d'agrafe au manteau de saint Thomas d'Aquin. L'empereur Charlemagne a sa couronne décorée de fleurs de lis. Enfin saint Nicolas, évêque de Myre, a pour symbole, près de lui, trois boules d'or qui font allusion aux trois bourses d'or qu'il jeta à un pauvre gentilhomme pour établir ses trois filles qu'il était prêt à abandonner à la séduction.
A droite, au-dessous des anges, on lit autour des auréoles les noms du roi David, des apôtres saint Mathias, saint Paul, saint Thadée, saint Jacques le Majeur, saint Philippe, et de l'évangéliste saint Mathieu. On reconnaît saint Pierre le Dominicain à la blessure qu'il reçut à la tète; saint Laurent, au gril. Saint Étienne, une palme à la main, est revêtu d'une dalmatique ; saint Georges est armé ; la Madeleine, à genoux, présente un vase de parfums ; sainte Cécile est couronnée de roses ; le voile de sainte Claire est parsemé de croix et d'étoiles d'or ; sainte Catherine d'Alexandrie s'appuie sur la roue, instrument de son supplice; enfin sainte Agnès tient un jeune agneau dans ses bras.
CAT. VILLOT. (Notice des tableaux.) Les petits sujets placés autour du tableau sont : Vision du pape Innocent III. — Saint Pierre et saint Paul apparaissent à saint Dominique. — Saint Dominique ressuscite un jeune homme.
— Le Christ debout dans le tombeau. — Miracle du livre envoyé aux Albigeois par saint Dominique. — Les anges servent la table des religieux de saint Dominique. — Mort de saint Dominique.
Cet admirable tableau est d'une merveilleuse conservation, le temps, qui ternit tout, semble avoir respecté l'éclat et l'idéale fraîcheur de cette peinture, qui est délicate comme une miniature de missel. Angelico de Fiesole est vraiment le peintre du paradis ; Vasari parle avec admiration de ce religieux modeste qui refusa par humilité l'archevêché de Florence, et qui, après avoir partagé sa vie entre la peinture et l'exercice des vertus monastiques, mourut sans se douter qu'il était un saint et un des maîtres de l'art. A l'exemple des peintres de
miniature, il craint d'atténuer par des demi-tons et des ombres la vivacité de ses teintes ; il évite de laisser deviner le nu sous les draperies, mais on ne songe pas à se demander si c'est par ignorance de la forme ou par un sentiment de chasteté chrétienne ; la critique s'arrête devant la suave naïveté de ses vierges et de ses anges, le charme délicat de leur tête et leur expression de béatitude céleste On devine l'artiste sincère et convaincu qui jeûnait avant de peindre la figure du Christ et qu'on trouvait sanglotant devant ses tableaux, la face prosternée contre terre, quand il représentait la Passion.
SACCHI (commencement du seizième siècle). — 354. — Les quatre docteurs de l'Eglise.
Sous un portique ouvert, soutenu par des pilastres décorés de riches arabesques, les quatre docteurs de l'Eglise latine sont assis autour d'une table de marbre blanc ; auprès d'eux on remarque les symboles donnés aux évangélistes : à gauche, l'aigle est à côté de saint Augustin, évêque d'Hippone; à droite, le bœuf, auprès du pape Grégoire le Grand; l'ange, auprès de saint Jérôme; le lion ailé, auprès de saint Ambroise, occupé à tailler une plume ; devant lui une discipline indique sa conduite sévère envers l'empereur Théodose, qui avait puni trop rigoureusement les habitants de Thessalonique. Sur un cartel posé près du pied de la table, on lit : PETRI-FRANCISCI-SACHI-DE-PAPIA, OPVS 1516. VILLOT. (Notice des tableaux.) BOTTICELLI (1447-1510). — 184. — La Vierge, l'Enfant-Jésus et saint Jean.
COSIMO ROSSELLI (1438-1507) — 347 — Vierge glorieuse. —
La Vierge, assise sur les nuages, tient l'enfant Jésus, qui regarde saint Bernard écrivant; à gauche, la Madeleine est agenouillée.
LORENZO COSTA (1460-1535) — 154 — La cour d'Isabelle d'Esté, duchesse de Mantoue. — Cette duchesse de Mantoue, protectrice éclairée des artistes, avait rassemblé une superbe collection de tableaux, dont plusieurs sont maintenant au Louvre. Lorenzo Costa avait été appelé à Mantoue pour y exécuter d'importants travaux.
«Un de ses tableaux représente la Cour d'Isabelle d'Este, marquise de Mantoue, et caractérise avec une véritable poésie le mélange singulier d'idées romantiques et classiques qui dominait alors la civilisation italienne. Deux jeunes filles, au regard de vierge, sont assises sur le
remier plan d'une prairie tout émaillée de fleurs. L'une couronne un aureau, emblème de la force ; l'autre entoure de ses bras un agneau, ymbole de l'innocence. A gauche, un guerrier vient de trancher la tète l'un dragon. A droite, une jeune femme, le torse nu, est debout, tenant n arc et une flèche. Elle regarde de face, avec un mélange de canleur et de fierté qui force à baisser les yeux devant elle. Un peu plus oin, un Amour, qu'une Muse tient sur ses genoux, pose sur la tète l'Isabelle d'Esté la couronne de lauriers. Autour de ce groupe princial, des philosophes, des poëtes, des musiciens, rêvent, écrivent, chanent, jouent du violon, du luth, du théorbe. Enfin, sur un plan secon- laire, on voit des cavaliers qui combattent à outrance. Tout cela (d'un lessin délicaf et d'une couleur charmante) est encadré dans de frais mbrages, avec l'horizon profond d'un lac comme perspective, et de )elles montagnes couronnées par un ciel dont l'azur est irréprochable.
l y a là plus qu'un tableau délicieux, plus qu'un rêve de bonheur, il y a comme le résumé de la vie élégante et intellectuelle d'une société affolée d'érudition, éprise de galanterie, avide d'épopées romanesques.» GRUYER. (Raphaël et l'Antiquité.) CIMA DA CONEGLIANO (? -1517) — 152 — La Vierge et l'Enfant Jésus.
Regrettons aussi d'avoir une seule œuvre de ce maître estimable, qui fut l'élève et le contemporain de Bellini, dont il porta les leçons dans toute l'Italie supérieure. Sa Vierge glorieuse, adorée par la Madeleine et l'apôtre bien-aimé, est assurément un beau spécimen du style de son maître, resté, avant Giorgione, à sa première manière. Mais, sous cette imitation de Bellini, dont elle couvre un peu l'absence, on reconnaît Cima lui-même, non au petit lapin (coniglio) qu'il a placé comme une signature dans la plupart de ses compositions, mais à son habituel défaut : les tètes trop petites et les traits du visage trop mignons. » VIARDOT. (Musées de France.) LE PÉRUGIN (1446-1524) — 129 — Combat de l'Amour et de la Chasteté. — Ce tableau, qui n'est pas un des meilleurs du maître, appartenait à la duchesse de Mantoue, Isabelle d'Este, dont nous avons vu la cour tout à l'heure.
« Le tableau du Combat de l'Amour et de la Chasteté, que nous possédons au Louvre, montre Pérugin plus dégagé des entraves du mys- ticisme ombrien. Dans cette composition, peinte en détrempe avec une remarquable indépendance, l'artiste n'a reculé devant aucune des manifestations du nu. Le sujet est obscur et diffus. C'est un mélange compliqué d'allégories et de mythologie, dans le goût de l'époque, et dont il est difficile aujourd'hui de saisir avec précision le sens moral et philosophique. Au milieu d'une prairie consacrée à Vénus, de nombreux Amours, armés d'arcs d'or et de torches enflammées, s'achar-
nent après des nymphes, les tirent par les cheveux, les enchaînent et les brûlent. Survient la Chasteté, qui brise les armes des terribles enfants. Des Satyres, qui font cause commune avec les Amours, comme eux sont châtiés. Au fond, sur les bords d'un lac paisible, sont représentés divers épisodes des Métamorphoses. »
GRUYER. (Raphaël et l'antiquité.) BIANCHI (?-1510) — 70 — La Vierge et l'enfant Jésus.
« Dans le tableau de Francesco Bianchi, dit Firaril, et dont la vie est peu connue, quoique ce soit un grand artiste, on retrouve la même disposition symétrique que dans le cadre de Cima da Conegliano, mais le sentiment est tout autre. La Vierge, assise sur un trône richement orné, tient dans ses bras l'enfant Jésus. Sur les marches du trône, deux anges jouent de la viole d'amour et de la mandore. A gauche du spectateur, saint Benoît, en abbatiaux richement brodés, tient d'une main un livre et de l'autre la crosse. A droite, saint Quentin, revètu de son armure, appuie la main sur son épée dans une attitude d'une élégance chevaleresque. Le saint a la tète nue, une tète juvénile et fière, et le paladin chez lui est plus visible que le bienheureux. Saint Benoît a aussi l'air passablement impérieux, et la Vierge elle-mème se fait remarquer par une grâce un peu hautaine. De sveltes colonnes en style de la renaissance, soutenant des arcades où grimpent quelques brindilles de feuillage, forment le fond du tableau. »
THÉOPHILE GAUTIER.
paroi de gauche (en commençant par le fond de la salle.) GIOTTO (1276-1337) — 192 — Saint François d'Assise recevant les stigmates. — Ce tableau, bien qu'il soit encore barbare, montre un progrès immense sur la Vierge aux Anges, de Cimabué, qui est placée vis-à-vis. On sait que Giotto était un petit pâtre, que Cima- buë rencontra un jourdessinant une chèvre et qu'il emmena avec lui : le gardeur de moutons devint peintre, sculpteur, architecte, et renouvela la face de l'art. Le miracle qu'il a ici représenté était alors une histoire toute récente : saint François d'Assise, retiré dans les montagnes et halluciné par des jeûnes excessifs, vit en extase un chérubin à six ailes, figurant le Christ ; les rayons qui partaient des pieds et des mains de cette figure céleste imprimèrent sur le saint le stigmate des plaies du Sauveur, stigmate réel qui persista après la vision. Le saint est d'une maigreur ascétique et le paysage se découpe sur une cou- che d'or gaufrée; le dessin est incorrect, et on voit par le ton de l'ensemble que l'art du coloris est encore dans l'enfance. Mais la raideur hiératique a disparu, le geste a l'intention d'exprimer
un sentiment ; dans les trois petits sujets qui accompagnent le grand, on voit percer l'idée du groupe et de la relation qui doit exister entre les personnages et les relier entre eux. Ce tableau, qui appartient à la jeunesse du peintre, ne peut encore faire pressentir les décorations de Rome et de Padoue, mais il a une grande importance dans l'histoire de l'art et est noté dans Vasari, qui en donne la description suivante : « Ayant terminé ce Saint François (à Assise), il revint à Florence, où, à peine arrivé, il peignit, avec un soin extrême, pour l'envoyer à Pise, un tableau représentant saint François au milieu des affreux rochers de la Vernia. En effet, outre un paysage rempli d'arbres et de rochers, choses nouvelles pour l'époque, on remarque, dans l'attitude expressive de saint François agenouillé, recevant les stigmates, un ardent désir de les recevoir, et un amour infini pour Jésus-Christ qui, apparaissant dans le ciel entouré de séraphins, exauce les prières du saint. Sa ferveur est si bien exprimée, qu'on ne peut rien imaginer de mieux. Au-dessous du même tableau se trouvent trois sujets tirés de la même vie du même saint François. Ce tableau, qu'on voit ajourd'hui à Saint-François de Pise, sur un pilier voisin du maître-autel est tenu en grande vénération, comme ouvrage d'un si grand homme, et fut cause que les Pisans, qui venaient de finir les constructions du CampoSanto, donnèrent à Giotto la peinture d'une partie de la façade intérieure. » VASARI.
Les petits sujets placés en bas de la scène principale représentent : la Vision du pape Innocent III, à qui saint Pierre conseille de soutenir l'ordre fondé par saint François, le Pape Innocent III donnant à saint François les statuts de son ordre, et Saint François parlant à des oiseaux. En effet, saint François appelait les hirondelles ses sœurs, et les oiseaux chanteurs venaient faire l'accompagnement des cantiques qu'il chantait.
PAOLO UCCELLO (1397-1475) — 166 — Bataille.
« De nombreuses figures de cavaliers et de fantassins garnissent la composition. An milieu le général en chef, monté sur un cheval noir, vu en raccourci, couvert de son armure, mais sans casque et coiffé d'un énorme turban, s'élance en brandissant son épée. Derrière lui, s'agitent deux étendards, dont l'un est argent et noir, dont l'autre est rouge et porte une licorne. Plusieurs cavaliers armés de lances, portant des casques ornés de plumes étrangement disposées, et visière baissée, se tiennent au repos vers la droite. On remarque au milieu d'eux un fantassin armant son arbalète. A gauche, les guerriers à cheval mêlés de nombreux fantassins, partent au galop, la lance en avant. Les trompettes sonnent la charge.
« Paolo Ucello avait peint quatre tableaux de ce genre à Gualfonda, chez les Bartolini : celui que nous venons de décrire, un autre qui se trouve au musée de Florence, et un troisième qui fait partie de la Galerie nationale de Londres. Nous ignorons le sort du quatrième.
CAST. REISET.
FRANCIA (1450-1517) — 307 — Le Christ en croix. — Job est étendu au pied de la croix, la Vierge et saint Jean sont debout de chaque côté. Ce tableau est signé : FRANCIA AURIBAFER. En effet, ce peintre était également orfèvre, et par une coquetterie d'artiste assez singulière, il signait ses pièces d'orfèvrerie : FRANCIA PICTOR.
FILIPPO LIPPI (1412-1469) — 221 — La Vierge et l'enfant Jésus. — La Vierge, debout devant un trône, tient dans ses bras l'enfant Jésus, qu'adorent deux saints abbés agenouillés. Des anges tenant des lisses sont rangés autour de la Vierge. On croit reconnaitre le peintre dans le portrait du religieux carme placé au-dessus de l'enceinte du trône et sous l'aile de l'ange qui est à la gauche du spectateur.
LE PÉRUGIN (1446-1524) — 427 — Sainte Famille. — La Vierge est accompagnée de saint Joseph et de sainte Catherine.
MANTEGNA (1431-1506) — 251 (+) La Vierge de la Victoire. —
Cette Vierge repose sur un trône resplendissant qu'ombrage un berceau de verdure, entre saint Michel, le chef de la milice céleste, et saint Georges, le vainqueur du dragon, qui soutiennent son manteau. Saint Longin, coiffé d'un casque rouge, et saint André, patron de la ville de Mantoue, se tiennent à ses côtés, ainsi que saint Jean et sainte Elisabeth. Sur les marches du trône, le marquis de Mantoue, François de Gonzague, armé de pied en cap et portant le collier de Saint-Maurice, vient rendre grâce à la Madone, qui lui tend la main en signe de protection, tandis que l'enfant Jésus lui donne sa bénédiction. — 250 — Le Calvaire. — Ce petit tableau n'est qu'un fragment d'un tableau d'autel de Saint-Zénon à Vérone. Les deux autres parties de cette prédelle sont au Musée de Tours. Il y a dans cette antique peinture une émotion sincère, et la douleur des saintes femmes est communicative. Les larmes qu'elles répandent sont bien de vraies larmes, et si l'on sourit de la naïveté du peintre,
qui, pour exprimer un terrain montant, fait surgir des tètes du cadre au bas de son tableau, il faut bien s'incliner devant la puissance avec laquelle il traduit son idée.
VITTORE CARPACCIO (fin du quinzième et commencement du seizième siècle) — 113 — Prédication de saint Etienne à Jérusalem. — Le saint, debout sur un piédestal antique, prêche devant les Orientaux. On croit que l'artiste s'est peint parmi les spectateurs, sous les traits du personnage ayant un babit bleu, un bonnet violâtre et une longue barbe à laquelle il porte la main.
BELTRAFFIO (1467-1516) — 72 — La Vierge de la famille Casio.
— La Vierge tient l'enfant sur ses genoux ; à gauche saint JeanBaptiste debout et devant lui Girolamo Casio en adoration. A droite, saint Sébastien et Giacomo Casio, couronné de lauriers, agenouillé. Dans le haut un ange jouant de la mandoline.
MANTEGNA (1431-1506) — 253 — La Sagesse triomphant des vices. — La sagesse apparaît sous les traits de Minerve, qui est accompagnée des principales vertus personnifiées. Elle chasse les vices, qui sont caractérisées par des personnages horribles et difformes. L'aspect des pauvres vices n'est vraiment pas séduisant, mais si le peintre pousse l'énergie des formes jusqu'à la caricature, il est toujours expressif et ne connaît pas la banalité.
« Son allégorie de la Sagesse victorieuse des vices, en dépit de la complication et de l'obscurité du sujet, atteste une verve, une abondance, une pureté, une profondeur de sentiment, en présence desquelles on ne peut demeurer insensible. Comme le laid s'efface et fuit devant le beau ! Comme la marche de Minerve est irrésistible ! Quelle dignité dans les figures de la Philosophie et de la Chasteté ! Devant ces vertus, l'Inertie et l'Oisiveté rentrent dans leur bourbier, tandis que la Fraude, la Malice, l'Ivrognerie, la Luxure, l'Ignorance, l'Ingratitude et l'Avarice se dispersent et disparaissent. La Luxure, avec ses pieds de Satyre, est bien belle, et il y a une superbe passion dans la manière dont elle emporte ses enfants, dans le geste par lequel elle les protège en les serraut contre son sein. Si j'insiste sur ces tableaux, c'est qu'ils sont une des gloires de notre Musée. » GRUYER. (Raphaël et l'antiquité.) BELLINI (1426-1507). — 60. — Réception d'un ambassadeur vénitien an Caire. — Ce tableau était autrefois attribué à Gentile Bellini; maintenant il est catalogué sous le titre de Ecole de Gian Bellini.
« Domenico Trévisan, procurateur de Saint-Marc, ambassadeur de la République de Venise, accompagné de cinq personnages de sa suite, est debout devant le sultan Canson Ghoury assis. L'audience a lieu (10 mai 1513) dans une des cours de la citadelle du Caire, à la à la porte d'une salle qui existe encore et porte le nom de Dionan el Ghoury. A la gauche du sultan sont assis les deux plus hauts fonctionnaires de l'État, le Douadar et l'émir Kébir. Les personnages vêtus de blanc qui ss tiennent debout sous la porte sont des émirs commandant mille cavaliers. L'interprète mamelouck désigné sous le nom de Véronèse est vu de dos. A gauche chameaux et cavaliers, dans le fond édifices du Caire, » Ces renseignements sont dus à l'obligeance de M. Ch. Schefer, directeur de l'Ecole des langues orientales vivantes, qui possède la relation manuscrite de l'ambassade de Trévisan, rédigée par Zaccaria Pagani, de Bellune.
» Gentile Bellini étant mort en 1507, la date de l'ambassade (1512), a dù faire modifier l'ancienne attribution de ce tableau à Gentile. »
TAUZIA. (Notice des tableaux.) LORENZO DI CREDI (1459-1537) — La Vierge et l'enfant.
«Le meilleur ouvrage que Lorenzo ait peut-être jamais fait, celui qu'il étudia avec le plus de soins et où il se montra supérieur à luimême se trouve dans une chapelle de Costello. Il représente la Vierge, saint Julien, saint Nicolas, L'examen de cette peinture, exécutée avec une recherche qu'on ne peut surpasser, fait voir combien, dans les peintures à l'huile, le soin contribue à la conservation. »
VASARI.
PAOLO UCCELLO (1397-1475) — 165 — Portraits de Giotto, Paolo Uccello, Donatello, Brunelleschi et Giovanni Manetti.
« Puis enfin, sur une tavola très-large et très-basse, cinq portraits en buste, placés à la file, que l'on attribue à ce Paolo Ucello di Dono qui passe pour le principal inventeur des règles de la perspective linéaire, règles que Léonard appelle, avec justesse, « la bride et le timon de la peinture. » Tout absorbé dans les mathématiques de l'art, Uccello négligea l'art lui-même et ne laissa que de fort rares ouvrages. Ces portraits réunis sont doublement précieux, si l'on peut accepter les noms qu'ils portent, car, à côté de ceux d'Ucello lui-même et d'un certain Giovanni Manetti, qui l'aida comme mathématicien dans ses essais de perspective, se trouvent les portraits du grand peintre Giotto, du grand statuaire Donatello et du grand architecte Brunelleschi. » Louis VIARDOT. (Musées de France.) Vasari raconte la passion que Paolo Ucello avait pour la perspective, qui était alors une grande nouveauté. Il travaillait sans cesse, et quand sa femme le suppliait de vouloir bien dormir un peu, il répondait, avec l'enthousiasme d'un inventeur :
« Ah ! si tu savais quelle douce chose est la perspective ! »
MANTEGNA (1431-1506) — 252 (+) Le Parnasse. — Ce tableau présente une composition allégorique assez bizarre, mais pleine d'élégance, et qui nous montre la science mythologique du temps. Apollon, assis à gauche au premier plan, tire des sons harmonieux de sa lyre, et les Muses dansent devant lui en se donnant la main. Sur un rocher percé, on voit Vénus debout, près de Mars armé de sa lance et revêtu de son armure, tandis que Vulcain, au milieu de sa forge, est agacé par l'Amour et menace la déesse et son rival. Dans le coin, Mercure, appuyé sur Pégase, tient le caducée. Il y a là certainement bien des étrangetés, mais quelle gràce exquise, quelle souplesse de mouvement dans cette ronde des Muses ! Et comme on sent que l'artiste, encore tout imprégné des raideurs de l'âge précédent, trouve une vraie joie à imiter ces cambrures de forme dont les bas-reliefs antiques lui ont révélé le secret. Mantegna est un des maîtres qui ont le mieux caractérisé l'esprit de la Renaissance.
Il avait été élevé par son maître Squarcione dans le culte de la statuaire grecque, et ne cessa jamais de croire, dit Vasari, que les chefs-d'œuvre de l'antiquité étaient plus achevés que la nature elle-même.
Première travée.
La première travée de la grande galerie contient les œuvres des écoles italiennes pendant le seizième siècle : c'est, comme nous l'avons dit déjà, le siècle d'or de la peinture. Partout en même temps l'art atteint le plus haut point où il soit parvenu.
Léonard de Vinci est à Milan, Michel-Ange à Florence, Raphaël à Rome, Titien à Venise, Corrége à Parme. Ils sont tous contemporains et s'ils n'appartiennent pas à la même génération, ils auraient pu se connaître. Comme un enfant prodigue dissipe en un jour les richesses accumulées par une longue suite d'aïeux prudents, l'Italie, préparée depuis trois cents ans, donne au monde le spectacle des plus magnifiques génies dans tous les genres, et des plus merveilleux chefs-d'œuvre que la pensée humaine puisse concevoir.
Nous n'avons pas, on le comprend, à parler ici des diverses écoles qui constituent l'art italien du seizième siècle, puisque, dans le classement des tableaux, ces écoles n'ont pas été sépa-
rées. Cependant il est bon de caractériser la tournure que l'art a pris dans ses deux centres principaux, Florence et Venise, car ce sont là les deux souches auxquelles se rattachent toutes les écoles italienne. A Florence, la pensée a toujours eu le pas sur la sensation : Venise a le patrimoine de la couleur. A Florence, l'exécution se fait la très-humble servante de l'idée : à Venise,, l'artiste emploie tout son génie dans la contexture de son tableau et ne voit rien au dehors de sa toile.
Quand Raphaël s'entretient avec Fra Bartolommeo sur les types divins, celui-ci lui montre le ciel, source de l'inspiration ; Angelico de Fiesole jeûne et se prosterne avant d'oser peindre le Christ; Michel-Ange, sans cesse obsédé par l'idée de Florence qui tombe et entraîne l'Italie dans sa chute, sculpte et peint avec des rages concentrées ; son émotion qui déborde prépare la voie au maniérisme, qui voudra imiter les résultats sans avoir puisé aux mêmes sources. Suivons maintenant Giorgione et Titien, Paul Véronèse et Tintoret, ces merveilleux artistes dont toute la vie n'a obéi qu'à une seule et unique conviction, le désir de bien peindre. Tout ce que nous savons de leurs entretiens, tout ce que révèlent leurs lettres intimes, atteste la préoccupation qui les a absorbés. C'est toujours l'opposition des couleurs, la dégradation des teintes, l'harmonie ou l'éclat de la lumière, l'observation constante de la nature, étudiée non en vue d'en rendre l'expression intime, ni pour exprimer une pensée par le langage des formes, mais comme base de ces grandes constructions décoratives qui ont pour principe la fantaisie, pour moyen l'exécution savante, pour but l'éblouissement.
A Florence, le dessin consiste moins dans la grâce des formes que dans la grande tournure des personnages. Depuis Giotto jusqu'à Michel-Ange, la partie pratique de l'art a sans cesse progressé, mais l'inspiration, toujours puissante, dédaigne les charmes du sourire. Après Michel-Ange, quand vient la décadence, la peinture ne tourne pas à l'afféterie, comme cela s'est fait ailleurs ; toute l'école, au contraire, exagère le principe violent du maître et tombe dans les convulsions et la manière.
Tout autre se montre à Venise la décadence de l'art : après les magnificences de Titien et de Paul Véronèse, les artistes, de plus en plus attachés à l'exécution matérielle et à la partie
technique de la peinture, deviennent des praticiens d'une inconcevable habileté; mais l'inspiration leur fait défaut. Et quand les deux grands foyers de la Renaissance ont ainsi disparu, l'école éclectique se forme de leurs débris et règne en souveraine sur toute l'Italie ; mais cette dernière phase de l'art italien est représentée dans la seconde travée, et nous n'avons pas à nous en occuper ici.
Panneau de gauche. — BONIFAZIO (? — 1553) — 74 — La sainte Famille, la Madeleine, saint François et saint Antoine RAPHAEL (1484-1520) — 374 — Portraits d'hommes. — On disait autrefois que ces deux personnages représentaient Raphaël et son maître d'armes : rien ne justifie cette dénomination, à laquelle il a fallu renoncer.
GAUDENZIO FERRARI (1184-1556) — 177 — Saint Paul en méditation.
LE TITIEN (1477-1776) — 454 — L'homme au gant. — Ce portrait d'un inconnu est extrêmement célèbre. — 453 — Portrait d'homme.
GIORGIONE (1478-1511) — Sainte Famille.
LE TITIEN (1477-1576) — 449 — Jupiter et Antiope. — Composition connue sous le nom de Vénus del Pardo. C'est une admirable peinture, malheureusement très-abîmée. Le roi d'Espagne Philippe IV, auquel il appartenait, en fit présent à Charles Ier, roi d'Angleterre ; il fut ensuite vendu par Cromwell et finalement acquis par Louis XIV. Deux fois ce tableau faillit périr dans un incendie, et il a dû subir d'importantes restaurations.
Antiope est couchée au milieu d'un riant paysage : Jupiter, qui a pris pour l'occasion la forme d'un satyre, vient contempler les traits de la belle dormeuse, et l'Amour qui vole dans les feuillages, profite de la circonstance pour décocher un trait au roi des dieux. Une femme, qui tresse des fleurs à côté d'un satyre, et des chasseurs avec leurs chiens, meublent le paysage, qui est de toute beauté.
FRA BARTOLOMMEO (1475-1517) — 57 (+) Sainte Famille. — Cet artiste, ardent disciple de Savonarole, prit l'habit de dominicain après la mort de son maître et demanda dès lors à la pensée religieuse toutes ses inspirations. C'est à Bartolommeo qu'on doit l'invention du mannequin à ressort, par lequel il espérait
pouvoir suppléer au modèle vivant, fort difficile à employer dans le couvent où il avait fixé sa retraite.
« Fra Bartolommeo, ce peintre moine, a dans cette galerie un tableau d'une grande importance et de première beauté. Sur un trône placé dans une sorte d'hémicycle, et dont le baldaquin est formé d'une draperie verte volante supportée par trois anges, la Vierge est assise et procède au mariage mystique de l'enfant Jésus et de Catherine de Sienne qui, agenouillée et tournant le dos au spectateur, reçoit des petites mains divines l'anneau de fiançailles. Cette cérémonie allégorique a pour témoins saint Pierre, saint Barthélemy, saint Vincent et d'autres saints et saintes tenant des palmes. Dans l'interstice des groupes, à la droite de la Vierge et un peu en arrière, on entrevoit deux moines qui s'embrassent avec les signes de la plus vive sympathie chrétienne : ce sont saint François et saint Dominique. Le peintre religieux, pour que l'œuvre de ses mains profitât à son âme, a écrit sur une des marches du trône, aux pieds de la Vierge, cette humble légende : Orate pro pictore M. D. X. I., est un peu plus bas, il a signé : Bartholome flor. or. Prœ., c'est-à-dire : Bartolommeo de Florence, de l'ordre des Frères prêcheurs. Fra Bartolommeo a une grande élévation de style. Ses types sont nobles et purs, et il a un goût de draperie plein de largeur. Sa couleur procède par grandes localités et s'il a reçu des conseils de Raphaël son ami, il a pu aussi lui en donner.
THÉOPHILE GAUTIER.
LE TITIEN (1477-1576). (+) Les disciples d'Emmaüs. — A côté de son admirable exécution, ce tableau montre bien l'indifférence profonde des Vénitiens au sujet de la pensée religieuse : en effet, le chien et le chat qui se disputent un os sous la table sont un hors-d'œuvre tout à fait indigne d'un sujet aussi grave.
Une tradition ancienne, mais aujourd'hui abandonnée, voulait donner des noms historiques aux personnages représentés sur ce tableau :
Dans les deux pèlerins et le page qui entourent la table du Christ à Emmaüs, on a prétendu voir les portraits du cardinal Ximénès, de Charles-Quint et de Philippe II adolescent. C'est là une de ces fables manifestes, assez communes dans les récits d'ateliers, dont l'origine traditionnelle est vraiment inexplicable. Ximénès, le ministre des rois catholiques, mort avant l'avénement de Charles au trône d'Espagne, et que Titien n'a jamàis vu ni pu voir, n'était pas un moine gros, gras et fleuri, mais un vieillard maigre et rigide ; Char- les-Quint était roux de cheveux et de barbe, avec une machoire de do- gue ; Philippe, très-blond, très-efféminé ; et leurs visages, tant de fois retracés par Titien lui-même, n'ont pas le moindre rapport avec ceux :
des personnages de ce tableau. En peinture aussi, voilà comme on écrit l'histoire.
VIARDOT. (Merveilles de la peinture.) SALVIATI (1510-1563) — 350 — L'incrédulité de saint Thomas.
JULES ROMAIN (1492-1546) — 291 — La Nativité. — Ce tableau est d'une coloration désagréable, mais d'une tournure superbe.
L'enfant Jésus, couché à terre sur de la paille, est adoré par la Vierge et saint Joseph à genoux : des bergers viennent s'incliner devant le Sauveur, et par un anachronisme qui n'est pas rare sous la Renaissance, saint Jean assiste à la naissance de l'Enfant-Dieu en tenant un calice d'où sort un serpent, et saint Longin s'appuie d'une main sur sa lance et de l'autre presse sur sa poitrine un mystérieux vase de cristal ; la lance est celle qui perça le Sauveur ; le vase, celui dans lequel les anges ont recueilli son sang et qui, sous le nom de saint Graal, a été l'objet des recherches pieuses des chevaliers du moyen âge. Le saint Longin est un guerrier barbu, armé à l'antique et d'une tournure magnifique, mais dont la coloration, verte dans l'ombre et rose dans la lumière, est plus étrange qu'heureusement trouvée.
LÉONARD DE VINCI (1452-1519) — 460 — La Vierge aux rochers.
— La gravure a popularisé cette composition, qui doit son nom à une grotte bizarre, toute hérissée de stalactites, dans laquelle la sainte Vierge présente le petit saint Jean à l'enfant Jésus qui le bénit. Un ange, d'une figure charmante que rehausse encore sa belle chevelure bouclée, accompagne le divin enfant.
«Malgré l'absence de tout document précis, c'est à la fin du premier séjour à Florence qu'il faut placer l'exécution du tableau du Louvre connu sous le nom de la Vierge aux rochers. Le style, le type des têtes et la manière violente dont le tableau est peint, ne permettent pas de le rapporter à une autre époque. Cet ouvrage, qui a beaucoup noirci,dont la composition est bizarre, est loin d'être une des meilleures inspirations de Léonard, et les figures des enfants, en particulier, sont parmi les moins bonnes qu'il ait faites. L'authencité de cette œuvre a été contestée. On a voulu n'y voir qu'une répétition du bel exemplaire qui appartient au duc de Suffolk. Je ne puis adopter cette opinion. La Vierge aux rochers appartenait à François Ier, et il n'est pas vraisemblable que, du vivant ou très-peu de temps après la mort de l'auteur, on se fût permis une fausse attribution. Il est d'ailleurs impossible de méconnaître une précision et une finesse de dessin,
une force de modelé qui décèlent la main du maître. Enfin, l'aspect peu agréable de la peinture est loin d'ètre un argument contre l'authenticité de cet ouvrage, car on sait que les œuvres les plus incontestables de Léonard sont loin d'avoir le coloris brillant, l'exécution facile et séduisante de celles de ses meilleurs élèves, et c'est même à cette circonstance qu'est due en grande partie la confusion qui lui a fait attribuer la plupart des tableaux sortis de son école. »
CHARLES CLÉMENT. (Michel-Ange, L. de Vinci, Raphaël.) PAUL VÉRONÈSE (1528-1588) — 99 — Les pèlerins d'Emmaüs Indépendamment de sa valeur artistique, ce tableau présente un grand intérêt de curiosité, car l'artiste s'y est représenté luimême avec sa famille.
« A droite, sa femme, debout, tient un petit erffant dans ses bras.
Deux de ses fils sont auprès d'elle; l'un parait vouloir se cacher derrière son manteau, tandis que l'autre, agenouillé, cherche à retenir dans ses mains un petit chien epagneul. Au milieu de la composition et au premier plan, deux petites filles vêtues de damas jouent devant la table avec un gros chien. Dans le fond à gauche, une ville et la campagne; les pèlerins et le Christ dans l'éloignement. » CAT. VILLOT
L'architecture se découpe sur un ciel qui a été bleu, mais qui est devenu d'un brun sombre et a pris l'aspect d'un marbre veiné. Malgré ce défaut, qui est dû non au peintre, mais à une réaction chimique, ce tableau est un des chefs-d'œuvre de Paul Véronèse, et le groupe des deux petites filles jouant avec un chien, est assurément un des plus beaux morceaux de peinture de l'école vénitienne.
RAPHAEL (1483-1520) — 366 — Saint Jean-Baptiste dans le désert. — En 1820, Louis XVIII donna ce table au sur la demande du duc de Maillé, à l'église de Longpont, petit village de Montlhéry (Seine-et-Oise). Là, le tableau se détériora tellement par l'humidité, que la fabrique, ne voulant plus le conserver, parce qu'on n'y voyait absolument rien, le rendit au duc de Maillé. Celui-ci étant mort, les héritiers le trouvèrent dans un grenier, et ne sachant ce que c'était, le firent vendre avec les vieux meubles de rebut. Il se présenta un acquéreur pour la somme de cinquante neuf francs, et celui-ci ayant reconnu sous la crasse et les champignons que c'était un tableau de maître, mais n'en connaissant pas la provenance, alla le proposer au Louvre pour soixante mille francs. Les conservateurs reconnu-
rent le tableau du Musée et refusèrent de le rendre. Un procès s'ensuivit, et un arrêt de la Cour royale, daté de 1838, fit restituer le tableau à la liste civile, sans autre indemnité que la somme de cinquante neuf francs. Ce tableau, malgré le soin avec lequel il a été restauré, porte les marques d'une dégradation déplorable.
LE TITIEN (1477-1576) — 445 (+) Le Christ couronné d'épines.
— Le Christ, un roseau à la main est assis sur les degrés du prétoire et insulté par les soldats. Au-dessus de la porte de la prison, on voit le buste de Tibère. Ce tableau dont Tintoret possédait l'esquisse, a été peint en 1533, pour le couvent de SainteMarie des Grâces des dominicains de Milan. Titien avait alors 76 ans.
Parmi les chefs-d'œuvre des plus grands coloristes, il en est peu que l'on puisse comparer à ce beau tableau du Titien. La composition doit obtenir des éloges à bien des égards ; le style même présente, dans quelques parties, des beautés assez remarquables ; mais tel est le mérite du coloris, que si on laissait à l'écart ce qui appartient à la composition et au style, ce bel ouvrage serait encore une des productions les plus étonnantes de l'art de peindre.
Le Christ a été livré à des soldats et à des bourreaux, qui, après l'avoir dépouillé de ses vêtements, et avoir jeté sur ses épaules un manteau de pourpre, frappent sa tête avec des bâtons pour y enfoncer une couronne d'épines, et le saluent roi des Juifs. Il est assis au-dessus de trois marches, qui paraissent conduire à une des salles du prétoire. Trois bourreaux sont debout, un à sa droite, un à sa gauche, un derrière lui; deux soldats s'inclinent à ses pieds, en lui présentant le roseau qui doit lui tenir lieu de sceptre : personnage principal, il brille seul au milieu de ce groupe circulaire, où cependant rien d'intéressant n'a été sacrifié.
EMÉRIC-DAVID. (Chefs-d'œuvre de la peinture moderne.) RAPHAËL (1484-1520) — 371 (+) Portrait de Balthasar Castiglione — Le personnage représenté dans ce merveilleux chefd'œuvre a joué un rôle politique important comme ambassadeur. Sa tète intelligente et virile est peinte avec une singulière énergie, il porte la barbe et les moustaches, et montre un œil plein de finesse.
Le célèbre comte Balthasar Castiglione naquit le 6 décembre 1478 à Casatico, maison de campagne possédée par sa famille dans le Mantouan, et mourut le 2 février 1529. Il est l'auteur d'un livre intitulé Il Cortegiano, qui eut beaucoup de réputation, et de poésies
italiennes et latines, parmi lesquelles se trouve une pièce sur la mort de Raphaël, son intime ami. Dans une lettre en vers latins, composée par Castiglione sous le nom de sa femme Hippolyte, il la fait parler ainsi, en son absence, de son portrait peint par Raphaël : « Seule, la représentation des traits de ton visage, peïnte de la main de Raphaël, allége toujours mes soucis ; je l'accable de douceurs, je lui souris, je me joue avec elle, je lui parle comme si elle pouvait répondre à mes paroles. Souvent ce portrait me semble vouloir exprimer ta volonté ou ton assentiment ; ton enfant le reconnaît et balbutie une parole de respect. Par lui je console et je charme la longueur de mes journées. » CAT. VILLOT.
ANDRÉ DEL SARTO (1487-1531) — 381 — Sainte-Famille.
FRA BARTOLOMMEO (1475-1517) — 56 — L'Annonciation.
RAPHAEL (1483-1520) — 372 (+) Portrait de jeune homme.
— Nous nous sommes tous arrêtés devant cette jolie tête d'adolescent à cheveux blonds, coiffé d'une toque noire, et mollement accoudé en poursuivant quelque rêve aimable et gracieux. Une tradition assez ancienne veut voir dans ce visage souriant un portrait de Raphaël lui-même, mais comme cette peinture appartient à la troisième manière du maître et nullement à sa période péruginesque, il faut renoncer à cette légende. Ce jeune garçon à l'œil doux, à la bouche fine et bienveillante n'est donc pour nous qu'un inconnu admirablement peint.
« Ce portrait est celui d'un jeune homme de quinze ou seize ans, « qui a la tête appuyée sur la main droite. Il est considérable par la « beauté du pinceau et par le savant mélange des couleurs. La tête « paraît vivante; le caractère du dessin est grand et ressenti à pro« pos, avec beaucoup de fermeté et de précision. On dirait que Ra« phaël l'a peint rapidement au premier coup. Il est, par là, plus « piquant qu'aucun autre que nous ayons de ce grand homme.
« Parmi quelques-uns, il passe pour être le portrait de ce peintre ; « mais on a peine à se persuader que dans un âge aussi peu avancé « que l'est le jeune homme représenté dans ce tableau, Raphaël fut « déjà aussi éloigné de sa première manière, qu'il le paraît dans le « tableau dont nous parlons. » MARIETTE. (Recueil d'Estampes de Crozat.) PAUL VÉRONÈSE (1528-1588) — 92 — L'évanouissement d'Esther. — 98 — Le calvaire.
LÉONARD DE VINCI (1452-1519) — 46 — Portrait de femme.
— Ce portrait si connu sous le nom de la Belle Ferronniére, rappelle plutot les traits de Lucrezia Crivelli, que Léonard pei-
gnit à Milan de 1483-1489. Ce serait donc, non pas la maîtresse de François Ier mais bien celle de Louis Sforce. Elle est vêtue d'une robe rouge ornée de nœuds aux épaules et de crevés d'or; ses cheveux sont lissés, et elle porte sur le front un bijou retenu par un cordonnet.
LE TITIEN (1477-1576) — 440 — La Vierge au lapin.
— « — 447 — Saint Jérôme. — 455 — Portrait d'homme.
LE BASSAN (1510-1592) — 302 — Portrait du sculpteur Jean de Bologne.
CALCAR (1510-1546) — 88 — Portrait de jeune homme. — Cet admirable portrait, par un maître peu connu en France, a quelquefois passé pour être celui d'André Vésale, mais l'écusson figuré sur la colonne exclut la probabilité de cette attribution.
A droite. — GARAFOLO (1481-1559) — 412 — La Circoncision.
PARIS BORDONE (1500-1570) — 81 — Nertumne et Fomone.
MARIOTTO ALBERTINELLI (1474-1515) — 16 — La Vierge et l'enfant.
JULES ROMAIN (1492-1546) — 294 — Vénus et Vulcain. — 293 Le triomphe de Titus et de Vespasien.
Vespasien et son fils Titus, vainqueurs de la Judée, la tète ceinte de lauriers et couronnés par la Victoire, sont debout dans' un même char attelé de quatre chevaux pie, et vont passer sous l'arc de triomphe érigé en mémoire de cet événement. Deux écuyers, couronnés de lauriers, conduisent les chevaux ; à gauche, un soldat, également couronné, porte un vase précieux. Devant le char, un officier romain tient par les cheveux une Juive, personnification de la Judée conquise ; il est précédé d'un soldat portant le chandelier à sept branches du temple de Jérusalem. Dans le fond, la campagne de Rome, où, peu de temps après, Vespasien fit construire le Colisée par les Juifs réduits à l'esclavage.
CAT. VILLOT.
LÉONARD DE VINCI (1543-1519) — 464 — Copie de la Cène, du réfectoire de Sainte-Marie des Grâces à Milan, elle a été com- mandée pour la chapelle du château d'Ecouen, par le connétable de Montmorency. Cette copie, quoiqu'un peu réduite est d'autant plus précieuse qu'il ne reste presque plus rien de l'original.
ANDREA SOLARI ( ? -1530) — 397 — La tête de Saint Jean-Bap- tiste.
LE TITIEN (1477-1576) — 448 — Le concile de Trente. Les membres du concile sont assis en face de l'autel ; des gardes sont au premier plan.
ANDRÉ DEL SARTO (1487-1531) — 379 (+) La Charité. — Ce tableau qui avait été peint pour François Ier, possède, indépendamment de sa valeur artistique, une grande célébrité dans l'histoire des restaurations de tableaux, car il est des premiers qui ayant été peint sur bois, pu être transporté sur toile quand le bois s'est trouvé complètement pourri. Il avait été peint pour François Ier « La Charité d'Andrea del Sarto brille d'un éclat incomparable sur cette muraille chargée de chefs-d'œuvre. Assise sur un tertre, une jeune femme, d'une beauté robuste et douce, souriante comme l'Amour, prodigue comme la Fécondité, abrite deux enfants dans son giron hospitalier. Un de ses seins, gonflés de lait, jaillit hors de sa robe entr'ouverte. A ses pieds, sur un pli de draperie, dort un jeune garçon avec l'insouciance d'un être qui se sent protégé par une bienveillance vigilante et supérieure. La Charité est vêtue de couleurs gaies, rose tendre et bleu turquoise, car la charité pour les malheureux c'est l'Espérance. Tout ce beau groupe rayonne d'une majesté tranquille. Jamais la bonté n'emprunta de traits plus charmants ni une grâce plus aimable. Cependant le peintre a su donner une indéfinissable expression d'indifférence à la figure de cette vertu, car la charité n'est pas la maternité. Elle n'a point porté dans ses entrailles ceux qu'elle allaite, et tous les malheureux sont ses enfants. Le ton mat et clair de cette magnifique peinture rappelle les tonalités de la fresque dont elle a toute la grandeur. Sur un papier jeté à terre, dans un coin du tableau, on lit le nom du peintre : Andreas Sartus Florentinus me pinxit. M. D. X. V. IIV. » TÉOPHILE GAUTIER.
PALME LE VIEUX (1480-1528) — 274 — L'annonce aux bergers.
— Superbe peinture d'un maître trop peu représenté en France.
LE TINTORET (1512-1599) — 337 — Portrait du Tintoret.
— l'artiste s'est peint lui-même dans sa vieillesse, la tête vue de face, avec les cheveux courts, une longue barbe blanche, et revêtu d'une toge noire bordée de fourrure. — 336 — Le Paradis. — Belle esquisse, mais qui ne saurait nous donner une idée suffisante des ouvrages et du style de ce maître.
LE TITIEN (1477-1576) — 442 — Sainte Famille.
LUINI — ( ? -1530) — 231 — Le sommeil de l'enfant Jésus.
LÉONARD DE VINCI (1452-1519) — 463 — Bacchus. — On a dit que ce Bacchus avait été primitivement un Saint-Jean, dont la croix de roseau serait devenu un thyrse. En tous cas, s'il y a eu une transformation, elle est pleinement justifiée par le caractère de la peinture, car cet adolescent au sourire sardonique rappelle certainement assez peu l'ascète farouche, qui vivait de sauterelles dans le désert, sans autre vêtement que sa peau de bête.
LE PONTORMO (1494-1557) — 143 — Portrait d'un graveur en pierres fines.
JULES ROMAIN (1492-1546) — 295 — Portrait d'homme. — Ce beau portrait, au teint olivâtre, était catalogué anciennement comme celui de l'artiste lui-même, et il a été gravé sous ce titre; le peu de ressemblance qu'il présente avec le portrait assurément authentique, des offices de Florence, a fait révoquer en doute cette attribution.
LÉONARD DE VINCI (1442-1519) — 458 — Saint Jean-Baptiste.
— Tout ce qu'a peint Léonard de Vinci porte un caractère énigmatique : le saint Jean-Baptiste que nous avons sous les yeux a la bouche souriante, le regard doux et voilé, la physionomie presque féminine ; les bras et les mains semblent avoir été ajoutés après coup, et son bien loin d'avoir la finesse de la tête, qui, pour nous, porte seule le cachet incontestable du maître.
Le Saint Jean est moins parfait que la Joconde, et cependant je ne crois pas que dans un autre de ses ouvrages Léonard se soit autant approché de l'idéal qu'il poursuivait; mais par quelle étrange fantaisie le peintre a-t-il mis une croix dans la main de cette figure profane ?
Ce Saint Jean est une femme, personne ne s'y trompe. C'est l'image de la Volupté : elle s'impose à l'esprit avec une incroyable puissance ; il semble qu'on l'ait vue vivante : elle est restée gravée dans l'imagination et dans le cœur comme ces souvenirs doucereux et charmants que l'on déteste et que l'on chérit.
CH. CLÉMENT. (Michel-Ange, L. de Vinci, Raphaël.) RAPHAEL (1483-1520) — 273 (+) Portrait de Jeanne d'Aragon, femme du prince Ascanio Colonna, connétable du royaume de Naples. — Ce portrait a été peint sur la demande du cardinal Bibbiena, qui l'offrit à François Ier. Selon Vasari, la tête seule aurait été peinte par Raphaël et le reste serait de Jules Romain.
Malgré un peu de sécheresse dans le contour, ce portrait est un des plus beaux morceaux de peinture du Louvre. Le personnage qu'il représente est d'ailleurs fort intéressant à connaître, à cause du véritable culte dont cette illustre princesse a été l'objet pendant la Renaissance. Le médecin Agostino Nifo (dit Nyphus) attiré par Léon X à la cour pontificale, dédia à Jeanne d'Aragon son traité latin de l'Amour et de la Beauté. Le style emphatique et bizarre qui était alors à la mode parmi les lettrés italiens, est particulièrement curieux dans cette dédicace : « Très-illustre Jeanne, lorsque je me demandai quel était celui de mes ouvrages que je pourrais te présenter, je songeai aussitôt à un livre divisé en deux parties, dont l'une traite de la Beauté et l'autre de l'Amour, livre qui n'a pas d'autre objet que de te rendre hommage et de te témoigner mon profond respect. Car, quoique le divin Platon ait déjà minutieusement traité ces deux sujets, j'ai pourtant osé y revenir après lui, parce que, au commencement, au milieu et à la fin de mon ouvrage, ta beauté m'a toujours fourni des arguments. Par le fait seul de la contemplation et de l'analyse de cette beauté divine, mon livre ne sera pas seulement beau, il sera admirable. Et, comme mes talents dans l'art de la description sont bien plus faibles que les charmes irrésistibles qui font l'ornement de ta personne, c'est ta beauté qui viendra suppléer à l'imperfection de mon œuvre ; c'est ta beauté seule qui va paraître au grand jour avec mon livre ; c'est elle qui rendra le nom de l'auteur tellement célèbre, que j'ose espérer le voir s'élever par-dessus tous les autres avec le tien jusqu'aux étoiles. »
Dans le cinquième chapitre de son livre, Nifo dépeint emphatiquement en ces termes l'objet de son admiration : « Mais ce que peut être ici-bas la beauté véritable, on ne le sait pas si l'on n'a pas vu la sérénissime Jeanne. Celle-là, du moins, est le type de la complète beauté et par le corps et par l'esprit. Par l'esprit, cette demi-déesse possède tant de qualités morales et de grâces enchanteresses (ce qui est la beauté de l'esprit), qu'elle n'est pas sortie de la race humaine, mais de la race divine. La perfection des formes, qui fait la beauté du corps, est si accomplie chez elle, que Zeuxis de Crotone n'aurait pas eu besoin de passer en revue tant de belles jeunes filles pour composer la figure d'Hélène, s'il avait pu rencontrer dans une seule femme une beauté semblable et la peindre d'après nature. » PAUL VÉRONÈSE (1528-1588) — 102 — Saint Marc couronnant les vertus théologales. — Ce tableau décorait un plafond du palais ducal à Venise. — 93 — Sainte Famille.
La Vierge, assise sur un trône, au milieu de la composition, tient sur ses genoux l'Enfant-Jésus debout. A droite, sainte Catherine
d'Alexandrie, une palme à la main, présente au Sauveur saint Benoît à genoux. De l'autre côté, saint Georges couvert d'une armure et armé de sa lance.
CAT. VILIOT.
RAPHAEL (1483-1520) — 367 — Sainte Marguerite. — Cette belle figure, peinte originairement sur bois et transportée depuis sur toile, a beaucoup souffert des nettoyages et des restaurations. Selon Vasari, ce tableau, fait probablement pour François Ier ou sa sœur Marguerite de Valois, aurait été en grande partie peinte par Jules Romain, d'après un dessin de Raphaël.
PAUL VÉRONÈSE (128-1588) — 91 — Susanne au bain.
LUINI (?-1530) — 230 — Sainte Famille.
LE TITIEN (1477-1576) — 450 — Portrait de François Ier.
« Regardez ce François Ier tailladé d'incarnat et de blanc, avec son profil d'une expression hardie, railleuse et sensuelle. C'est bien le roi chevalier, le roi protecteur des lettres, le héros qui le soir de Marignan « n'avait plus qu'un tronçon de trois grandes épées. » A-t-il été peint d'après nature? La discordance des dates ne permet guère de le croire. Il est difficile de faire trouver ensemble en Italie, Ticien et François Ier, à l'âge qu'indique le portrait. On peut supposer, avec vraisemblance, qu'il est exécuté d'après quelqu'une de ces médailles que la Renaissance savait si bien modeler. A un artiste tel que Titien, ce renseignement suffisait pour produire une œuvre pleine de vie, de couleur et de ressemblance. François Ier existe dans l'imagination des peuples sous l'aspect que le grand irtiste de Venise lui a donné pour toujours. C'est par cette toile qu'il vit. » THÉOPHILE GAUTIER.
BONIFAZIO (? — 1553) — 73 — La Résurrection de Lazare. — Très-belle peinture d'un maître peu connu en France.
PAUL VÉRONÈSE (1520-1588) — 101 — Portrait de jeune femme. — 90 — La fuite de Loth.
LE TITIEN (1477-1576) — 441 — Sainte Famille.
BRONSINO (1502-1572) — 86 — Le Christ et la Madeleine.
VASARI (1511-1577) — 437 — L'Annonciation. — L'historien des peintres est assurément plus intéressant par ses livres que par ses tableaux. Quand l'art entre dans cette période, les peintres montrent plus d'habileté pratique que de véritable inspiration.
Entre les colonnes qui séparent la première et la seconde travée, on a placé un tableau peint sur les deux faces. Il est de
DANIEL DE VOLTERRE (1509-1566) — 333 — David vainqueur de Goliath. — Le même sujet est représenté sur les deux côtés, mais la composition du groupe présente quelques variantes.
Cette peinture, si fausse de ton, vise à l'énergie du dessin : elle avait même été anciennement attribuée à Michel-Ange, et c'est à ce titre qu'elle est entrée dans la collection de Louis XVI.
Deuxième travée.
La travée dans laquelle nous entrons est composée des tableaux exécutés en Italie pendant les dix-septième et dix-huitième siècles. L'école bolonaise, qui domine ici, est la dernière des grandes écoles italiennes. La doctrine esthétique de cette époque consiste surtout à réunir les qualités particulières à chacune des autres écoles. Presque tous les théoriciens de la peinture ont dit et répété sur tous les tons que le tableau parfait serait celui qui réunirait le coloris de Paul Véronèse à l'expression de Raphaël, l'énergie de Michel-Ange à la gràce du Corrége. Les Carrache ont essayé de réaliser ce rève. Ils ont cherché les premiers à faire de l'art une science. Leur méthode, fondée sur le raisonnement, laisse peu de place à l'inspiration.
Les œuvres sorties de cette école sont parfois dignes d'estime, mais elles causent rarement une admiration bien vive.
L'art, pour les peintres de l'école bolonaise, est la déduction logique d'un enseignement parfait. Il pourra être indifféremment religieux ou intime, passionné ou décoratif, et il atteindra nécessairement la perfection, si l'artiste a su combiner avec habileté les éléments dont se sont servis les maîtres. Les uns ont donné à leurs figures une tournure magistrale, on cherchera à quoi tient cette tournure ; d'autres ont été de grands coloristes, on verra de quelle manière ils ont combiné leurs tons. L'école bolonaise est donc habile par essence ; c'est ce genre de peinture qu'on a appelé le genre académique, depuis que les Carrache ont fondé à Bologne une académie célèbre, qui a servi de modèle à toutes celles qui se sont constituées depuis.
L'école bolonaise, après avoir occupé, dans l'opinion publique, une place assurément trop élevée, est tombée parmi les artistes dans un discrédit qui ressemble presque à du dédain. Le fameux critique anglais Ruskin a très-bien résumé, dans les lignes sui-
vantes, les idées qui ont cours aujourd'hui sur ces maîtres, qui ont cherché à greffer une science sur un art dont la première raison d'être est la spontanéité et l'inspiration.
« Du moment au contraire, ajoute l'écrivain, où la seule ambition des peintres fut de déployer leur savoir-faire, de se montrer experts dans la science de l'anatomie, du clair-obscur et de la perspective ; du moment où ils commencèrent à se servir de leur sujet pour faire valoir leur exécution, au lieu d'employer leur exécution à faire valoir leur sujet, il était naturel qu'ils dédaignassent les brillants enfantillages de la peinture primitive, ses ornements d'or bien brunis, ses couleurs vives soigneusement étendues en teintes plates. Ils n'avaien plus d'émotion religieuse à exprimer ; ils pouvaient penser froidement à la madone comme à un admirable prétexte pour introduire des ombres transparentes et de doctes raccourcis.
Ils pouvaient la concevoir, même dans son agonie maternelle, avec un discernement académique, esquisser d'abord son squelette, le revêtir avec la sévérité de la science des muscles de la douleur, puis jeter sur la nudité de sa désolation la grâce d'une draperie antique, et compléter par l'éclat étudié des larmes et par une pâleur finement peinte le type parfait de la Mater dolorosa. — Avec une manière aussi scientifique d'élaborer un sujet, il fallait bien que l'artiste eût aussi plus de respect pour la vraisemblance. Il le fallait précisément pour qu'il pût faire ressortir tout son talent. Les convenances, l'expression, l'unité historique et toutes les autres décences devinrent donc pour le peintre des obligations du même genre et au même titre que la pureté de ses huiles et la justesse de sa perspective.
On lui répéta que la figure du Christ devait être digne, celle des apôtres expressive, celle de la Vierge pudique, et celle des enfants innocente, et conformément aux nouveaux canons, les peintres se mirent à fabriquer des combinaisons de sublimité apostolique, de douceur virginale et de simplicité enfantine qui, par cela seul qu'elles étaient exemptes des bizarres imperfections et des flagrantes contradictions de l'ancien art, furent acceptées comme des choses vraies, comme une relation authentique des événements religieux.
L'école savante à laquelle appartiennent les Carrache, le Guide, le Dominiquin et autres, ne termine pas encore tout à fait l'art italien, et nous verrons, jusque dans le dix-huitième siècle, quelques personnalités intéressantes, mais qui ne représentent plus un groupe. Enfin, au fond de cette travée, nous trouverons les tableaux espagnols, auxquels nous consacrerons une notice spéciale.
A gauche. — ANNIBAL CARRACHE (1560-1609) — 119 — Le Vierge aux cerises. — C'est un des meilleurs morceaux du maître
CIGOLI (1559-1613) — 112 — Saint François d'Assise. — Il y a, dans cette peinture une ferveur et un sentiment d'extase tout à fait remarquables.
LE GUIDE (1575-1642) — 316 — Jésus donnant les clefs à saint Pierre.
ANNIBAL CARRACHE (1560-1609) — 134 — La Pêche.
LE GUIDE (1575-1642) — 323 — Hercule tuant l'hydre de Lerne.
LE DOMINIQUIN (1581-1641) — 473 — Le ravissement de saint Pul.
PIERRE DE CORTONE (1596-1669) — 64 — La Nativité de la Vierge. — 69 — La rencontre d'Enée et de Didon.
LE CARAVAGE (1569-1609) — 24 — La mort de la Vierge. — C'est un des tableaux caractéristiques du maître, et qui permet d'apprécier sa manière puissante, mais presque toujours dépourvue d'élévation. Il ne faut pas oublier que le Caravage est l'ancêtre de tous les peintres qui se rattachent aux doctrines dites réalistes.
BATONI (1708-1787) — 58 — La Vierge.
LE GUIDE (1575-1642) — 326 — Hercule sur le bûcher.
ANNIBAL CARRACHE (1560-1609) — 135 — La Chasse.
SASSOFERRATO (1605-1685) — 355 — Le sommeil de l'Enfant Jésus.
LE DOMINIQUIN (1581-1641) — 477 — Le triomphe de l'Amour.
— Cupidon est sur un char attelé de deux colombes; deux enfants volent auprès de lui dans les airs. La composition est entourée d'une guirlande de fleurs dont l'exécution est attribuée à Seghers, le jésuite d'Anvers.
LE GUIDE (1575-1642) — 311 — L'Annonciation. — « — 318 — Ecce Homo. — Figure en buste, qui a été reproduite nombre de fois et est extrêmement populaire — 319 — La Madeleine.
Il nous faut parler de la Madeleine, un type inventé et multiplié par le Guide. La tête légèrement renversée en arrière, la sainte, dont les traits rappellent ceux de la Niobé antique, lève vers le ciel des yeux extasiés pleins de larmes et de lumière. Le Guide se vantait d'avoir deux cents manières de faire regarder le ciel à une figure, et c'était la vérité. Cette Madeleine est d'une couleur nacrée que nuancent de faibles tons roses ; une légère ombre bleuâtre baigne le col et les épaules, où roulent des cheveux blonds épars. Il n'y faut pas chercher l'expression austère du repentir chrétien, mais une
certaine mélancolie sentimentale et coquette, comme peuvent l'éprouver à certaines heures de lassitude les beautés mondaines. Ces types charmants expliquent la vogue du Guide, qui les répandit à profusion. TH. GAUTIER.
CANALETTO (1697-1768) — 105 — Vue de Venise.
C'est en 1818 que fut faite enfin l'acquisition d'un de ses chefsd'œuvre : la Vue de l'église de la Madonna della Salute, élevée sur les dessins de l'architecte Longheno, à la cessation de la peste de 1630.
Il est très-peu de pages aussi vastes, et moins encore d'aussi belles dans l'œuvre entier de Canaletto; peut-être n'en pourrait-on citer aucune qui égale cette admirable vue de la Salute. Elle suffit pour faire estimer le maitre à sa vraie valeur.
VIARDOT. (Merveilles de la peinture.) PANINI (1695-1768) — 283 — Intérieur de Saint Pierre de Rome.
SALVATOR ROSA (1615-1673) — 343 — Apparition de l'ombre de Samuel à Saùl. — Tableau d'un caractère étrange. — Enveloppé d'une draperie blanche, Samuel, évoqué par la pythonisse d'Endor qui attise le feu d'un trépied, apparaît devant Saül proterné. Des hiboux et des squelettes d'une forme fantastique se dressent autour de la Pythonisse.
SALVATOR ROSA (1615-1673) — 344 (+) Bataille.
« La lutte ne se passe à aucune époque désignée et ne se rapporte à aucun fait historique. C'est la bataille en elle-même personnifiée pour ainsi dire. Près d'un portique aux colonnes de marbre roussâtre, des cavaliers s'attaquent avec un acharnement, une furie et une impétuosité incroyables. Ils se hachent, se transpercent, se tailladent, se martèlent, se renversent de leurs chevaux aux larges croupes, employant tout un arsenal d'armes antiques, barbares et féroces. Au fond, pour gagner les montagnes, la déroute galope éperdument, et sur la mêlée sanglante se roule un ciel aux nuages menaçants, où l'orage semble continuer les discordes de la terre. »
TH. GAUTIER.
Une tradition très-contestée veut que dans sa jeunesse, Salvator Rosa ait été pris et emmené par des brigands qui l'auraient gardé plusieurs mois parmi eux. Le caractère sombre, la sauvage grandeur de.ses paysages, les scènes de carnage qu'il aime à y représenter, et l'incertitude qui règne sur les premières années de sa jeunesse, ont fait accréditer sur son compte beaucoup d'anecdotes qui ont défrayé l'imagination des romanciers.
Dessinateur incorrect, coloriste bizarre, Salvator Rosa est
néanmoins un grand artiste. Une lumière incertaine et blafarde, qui tranche avec des ombres noires, la grandeur sombre de ses paysages, la fureur sauvage de ses batailles, donnent à ses tableaux l'impression pénible d'un cauchemar.
LE DOMINIQUIN (1581-1641) — 474 — Sainte Cécile.
LE GUIDE (1575-1642) — 324 — Hercule et Achéloùs.
SALVATOR ROSA (1615-1673) — 345 — Paysage.
GUARDI (1712-1793) — 211 — Procession du doge à l'église San Zaccaria. — 212 — La salle du collége au palais ducal à Venise.
Louis CARRACHE (1555-1619) — 141 — Apparition de la Vierge à saint Hyacinthe.
LE GUIDE (1575-1642) — 310 — David vainqueur de Goliath.
Les contours des cuisses et des jambes ont de l'élégance ; les bras sont moins beaux ; la tête manque de noblesse et d'expression : elle n'annonce ni un héros ni un prophète ; la toque et la plume, dont elle est ornée, pèchent également confre le goût et contre les lois du costume. Le coloris rappelle le temps où le Guide voulait imiter la manière du Caravage; mais jamais il ne se l'appropria parfaitement : le fond est noir, le ton des chairs, pâle et bleuâtre. Le faire est soigné, savant et digne du Guide.
Ce tableau fut fait à Bologne, sur la demande de M. de Créqui, et vraisemblablement pour le roi Louis XIII. Il peut être compté, quant à l'exécution, parmi les beaux ouvrages de son auteur. Admirons le Guide, mais ne le plaçons point dans un rang supérieur à celui qui lui appartient.
EMERIC DAVID. (Chefs-d'œuvre de la peinture.) A cette place commencent les tableaux de l'école espagnole, que nous examinerons tout à l'heure.
A droite. — ANNIBAL CARRACHE (1650-1609) — 132 — Diane découvrant la grossesse de Calisto.
PIERRE DE CORTONE (1596-1669) — 68 — Romulus et Rémus.
Faustulus, pasteur des troupeaux d'Amulius, apporte à sa femme un des fils de Rhéa qu'il vient de trouver allaités par une louve qui leur sert de nourrice. Il le porte d'une main dans un vêtement, tandis que de l'autre main il indique le second enfant, qu'on aperçoit de loin sur les bords du Tibre, tettant l'animal qui la caresse, entre deux bergers occupés à considérer ce prodige. Laurentia, femme de Faustulus, vient de quitter le panier de jonc qu'elle tressait, et s'avance sur son siège, les mains étendues pour recevoir l'enfant qu'elle accueille avec ce sourire presque maternel que fait naître, sur les lèvres de toute femme élevée dans les habitudes de la nature, la vue d'un enfant nouveau-né. Son fils, âgé d'environ trois ou quatre ans,
crie et lève la main pour s'emparer de celui qu'il regarde déjà comme le compagnon de ses jeux. Derrière Laurentia, une jeune fille de treize à quatorze ans s'avance pour considérer avec la joie de son âge le nouvel hôte qui va égayer l'intérieur de la famille ; un toit de roseaux mal en ordre, soutenu sur une charpente grossière, forme au-dessus de leur tête un abri plutôt qu'un logement ; un bel arbre l'ombrage, et sur ce toit reposent deux colombes ; des fleurs sur le devant paraissent cultivées avec un soin rustique. Le vêtement simple de la femme n'annonce point la pauvreté; on voit une rose dans les cheveux de la jeune fille.
GUIZOT. (Etudes sur les Beaux-Arts.) LE GUIDE (1575-1642) — 312 — La purification de la Vierge.
La Vierge, vue de profil, agenouillée devant l'autel, vient de remettre son fils à Siméon. Les mains jointes, elle écoute avec respeet les paroles du saint vieillard qui, debout à gauche, tenant l'enfant dans ses bras, le présente au Seigneur, et récite son cantique d'action de grâces. Saint Joseph est à ses côtés, et l'on remarque sainte Anne derrière la Vierge avec le reste de la famille. Sur le devant, à droite, une jeune fille à genoux fait l'offrande de deux tourterelles ordonnée par la loi; du côté opposé, un enfant agace avec le doigt deux tourtereaux déposés sur une table. CAT. VILLOT.
LE GUIDE (1575-1642) — 321 — Saint Sébastien.
ALBANE (1578-1660) — 9 — La toilette de Vénus. — 10 — Vénus et Vulcain. — 13 — Vénus et Actéon. — 14 — Apollon et Daphné. — 15 — Salmacis et Hermaphrodite.
RAPHAEL (1483-1520) — 377 (+) Fresque de la Magliana, marquée au catalogue comme étant seulement de l'école de Raphaël.
— Cette fresque représente le Père Eternel bénissant le monde; le transport a présenté des difficultés énormes provenant de la surface courbe sur laquelle la fresque était peinte. On se rappelle le prix exorbitant que le gouvernement a payé cette fresque, sur laquelle les opinions les plus contradictoires ont été émises. Le titre d'école de Raphaël donnée à cette peinture indique assez quelle est l'opinion actuelle de MM. les conservateurs du Louvre. L'opinion contraire s'est affirmée aussi avec beaucoup d'ardeur, comme on peut le voir par les lignes suivantes, écrites par un homme qui a consacré toute sa vie à l'étude spéciale des ouvrages de Raphaël : A quelle date faut-il rapporter cette peinture?. Les anges qui se font les messagers du Père éternel ont un air de parenté trop pro-
che, nous l'avons vu, avec les anges de la Grande sainte Famille et avec les Génies païens de la Farnésine, pour qu'ils ne soient pas réunis aux uns et aux autres dans un même groupe pittoresque appartenant à une période très-connue de la vie du maître. C'est dans les quatre à cinq dernières années de cette existence si admirablement remplie, c'est-à-dire de 1515 à 1520, qu'il convient de placer la fresque de la Magliana.
Mais cette fresque a-t-elle été peinte entièrement de la main de Raphaël ? Le pinceau de Raphaël n'y est-il que pour une partie?
Dans quelle proportion y est-il?. On ferait preuve, à notre avis, d'une grande présomption si l'on osait répondre d'une manière absolue à de pareilles questions. La fresque de la Magliana est de Raphaël, voilà ce qu'on peut dire avec certitude, et il ne faut ajoute rien au delà. Elle est de Raphaël, parce qu'elle contient son esprit, sa grâce, son style, sa forme, en un mot tout ce qui constitue ce qu'il y a d'unique et d'incomparable en lui. Elle est de Raphaël, parce que, en dehors de lui, nul, parmi les artistes qui l'approchaient de plus près, n'aurait pu rien concevoir ni exécuter de semblable.
Raphaël n'était pas seul assurément pour répondre à toutes les exigences et pour satisfaire à toutes les ambitions ; il se multipliait dans ses élèves ; il était l'âme d'une légion d'artistes de premier ordre qu'il animait de son souffle et qui transcrivaient sous ses yeux ses inspirations. Les œuvres ainsi faites, auxquelles il avait donné l'essor et la vie, il pouvait quelquefois ne pas les peindre entièrement de sa main, il ne les en signait pas moins de son nom, parce qu'il s'y reconnaissait tout entier. Bien téméraire serait celui qui le désavouerait aujourd'hui. Il était, d'ailleurs, trop jaloux de sa gloire pour ne pas retoucher et repeindre lui-même tout ce qui n'aurait pas rendu fidèlement sa pensée. Ces retouches et ces traits décisifs, qui sont comme la signature du maître, on les voit à chaque instant dans les fresques des Loges et de la Farnésine. Quant à la fresque de la Magliana, elle porte une empreinte tellement personnelle, qu'on est tenté d'y voir la main même du Sanzio. Cette peinture a conservé cet aspect blond, léger, diaphane, qui est une des qualités exquises de toute fresque peinte directement de la main du maître.
Ce n'est pas une œuvre de seconde main ; il y a là quelque chose de spontané, presque de premier jet; tout s'y lit clairement et en pleine lumière. N'oublions pas qu'à la Magliana Raphaël était dans l'intimité de Léon X, et qu'il avait à satisfaire un désir personnel et pressé du pontife. Rien donc d'impossible à ce qu'il ait exécuté luimême, en tout ou en partie, cette peinture. Quoi qu'il en soit, lui mort, on ne vit plus rien de semblable. Jules Romain, François Penni, Perino del Vaga, Pellegrino de Modène, etc., échappèrent aussitôt à l'influence toute-puissante à laquelle ils s'étaient soumis avec tant d'abnégation. Chacun reprit sa physionomie propre et son caractère particulier. Raphaël emporta avec lui le secret de sa grâce.
Puisse l'Italie veiller avec plus de vigilance à la conservation de ses monuments ! Puisse la fresque de la Magliana, arrachée si malheu-
rendement à sa destination première, trouver dans un musée français une hospitalité digne d'elle ! A. GRUYER.
PIERRE DE CORTONE (1596-1669) — 63 — Alliance de Jacob et de Laban.
GUARDI (1712-1793) — 210 — Fête du Corpus Domini. — 209 — Fête du Jeudi-Gras à Venise.
ANNIBAL CARRACHE (1560-1609) — 131 — Hercule étouffant ces deux serpents. — 120 — Le sommeil de l'Enfant Jésus, dit le silence du Carrache.
PANINI (1695-1768) — 284 — Concert donné à Rome, à l'occasion de la naissance du Dauphin fils de Louis XV en 1729.
Le cardinal de Polignac, ambassadeur de France, est assis à droite dans la salle de concert qu'il avait fait construire dans la cour du palais de l'Ambassade. Les cardinaux sont au premier rang devant la tribune des musiciens. Nombreux spectateurs dans les loges et au parterre. CAT. TAUZIA.
— » — 285 — Préparatifs de la fête donnée sur la place Savone en 1729 à l'occasion de la naissance du Dauphin fils de Louis XV.
« Le cardinal de Polignac avait fait transformer la cour du Palais de l'Ambassade en un théâtre magnifique éclairé par une quantité de lustres. La principale façade de cette cour était occupée par la scène, portée sur des nuées, où cent trente joueurs d'instruments étaient rangés et vêtus en Génies, avec des couronnes de laurier sur la tète, des ceintures et des bracelets noirs garnis de pierreries. Les six musiciens représentant Jupiter, Apollon, Mars, Astrée, la Paix et la Fortune, étaient chacun habillés comme la fable représente ces divinités, et avec leurs attributs. Ils étaient tous assis sur des nuages. Les cinq arcades formaient cinq perspectives qui représentaient autant de galeries au bout desquelles on voyait les statues en or de Hugues-Capet, Philippe-Auguste, saint Louis, Henri IV et Louis XIV, etc. Les paroles de la cantate étaient de Métastase et la musique de Léonard Vini. » (Mercure de France, décembre 1729.) ANTOINE CARRACHE (1583-1618) — 137 — Le Déluge.
LE DOMINIQUIN (1581-1641) — 476 — Alexandre et Timoclée — Timoclée captive, suivie de ses enfants est amenée devant Alexandre; ou aperçoit au loin les murs de Thèbes.
ÉCOLE ESPAGNOLE Fin de la deuxième travée. — L'école espagnole est la plus pauvrement représentée au Louvre : on en voit ni le début,
ni l'agonie. Il est donc impossible au visiteur d'en apprécier la marche historique dans notre musée, et il est inutile par conséquent d'indiquer ici les transformations qu'elles a subies.
Nous devons nous contenter d'appeler l'attention sur les œuvres des maîtres espagnols que le Louvre a recueillis : elles sont si peu nombreuses qu'il n'a pas été possible de leur consacrer une salle spéciale. Elles occupent la fin de la deuxième travée et l'entre-colonnement qui précède la travée suivante. Nous ne croyons donc pas utile de séparer ici le côté droit et le côté gauche comme nous avons fait pour le commencement et comme nous ferons pour la fin de la grande galerie.
MORALÈS LE DIVIN (1509-1566) — 537 — Le Christ portant sa croix. — C'est une peinture intéressante, mais dont l'authenticité a été contestée. « La touche de ce tableau, qui semble posté- rieure à l'époque du maître, dit M. Viardot et la proportion, plus grande que nature, qui est contraire à toutes ses habitudes doivent nous rendre fort suspecte cette page unique. Elle n'est probablement qu'une répétition de Moralès, qui fut souvent imité et copie, et auquel on attribue, avec une générosité trop facile tous les Ecce Homo livides et décharnés, toutes les Mater dolorosa dont les joues sont creusées et les paupières rougies par des pleurs éternels. »
VELASQUEZ (1599-1660) — 551 (+) Portrait de l'Infante Margue- rite fille de Philippe IV. — C'est une petite fille vue de trois quarts avec un nœud rose dans ses cheveux blonds, et une robe blanche garnie de dentelles noires; elle n'est pas jolie de traits, mais sa petite mine enfantine est adorable de naïveté et il est impossible d'exprimer mieux la vie. — 553 — Portrait de Don Pedro Moscoso de Altamira, doyen de la chapelle royale de Tolède; il est vêtu de noir et tient en main un livre. — 552 — Portrait de Phillippe IV, roi d'Espagne. Il est debout, tête nue et tient un fusil : Son chien est près de lui. — 554 — Réunion de portraits. — Charmante petite toile où l'on voit réunis treize personnages qui passent pour être les artistes les plus célèbres parmi les contemporains de Velasquez. Il s'est représenté lui-même sur la gauche et entièrement vêtu de noir; Murillo dont on ne voit guère que la tête est auprès de lui.
Velasquez était peintre du roi d'Espagne et toutes ses œuvres
capitales sont à Madrid. Il ne faut donc pas être surpris, si les rares ouvrages de ce maître qu'on rencontre en dehors de l'Espagne, sont presque tous des portraits.
MURILLO (1616-1682) — 543 — Sainte Famille. — Sainte Elisabeth tient le petit saint Jean, qui offre une croix de roseaux à l'Enfant-Jésus, debout sur les genoux de la Vierge.
Le Père éternel, entourée d'une gloire d'anges, contemple l'Enfant-Dieu, sur la tête duquel plane le Saint-Esprist sous la forme d'une colombe. — 542 — La Vierge au chapelet. — 547 — Le jeune Mendiant. — Ici nous abandonnons le ciel pour entrer dans la réalité la plus vulgaire. Le jeune mendiant est assis près d'une fenêtre et occupé à se débarasser des petits animaux qui l'incommodent. Une cruche et un panier à fruits posés à terre paraissent constituer tout le patrimoine de ce pauvre garçon, dont la physionomie est saisissante de vie et d'expression.
— 546 (+) La Cuisine des Anges. — Dans les ouvrages de Murillo la réalité la plus complète se trouve souvent mêlée aux conceptions mystiques et aux apparitions célestes. Ce double caractère est particulièrement saisissant dans la Cuisine des Anges. La légende qui a fourni le sujet de ce tableau est assez curieuse: les moines de San Diégo vivaient dans une telle austérité, ils étaient si absorbés par leurs devoirs religieux, et si détachés du monde matériel, que souvent il leur arrivait d'oublier de faire les provisions nécessaires à leurs repas. Un jour après un long jeûne, San Diégo s'aperçut que le garde-manger était absolument vide, et que ses moines n'avaient pas le plus mince aliment pour réparer les fatigues du jeûne. Il se mit à prier avec une telle ferveur que son esprit s'élevant sans cesse son corps se mit a s'élever aussi sans s'en apercevoir et à se soutenir en l'air. Il était dans cette situation, quand trois personnages de haute distinction entrèrent dans le couvent et surprirent le saint dans son extase. Mais ils virent un miracle plus étonnant encore, des anges étaient descendus du ciel avec toutes les provisions nécessaires pour faire un excellent repas, prenant en main les ustensiles de cuisine, ils se mettaient en devoir de faire cuire les aliments. On les voit en effet qui récurent les casseroles, fourbissent les cuivres, allument les fourneaux, et par un sentiment de délicatesse, que les moines ont-
dû vivement apprécier, le repas qu'ils préparent est tout a fait conforme à l'usage espagnol; ainsi l'un de ces célestes cuisiniers n'hésite pas à piler de l'ail dans un mortier, suivant un usage qui est probablement inconnu dans le paradis, mais qui est assez général dans les contrées méridionales. Cette partie du tableau, où sont les anges avec leurs chaudrons et leurs légumes est malheureusement fort abîmée et les nombreuses retouches qui la déparent jurent un peu avec le ton de l'ensemble, mais le saint qui s'enlève en l'air et les personnages qui entrent, sont d'une vérité si saisissante, qu'il est impossible en les voyant de douter du miracle qui s'accomplit devant eux. — 540 — La naissance de la Vierge. — Ce tableau placé vis-à-vis du précédent offre le même mélange de mysticisme et de réalité. La scène ne présente en elle-même qu'un simple accouchement sous un humble toit; mais les anges descendent du ciel pour adorer la Vierge naissante, et les chérubins apportent une corbeille contenant les linges dont on se sert en pareille circonstance, et cette troupe céleste, forme au milieu du tableau comme un bouquet d'une éblouissante lumière.
RIBÉRA (1588-1656) — 548 (+) L'Adoration des bergers. —
Ce tableau, qui avait autrefois les honneurs du salon carré, se voit beaucoup mieux à l'endroit où il est maintenant. La Vierge, les mains jointes, est prosternée devant l'Enfant-Jésus, couché sur une crèche remplie de paille. Des bergers sont accourus pour adorer le divin enfant, et un Ange descend du ciel pour aller prévenir ceux qui, ignorant ce qui se passe, gardent encore leurs troupeaux dans le lointain. Cette peinture, d'un éclat et d'une suavité de ton remarquable est en quelque sorte une exception dans l'oeuvre de Ribéra, dont le talent brutal et quelque peu farouche, aime surtout les sujets de mort et de supplice, où l'on voit des yeux renversés, des bouches qui hurlent sous l'action de la douleur, des chairs pantelantes, et des actions hideuses. — 549 — Le Christ au tombeau. — 550 — Saint Paul, ermite.
ZURBARAN — (1598-1662) — 556 — Funérailles d'un evêque — Un evêque mort est étendu sur une civière: à ses pieds est un chapeau de cardinal. Un pape, un souverain, un evêque, et plusieurs personnages, regardent un crucifix de bois qu'un
religieux place entre les mains de l'évêque. — 555 — Saint Pierre Nolasque et saint Raymond de Pegnafort.
GOYA (1746-1828) — 534 — Portrait de F. Guillemardet ambassadeur de France en Espagne. — 535 — Jeune femme espagnole.
ECOLE ESPAGNOLE (dix-septième siècle) — 558 — Vue du palais de l'Escurial.
ÉCOLE FLAMANDE ET HOLLANDAISE
La Galerie de Rubens. — Les tableaux que Rubens a exécutés sur la vie de Marie de Médicis, forment dans le musée une série absolument à part, et c'est faute d'un emplacement suffisant, qu'on ne leur a pas assigné dans le Louvre une salle ou une galerie spéciale comme celle qu'ils occupaient autrefois dans le musée du Luxembourg. Ils sont placés dans la troisième travée de la grande galerie qui vient immédiatement après l'école italienne.
La veuve de Henri IV après sa réconciliation momentanée avec Louis XIII, en 1620, était venue habiter le palais du Luxembourg. Elle résolut d'y faire peindre sa propre histoire et ensuite celle de son mari. Rubens vint à cet effet à Paris en 1621, et y exécuta les esquisses de nos tableaux du Louvre, esquisses qui sont pour la plupart au musée de Munich. Les tableaux furent exécutés à Anvers, en partie par Rubens, en partie par les élèves qui le secondaient. En 1625, cette série étant terminée, le grand peintre flamand commençait les esquisses relatives à la vie de Henri IV, quand le nouvel exil de la reine-mère, prononcé par Richelieu, interrompit définitivement les travaux commencés.
Bien que Rubens se plaigne à plusieurs reprises, dans ses lettres, du retard apporté au payement de ses honoraires, et qu'il s'ennuie, dit-il, à cette cour où il pourrait bien arriver qu'il ne revint pas facilement si on ne le satisfait pas aussi ponctuellement qu'il l'a fait pour le service de la reine-mère, il parait cependant que l'entreprise de la galerie n'avait pas été très-onéreuse, comme il l'avance pourtant dans une autre lettre où il énumère ses frais de voyage, la perte de son temps et l'oubli d'une récompense extraordinaire, car il avait accepté de peindre l'histoire de Henri IV pour la deuxième galerie, et se
montra fort préoccupé de la nouvelle qui lui était parvenue qu'un peintre italien devait lui ravir ce travail.
VILLOT. (Notice des tableaux.) Pour suivre les tableaux dans l'ordre des sujets il faut commencer par ceux du panneau de gauche, et continuer en revenant par ceux du panneau de droite qui termine la série.
Ils commençent, a quelque pas plus loin que l'entrée de la travée.
1 — 434 — La destinée de Marie de Médicis. — Les trois Parques, assises sur des nuages filent la destinée de Marie de Médicis. En haut du tableau, Junon, penchée sur l'épaule de Jupiter, demande au roi des dieux l'autorisation d'assister à la naissance de la princesse.
2 — 435 — Naissance de Marie de Médicis ( en 1575 ). — Lucine, la déesse qui préside aux naissances, présente l'enfant à la ville de Florence ( lieu de naissance de la reine ). Un lion se repose près d'une touffe de roseaux, et deux enfants soutiennent un écusson fleurdelisé. Le génie de Marie de Médicis porte une corne d'abondance, d'où sortent les insignes de la royauté, emblème de la grandeur qui attend l'enfant sur qui les heures fortunées répandent des fleurs.
3 — 436 — Education de Marie de Médicis — Minerve enseigne les sciences à la jeune princesse ; les Grâces lui offrent une couronne, Appollon lui inspire le goût de la musique et Mercure lui apporte le don de l'éloquence.
4 — 437 — Henri IV, reçoit le portrait de Marie de Médicis.
— L'Hymen et l'Amour présentent un portrait au roi, que la France engage à contracter une union agréable aux dieux : deux amours s'emparent des armes du roi, pour montrer la paix dont la France va jouir.
5 — 438 — Mariage de Marie de Médicis avec Henri IV. — Le grand duc Ferdinand épouse au nom du roi, par procuration, la princesse sa nièce dont l'Hymen porte le manteau. La bénédiction nuptiale est donnée au milieu des grands seigneurs de la cour.
6 — 439 — Débarquement de Marie de Médicis à Marseille.
— La France, la ville de Marseille et son clergé viennent au devant de la reine dont la Renommée annonce l'heureuse arri-
vée. Neptune veille au débarquement tandis que les tritons et naïades amarrent le bâtiment.
« On admire beaucoup dans le Débarquement de Marie de Médicis à Marseille les divinités marines qui ont accompagné et protégé le navire. Les trois Néréides du premier plan tiennent enlacées comme les trois Grâces de la mer, élevant au-dessus des vagues leurs corps souples et charnus, aux épaules satinées, aux reins cambrés et troués de fossettes sur lesquels l'écume se résout en perles, tandis que les jambes squammeuses et terminées par des nageoires se perdent sous la verdâtre épaisseur des flots. Chose curieuse, on sait d'après une lettre de Rubens le nom et la demeure des modèles de femmes qui ont posé pour ces trois chefs-d'œuvre. Ce sont deux dames Capaïo, de la rue du Vertbois, et leur petite nièce Louisa. Le grand peintre d'Anvers prie un de ses amis de les lui retenir pour la troisième semaine, afin qu'il en fasse trois études de grandeur naturelle.
Jamais la peinture n'a été plus loin pour le rendu de la chair, le grain de l'épiderme et le frisson mouillé de la lumière.
THÉOPHILE GAUTIER.
7 — 440 — Mariage de Henri IV accompli à Lyon. — La ville de Lyon, assise sur un char traîné par deux lions, aperçoit dans le ciel les deux époux sous les traits de Jupiter et de Junon, a qui l'Hymen montre la constellation de Vénus.
8 — 441 — Naissance de Louis XIII à Fontainebleau. — La reine, la tête appuyée sur le bras de la Fortune, regarde avec joie le nouveau-né que la Justice confie au génie de la santé.
Près d'elle la Fécondité tient une corne d'abondance, où sont les cinq autres enfants que la reine doit avoir.
9 — 442 — Henri IV confie le gouvernement à la reine.
— Henri IV, partant pour l'Allemagne, investit la reine de l'autorité suprême; le dauphin, depuis Louis XIII, est placé entre eux et donne la main à sa mère.
10 — 443 — Couronnement de la reine, — La reine, vêtue du manteau royal, est couronnée par le cardinal de Joyeuse. Toute la cour assiste à la cérémonie, que le roi regarde par une tribune du fond.
11 — 444 — Apothéose de Henri IV. — Le roi, enlevé par le Temps, est reçu dans l'Olympe par Jupiter, Bellone et la Victoire pleurent la mort du héros, et l'Hydre de la rebellion, quoique blessée dresse sa tête menaçante. La reine en deuil, et assistée de Minerve et de la Prudence, reçoit de la France un globe fleurdelisé, emblème du gouvernement.
12 — 445 — Le gouvernement de la reine. — Les dieux de l'Olympe sont réunis pour présider au gouvernement de la reine. Jupiter et Junon font atteler au globe de la France des colombes, emblèmes de douceurs. Tandis que la Paix et la Concorde les accompagnent, la Discorde, l'Envie, la Haine et la Fraude, sont chassés par Apollon, Minerve et Mars.
« Le Gouvernement de la Reine, — qui s'y attendrait? nous transporte en plein Olympe. Jupiter et Junon font atteler des colombes au char de la France, dont l'Amour est le conducteur. Apollon, Minerve et Mars qui s'arrache des bras de Vénus repoussent et combattent la Discorde, l'Envie et la Fraude, ces monstres dont la laideur sert à faire ressortir l'éclat des génies célestes. Il est curieux de voir comment, dans cette immense composition, Rubens a traduit à la flamande la beauté grecque des Olympiens. Ces nobles formes étaient trop pures et trop tranquilles pour son pinceau turbulent ; il les a mouvementées, arrondies, soufflées, bossuées de muscles; mais par la couleur il leur a conservé la divinité. C'est bien la chair des dieux pétrie d'ambroisie et de nectar; rose comme la pourpre royale, blanche comme la neige de l'Olympe. Le torse de la Vénus semble fait avec des micas de Paros et des étincelles d'écume. » THÉOPHILE GAUTIER.
Le tableau qui fait suite est placé sur le panneau en face.
13 — 446 — Voyage de la reine en Anjou. — La reine, montée sur un cheval blanc, et suivie de la Force indiquée par un lion, vient de réduire une ville rebelle. La Victoire la couronne et la Renommée publie ses succès.
14 — 447 — Echange des deux princesses. — Un traité d'alliance entre les cours de France et d'Espagne, ayant été consacré par un double mariage, on voit les deux nations personnifiées par leurs attributs, échanger les deux princesses destinées à être reines. Dans les cieux la Félicité répand une pluie d'or.
15 — 448 — Félicité de la régence. — La reine, ayant près d'elle Minerve et l'Amour, tient en main un sceptre et une balance. L'Abondance et la Prospérité distribuent des récompenses aux génies des arts qui foulent aux pieds l'Ignorance, la Médisance et l'Envie.
16 — 449 — Majorité de Louis XIII. — La reine rend à son fils le gouvernement de l'État, sous l'emblème d'un vaisseau
dont il tient le gouvernail et que mettent en mouvement la Force, la Religion, la Bonne Foi ot la Justice. Près du màt se tient la France, qui porte un sceptre et un globe fleurdelisé.
17 — 450 — La reine quitte le château de Blois. — La reine, relégué par le roi dans le château de Blois, le quitte la nuit, et est reçue par le duc d'Epernon, auquel Minerve la confie. La Nuit et l'Aurore la précèdent pour montrer que l'événement a eu lieu à la pointe du jour.
18 — 451 — Réconciliation de la reine avec son fils. — La reine est avec deux cardinaux, ses conseillers ; l'un lui conseille d'accepter le rameau d'olivier que Mercure lui présente et de faire la paix avec son fils ; l'autre lui retient le bras pour l'en dissuader. La Prudence inspire les résolutions de la reine.
19 — 452 — La conclusion de la paix. — La Fraude, la Fureur et l'Envie, s'efforcent d'empêcher la reine d'entrer dans le temple de la Paix, ou la conduisent Mercure et l'Innocence. La Paix éteint le flambeau de la guerre.
20 — 453 — Entrevue de Marie de Médicis et de son fils. —
Louis XIII et sa mère se donnent dans le ciel des témoignages d'union sincère, tandis que la France, précédée du Courage foudroie l'Hydre de la rébellion.
21 — 454 — Le triomphe de la Vérité. — La Vérité, soutenue par le Temps s'élance vers le ciel, ou le roi et sa mère réconciliés reconnaissent que de faux avis avaient seuls causé leur mésintelligence.
Trois portraits, bien que ne faisant pas partie de la légende illustrée de Marie de Médicis, peuvent s'y attacher indirectement. Ce sont ceux de ses père et mère, le grand duc et la grande duchesse de Toscane, et celui de la reine elle-même, représentée à l'âge de 68 ans costumée en Bellone et couronnée par le génie de la guerre. Ces trois portraits sont dans la même travée que les tableaux allégoriques exécutés pour la reine de France par Rubens et ses élèves.
Avant de quitter ces grandes toiles, il faut dire un mot du chef de l'école flamande. Pierre Paul Rubens était un travailleur infatigable. Avec une imagination ardente et une inépuisable richesse d'invention, il avait su mettre heaucoup d'ordre dans ses habitudes et dans son travail, ses heures étaient réglées
et ne prenaient jamais rien les unes sur les autres. Il forma une grande quantité d'élèves dont plusieurs sont devenus célèbres : Van Dyck, Jordaens, Van Tuilden, Suyders, etc. Ces élèves, maîtres eux-mêmes, l'aidaient dans ses tahleaux, et ce n'est que comme cela qu'on peut s'expliquer la prodigieuse quantité de ses ouvrages.
Le mouvement, la force, la passion, sont les qualités caractéristiques de Rubens ; coloriste éblouissant, son dessin, toujours énergique et accentué, manque parfois de cette délicatesse suprême et de cette convenance qui distinguent certains maîtres italiens ou français.
C'est le peintre du faste, de la vie opulente, des vêtements somptueux. Aux sentiments pieux des siècles précédents, il a fait succéder les athlètes aux formes colossales, les femmes charnues, les batailles sanglantes ; dans ses orgies de couleur, il fait mouvoir indistinctement les dieux, les rois, les papes, les soldats, les martyrs et les bourreaux. Chez lui l'homme envahit tout : si la campagne laisse quelque part entrevoir un horizon, il est aussitôt masqué par des personnages accumulés ; si le ciel semble promettre un peu de tranquillité, il est envahi par les dieux, les anges ou les démons, qui courent dans les airs ; dans le centre même de l'action, des figures sont échelonnées, pressées les unes contre les autres et avec une énergie de mouvement qui exclut toute rêverie et toute méditation. « Jamais de ma vie, dit lord Byron, je ne fus si dégoûté qu'en Flandre, de Rubens et de ses éternelles femmes et de son infernal éclat de couleur. » On comprend ainsément que le poëte anglais devait peu apprécier l'exubérante vie du peintre anversois.
Les Peintres flamands et hollandais.— Les origines de l'école flamande présentent une grande obscurité, et quand Van Dyck et Memling surgissent, ils montrent un art très avancé, dont on n'a pas vu les premiers essais. C'est à Bruges que l'art s'élève tout d'abord ; cette première école flamande, malgré ses inspirations religieuses, est déja empreinte d'un profond naturalisme. Les madones, même lorsqu'on les représente glorieuses, ont toujours dans le nord un air de propreté apprêtée et de toilette qui rappelle la femme et la ménagère bien plus que la reine des cieux. Cette perfection dans l'imitation, qui est dès le
début, le signe distinctif de l'art dans les Pays-Bas, n'atténue en rien le sentiment religieux, mais elle lui donne une tournure particulière qu'on trouve rarement en Italie.
L'école d'Anvers commence avec le forgeron Quentin Matsys et l'école hollandaise avec Lucas de Leyde, dont le Louvre ne possède malheureusement aucun ouvrage. Ces maîtres continuent, bien qu'avec un sentiment personnel bien caractérisé le naturalisme de l'école de Bruges, que l'on retrouve également dans les maîtres allemands, mais accompagné d'un goût prononcé pour le fantastique. Cependant le goût italien qui prévalut ensuite dans les Pays-Bas, donna à la peinture une allure décorative qu'elle n'avait pas encore montrée. Rubens représente le point culminant de cette tendance, où la recherche un peu prosaïque de la vérité dans le morceau, s'unit à l'amour des allégories et d'une mise en scène pompeuse.
Entre la peinture flamande et la peinture hollandaise, bien que toutes les deux aient le plus souvent la réalité pour but, et que ni l'une ni l'autre ne soit d'un grand style, la différence est capitale. La peinture flamande est surtout coloriste, elle procède par la qualité et le rapport des teintes. En Hollande l'art tout entier existe dans le relief et dans les proportions du sombre et du clair. C'est à ce titre que Rembrandt est incontestablement le plus grand maître et le chef de l'école hollandaise.
L'école hollandaise s'est formé sous l'inspiration de la Réforme : la grande peinture aurait difficilement trouvé son emploi dans un pays ou le culte interdisait l'art religieux.
Ne pouvant être décorative, la peinture se fit meublante. Les institutions libérales que s'était données la Hollande, y faisant naître la prospérité, fournissaient à ce petit peuple le moyen de satisfaire sa passion pour les arts. Des tableaux-portraits, exécutés pour les municipalités, et des petites scènes intimes à l'usage des particuliers, voilà le cercle dans lequel tourne constamment l'école hollandaise.
La nécessité de l'exactitude dans l'imitation a entraîné les peintres hollandais dans un genre d'étude, qui a pris chez eux une très-grande extention, tandis qu'en Italie, elle est tout à fait accessoire; c'est le paysage. Et ce qu'il y a de plus important dans le paysage, c'est l'eaù. Çeux qui ont
visité la Hollande peuvent seuls se rendre compte de la direction que la peinture a prise dans ce pays. S'il y a de l'eau dans presque tous les tableaux, si la peinture marine a eu là son berceau et y a atteint son plus grand developpement, c'est que les plaines sans fin de la Hollande, coupées de nombreux canaux, baignées par la mer, ou interrompues par de vastes nappes d'eau, montrent à chaque instant la nature maritime et fluviale. Le Hollandais vit sur son bateau presque autant que dans sa maison; s'il voyage à pied dans la campagne, la route qu'il suit borde toujours une rivière; s'il regarde la prairie, il trouve l'horizon coupé par les voiles des barques; s'il traverse la ville, il passe sur des ponts, et voit de tous côtés des maisons qui se reflètent dans l'eau. Les marchandises s'expédient sur des bateaux, l'industrie se fait au moyen de moulins à vent, auxquels sont toujours amarrés des bateaux; le chemin qui mène d'un village à un autre est un canal sil- lonné de bateaux.
Panneau à droite de la troisième travée.
ALBERT DURER (1471-1528). — Tête fine et pleine d'expression qui était autrefois au Musée des dessins.
MABUSE (1470-1532) — 277. — Portrait de Jean Carondelet. —
278 — La Vierge avec l'Enfant Jésus.
ANTONIN DE MOOR. (1525-1518) — 343 — Le nain de CharlesQuint.
QUENTIN MATSYS (1460-1531) —279 — Le banquier et sa femme.
— C'est un tableau que Matsys, tableau que l'ancien forgeron devenu peintre à la suite d'une aventure romanesque a répété plusieurs fois avec quelques variantes. Celui du Louvre représente un homme coiffé d'une toque noire et vêtu d'uue robe à fourrure, qui est occupé à peser des pièces d'or. Sa femme, en robe rouge, se tient près de lui et tient en main un missel à miniatures. Sur des tablettes au fond, on voit des registres, des liasses de lettres, des paperasses, tout ce qui peut encombrer la boutique d'un changeur, et sur la table, différents bijoux et un miroir convexe qui réfléchit plusieurs objets : l'imagination et le sentiment tiennent peu de place dans cette peinture, mais l'exécution est d'un fini qui n'a jamais été dépassé depuis.
Holbein (le jeune) (1498-1554) — 210 — Thomas More.
KAREL DU JARDIN (1635-1678) — 247 — Paysage et animaux.
ALBERT CUYP — (1605-1672) — 109 — Marine.
VAN GOYEN (1596-1656) — 184 — Marine, CRAESBÉKE (1608-1941 — 97 — Craesbeke peignant un portrait.
« Peindre c'était un plaisir pour lui presque autant que de boire, et il l'a lui-même très gaîment confessé dans ce tableau qu'on appele l'Atelier de Craesbeke et qui est son chef-d'œuvre. Le Louvre possède, heureusement pour nous, cet admirable morceau. Le maître y a donné tout à la fois une idée de son genre de vie et un brillant échantillon de son talent. Craesbeke s'est représenté assis devant son chevalet, dans une chambre qui n'a pour tout meuble qu'un lit une table, un escabeau et un méchant fauteuil sur lequel pose le modèle. Le peintre n'en est encore qu'à l'esquisse du personnage dont il fait le portrait, que déjà l'on apporte des rafraîchissements.
Tandis qu'un valet entre dans l'atelier un plateau à la main, un autre paraît offrir un verre de vin à Craesbeke qui s'interrompt pour jeter sur la dive liqueur un regard plein d'onction et de tendresse. On a cru longtemps que le modèle était Brauwer lui-même et qu'ainsi Craesbeke s'était peint faisant le portrait de son maître ; mais comme l'a très-bien fait observer l'auteur des notices du Musée Filhol, ce personnage richement vêtu qui seul reste couvert, le serviteur ou du moins le courtisan et le petit page qui se tiennent chapeau bas derrière ce seigneur, dans une attitude respectueuse, le musicien qui, pour égayer la séance, a été chargé de chanter une romance en s'accompagnant de la guitare, la tenue même de ce modèle et ses beaux habits, tout démontre que le tableau ne représente pas Brauwer chez Craesbeke, c'est-à-dire un artiste chez son camarade. Le peintre en titre des tripots, des goujats et des ivrognes se passait parfaitement bien de musiciens et de pages, sans parler de sa physionomie qui ne ressemble ici, en aucune façon, à celle qui nous est si bien connue par le beau portrait de Van Dyck. Le seul détail vraisemblable, dans cette hypothèse, est celui des verres à boire et des plateaux. »
CHARLES BLANC. (Vie des peintres.) BACKUYSEN — (1631-1709) — 5 — Marine.
VAN DYCK — (1599-1641) — 151 — Portrait d'homme. — 153 — id.
JEAN FYT (1625- ?) — 178 — Gibier dans un garde-manger.
JORDAENS (1593-1678) — 251 — Jèsus chassant les vendeurs du Temple. — Peinture d'une grande énergie d'intention, mais d'une vulgarité de formes vraiment choquante.
DAVID TENIERS (1610-1694) — 520 (+) La chasse au héron. C'est un merveilleux morceau de peinture. Le personnage qu'on aperçoit au fond à cheval et accompagné de deux cavaliers, tête nue, est l'archiduc Léopold, qui fut le protecteur de David Teniers.
REMBRANDT (1608-1669) — 415 — Portrait de Rembrandt âgé.
— Il est vu à mi corps et tient en main sa palette. La tête entourée d'un linge blanc, semble rayonner au milieu des ombres mystérieuses qui l'entourent.
VAN DER NEER. — (1613-1683) — 354 — Bords d'un canal en Hollande. — Van der Neer est le peintre des effets du soir et des clairs de lune ; ses tableaux représentent le plus souvent des paysages marécageux et des barques qui se reflètent dans l'eau tranquille des canaux. Le petit village hollandais paraît toujours à l'horizon, et quand le canal est bordé d'arbres, l'artiste aime à montrer un contraste entre leurs larges masses d'ombre et l'effet piquant de la lumière qui les traverse.
DAVID TENIERS (1610-1694) — 516 — Un cabaret prés d'une ri- vière. — C'est le plus grand des Teniers de la collection.
PHILIPPE DE CHAMPAIGNE (1602-1674) — 86 — Louis XIII cou- ronné par la Victoire. Ce tableau est placé au-dessus de la porte qui donne accès à l'école française.
VAN DER HEYDEN (1637-1712) — 202 — Maison de Ville d'Amsterdam. — Quoique nous ne soyons pas grand amateur des tableaux d'un fini excessif, comme c'est un des côtés de l'esprit hollandais, il faut nous arrêter un moment devant les deux tableaux de Van der Heyden.Des maisons alignées le long d'une rue ou sur une place carrée, des murs dont on peut compter les briques, des représentations d'édifices dont l'architecture est toujours insignifiante, des pavés fuyant vers la ligne d'horizon, dans une perspective implacable, des toits auxquels il ne manque pas une tuile, des cheminées qui profilent leur silhouette sur le ciel ; voilà le cercle assez monotone où il se meut d'habitude.
Pourtant les tableaux de Van der Heyden se trouvent dans toutes les galeries et on s'arrête avec plaisir pour les regarder. C'est que toutes ces choses qui ne nous plaisent pas ont le don de captiver son esprit. Il s'est passionné pour ces rues bordées de maisons, pour ces grandes places régulières, dont la propreté
fait honneur à l'édilité du temps. Il a rendu avec une patience minutieuse tous les plus petits détails de la construction, parce qu'il s'est plu à en examiner de près la structure; mais comme il aimait aussi à en considérer l'aspect dans son ensemble, il a su donner à ses tableaux une unité qui frappe de loin ; car bien qu'on puisse examiner à la loupe le travail rigoureusement exact du peintre, on en juge très bien l'aspect général quand on se tient à une certaine distance de son ouvrage, et le détail qui le séduit toujours ne l'entraîne pas dans la sécheresse et ne l'absorbe jamais au détriment de l'effet. Tous ces caractères se retrouvent très-nettement dans nos deux tableaux du Louvre.
Mais un détail qu'il ne faut pas omettre dans celui qui représente la place publique d'Amsterdam, c'est que les figures sont peintes par Adrian van den Velde : or ce sont des petits chefsd'œuvre. Nous signalerons particulièrement les deux bourgeois hollandais qui s'abordent en se saluant.
ADRIEN VAN OSTADE (1610-1685) — 374 — Le fumeur.
WOUWERMAN (1620-1668) — 567 — Le Départ pour la chasse.
A gauche, en haut d'un large escalier conduisant à la terrasse d'une maison de campagne, un homme coiffé d'un bonnet de coton; sur les premières marches, un homme à longue robe tenant un un bâton en guise de fusil, un hallebardier appuyé contre le pilastre de l'escalier et riant, un page vu de dos, et une femme assise sur les marches avec son enfant. Au pied du mur de la terrasse, un mendiant, le chapeau à la main ; une servante montrant à un enfant un cheval chargé de paniers dans lesquels un domestique met des bagages, une dame à cheval, un valet agenouillé découplant deux chiens, sept autres chiens en liberté, un chasseur richement vêtu tenant son cheval par la bride et pressant contre lui une dame. A droite, une fontaine jaillissante, à laquelle des hommes font boire leurs chevaux. Dans le fond, des collines couvertes d'arbres et de fabriques. A l'horizon, de hautes montagnes.
CAT. VILLOT.
Wouwerman aime les belles dames qui chevauchent le fouet en main ou suivent la chasse dans les carrosses, les pages et les valets de limier, les gentilshommes au feutre emplumé et à la riche colorette, et pourtant il lui arrive quelquefois de mettre en scène des gueux, des pauvres, des bohémiens ; cette association donne à ses ouvrages un cachet pittoresque qu'on ne trouve au même degré chez aucun autre artiste. Il est le peintre des
chasses, des campements, des cavalcades, des haltes sur la lisière d'un bois, des aimables châtelaines montées sur un cheval blanc, des fiers gentilshommes qui galopent devant la porte d'une hôtellerie, des écuyers qui dans une large écurie tiennent de galants propos à une fille d'auberge. Le cheval est son domaine et il en possède intimement l'anatomie : le caractère, les allures, le harnachement; car le cheval est pour lui inséparable du cavalier.
L'un comme l'autre ont toujours dans la tournure une certaine fierté, une élégance un peu tapageuse bien conformes avec les sujets habituels de l'artiste.
Les chevaux de Wouwerman, dont le caractère appartient à une race un peu massive, sont parfaitement construits, pleins de tournure, et on en voit toujours un blanc ou gris pommelé qui se détache sur les autres et forme la lumière dominante du groupe. Wouwerman finit extrêmement ses tableaux ; mais le soin qu'il apporte dans les détails de son exécution n'altère en rien le tumulte de l'ensemble, et ce que l'œil voit tout d'abord, c'est le mouvement des figures, l'agencement pittoresque des tentes, la tournure vivante des chevaux et la confusion piquante de tous ces éléments divers, en vue de l'impression unique que doit produire un marché ou une halle.
VAN DYCK (1599-1641) — Portrait des enfants de Charles Ier.
Cette ravissante peinture est l'esquisse du grand tableau qui se trouve en Angleterre.
Charles, prince de Galles (depuis Charles II), vêtu de satin jaune, le bras droit appuyé sur la base d'une colonne, donne la main gauche à son frère Jacques, duc d'York (depuis Jacques II), habillé encore avec une robe et un bonnet ; la princesse Marie, leur sœur, mariée plus tard à Guillaume de Nassau, prince d'Orange, est debout près d'eux. A gauche, un chien auprès du prince de Galles.
A droite, une porte ouverte donnant sur un jardin.
VAN DER HEYDEN (1637-1712) — 203 — Église et place d'une ville de Hollande. — 204 — Village au bord d'un canal. — Dans ce dernier tableau, les barques sont de Willem van den Velde et les figures de son frère Adriaan.
DENNER (1685-1747) — 117 — Portrait de femme. — Voici par exemple un genre de fini qui me laisse assez froid. Prenez vos loupes, si vous êtes curieux de savoir ce qui se passe au fond de chacune des rides qui plissent la peau, Denner va vous l'ensei-
gner. On ne connaît guère de Denner que des têtes de personnes âgées. Les mauvaises langues assurent pourtant qu'il a souvent commencé des portraits de femmes et de jeunes filles lorsqu'elles étaient dans toute leur fraîcheur et leur éclat, mais que les rides étaient arrivées lorsque l'artiste avait terminé le portrait, tant il avait été long à le peindre. On ne saurait contester un certain mérite aux peintures de Denner; mais la patience l'emportait certainement chez lui sur les facultés créatrices.
« Nous avons au Louvre un tableau de Denner. Il travaillait à la loupe, et mettait quatre ans à faire un portrait; rien n'est oublié dans ses figures, ni les rayures de la peau, ni les marbrures imperceptibles des pommettes, ni les points noirs éparpillés sur le nez, ni l'affeurement bleuâtre des veines microscopiques qui serpentent sous l'épiderme, ni les luisants de l'œil où se peignent les objets voisins. On demeure stupéfait: la tête fait illusion, elle a l'air de sortir du cadre; on n'a jamais vu une pareille réussite ni une pareille patience. Mais en somme une large esquisse de Van Dyck est cent fois plus puissante, et ni dans la peinture, ni dans les autres arts, on ne donne le prix aux trompe-l'œil. »
TAINE. (Philosophie de l'art.) VAN DER MEULEN (1634-1690) — 308 — Passage du Rhin.
METZU (1615-1658) — 295 — Le chimiste.
LE Duc (1636-1695) — 34 — Intérieur d'un corps de garde.
RUYSDAEL (1630-1681) — 473 — Paysage.
HUYSMANN DE MALINES (1648-1727) — Forêt.
KAREL DU JARDIN (1635-1678) — Pâturage.
ISAAC VAN OSTADE (1613-1654) — Une halte. — Isaac van Ostade avait un genre très-différent de celui d'Adrien ; dans ses tableaux, il donne au paysage une très-grande importance, et les personnages n'y apparaissent souvent que comme de simples accessoires. Les chevaux de ses tableaux sont quelquefois peints par Wouwerman.
BACKUYSEN (1631-1709). — Marine.
DAVID TENIERS (1610-1694) — 522 — Le rémouleur. — 521 — Le fumeur.
BERGHEM (1624-1683) — 21 — Le passage du bac.
GÉRARD Dow (1598-1674) — 124 — Le trompette. — 129 — La lecture de la Bible. — C'est en réalité un portrait de famille que le catalogue du Louvre enregistre sous ce titre. Une vieill
femme avec des lunettes, qui passe pour être la mère de Gérard Dow, fait une lecture à son mari, assis en face d'elle.
La chambre est éclairée par une seule fenêtre ; la lumière vient frapper directement sur le livre que tient la vieille dont la tête n'est éclairée que par reflet. Le Musée possède également un portrait de Gérard Dow peint par lui-même.
Dans un pays ou les artistes sont par goût et par tradition observateurs exacts de la nature, la configuration géographique devait naturellement avoir une grande influence sur la peinture.
Ce n'est pas seulement par la nature des choses représentées que le climat humide et froid des Pays-Bas a influé sur l'art, c'est encore par la tournure d'esprit qu'il a donnée aux habitants.
Là le premier besoin est celui d'une habitation chaude et commode qui vous mette à l'abri des rigueurs du climat. Toute la vie se concentre dans le foyer domestique : aussi la vie intime tient une place énorme dons l'école hollandaise. Tout ce qui constitue le bien-être dans un pays où l'on ne peut le trouver que chez soi, prend une grande importance dans les tableaux, et les peintres s'attachent à montrer dans les logis commodes et bien fermés des meubles reluisants, des poteries délicates, une vaisselle propre et une existence tranquille et réglée. Cette tendance n'a pas eu seulement pour effet de donner à la peinture hollandaise des aspirations un peu prosaïques, mais en rétrécissant le champ de l'imagination, elle poussait à la recherche minutieuse du détail qui est en effet un des traits caractéristiques de l'école.
Gérard Dow doit à la prodigieuse finesse de son exécution l'immense réputation dont il jouit. Les figures ont habituellement peu d'expression, et la série de ses types est assez restreinte: comme coloriste, il est loin d'avoir la suprême distinction de Terburg, mais ceux qui mettent au-dessus de tout l'imitation minutieuse des détails lui assignent nécessairement le premier rang parmi les maîtres de l'école hollandaise.
Panneau à gauche ZUSTRIS (fin du seizième siècle) — 387 — Vénus et l'Amour.
HOLBEIN (1498-1554) — 206 — Portrait de Nicolas Kratzer,
astronome de Henri VIII. — 207 — Portrait de Guillaume Warham, archevêque de Cantorbéry. — 212 — Portrait de sir Richard Southwel.
LUCAS CRANACH (1472-1553) — 98 - Vénus dans un paysage.
Vénus est nue, debout, coiffée d'une large toque plate rouge, et ient une légère écharpe de gaze. Elle porte au cou un collier d'or nrichi de pierres et de perles. Derrière elle, à gauche, des arbres; droite, dans le fond, une haute mantagne surmontée d'une ville ; a bas, une autre ville avec des fortifications , une église et de auts clochers qui se reflètent dans un lac. On voit sur le terrain, droite, une espèce de dragon ailé tenant une bague, marque de artiste, et la date de 1529. CAT. VILLOT.
— 100 — Portrait d'homme.
BREUGHEL DE VELOURS (1569-1625) — 60 — La bataille d'Arelle.
La bataille se passe dans une immense vallée bornée à droite par e hautes montagnes boisées, et sur le flanc d'un coteau où s'élèvent e grand arbres. Le nombre des figures que le peintre a introduites ans cette composition est incalculable. On remarque à droite, sur deuxième plan, la famille de Darius prisonnière et la femme du oi agenouillée devant Alexandre à cheval entouré de soldats.
CAT. VILLOT.
RUBENS (1577-1640) — Portrait du baron Henri de Vicq, amassadeur des Pays-Bas à la cour de France. C'est ce personage qui a fait donner à Rubens, la commande des tableaux ur la vie de Marie de Médicis.
REMBRANDT (1608-1669) — 414 (+) Portrait de Rembrandt. — es quatre portraits de Rembrandt qui sont au Musée, celui-ci t le plus beau.
DAVID TENINRS (1610-1694) — 512 (+) L'Enfant prodigue à table ec des courtisanes. — Ce tableau est extrêmement célèbre. L'en.nt prodigue, suivant David Teniers, était un jeune élégant du x-septième siècle, qui, après avoir déposé sur un siége son anteau, son chapeau à plumes et son épée se fait gaiement rvir à diner, en compagnie de belles dames qu'il a invitées à e partie de campagne, devant la porte d'une auberge rustine. Or, s'il faut en croire la tradition, ce gentilhomme qui ue ici le rôle d'enfant prodigue, ne serait autre que Teniers li-même, qui s'est représenté au milieu de sa famille, écoutant
la musique un peu rauque des chanteurs ambulants accourus pour égayer les convives de la fête.
Teniers était riche en effet, et la fortune a souri à ce peintre des mœurs populaires qui a toujours mené la vie d'un grand seigneur.
Ses tableaux ont atteint de son vivant un prix énorme, mais son immense production suffisait à peine aux prodigalités du peintre. A l'exception de Louis XIV, qui ordonna d'ôter « ces magots » en voyant un tableau de Teniers dans sa chambre, tous les princes du temps voulaient avoir des œuvres du peintre flamand, et le roi d'Espagne, Philippe IV, fit faire à l'Escurial une galerie spécialement consacrée à ses kermesses et à ses tabagies. Don Juan d'Autriche, gouverneur des Pays-Bas, ne se contenta pas d'admirer ses ouvrages, il vint lui demander des leçons de peinture.
David Teniers, au surplus, était logé de manière à recevoir de pareils élèves. Il avait acheté le château des Trois-Tours, magnifique résidence seigneuriale, accompagnée d'un parc et de pièces d'eau où nageaient les cygnes, et située sur une éminence d'où l'on avait une vue magnifique. Teniers en était trèsfier et l'a souvent représenté dans ses tableaux. Quand il sortait, c'était pour aller dans les villages observer les mœurs des bonnes gens, épier leurs gestes et préparer des matériaux nouveaux, pour sa production chaque jour renouvelée. Il traçait sur nature des croquis d'une vérité saisissante d'après lesquels il peignait ensuite ses tableaux, d'un ton si argentin et si harmonieux où la touche est si expressive et si spirituelle.
David Teniers peignait avec une facilité qui tient du prodige.
On raconte qu'un jour qu'il allait à la campagne avec sa boîte à couleurs, il s'aperçut au moment où la faim le prit qu'il avait oublié sa bourse et n'avait pas de quoi payer son déjeuner. Il entre bravement dans une auberge, et non content de se faire servir à diner, il fait entrer un mendiant qui jouait de la cornemuse à la porte et le fait manger aussi. Le repas fini, Teniers se met à peindre le mendiant, qu'il vient de régaler, et déclare aux curieux que la toile est à vendre. Il trouve de suite un amateur et paye magnifiquement son hôtelier stupéfait. Cette anecdote est probablement apocryphe, mais elle est très-ancienne et
prouve l'opinion qu'on avait de la facilité du peintre. C'est de là que vient le nom D'après dîner de Teniers, que les amateurs donnent souvent aux toiles du maître, lorsqu'elles n'ont qu'une ou deux figures. Ce n'est pas dans cette catégorie toutefois, qu'il faut ranger l'Enfant prodigue du Louvre, qui est une toile extrêmement poussée et qui compte parmi les chefs-d'œuvre de Teniers.
RUISDAEL (1630-1681) — 472 (+) Le Buisson. — Ce magnifique paysage jouit d'une célébrité immense. Le motif en est extrêmement simple: c'est un chemin montant et sablonneux, bordé d'un côté par un buisson. Au loin on voit un village avec des champs cultivés. Un orage se prépare dans le ciel, et un paysan, qu'on dit avoir été peint par Adrien van Ostade, gravit la colline pour regagner son logis.
Ruisdael est un artiste complet et aucun peintre n'a apporté plus de variété dans sa manière d'envisager la nature. Il ne se contente pas, comme on le fait souvent aujourd'hui, de la perpétuelle répétition du même motif : il sait, partout où il est, revêtir de sa personnalité les sites les plus différents. En étudiant son œuvre, on voit qu'un tableau n'est pas, à ses yeux, la traduction littérale d'un endroit déterminé, et dans ses paysages, c'est le côté humain qui nous séduit.
Ruisdael sait aussi bien que n'importe qui, copier ce qu'il a sous les yeux; mais son esprit sauvage et mélancolique répugne à une interprétation prosaïque. Soit qu'il parcourt les grèves qui bordent la mer, soit qu'il chemine le long d'un torrent, soit qu'il s'isole dans la forêt ou se promène dans un champ cultivé, il apporte la même hauteur de vue, et, toujours différent par là chose qu'il raconte, il reste toujours poëte par la manière dont il conçoit son récit.
« Ruysdael n'a jamais su mettre une figure dans ses tableaux, et, sous ce rapport, les aptitudes d'Adrien van de Velde seraient bien autrement diverses, pas un animal non plus , et, sous ce rapport, Paul Potter aurait sur lui de grands avantages, dès qu'il arrive à Paul Potter d'être parfait. Il n'a pas la blonde atmosphère de Cuyp, et l'ingénieuse habitude de placer dans ce bain de lumière et d'or des bateaux, des villes, des chevaux et des cavaliers, le tout dessiné comme on le sait, quand Cuyp est de tous points excellent.
Son modelé, pour être des plus savants lorsqu'il l'applique soit à
des végétations, soit à des surface aériennes, n'offre pas les difficultés extrêmes du modelé humain de Terburg ou de Metzu. Si éprouvée que soit la sagacité de son œil, elle est moindre en raison des sujets qu'il traite. Quel que soit le prix d'une eau qui remue, d'un nuage qui vole, d'un arbre buissonneux que le vent tourmente, d'une cascade s'écroulant entre des rochers, tout cela, lorsqu'on songe à la complication des entreprises, au nombre des problèmes à leur subtilité, ne vaut pas, quant à la rigueur des solutions, l'Intérieur galant de Terburg, la Visite de Metzu. » « Avec tout cela, malgré tout, Ruisdael est unique: il est aisé de s'en convaincre au Louvre, d'après son Buisson, le Coup de soleil, la Tempête, le Petit Paysage (n° 474). J'en excepte la Forêt, qui n'a jamais été très-belle, et qu'il a compromise en priant Berghem d'y peindre des personnages. » EUGÈNE FROMENTIN. (Les maîtres d'autrefois.)
VAN HUYSUM (1682-1749) — 233 — Fleurs et fruits. — 239 — Vase de fleurs. — Ce maître s'est créé dans la peinture de fleurs et de fruits, un genre tout à fait spécial, dans lequel il a eu de nombreux imitateurs. Les Hollandais sont les plus grands amateurs de fleurs qu'il y ait en Europe et Harlem, où vivait Van Huysum, passait au dix-huitième siècle pour posséder les plus beaux jardins du monde. Le peintre était choyé par tous ces propriétaires de jardins, qui se trouvaient honorés quand il leur donnait la préférence pour les modèles qu'il voulait reproduire.
Mariette a été sévère pour Van Huysum qu'il compare à Van der Werf, et auquel il reproche de manquer des qualités essentielles du peintre. La critique semblera peut-être excessive à ceux qui, dans un tableau de bouquet, regardent surtout le rendu de la fleur, qualité dans laquelle Van Huysum n'a jamais été dépassé; elle paraîtra juste à ceux qui, dans nos galeries, compareront un ouvrage de Van Huysum à ceux des grands coloristes, pour qui un tableau est une œuvre d'ensemble plutôt qu'une œuvre de détail. Ce peintre était passionné pour les fleurs et travaillait pour des amateurs qui avaient la même passion que lui. Il s'enthousiasmait avec eux pour un œillet, une rose, une tulipe, et, tout entier à ce qui le charmait, il oubliait parfois, selon l'ingénieuse remarque de M. Charles Blanc, qu'un tableau doit être un bouquet de couleurs avant d'être un bouquet de fleurs.
RUBENS (1577-1640) — 423 (+) La fuite de Loth. — Le patriar-
che, conduit par un ange aux ailes déployées, quitte Sodome, en compagnie de sa famille, la seule épargnée dans le désastre, et d'un baudet chargé de porter divers objets précieux peints avec une délicatesse de touche à laquelle on n'est pas habitué dans les œuvres du fougueux coloriste. En effet, le Départ de Loth n'est pas une peinture de verve, comme nous en verrons tout à l'heure, c'est au contraire une peinture fine, fouillée, délicate, et dont le maître a probablement été satisfait, car c'est une des rares peintures qu'il ait signées.
PORBUS — (1570-1662) — 394-395 — Portrait de Henri IV.
ADRIEN VAN OSTADE (1610 1695) — 369 (+) La famille d'Adrien van Ostade.
A gauche, Adriaan assis à côté de sa femme, dont il tient la main.
Derrière lui, son fils aîné debout et tête nue. A droite, ses cinq filles: la plus jeune, qui s'appuie sur le genou de sa mère, prend des cerises qu'une de ses sœurs, assise par terre, lui présente. Au milieu, au second plan , un jeune homme et une femme debout, qu'on supppose être Isack van Ostade et sa femme. Dans le fond, à gauche, un lit à colonnes et à balustrade. De chaque côté de la porte, un tableau dans un cadre d'ébène. A droite, une cheminée en marbre, dont la frise, ornée d'un bas-relief, est supportée par des colonnes. Des œillets et des roses sont jetés sur le plancher.
CAT VILLOT.
C'est en effet l'artiste lui-même qui nous fait ici les honneurs de son intérieur propre et modeste : le voyez-vous au centre du tableau avec sa collerette blanche bien empesée et son habit noir? Le peintre devait être un honnête homme, car cette figure-là ne doit pas être trompeuse. Il s'est représenté luimême au milieu de toute sa famille, et assurément il n'a flatté personne. Mais si la laideur rare de sa femme et de ses enfants, non moins que la sienne propre, atteste la sincérité de son pinceau, nous devons croire à la bonhomie de tous ces braves gens à qui on ne tiendrait pas à ressembler, mais auxquels on serrerait bien volontiers la main.
BERGHEM (1624-1683) — 19 — Le Gué. — Ce petit tableau passe pour être le chef-d'œuvre du maître.
PIERRE DE HOOCH (dix-septième siècle) — 224 (+) Intérieur hollandais.
Arrêtez-vous devant l'Intérieur de Pierre de Hoach; entrez dans
ce tableau profond, étouffé, si bien clos, où le jour est si Lamisé, où il a du feu, du silence, un aimable bien-être, un joli mystère, et regardez près de la femme aux yeux luisants, aux lèvres rouges, aux dents friandes, ce grand garçon, un peu benêt, qui fait penser à Molière, un fils émancipé de M. Diafoirus, tout droit sur ses jambes en fuseaux, tout gauche en ses grands habits roides, tout singulier avec sa rapière, si maladroit dans ses faux aplombs , si bien à ce qu'il fait, si merveilleusement créé qu'on ne l'oublie plus.
Là encore c'est la même science cachée, le même dessin anonyme, le même et incompréhensible mélange de nature et d'art. Pas l'ombre de parti pris dans cette expression des choses si ingénument sincère que la formule en devient insaisissable, pas de chic, ce qui veut dire, en termes d'atelier, nulles mauvaises habitudes, nulle ignorance affetant des airs capables, et pas de manie. » EUGÈNE FROMENTIN. (Les maîtres d'autrefois.) WOUWERMAN (1620-1668) — 569— La chasse au cerf. — Le cerf est arrivé au bord d'une rivière; trois cavaliers et toute une meute de chiens lui barrent le passage. — 567 — Départ poar la chasse.
— Jolie composition où les dames, les chasseurs et les valets, quittent, pour aller à leurs plaisirs, une habitation princière qu'égayent une terrasse et une fontaine jaillissante.
ADRIEN VAN DEN VELDE (1639-1672) — 536 — La plage de Schvelingen. — Dans ce jolie tableau, le peintre nous montre le prince d'Orange, se promenant dans un carrosse attelé de six chevaux blancs.
VAN DER HELST (1601-1670) — 167 — Le jugement du prix de l'arc.
Quatre chefs de la compagnie des arbalétriers d'Amsterdam sont assis autour d'une table couverte d'un tapis à raies de différentes couleurs. Le personnage qui est à gauche tient un gobelet de vermeil richement ciselé , celui du milieu a à la main une espèce de sceptre d'ébène terminé par un oiseau en vermeil ; plus loin, un troisième personnage, le coude appuyé sur la table, un quatrième juge tientun collier avec une pendeloque représentant un oiseau. A gauche au second plan, une femme portant une corne à boire garnie d'argent. A droite, dans le fond, trois jeunes gens avec des arcs et des flèches. Sur un tableau en ardoise placé à terre, appuyé contre la table, on lit le nom des trois vainqueurs, et plus bas: Bartholomeus van der Helst fecit 1653. Dans l'angle à gauche, et sur le devant, un chien épagneul accroupi. CAT. VILLOT.
Ce petit tableau, peint avec un soin et une finesse extrême, est la reproduction en petit du fameux tableau de van der Helst,
qui est au Musée d'Amsterdam, et où les mêmes personnages sont représentés de grandeur naturelle.
REMBRANDT (1608-1669) — 417 — Portrait d'un jeune homme.
— Il porte de petites moustaches et de longs cheveux : sa large toque est ornée d'une chaîne d'or, et un pourpoint qui laisse entrevoir la chemise. Le contour des cheveux se dissimule dans les colorations indécises des fonds, et la figure qui surgit au milieu des dégradations savantes du clair-obscur, semble une évocation presque autant qu'une réalité.
VAN DER VENNE (1589-1662) — 545 — Fête donnée à l'occasion de la trêve conclue en 1609, entre l'archiduc Albert d'Autriche, souverain des Pays-Bas et les Hollandais.
Précédé par un Amour auprès duquel se trouvent deux colombes, un homme s'avance en donnant la main à une femme richement parée. Derrière ces deux personnages, un nain vêtu de rouge, puis un groupe npmbreux des seigneurs, tous nu-tête, à l'exception de l'archiduc, qui tient sa femme par la main. Le cortège est terminé par des soldats dont on aperçoit le haut des hallebardes. A droite, neuf musiciens, presque tous assis par terre. L'un d'eux, vu de dos, joue d'une épinette dont le couvercle relevé représente, au milieu d'un paysage, Lotone changeant en grenouilles les Lyciens qui l'avaient insultée. Devant ces musiciens, les étuis de leurs instruments, de la vaisselle, des plats chargés de fruits, des verres, un singe. Plus à droite, des valets qui mettent des flacons à rafraîchir dans une mare. Au delà, sous un bois, quatre hommes se battant, et d'autres assis au pied d'un arbre. A gauche, le sol est couvert d'armes de toute espèce et un paysan en retire encore d'une charrette.
Tout à fait à droite, à moitié cachées par les armes et des plantes, l'Envie et une Furie expirantes ; un paysan agenouillé, et un autre paysan debout, les mains dans ses poches. Dans le fond, de riches voitures attelées et des chevaux de selle gardés par des valets. — Signé, au-dessous de l'amour : A. v. VENNE. FECIT 1616.
CAT. VILLOT.
Le paysage et les accessoires de ce charmant tableau sont peints par Breughel de Velours.
REMBRANDT (1608-1669) — 407 (+) Les pèlerins d'Emmaüs.
« Ce que je vous dis à propos du Samaritain, je le dirais à propos du Tobie; je le dirai à plus forte raison des Disciples d'Emmaüs, une merveille un peu trop perdue dans un coin du Louvre et qui peut compter parmi les chefs-d'œuvre du maître. Il suffirait de ce petit tableau de pauvre apparence, de mise en scène nulle, de couleur terne , de facture discrète et presque gauche, pour établir
à tout jamais la grandeur d'un homme. Sans parler du disciple qui comprend et joint les mains, de celui qui s'étonne, pose sa serviette sur la table, regarde droit à la tête du Christ et dit nettement ce qu'en langage ordinaire on pourrait traduire par une exclamation d'hommes stupéfait, — sans parler du jeune valet aux yeux noirs qui apporte un plat et ne voit qu'une chose, un homme qui allait manger, ne mange pas et se signe avec componction, on pourrait de cette œuvre unique ne conserver que le Christ, et ce serait assez.
Quel est le peintre qui n'a pas fait un Christ, à Rome, à Florence, à Sienne, à Milan, à Venise, à Bâte, à Bruges, à Anvers ? Depuis Léonard, Raphaël et Titien jusqu'à Van Eyck, Holbein, Rubens et Van Dyck, comment ne l'a-t-on pas déifié, humanisé, transfiguré, montré dans son histoire, dans sa passion, dans la mort ? Comment n'a-t-on pas raconté les aventures de sa vie terrestre, conçu les gloires de son apothéose? L'a-t-on jamais imaginé ainsi: pâle amaigri, assis de face, rompant le pain comme il avait fait le soir de la Cène, dans sa robe de pèlerin, avec ses lèvres noirâtres où le supplice a laissé des traces, ses grands yeux bruns, doux, largement dilatés et levés vers le ciel, avec son nimbe froid, une sorte de phosphorescence autour de lui qui le met dans une gloire indécise. »
EUGÈNE FROMENTIN. (Les Maîtres d'autrefois.) ISAAC VAN OSTADE (1613-1654) — 376 — Halte de voyageurs à la porte d'une hôtellerie.
REMBRANDT (1608-1669) (+) L'ange Raphael quittant Tobie. —
Rembrandt n'est pas seulement un observateur exact de la nature, c'est surtout un rêveur et un poëte. Là est son originalité, et s'il a su produire une impression si grandiose dans ses représentations d'apparitions, c'est qu'il donne au miracle les apparences de la réalité. L'ange s'enlève dans le ciel au milieu d'une clarté qui semble être apparue subitement pour illuminer la scène. Le vieux Tobie est prosterné et son fils est à genoux près de lui.
Derrière eux, sur le seuil de la maison, Sara joint les mains dans l'attitude de l'étonnement, et Anne, confuse d'avoir douté de la protection céleste, détourne la tête et laisse tomber sa béquille.
On ne peut pas affirmer que les anges sont ainsi faits, puisqu'on ne possède aucun moyen de vérification, mais il est certain qu'on se figure sans peine, qu'une apparition céleste doit présenter un aspect analogue à celui que Rembrandt a conçu.
PHILIPPE DE CHAMPAIGNE (1602-1674) — 93 — Portrait de femme. — Cette femme au teint pâle et maladif, est un des meilleurs morceaux de peinture de Philippe de Champaigne.
DAVID TENIERS (1610-1694) — 511 — Saint Pierre renie Jésus-
Christ. — La scène représente des soldats attablés dans un cabaret et jouant aux cartes. Au second plan Saint Pierre se chauffe dans une haute cheminée et répond d'un air embarrassé à une servante qui l'interroge. Il est difficile de voir là un tableau religieux, mais c'est à coup sûr un charmant tableau.
— 514 — Tentation de saint Antoine. — Nous voyons ici le pauvre saint dans sa grotte, en proie à des hallucinations, je ne dirai pas effrayantes, mais tellement grotesques, qu'il faut toute la contention d'esprit d'un ermite en prière pour ne pas éclater de rire, en voyant les formes bizarres que le diable sait revêtir, quand il veut causer des distractions à quelqu'un. Au dix-septième siècle, le diable avait renoncé déjà aux allures féroces qu'il prenait au moyen âge: il visait surtout à être ridicule. Mais voyez cette grenouille qui tient sa pipe et envoie gravement à l'ermite une grosse bouffée de fumée, et convenez qu'il faut être singulièrement absorbé dans son idée, pour ne pas daigner honorer d'un regard un aussi étrange voisin. Et cet autre qui récite son chapelet pour se moquer du saint, et qui a pour tout visage la tête disséquée d'un cerf pourvue de deux grandes cornes, et la vieille femme cornue qui tient en main son verre, et tous ces reptiles, ces oiseaux, ces insectes, dont aucun n'est classé dans l'histoire naturelle, mais qui montrent dans leur tournure toutes les malices du singe ? N'importe,le spectacle qu'ils donnent est en pure perté, et le saint ne se dérangera pas.
Malgré l'air de componction qu'il lui a donné, Teniers n'est pas un peintre religieux; il est évident que tous ses vœux sont pour que la tentation réussisse, et si la gravité de l'ermite n'est pas troublée, ce n'est évidemment pas sa faute.
RUBENS (1577-1640) — Tournoi dans les fossés d'un château. —
Esquisse peint à coup de sabre mais d'une surprenante vigueur.
BRAUWER (168-1640) — 47 — Tabagie.
VAN DYCK (1599-1641) — 152 — Portrait de Van Dyck. — C'est un jeune homme à la physionomie fine et distinguée, qui porte fort élégamment son pourpoint de velours vert déboutonné. Si on ne savait pas que c'est Van Dyck lui-même, on le prendrait aisément pour un grand seigneur en costume négligé.
PAUL POTTER (1625-1654) — 399 — Chevaux attachés à la porte d'une chaumiére.
« Je veux parler de la Petite Auberge du Louvre, cataloguée sous ce titre: Chevaux à la porte d'une chaumière (n° 399). C'est un effet de soir. Deux chevaux dételés, mais harnachés, sont arrêtés devant une auge; l'un est bai, l'autre blanc; le blanc est exténué. Le charretier vient de puiser de l'eau à la rivière; il remonte la berge un bras en l'air, de l'autre tenant un seau, et se détache en silhouette douce sur un ciel où le soleil couché envoie des lueurs. C'est unique par le sentiment, par le dessin, par le mystère de l'effet, par la beauté du ton, par la délicieuse et spirituelle intimité du travail. »
EUGÈNE FROMENTIN. (Les Maîtres d'autrefois.)
VAN DER NEER (1613-1683) — 355 — Village traversé par une route.
WOUTVERMAN (1620-1668) — 566 — Le pont de bois sur le torrent.
TERBURG (1608-1681) — 528 — Le Concert. — Ce maître si fin, peut être considéré comme le créateur de ce genre de peinture, où la robe de satin blanc forme ordinairement le centre et la masse lumineuse du tableau. Il a peint les mœurs de la classe opulente, sans se préoccuper jamais du peuple et de ses habitudes; il est le peintre des salons comme Teniers est le peintre des cabarets. Il aime à nous montrer cette vie somptueuse, confortable de la Hollande au dix-septième siècle; de grandes cheminées à colonnes de marbre, de vastes fauteuils et de petites tables que recouvre un tapis; des glaces de Venise pendues à la muraille, des verres de Bohême qui reluisent sur les buffets, et au milieu de tout cela de belles dames, qui écoutent un propos galant, reçoivent des mains d'un jeune page un breuvage rafraîchissant, apporté sur un plat d'argent.
FERDINAND BOL (1610-1681) — 41 — Portrait d'un mathématicien.
ADRIEN VAN DE VELDE (1639-1672) — 538 — Paysage et animaux.
PIERRE DE HOOCH (dix-septième siècle). — Intérieur d'une maison hollandaise. — Dans cet intérieur qui est d'une surprenante vérité, le peintre a placé une brave Flamande qui traverse à petits pas un couloir menant au fond de la cour. Elle ne se doute guère, assurément, que des générations indiscrètes viendront l'une après l'autre la regarder curieusement.
La quatrième travée
Deux groupes de colonnes accouplées adossées à chaque paroi forment ici une espèce d'arrêt dans la grande galerie. Au milieu on a placé une curieuse peinture par Sébald Beham de Nuremberg (1500-1550), élève d'Albert Durer. Ce tableau destiné à être posé à plat et vu comme un dessus de table, est divisé en quatre triangles par des lances dorées et chargées d'écussons.
Ces lances partent des angles pour aboutir à un carré central.
Des inscriptions accompagnent les compositions peintes, qui représentent des sujets tirés de la vie de David. Les personnages, bien campés et d'un dessin très-fin, portent le costume allemand du seizième siècle.
Panneau à droite
PAUL POTTER (1625-1654) — '400 (+) La Prairie — Paul Potter a cherché la sincérité bien plus que l'esprit; la donnée de ses tableaux est toujours très-simple. Une vache qui se frotte contre un arbre, à côté d'une autre qui rumine paisiblement; deux vaches qui jouent avec leurs cornes dans une prairie et une troisième qui les regarde; il ne lui en faut pas davantage. Esprit exact et attentif plutôt que rêveur, Paul Potter rend admirablement le bétail, parce qu'il en connaît à fond l'ossature et qu'il en copie religieusement les articulations. Il s'identifie avec les animaux qu'il peint, il en sait les mœurs et il en traduit le caractère avec une perfection qui n'a jamais été dépassée.
« Il n'est pas possible de viser un but plus circonscrit, mais plus formel, et de l'atteindre avec plus de succès. On dit le Taureau de Paul Potter, ce n'est point assez, je vous l'affirme: on pourrait dire le Taureau, et ce serait à mon sens le plus grand éloge qu'on pût faire de cette œuvre médiocre en ses parties faibles, et cependant si décisive.
» Presque tous les tableaux de Paul Potter en sont là. Dans la plupart, il s'est proposé d'étudier quelque accident physionomique de la nature ou quelque partie nouvelle de son art, et vous pouvez être certain qu'il est arrivé ce jour-là à savoir et à rendre instantanément ce qu'il apprenait. La Prairie du Louvre, dont le morceau principal, le bœuf gris roux, est la reproduction d'une étude qui devait lui servir bien des fois, est de même un tableau faible ou un tableau très-fort, suivant qu'on le prend pour la page d'un maître ou pour le magnifique exercice d'un écolier. La Prairie avec bestiaux
du musée de la Haye, les Bergers et leur troupeau, l'Orphée charmant' les animaux, du musée d'Amsterdam, sont, chacun dans son genre, une occasion d'études, un prétexte à études, et non pas, comme on serait tenté de le croire, une de ces conceptions où l'imagination joue le moindre rôle. Ce sont des animaux examinés de près, groupés sans beaucoup d'art, dessinés en des attitudes simples ou dans des raccourcis difficiles, jamais dans un effet bien compliqué ni bien piquant. »
EUGÈNE FROMENTIN. (Les Maîtres d'autrefois.) REMBRANDT (1608-1669) — Bœuf écorché. — Cette peinture, qui n'est pas inscrite au catalogue, montre un quartier de bœuf suspendu à un étal de boucherie : cette magnifique étude ne se rapporte à aucun tableau connu du maître qui aura sans doute été séduit par les tons sanguinolents de ce colossal morceau de bœuf.
PHILIPPE DE CHAMPAIGNE (1602-1674) — 94 — Portraits de François Mansard et de Claude Perrault, architectes.
DAVID TENIERS (1610-1694) — 515 — La Fête de village.
REMBRANDT (1606-1669) — 416 — Portrait d'un vieillard.
TERBURG (1608-1681) — 527 — La leçon de musique.
PHILIPPE DÉ CHAMPAIGNE (1602-1674) — Portraits de la mère Catherine-Agnès Arnauld et de sœur Catherine de Sainte-Suzanne.
— C'est une peinture dont l'aspect n'a rien de séduisant au premier abord, mais finit par attacher singulièrement. Philippe de Champaigne, homme austère et dévôt, janséniste ardent, mais peintre froid, a représenté sa fille en costume de religieuse, agenouillée à côté de la supérieure de son couvent.
« La fille de Philippe de Champaigne, religieuse à Port-Royal, sous le nom de Catherine de Sainte-Suzanne, était attaquée depuis quatorze mois d'une fièvre continue et d'une espèce de paralysie.
Elle était abandonnée des médecins, et l'on avait, fait en vain dans la maison plusieurs neuvaines pour obtenir sa guérison. On pria la mère Catherine-Agnès de faire une nouvelle neuvaine, et le 6 janvier 1662 la malade fut débarrassée tout à coup de la fièvre et de la paralysie. C'est en mémoire de cette guérison miraculeuse que l'artiste exécuta ce tableau, qui est son chef-d'œuvre. » VILLOT.
BERGHEM (1624-1683) — 18 — Paysage et animaux.
VAN DYCK (1599-1641) — Portrait équestre de François de Moncade.
WEENIX (1644-1719) — 555 — Les produits de la chasse.
RUBENS (1577-1640) — 432 — Le triomphe de la Religion. — Enorme toile décorative qui atteste l'étonnante facilité du maître, mais ne saurait compter parmi ses bons ouvrages.
DAVIDZ DE HEEM (1600-1674) — Fruits et vaisselle sur une table.
PHILIPPE DE CHAMPAGNE (1602-1674) — 78 — Le Christ en croix. — 76 — Le repas chez Simon le pharisien. — 77 — JésusChrist célébrant la Pâque avec ses disciples. — Tableaux corrects mais singulièrement froids.
BOTH D'ITALIE (1610-1650) — 43 — Paysage. — Si l'influence de Claude Lorrain rayonne sur tous les artistes hollandais qui sont venus habiter l'Italie au dix-septième siècle, Jean Both est certainement le paysagiste sur qui elle est la plus tranchée. Il n'a évidemment ni la même ampleur de style, ni le même charme dans la disposition, mais il subit vivement l'impression de la nature italienne et se complaît dans ces effets de lumière dorée et vaporeuse qui, dans le Midi, accompagnent le soleil couchant.
Ses tableaux nous montrent habituellement des chemins bordés de grands arbres, qui traversent des pays montagneux, ou des rivières qui apparaissent dans des terrains mouvementés et bordent la lisière des bois. C'était habituellement son frère André Both, qui faisait dans ses tableaux les figures et les animaux.
RUBENS (1577-1640) — 460 — Portrait d'Hélène Fourment, seconde femme de Rubens et de ses enfants. — Nous avons parlé de ce tableau et du suivant, page 73.
VAN DYCK (1599-1641) — 150 — Portrait de Richardot et de son fils.
Panneau de gauche METZU (1615-1658) — 292 - Le marché aux herbes d'Amster- dam. — Ce tableau fait exception dans l'œuvre de Metzu, dont les tableaux ne présentent habituellement qu'une ou deux figures seulement. Le marché a lieu près d'un canal : un des arbres qui le bordent occupe toute la partie supérieure du tableau. Au premier plan, une vieille femme, les poings sur les hanches, se dispute avec une marchande. Les acheteurs circulent au milieu des légumes amoncelés et des cages à poulets.
FRANZ HALS (1584-1666) — 190 — Portrait de René Descartes, par Franz Hals. C'est une magnifique peinture, franche et forte; chaque coup de brosse est un coup de maître. Tout est rendu avec une puissance, une netteté et uns énergie extraordinaires. Il n'y a pas dans ce portrait de Hals, une touche qui n'ait pour but l'illusion et la vie; mais si dans ses portraits, Hals s'identifie complétement avec son modèle, s'il nous le montre d'une façon telle qu'il semble que c'est une personne réelle et qu'on va lui adresser la parole, il n'ouvre aucun horizon au delà de ce qu'il a vu et, historien fidèle, il raconte tout avec clarté, sans éveiller en nous aucune rêverie. C'est ce qui fait l'infériorité de Hals sur Rembrandt. Il y a, en effet, entre ces deux maîtres, toute la distance qui sépare le talent du génie: devant la nature, Hals copie, Rembrandt crée.
VAN DER MEULEN (1634-1690) — 314 — Vue du château de Fontainebleau du côté des jardins.
WEENIX (1644-1719) — 554 — Gibier et ustensiles de chasse.
HOBBEMA (dix-septième siècle) — 205 (+) Paysage. — 674 — Un moulin à eau.
Hobbema présente avec Ruisdael de grandes analogies comme exécution, et on a souvent confondu leurs ouvrages; mais le caractère de son talent est moins idéal et plus positif : on sent moins l'artiste qui s'égare dans le rêve et plus le peintre qui s'efforce de traduire ce qu'il a sous les yeux. La majeure partie de ses œuvres représente des terrains accidentés garnis de bouquets d'arbres, des moulins à eau, ou bien des villages entourés de vergers, tels qu'on en rencontre beaucoup dans la province de Gueldre, avec des sentiers qui relient les habitations. C'est à cette catégorie que se rattachent les deux tableaux que nous avons au Louvre. « Je n'oublierai pas qu'au Louvre, devant le Moulin à eau, la vanne d'Hobbema, une œuvre supérieure qui n'a pas, je vous l'ai dit, son égale en Hollande, il m'est arrivé quelquefois de m'attiédir pour Ruisdael. Ce Moulin est un œuvre si charmante, il est si précis, si ferme dans sa construction, si voulu d'un bout à l'autre dans son métier, d'une coloration si forte et si belle, le ciel est d'une qualité si rare, tout y paraît si finement gravé, avant d'être peint, et si bien peint par dessus cette âpre gravure ; enfin, pour me servir d'une expression qui sera comprise dans les ateliers, il s'encadre d'une façon si piquante et fait si bien dans l'or; que quelquefois,
apercevant à deux pas de là le petit Buisson de Ruisdael et le trouvant jaunâtre, cotonneux, un peu rond de pratique, j'ai failli conclure en faveur d'Hoblema et commettre une erreur qui n'eût pas duré, mais qui serait impardonnable, n'eût-elle été que d'un instant.» EUGÈNE FROMENTIN. (Les maîtres d'autrefois.) SNYDERS (1579-1657) — 493 — Les Marchands de poissons.
RUISDAEL (1630-1681) — 470 — La forêt.
VAN DYCK (1599-1641) — 149 — Portrait d'une dame avec sa fille. — 148 — Portrait d'un homme et d'un enfant.
ALBERT CUYP (1605-1672) — 105 et 106 (+) La promenade. —
On peut trouver à redire à l'anatomie des animaux d'Albert Cuyp, et je doute qu'un maquignon trouve bien son compte dans ce cheval gris pommelé qui s'apprête à partir pour la promenade.
Mais Albert Cuyp est un grand coloriste, que les artistes et les gens de goût sauront toujours apprécier.
RUBENS (1577-1640)—426 — Le prophète Élie dans le désert.— Vaste toile qui figure une tapisserie suspendue sous un entablement entre deux colonnes torses d'ordre composite. Cette peinture, faite à la hâte, ne peut certes rien ajouter à la gloire du maître.
JORDAENS (1593-1678) — 255 — Le Roi boit. — 256 — Le concert après le repas. — Ces deux toiles sont placées en haut de chaque côté du grand Rubens que nous venons de voir. Il y a dans cette peinture d'incontestables qualités, mais en somme, Jordaens est un maître secondaire, que la critique moderne généralement matérialiste a glorifié outre sa mesure.
« Ses contours crèventde pléthore, ses tons éclatent et flamboient; les joues de ses personnages vont prendre feu. Mais quelle forte harmonie, quel accord puissant, quelle chaleur soutenue, quelle pâte opulente, quel superbe maniement de brosse et quelle magistrale sûreté de touche! Sans doute il est souvent grossier, trivial ignoble; il n'apporte aucun choix dans ses types ; il prend la nature comme il la trouve et quelquefois même il l'enlaidit par amour du ca- ractère ou par une sorte de jovialité brutale ; mais ce n'en est pas moins un grand peintre et pour le juger tel, il suffit de regarder le Roi boit, joyeuse kermesse de famille, peinture grasse comme le sujet, où rit l'hilarité la plus épanouie dans le bon vin et la bonne chère, et le Concert après le repas, composition franchement grotesque, dont tous les personnages, assis autour d'une table couverte des débris d'un abondant souper, jouent qui de la flûte, qui du flageolet, qui de la cornemuse, sous la conduite du chef d'orchestre
bon vieillard battant la mesure sur un pot. Les jeunes femmes chantent a plein gosier, leurs enfants entre les bras; il n'est pas jusqu'à l'aïeule, dans son fauteuil d'osier, au haut duquel perche une chouette, qui n'essaye de faire sa partie, un papier de musique à la main. C'est presque une caricature ; mais l'énergie de l'exécution relève jusqu'à l'art cette scène bouffonne. »
THÉOPHILE GAUTIER.
ALBERT CUYP (1605-1672) — 104 — La Forêt.
VAN DER MEULEN (1634-1690) — 304 — Entrée de Louis XIV et de la reine Marie-Thérèse à Arras. — Ce tableau est un des ouvrages les plus remarquables de Van der Meulen, dont le musée possède un assez grand nombre de toiles représentant presque toujours des sujets militaires. Van der Meulen est le premier peintre qui se soit attaché à traduire avec exactitude un moumement d'armée ou un épisode militaire. Il avait été appelé en France par Colbert et attaché au servive du roi. Chargé de représenter les sièges et les batailles où le roi avait assisté, il le suivit dans toutes ses campagnes, en sorte que ses tableaux retracent avec la plus grande fidélité toute l'histoire militaire de Louis XIV.
Les nombreux portraits que Van der Meulen a retracés dans ses peintures, avec une touche vive et spirituelle, l'exactitude topographique de ses vues et la grande et belle manière dont il a traité le paysage, assignent à cet artiste une place éminente dans l'école flamande. Van der Meulen a inauguré ce qu'on pourrait appeler la peinture stratégique, sorte de tableau où l'imagination ne saurait avoir ses coudées franches et agit dans un cercle nécessairement restreint, mais qui a le mérite de présenter un document graphique toujours intéressant pour l'histoire.
RUBENS (1577-1640) — 467 — Diogène cherchant un homme.— Ce tableau, d'après le catalogue, est seulement attribué à Rubens: ce que l'administration pourrait faire de mieux, pour la gloire de Rubens, ce serait d'enlever le plus tôt possible cette attribution à un maitre, qui n'a jamais connu les demi-teintes lourdes et ternes que nous voyons ici.
ADRIEN VAN OSTADE (1610-1685) — 372 — Intérieur d'une chaumière.
FERDINAND BOL (1610-1681) — 42 — Portrait d'homme.
REMBRANDT (1608-1669) — 419 — Portrait d'homme.
VAN DYCK (1599-1641) — Portrait d'homme.
VAN GOYEN (1596-1656) — 182 — Un canal en Hollande.
RUBENS (1577-1640) — 428 — La Vierge aux Anges. — Superbe tableau où l'on trouve toutes les qualités, comme aussi tous les défauts du grand coloriste. Des petits anges dépourvus d'ailes, et serrés les uns contre les autres, comme si le ciel manquait de place, soutiennent la Vierge, et leurs carnations fraîches et rebondies montrent assez qu'on fait bonne cuisine dans le paradis, tel que le conçoit le peintre flamand. Mais aussi quel éblouissement de couleur ! Ce paquet d'enfants éclate sur la toile comme un bouquet de fleurs, et leurs cheveux blonds qui retombent sur leurs épaules roses rivalisent de lumière avec celle que produirait un vrai soleil.
La dernière travée — Panneau de droite.
RUBENS (1577-1640) — 462 (+) La Kermesse. — C'est un tableau à part que va nous montrer le maître sous un aspect entièrement nouveau.
La Kermesse, dit Théophile Gautier, c'est le génie même de Rubens débarassé de toute contrainte allégorique ou mythologique et s'ébattant en pleine liberté dans la joie et l'ivresse flamandes.
Mais n'ayez pas peur qu'accoudé près du pot où mousse la bière, il devienne un paisible et flegmatique Teniers. Quand Rubens s'amuse il a de formidables gaietés de Titan, et sa puissance est la même pour une précipitation d'anges ou de damnés que pour une ronde de buveurs. Devant la porte du cabaret, il a pris la foule chancelante et il l'a nouée en une immense guirlande qui tourne, comme un zodiaque ivre, dans une ronde folle, les bras enlacés, les mains se retenant aux mains, avec une incroyable variété d'attitudes et de torsions, les pieds lourds battant le rhytmc et soulevant une chaude brume de poussière. Quelle vie, quelle turbulence, quelle explosion de joyeuse bestialité: Comme la santé crève sur les joues rouges de ces commères rebondies ! Avec quelle ardeur ces robustes garçons fourragent les opulents appas de ces grasses femelles ! Il faut que tout entre dans la danse, même les vieilles, et la ronde tourne à perdre haleine à travers les cris les huées, les chants. C'est ignoble et c'est superbe, car c'est la Bacchanale du génie. » VAN DER MEULEN (1634-1690) — 306 — Combat près du canal de Bruges. — 311 — Valenciennes prise par Louis XIV.
WYNANTS (1600-1677) — 579 — Lisière de forêt. — Wynants est le premier parmi les maîtres hollandais qui ait fait exclusive-
ment du paysage. Les ouvrages de ce peintre sont assez rares et on attribue le nombre restreint de ses tableaux au soin minutieux qu'il apportait à leur exécution. Il ne faisait pas lui-même les figures qui animent ses paysages, et il a eu souvent pour collaborateurs ses propres élèves, notamment Adrien Van den Velde et Wouwerman qui ont meublé plusieurs de ses tableaux.
PHILIPPE DE CHAMPAIGNE (1602-1674) — 89 — Portrait de Ph. de Champaigne.
NETSCHER (1639-1684) — 358 — La leçon de chant. — 359 — La leçon de basse de viole. — On a pu remarquer déjà combien les peintres hollandais affectionnaient ce genre de sujets. Il n'en faudrait pas conclure cependant que la musique ait occupé une très-grande place dans la vie hollandaise du dix-septième siècle; seulement les peintres trouvaient là une occasion de placer une jolie robe de soie, dont les teintes se mariaient avec les tapis, les meubles et les instruments de musique. Netscher, qui s'est fait en quelque sorte une spécialité dans ce genre, est souvent tombé dans la mièvrerie et la robe de satin blanc prend parfois dans ses tableaux une importance démesurée, qui fait presque oublier la personne qui la porte.
KAREL DU JARDIN (1635-1678) — 243 (+) Les charlatans italiens.
— C'est le plus joli tableau du maître. — Devant des toiles dressées contre une maison, et à travers lesquelles Polichinelle passe sa tète, un Scaramouche fait la parade sur des planches portées par des tonneaux. Au pied de l'estrade, Arlequin, assis sur un escabeau, joue de la guitare pour charmer les spectateurs parmi lesquels on remarque un homme enveloppé dans un grand manteau. Or cet homme, c'est Karel du Jardin lui-même, le spirituel auteur du petit tableau que nous regardons.
C'était un drôle d'homme, ce Karel du Jardin et sa vie décousue jette un jour singulier sur les mœurs des artistes flamands du dix-septième siècle. Il faisait partie d'un groupe de peintres établis à Rome, où ils demeuraient ensemble de manière à former comme un petite Flandre au milieu de l'Italie. Ce n'était pas Saint-Pierre ou le Vatican qui les attirait : Rome pourtant avait pour eux un irrésistible attrait. Ces colonnes en ruines contre lesquelles broutaient les chèvres, ces mendiants si bien
campés sous leurs fières guenilles, ce beau ciel découpé par de petits nuages qui s'enroulent, ces ruisseaux ou viennent s'abreuver des bœufs aux grandes cornes conduits par des pâtres vêtus d'une peau de mouton et chaussés de guêtres, ces charlatans, ces comédiens ambulants si pittoresquement vêtus, voilà ce que regardaient en Italie les Berghem, les Pierre de Laer, les Karel du Jardin et autres.
Quand un nouveau venu se présentait dans la compagnie flamande il offrait aux anciens un festin, à l'occasion de ce qu'on appelait le baptême, sorte de cérémonie burlesque dans laquelle on donnait à l'arrivant un sobriquet qu'il gardait toute sa vie. Karel du Jardin reçut celui de barbe de bouc. Après un assez long séjour à Rome, il voulut revoir sa patrie, mais s'étant arrêté à Lyon, il y fit des dettes, et ne trouva pas d'autre moyen de s'en acquitter que d'épouser sa logeuse qui était fort riche et beaucoup plus âgée que lui. Il l'emmena à Amsterdam, mais la vie conjugale lui rendit le séjour de son pays désagréable, et un jour qu'il était allé reconduire unami qui s'embarquait pour l'Italie, il partit avec lui et ne revint plus; quand il arriva à Venise, il y rencontra des amis, qui fêtèrent si bien son retour que le pauvre Karel du Jardin finit par mourir d'une indigestion.
RUISDAEL (1630-1681) — 473 — Le Coup de soleil.
DAVID TENIERS (1610-1694) — 518 — Intérieur de cabaret.
ADRIEN VAN OSTADE (1610-1685) — 373 — Un homme d'affaires.
METZU (1615-1658) — 294 — La leçon de musique.
P. POTTER (1625-1654) — Un cheval.
VAN DYCK (1599-1641) — 144 — Portrait de Charles-Louis, duc de Bavière, et de Robert, son frère.
BERGHEM (1624-1683) — 18 — Paysage et animaux.
VAN DER MEULEN (1634-1690) — 302 — Marche de l'armée royale sur Courtray.
Panneau de gauche VAN DYCK (1599-1641) — 137 — La Vierge aux donateurs. — Ce tableau pourrait à vrai dire se classer parmi les portraits. La Vierge, assise sur un rocher, tient sur ses genoux l'Enfant-Jésus
qui de sa petite main touche la moustache d'un homme vêtu de noir, agenouillé devant lui et les mains jointes. Près de ce personnage est sa femme, aussi agenouillée; deux petits anges, tenant des fleurs, planent sur la tête des donateurs.
WYNANTS (1600-1677) — 850 — Paysage.
PIETER NEEFS (1570-1651) — Vue intérieure d'une cathédrale.
JEAN STEEN (1636-1689) — 500 (+) Fête flamande dans une auberge, très-bon tableau. — Ah ! c'est de la franche gaieté que celle de Jean Steen : voyez comme on danse, comme on chante, comme on crie, comme on s'amuse, tout en mangeant et ne buvant.
Un trait bien caractéristique des races du Nord, c'est la voracité. Les Vénitiens ont souvent représenté des repas, mais il y a une différence entre les festins vénitiens et les festins hollandais ou flamands. Dans un banquet vénitien, le plaisir de savourer les mets n'est qu'un plaisir accessoire; il accompagne celui qu'on éprouve à regarder de belles femmes, à entendre de bonne musique, à tenir ou écouter d'aimables propos, à respirer le frais dans de jolis jardins, à l'ombre des portiques. Dans une kermesse ou une auberge flamande, la gloutonnerie déborde, et si l'on s'amuse aussi à embrasser les filles, le pot de bière est toujours le personnage principal. Les victuailles, entassées en monceaux, donnent des rêves d'indigestion, et si, monté sur son tonneau, le musicien réclame les droits de l'art, c'est parce que les sons qu'il produit ne sont que du bruit mêlé aux vociférations et aux clameurs de la foule.
RUISDAEL (1630-1681) — 471 — La tempête.
PAUL POTTER (1625-1654) — Un bouguet d'arbres. — Paul Potter est un peintre d'animaux, bien plus qu'un paysagiste.
Quand il s'attaque aux arbres, il apporte autant de rigidité dans la construction des branches que dans l'ossature des ses animaux.
Seulement il souligne impitoyablement chaque petite branche et presque chaque feuille, de sorte que l'atmosphère, le vent, le jeu multiple de la lumière, tout ce qui est vibrant et insaisissable dans la nature, s'efface derrière une exécution méticuleuse, où l'imprévu ne tient aucune place.
ISAAK VAN OSTADE (1613-1617) — 378 ― 379 — Un canal gelé en Hollande. — C'est plein de vie et d'animation : les hommes
et les femmes patinent, les enfants jouent avec de petits traîneaux. Un cheval, attelé à un traîneau gravit un chemin sur le rivage, où l'on voit une chaumière et un grand arbre dépouillé de ses feuilles.
REMBRANDT (1608-1669) — 408 — 409 (+) Le philosophe en méditation. — Dans aucun tableau la pensée mystérieuse de Rembrandt ne s'est mieux révélée que dans le petit philosophe du Louvre. Ces escaliers en spirale semblent pleins de vagues chimères, et ce philosophe, qui a des façons d'alchimiste, doit rêver à de bien étranges choses dans cette salle voûtée, où une fenêtre unique, vitrée de carreaux verdâtres, laisse pénétrer un jour blafard, qui va se perdre et se dégrader dans les coins remplis d'ombres. — 405 (+) Le Samaritain faisant transporter dans une hôtellerie le voyageur blessé.
« Vous rappelez-vous le Bon Samaritain que nous avons au Louvre?
Vous souvenez-vous de cet homme à moitié mort, plié en deux, soutenu par les épaules, porté par les jambes, brisé, faussé dans tout son corps, haletant au mouvement de la marche, les jambes nues, les pieds rassemblés, les genoux se touchant, un bras contracté gauchement sur sa poitrine creuse, le front enveloppé d'un bandage où l'on voit du sang? Vous souvenez-vous de ce petit masque souffrant, avec son œil demi-clos, son regard éteint, sa physionomie d'agonisant, un sourcil relevé, cette bouche qui gémit et ces deux lèvres écartées par une imperceptible grimace où la plainte expire? Il est tard, tout est dans l'ombre; hormis une ou deux lueurs flottantes qui semblent se déplacer à travers la toile, tant elles sont capricieusement posées, mobiles et légères, rien ne le dispute à la tranquille uniformité du crépuscule. A peine, dans ce mystère du jour qui finit, remarquez-vous à la gauche du tableau le cheval d'un si beau style et l'enfant à mine souffreteuse qui se hausse sur la pointe des pieds, regarde par-dessus l'encolure de la bête, et, sans grande pitié, suit des yeux jusqu'à l'hôtellerie ce blessé qu'on a ramassé sur le chemin, qu'on emporte avec précaution, qui pèse entre les mains des porteurs et qui geint.
» La toile est enfumée, tout imprégnée d'ors sombres, très-riche en dessous, surtout très-grave. La matière est boueuse et cependant transparente; le faire est lourd et cependant subtil, hésitant et résolu, pénible et libre, très-inégal, incertain, vague en quelques endroits, d'une étonnante précision dans d'autres. Je ne sais quoi vous invite à vous recueillir et vous avertirait, si la distraction était permise devant une œuvre aussi impérieuse, que l'auteur était lui-même singulièrement attentif et recueilli lorsqu'il la peignit.
Arrêtez-vous, regardez de loin, de près, examinez longtemps. Nu
contour apparent, pas un accent donné de routine, une extrême timidité qui n'est pas de l'ignorance et qui vient, dirait-on, de la crainte d'être banal, ou du prix que le penseur attache à l'expression immédiate et directe de la vie; une structure des choses qui semble exister en soi, presque sans le secours des formules connues, et rend sans nul moyen saisissable les incertitudes et les précisions de la nature. »
EUGÈNE FROMENTIN. (Les Maîtres d'autrefois.) VAN MIERIS (1662-1747) — 328 — La Cuisinière.
VAN DER MEER DE DELFT (1628-1691) — La Dentelière.
BERGHEM (1624-1683) — 17 — Vue des environs de Nice. — Berghem a moins de naïveté que Paul Potter et bien que ses compositions soient conçues avec un vif sentiment du pittoresque, on y sent trop l'arrangement et l'apprêt. Les animaux, toujours pleins de tournure, ne pèchent jamais par la construction, mais plutôt par le ton qui est parfois un peu mé- tallique. Les paysages de Berghem ne sont pas pris dans son pays natal, dont il n'a jamais cherché à traduire le caractère intime. Berghem appartient à un groupe d'artistes voyageurs, qui furent surtout épris de la nature méridionale. Son œuvre presque entière représente des ruines, des montagnes, des bergers bien campés et vêtus de leur peau de mouton, des animaux traversant un torrent et en général les scènes vivantes et pittoresques dont le motif est emprunté presque toujours à l'Italie.
ÉCOLE FRANÇAISE La France, par sa situation géographique n'appartient en propre ni au Nord ni au Midi; notre race indigène a été fortement et à peu près également croisée par l'élément romain et l'élément septentrional. De même, notre école semble ballottée entre deux influences tour à tour prépondérantes, celle de l'Italie et celle des Pays-Bas. Mais avec des procédés empruntés à l'étranger, nos artistes ont su rendre des idées et produire des émotions qu'on ne trouve pas ailleurs. Le Poussin, pour s'être formé en Italie, n'en est pas moins français par la clarté de l'exposition, par la tournure raisonneuse et contenue de son esprit, par la méthode qui préside à ses ordonnances. On peut appeler Watteau un enfant perdu de Rubens, mais le maître
flamand n'a jamais connu cette légèreté, cet enjouement, cette coquetterie, qui rendent si éminemment français le peintre des fêtes galantes. Ces deux artistes, si différents, se ressemblent pourtant par la tournure française de leur esprit. La raison et le caprice, voilà les deux termes entre lesquels s'agite l'école française, et ces deux termes ne sont pas empruntés à l'étranger.
La mise en scène est la qualité dominante des maîtres français : ils ont moins que les Grecs, le culte de la forme, moins que les Italiens, le secret de la grande tournure, moins que les Hollandais, l'observation exacte de la nature extérieure; ce qui prédomine dans notre art, c'est l'idée. Si Rembrandt a besoin d'une ombre, il fait surgir des figures, qui n'ont d'autre but que de la motiver; Rubens invente une allégorie, quand il veut rappeler dans ses nuages le ton de ses carnations; Paul Véronèse dispose ses figures et les habille selon les besoins de sa palette : jamais ni Poussin, ni Le Sueur, n'ont introduit une figure, un geste, un accessoire quelconque qui ne fût voulu par le sujet, qui ne vint concourir à l'idée bien plus importante pour eux que la sensation.
Salle des primitifs (Cette salle ouvre sur la grande galerie, école flamande).
INCONNUS (quatorzième siècle) — 650 — Le Christ descendu de la croix.
(Quinzième siècle) — 651 — Portraits de Jean Juvénal des Ursins et de sa famille.—Ce tableau provient de l'église de NotreDame de Paris, où la famille des Ursins avait une chapelle. —
652 — Portrait de Guillaume Juvénal des Ursins, chancelier de France sous Charles VII et Louis XI. — 653 — Portrait de Charles VII. — 654 — Portrait de femme.
(Seizième siècle) — 656 — Un bal à la cour de Henri III.
Dans l'intérieur d'une vaste salle, des seigneurs et des dames de la cour dansent en formant un grand cercle et en se tenant par la main. A gauche, différents personnages debout, parmi lesquels on remarque, en avant, le roi Henri III près de sa mère, Catherine de Médicis. A côté, une femme assise sur un tabouret et vue de dos.
Dans le fond, des musiciens, et à droite, au premier plan, deux petits chiens, le parquet est jonché de fleurs.
CAT. VILLOT.
657 — Bal donné à la cour de Henri III, à l'occasion du mariage d'Anne, duc de Joyeuse, avec Marguerite de Lorraine, en 1581.
Dans une salle ornée de pilastres et de niches, où sont placées des statues, on remarque à gauche assis sous un dais, Henri III, Catherine de Médicis et Louise de Lorraine, femme du roi. Le deuxième personnage debout derrière Catherine et la reine Louise, paraît être le duc de Mayenne. Tout à fait à gauche, le duc de Guise, surnommé le Balafré, la main appuyée sur le siège du roi, et Marguerite de Navarre. Au milieu de la composition, le duc de Joyeuse s'avance, conduisant sa femme Marguerite de Lorraine par la main. A droite, une femme assise vue de dos, tenant un éventail, et au deuxième plan, des musiciens jouant du luth, des seigneurs, des femmes et des hallebardiers. CAT. VILLOT.
(Dix-septième siècle) — 659 — Portrait de Molière.
JEAN COUSIN (1500-1589) — 137 — Le jugement dernier.
Le souvenir de Michel-Ange est visible dans ce tableau; mais la maigreur des personnages, l'allure sinistre des trépassés, font penser à nos vieux imagiers du moyen âge. Tout l'ensemble est d'ailleurs bien compris comme mise en scène. Au premier plan les anges avec leurs faucilles, et les morts qui tressaillent au son de la trompette fatale. Puis en haut le Christ dans sa gloire, et les élus qui s'avancent vers un temple circulaire; de l'autre côté les damnés qui se précipitent vers les abîmes, et au fond un édifice ruiné, une ville détruite, dont il reste un gibet. Jean Cousin, si le tombeau de l'amiral Chabot est réellement de lui, nous semble néanmoins bien plus grand Comme sculpteur que comme peintre.
CLOUET (1500-1582?) — 107 (+) Charles IX. — 109 — François Ier.
ECOLE DES CLOUET (seizième siècle) — 110 — François Ier. — 111 — Henri II. — 112 — id. — 113 — François de Lorraine, duc de Guise. — 114 — id. — 115 — François Ier. — 116 — Charles de Cossé, comte de Brissac. — 117 — Jacques Bertaut, contrôleur de la maison du roi, vers 1560. — 119 — Diane de France, fille légitime de Henri II. — 120 — Michel de l'Hospital, chancelier de France. — 124 — Catherine de Médicis.
On serait tenté de chercher une origine flamande à ces charmants portraits, tant il y a de sincérité, et de recherche mi-
nutieuse de l'exactitude, mais on y trouve en même temps la suprême distinction et les élégances raffinées de la cour de France.
Les Clouet, visent à imiter la nature, mais ils la voient tout autrement que Holbein et les peintres du Nord. Les portraits de ce temps expriment très-bien la tendance où était la peinture, et un grand nombre de ceux qu'on intitule simplement école de Clouet, ou ancienne école française, sont les oeuvres d'artistes inconnus, qui du fond de leur province, et sans autres guides que la nature, savaient exprimer sur ces petits panneaux modestes un sentiment vraiment national. On n'y trouve ni l'ampleur de l'école italienne, ni le naturalisme positif des Hollandais, mais la distinction unie à la vérité, et une science consommée jointe à la naïveté primitive.
Salle de Le Sueur
Cette salle et la suivante sont entièrement consacrées à des tableaux d'Eustache Le Sueur, qui forment deux séries distinctes.
Les sujets des tableaux placés dans la première salle retracent la vie de saint Bruno. Ils furent commandés à l'artiste pour remplacer d'anciennes peintures sur les mêmes sujets qui avaient été détruits par le temps. Ce fut en 1645, que Le Sueur commença pour le cloître des Chartreux de Paris, cette suite de vingt-deux tableaux qui peut passer pour son œuvre capitale.
Le Sueur n'imprime pas à ses figures la fierté d'allures qui domine dans l'école italienne; mais il y met une candeur que nul n'a égalée. Les tableaux de la Vie de saint Bruno, reflètent son âme toute entière. Quelle foi tranquille et simple dans cette réunion de fidèles qui écoutent le sermon, et comme leur attention, si diversement exprimée, parait toujours sincère et jamais emphatique !
Et dans ce mort qui ressuscite pour annoncer qu'il est jugé et damné, quel sentiment profond du drame, et comme, sans contorsions ni manières, l'émotion et la terreur sont communicatives! Mais jamais peut-être Le Sueur n'est si pathétique que dans la mort du saint : les flambeaux répandant sur la scène une lueur sépulcrale, la douleur si bien rendue des assistants,
l'entente merveilleuse du clair-obscur, et l'austérité de toute la scène en font un chef-d'œuvre unique dans son genre.
Pour bien comprendre le lien qui rattache ensemble ces compositions, il faut les examiner l'une après l'autre, dans l'ordre suivant : 1.— 525 (+) Saint Bruno assiste au sermon de Raymond Diocrès.
— Vers le onzième siècle, on vantait beaucoup les vertus et les talents d'un chanoine de Notre-Dame de Paris, nommé Raymond Diocrès. Le peintre a représenté le moment où il prêche devant une nombreuse assemblée, parmi laquelle est saint Bruno debout et un livre sous le bras.
2. — 526 — Mort de Raymond Diocrés. — Raymond dont le grand extérieur de piété avait ébloui le peuple, est couché mourant sur son lit. Saint Bruno, en prières est à genoux près du mourant, tandis que des prêtres récitent des prières et présentent un crucifix. Cependant le diable, placé au-dessus de la tête du moribond, montre qu'il est mort dans le péché.
3. — 527 (+) Raymond Diocrès répondant après sa mort. —
Pendant l'office, tandis que le prêtre et les assistants, tenant des torches, récitent les prières accoutumées, le mort se soulève dans son linceul, et déclare qu'il est damné. Saint Bruno, placé derrière l'officiant, semble implorer la miséricorde divine.
4. — 528 — Saint Bruno en prière. — Emu par le prodige dont il a été témoin, saint Bruno, prosterné devant un crucifix, se propose de renoncer au monde.
Au loin, on voit mettre en terre le corps de Raymond.
5. — 529 — Saint Bruno enseigne la théologie dans les écoles de Reims.
6. — 530 — Saint Bruno engage ses disciples à quitter le monde.
— Parmi les assistants, on remarque un jeune homme, qui se détermine à prendre l'habit monastique, et se jette dans les bras de son père pour lui faire ses adieux.
7. — 531 — Songe de saint Bruno. — Le saint endormi sur son lit voit en songe trois anges qui l'instruisent de ce qu'il doit faire.
8. — 532 — Saint Bruno et ses compagnons distribuent leurs biens aux pauvres.
9. — 534 — Arrivée de saint Bruno à Grenoble chez saint
Hugues. — L'évêque saint Huges reçoit saint Bruno et ses disciples qui s'agenouillent devant lui. Dans le ciel, on voit sept étoiles qui avaient apparu à saint Hugues, semblant le guider vers un lieu désert de son diocèse appelé Chartreuse.
10. — 535 — Voyage à la Chartreuse. — Saint Bruno et saint Hugues, à cheval, se rendent à l'endroit où doit être fondé l'ordre des Chartreux.
11. — 536 — Saint Bruno fait construire le monastère.— Sain Bruno examine le plan du monastère, pendant que l'architecte s'entretient avec un religieux. L'ordre des Chartreux a eté fondé en 1084.
12. — 537 — Saint Bruno prend l'habit monastique. — Saint Hugues, évêque de Grenoble, remet à saint Bruno agenouillé devant lui l'habit blanc de l'ordre des Chartreux.
13 .— 538 — Le pape Victor III confirme l'institution des Chartreux. — On voit le pape écoutant la lecture des statuts de l'ordre.
14. — 539 — Saint Bruno donne l'habit à un novice.
15. — 540 — Saint Bruno reçoit un message du pape. — Le pape Urbain II, qui avait été autrefois disciple de saint Bruno, lui envoie un messager pour l'appeler près de lui.
16. — 541 — Arrivée de saint Bruno à Rome.— Le pape tend affectueusement les mains au saint agenouillé devant lui.
17. — 542 — Saint Bruno refuse un archevêché. — Le pape montre au saint qui détourne la tête une mitre archiépiscopale placée sur une table.
18. — 543 — Saint Bruno en prière dans sa cellule. — Tandis que des religieux défrichent la terre pour fonder un nouvel établissement en Calabre, le saint est à genoux devant un crucifix.
19. — 544 — Rencontre de saint Bruno par le comte Roger. — Roger, comte de Sicile et de Calabre, étant à la chasse, rencontre saint Bruno et s'agenouille devant lui.
20. — 545 — Apparition de saint Bruno au comte Roger. — Saint Bruno apparaît en songe au comte Roger et lui donne avis qu'un de ses officiers le trahit et va livrer son armée à l'ennemi.
Le comte s'éveille et prend ses armes.
21. — 546 (+) Mort de saint Bruno. — Saint Bruno, après un
séjour de onze années dans la Calabre, expire en joignant les mains au milieu des chartreux assemblés.
22. — 547 — Saint Bruno est enlevé au ciel.
Un fait purement technique mais qui peut intéresser la curiosité des visiteurs, c'est que les tableaux de saint Bruno avaient été primitivement exécutés sur des panneaux; le bois s'étant pourri ils ont été transportés sur toile avec une très-grande habileté par un restaurateur nommé Haquin.
Un tableau qui représente le dédicace de l'église des chartreux, et un plan de l'ancienne église des chartreux, placés dans la salle suivante, complètent la série des tableaux de saint Bruno, bien qu'ils ne s'y rattachent qu'indirectement.
Comment donc le peintre des cénobites pourrait-il aborder des sujets païens ? C'est ce que nous allons voir dans la salle suivante, qui est encore occupée par des peintures de Le Sueur, mais se rattachant toutes à des sujets mythologiques. Le Sueur a compris l'antiquité comme Fénelon, lorsqu'il a fait son Télémaque, car l'un et l'autre ont le cœur chrétien et le goût grec.
Voyez ces chastes Muses dans leur riant paysage : la gravité de leur visage et l'élégance de leur tournure en font des divinités à part qui ont les formes des déesses, et qui pensent comme les saintes. Tous les sujets contenus dans cette salle faisaient autrefois partie de la célèbre décoration de l'hôtel Lambert.
L'hôtel de Nicolas Lambert de Thorigny, président de la chambre des comptes, fut construit à l'extrémité de l'ile SaintLouis par Le Vau. Les plus grands artistes du temps furent appelés pour le décorer. Le Brun y a peint la galerie d'Hercule et Le Sueur, dans les salles dites le Cabinet des Muses, la Chambre de l'Amour, et le Cabinet des bains, a exécuté des ouvrages trèscélèbres et d'autant plus intéressants que Le Sueur est avant tout un peintre religieux, et que là, il n'a traité que des sujets mythologiques. L'hôtel Lambert, qui a appartenu au fermier général Dupin, arrière-grand-père de madame Sand, et où Voltaire a demeuré quelque temps est aujourd'hui la propriété de M. le prince Czartoriski.
Les ouvrages de Le Sueur qu'on voit au Louvre sont ceux qui décoraient autrefois la chambre de l'Amour et le cabinet des Muses. Les tableaux qui proviennent de la chambre de l'Amour
sont la Naissance de l'Amour (551), Vénus présente l'Amour à Jupiter (552), l'Amour, réprimandé par sa mère, se réfugie dans les bras de Cérès (553), l'Amour reçoit l'hommage des dieux (554), l'Amour ordonne à Mercure d'annoncer son pouvoir à l'univers (555), l'Amour dérobe le foudre de Jupiter (556).
Les sujets tirés du cabinet des Muses sont : Phaèton demandant à Apollon la conduite du char du soleil (557), Clio, Euterpe et Thalie (558), Melpomène, Erato et Polymnie (559), Uranie (560), Therpsichore (561), et Calliope (562). Le Ganymède enlevé par Jupiter (563), provient d'une autre chambre de l'hôtel Lambert.
Salle de Vernet
La salle où nous entrons et le couloir qui lui fait suite contiennent des marines de Joseph Vernet. A la fin du siècle dernier cet artiste, qui fut le père de Carle Vernet, le peintre de chevaux, et le grand-père d'Horace Vernet, le peintre de batailles, obtint un immense succès avec ses paysages et ses marines qu'il peuplait d'une quantité de petites figures d'une tournure charmante. Quand on a parcouru la série si animée des ports de France, quand on a regardé ces brouillards, ces clairs de lune, ces soleils couchants, ces orages, on est frappé de l'esprit d'observation qui a guidé le peintre et de l'intelligence avec laquelle il a su traduire les effets fugitifs de la lumière.
La variété que Joseph Vernet mettait dans ses effets étonnait ses contemporains, et la Dauphine disait en parlant de lui qu'il savait faire à volonté la pluie et le beau temps. La même pensée se trouve exprimée dans Diderot à propos du salon de 1765 :
« Vingt-cinq tableaux, s'écrie-t-il, vingt-cinq tableaux! et quels tableaux! C'est comme le Créateur, pour la célérité; c'est comme la nature, pour la vérité. On dirait de Vernet qu'il .commence par créer le pays, et qu'il a des hommes, des femmes, des enfants en réserve, dont il peuple sa toile comme on peuple une colonie; puis il leur fait le temps, le ciel, la saison, le bonheur, le malheur qu'il lui plaît. C'est le Jupiter de Lucien, qui, las d'entendre les cris lamentables des humains, se lève de table et dit: « De la grêle en Thrace;» et l'on voit aussitôt les arbres dépouillés, les moissons hachées et le chaume des cabanes dispersés : « La peste en Asie; » et
l'on voit les portes des maisons fermées, les rues désertes et les hommes se fuyant : « Ici un volcan; » et la terre s'ébranle sous les pieds, les édifices tombent, les animaux s'effarouchent, et les habitants des villes gagnent les campagnes : « Une guerre là ; » et les nations courent aux armes et s'entr'égorgent: « En cet endroit une disette; » et le vieux laboureur expire de faim sur sa porte. Jupiter appelle cela gouverner le monde, et il a tort. Vernet appelle cela faire des tableaux, et il a raison. »
Les éloges que Diderot prodigue au peintre n'étaient pas une note isolée et on ne saurait croire l'enthousiasme qui à chaque Salon se traduisait par des plaquettes en vers et en prose. Voici quelques vers extraits d'une de ces épîtres publiée en 1773 : ils sont faibles mais rendent assez bien la foule qui donne tant d'animation aux ports de Vernet.
« Sur les bords d'un vaste bassin Un peuple innombrable fourmille, Calfate une tartane, élève un magasin, Tansporte le café, l'indigo, la vanille, D'huile et de vin fait rouler les tonneaux, De sucre et de tabac voiture les bocaux.
Le soldat, la femme, la fille, L'officier au trait valeureux, Le jeune abbé, le sergent, le chanoine, Le commerçant, le procureur, le moine, Le conseiller au longs cheveux, Le pâtre, le paysan, la timide bergère, Le commis insolent, l'impudente harengère, Le philosophe sourcilleux, Le petit maître qui s'admire, L'amoureux transi qui soupire, Et le partisan dédaigneux. »
Vernet est en effet un des peintres qui ont su le mieux faire manœuvrer une foule de petits personnages, et ses tableaux des ports de France sont des petits chefs-d'œuvre sous ce rapport.
Voici au reste, comment cette intéressante suite de quinze tableaux a été appréciée dans l'ouvrage de Léon Lagrange qui a fait de Joseph Vernet une étude spéciale.
« Ainsi fut accomplie en dix ans, — 1753-1763, — la grande et unique mission confiée par le roi de France au premier peintre de marines de son temps. Joseph Vernet, on doit le reconnaître, s'en est acquitté avec un rare bonheur. Aucun palais, aucun musée de
l'Europe ne peut montrer une suite de peintures topographiques comparables à ces quinze tableaux des Ports de France. D'autres souverains avaient eu, avant Louis XV, l'idée de représenter en peinture les principales villes qui faisaient leur orgueil ou leur richesse. Il existe, en Italie notamment, plusieurs exemples de décorations de ce genre. Mais ni les vues à vol d'oiseau qui ornent la cour du Palais Vieux, à Florence, ni les cartes géographiques peintes à fresque tout le long d'une galerie du Vatican à Rome, ne sauraient approcher de l'œuvre à laquelle Joseph Vernet a attaché son nom; œuvre aussi remarquable par l'exactitude des lieux que par le sentiment pittoresque, par l'intelligence de l'ensemble que par la multiplicité des détails ; œuvre unique, où le génie du peintre a su réunir, sous la forme la plus attrayante, la précision d'un document officiel à la dignité d'une œuvre d'art. »
(Joseph Vernet et la Peinture au dix-huit siècle par LÉON LAGRANGE.) Voici la liste des tableaux composant la série des ports de France, qui sont tous dans cette salle : — 592-593 — Marseille — 594 — Golde de Bandol. — 595-596-597 — Toulon. — 598 — Antibes. — 599 — Cette. — 600-601 — Bordeaux. — 602-603 — Bayonne. — 604 — La Rochelle. — 605 — Rochefort. — 606 — Dieppe.
Salle du dix-septième siècle
Nous entrons ici dans une très-grande salle fort bien éclairée; elle appartient au nouveau Louvre, et nous sommes obligés, vu son étendue de procéder comme nous avons fait pour la grande galerie, c'est-à-dire de visiter successivement le panneau de droite et celui de gauche.
A droite
LENAIN (dix-septième siècle) — Portrait. — Scène de cabaret.
LE BRUN (1619-1690) — 66 — Sainte Madeleine repentante. —
Cette peinture avait été exécutée par Le Brun pour un couvent de Carmélites, et on a cru longtemps que cette Madeleine était un portrait de mademoiselle de La Vallière.
POUSSIN (1594-1665) — 436— Camille livre le maître d'école des Falisques à ses écoliers. — C'est une composition intéressante : les bambins armés de verges poursuivent le vieux traître qui a les mains liées derrière le dos. Mais ce n'est pas une des plus belles toiles du Poussin.
LE BRUN (1619-1690) — 65 — Marlyre de saint Etienne.
LE SUEUR (1617-1655) — 519 — Jésus apparaît à la Madeleine sous la figure d'un jardinier.
POUSSIN (1594-1665) — Dernier tableau laissé inachevé.
VALENTIN (1600-1634) — 584 — Le jugement de Salomon. —
Valentin est le père du réalisme dans l'école française. Son exécution, d'une surprenante énergie, montre peut-être le point culminant de l'école française, comme rendu de morceau, et si on ne le considère pas comme un artiste de premier ordre, c'est parce qu'en France, on se préoccupe avant tout de la pensée et - que dans Valentin, on ne trouve qu'un tempérament. Le tableau de Suzanne reconnue innocente — 583 —, fait pendant au jugement de Salomon. On y voit le prophète Daniel, donnant l'ordre d'arrêter les deux vieillards calomniateurs. La tête des enfants placés à côté de Suzanne, est superbe de vie et de vérité.
Valentin a toujours vécu à Rome, dans l'intimité du Poussin ayec lequel il était extrêmement lié; mais comme artiste, il n'y a entre eux aucune affinité.
MIGNARD (1610-1695) — 357 — Neptune offrant ses richesses à la France; allégorie à Louis XIV.
LE SUEUR (1617-1655) — 517 (+) Jésus partant sa croix. — Ce petit tableau est un chef-d'œuvre. C'est en voyant cette charmante toile que l'on comprend tout ce qu'il y a de piété et de tendresse dans ce maître admirable. Eustache Le Sueur est incontestablement le plus religieux des peintres français. Sa peinture s'adresse au cœur et à l'esprit et ne cherche jamais à éblouir par les contrastes de l'effet, ni à séduire par l'esprit de la touche.
Son style simple et exempt de convention, à la fois chaste et gracieux, son geste sobre et excessif, le placent à côté du Poussin, à la tête de l'école française. Il y a des hommes dont toute la vie est intérieure : Le Sueur est un de ceux-là. Le Poussin a vécu entouré des chefs-d'œuvre qu'il aimait : Le Sueur qui n'a jamais vu l'Italie, n'était guère à même d'étudier l'antique, les moulages étant fort rares à cette époque, mais il l'a deviné. De Raphaël, il n'a guère connu que les gravures, et il semble son élève. On a souvent mis Le Sueur en parallèle avec Racine et le Poussin avec Corneille.
POUSSIN (1594-1665) — 443 — Le triomphe de Flore.
Au second plan, sur la droite de la composition, Flore, assise sur
un char, richement orné, que trainent deux amours ou plutôt deux képhirs, est accompagnée d'un nombreux cortége de nymphes, de jeunes gens, d'amours portant des fleurs, les uns dans leurs mains, les autres dans des corbeilles. Deux amours voltigent au-dessus de sa tête et vont la couronner. Un guerrier debout, vu de dos, lui présente des fleurs dans un bouclier. A gauche, des femmes et des hommes, des enfants précèdent le char en chantant et en dansant.
Au premier plan, du même côté, un fleuve et une naïade couchée par terre sur une draperie. A droite, une femme agenouillée cueil- dant une fleur. VILLOT. (Notice de l'École française.) PUGET ( ? 1707) — 463 — Portraits de plusieurs musiciens et artistes du siècle de Louis XIV. — Ce Puget était le fils du célèbre sculpteur : on croit reconnaître dans cette composition les portraits de Lulli, de Quinault, et du peintre lui-même.
POUSSIN (1594-1665) — 421 — Les Philistins frappés de la peste. — Le peintre a représenté la place publique d'Azot, décorée de riches édifices; car l'architecture joue toujours un grand rôle dans les tableaux du maître. Au premier plan, près d'une jeune mère qui vient d'expirer, est un petit enfant mort et un autre qui cherche le sein; divers personnages viennent pour secourir les malades ou emporter les morts. Derrière eux, un groupe de Philistins vient contempler l'idole brisée et s'assurer de la vérité du prodige.
POUSSIN (1594-1665) — 420 — Les Israélites recueillant la manne dans le désert. — Ce magnifique tableau nous montre le Poussin aux prises avec une foule qu'anime un sentiment unique, mais qui doit l'exprimer par des gestes appropriés au tempérament de chacun. Les Israélites, après avoir passé la mer Rouge pénétrèrent dans les déserts de l'Arabie où leurs provisions se trouvèrent bientôt épuisées. Dieu leur envoya alors chaque jour une pluie de petits grains blancs, bons à manger qu'on nomma la manne. Au milieu d'un désert où s'élèvent des roches escarpées, le Poussin a représenté Moïse implorant le ciel, au milieu des Israélites qui recueillent la nourriture que le Seigneur leur envoie. Ce tableau a été exécuté en 1639 pour M. de Chantelou, maître d'hôtel du roi. Dans une lettre adressée par le Poussin au peintre Stella, son ami, on remarque le passage suivant, relatif au tableau de la manne : « J'ai trouvé une certaine dis-
tribution pour les tableaux de M. de Chantelou, et certaines attitudes naturelles, qui font voir dans le peuple juif la misère et la faim où il était réduit, et aussi la joie et l'allégresse où il se trouve, l'admiration dont il est touché, le respect et la révérence qu'il a pour son législateur, avec un mélange de femmes, d'enfants et d'hommes d'âges et de tempéraments différents; choses, comme je le crois qui ne déplairont pas à ceux qui les sauront lire.» POUSSIN (1594-1665) — 452 — Orphée et Eurydice, paysage. —
On pense que ce tableau est celui que Poussin a peint en 1659 pour le peintre Le Brun.
LE BRUN (1619-1690) — 63 — Le Christ mort sur les genoux de la Vierge.
POUSSIN (1594-1665) — 435 — L'enlèvement des Sabines. —
Ce tableau montre sous une face particulière le génie du Poussin : ici tout est mouvement et passion. Ce ne sont que draperies volantes, figures courant en tous sens, chevaux qui se cabrent, femmes criant dans les bras de leurs ravisseurs. La panique est universelle, et jamais le désordre communicatif, qui s'empare d'une foule saisie de frayeur n'a été mieux rendu. Les types sont vraiment barbares, la touche rude, la couleur crue et tapageuse.
Dans cette mêlée pourtant, tous les groupes s'enlacent, et cet enchaînement donne du repos à l'œil, en laissant à l'esprit toute son émotion. Romulus, qui domine toute la scène, est la seule figure calme : cette tempête, il l'a préméditée et son geste impérieux la commande.
POUSSIN (1594-1665) — 417 — Moïse sauvé des eaux.
Composition de dix figures principales. — Sur le rivage, vers le milieu du tableau, Thermutis, vue de face, soutenue par une jeune fille placée derrière elle et dont on ne voit qu'une portion du buste, est accompagnée de six femmes. A droite, deux sont debout, une est agenouillée près de la corbeille de jonc où est couché le petit Moïse. A gauche, deux autres femmes également agenouillées, et une penchée. Du même côté, au second plan, le batelier qui a trouvé le berceau flottant s'éloigne dans sa barque. A droite, au premier plan, la figure allégorique du Nil, tournée vers le spectateur, couchée sur une draperie, appuyée sur une urne, tenant une corne d'abondance, et caractérisée par un sphinx. Dans le fond, sur l'autre rive, la ville avec des pyramides, de riches édifices, des palmiers, et sur le Nil une barque antique montée par neuf person-
nages, dont deux s'apprêtent à percer d'une lance un hippopotame qui nage.
CAT. VILLOT.
Jouvenet (1644-1717) — 298 — La résurrection de Lazare. — Ce grand tableau qui était autrefois placé dans l'église SaintMartin des Champs, est un des meilleurs tableaux de Jouvenet Il faut voir la manière dont Diderot en parle, en l'opposant à un tableau de son contemporain Deshays, qui avait peint le même sujet : « Dites-moi aussi pourquoi les ressuscités sont hideux? Il me semble qu'il vaudrait autant ne pas faire les choses à demi et qu'il n'en coûterait pas plus de rendre la santé avec la vie. Voyez-moi un peu ce Lazare de Deshays : je vous assure qu'il lui faudra plus de six mois pour se refaire de sa résurrection. Je ne vous conseillerais pas de l'opposer à celui de Rembrandt ou de Jouvenet. Si vous voulez être étonné, allez à Saint-Martin des Champs voir le même sujet traité par Jouvenet. Quelle vie! quels regards! quelle force d'expression! quelle joie! quelle reconnaissance! Un assistant lève le voile qui couvrait cette tête étonnante et vous la montre subitement. Quelle différence entre ces amis qui tendent les mains au ressuscité de Deshays et cet homme prosterné qui éclaire avec un flambeau la scène de Jouvenet ! Quand on l'a vue une fois, on ne l'oublie jamais. »
Il est certain que Jouvenet n'approche pas du Poussin pour la correction et le style, mais on ne peut lui refuser la vie et le sentiment dramatique, qualités qui passionnaient surtout Diderot.
LE SUEUR (1617-1655) — 521 (+) Prédication de saint Paul à Ephèse.
Au milieu de la composition et au second plan, saint Paul debout sur les degré d'un portique, le bras droit élevé et montrant le ciel, harangue les habitants d'Ephèse qui l'entourent. Ceux qui avaient exercé des arts curieux apportèrent leurs livres et les brûlèrent sur la place. A gauche, au premier plan, un homme debout, regardant l'apôtre, déchire un volume. A droite, un vieillard courbé, la tête et le haut du corps enveloppés dans une draperie, porte une charge de livres et de rouleaux et s'apprête à les jeter au milieu de ceux qui, entassés sur les dalles de la place, commencent déjà à brûler.
Tout à fait en avant, un esclave à genoux souffle avec sa bouche sur la flamme naissante qui va les réduire en cendre. Dans le fond, à gauche, un temple, et dans une niche du péristyle, la
statue de Diane chasseresse, placée par le peintre pour indiquer le lieu de la scène. — Signé : E. Le Sueur 1649.
CAT. VULLOT.
LE BRUN (1619-1690) — 72 (+) La tente de Darius. — Ce tableau fait partie d'une série de peintures sur l'histoire d'Alexandre qu'on trouvera dans la salle suivante; c'est de beaucoup le plus célèbre.
« La même année 1660, le roi étant à Fontainebleau, commanda à M. Le Brun de travailler sur quelque sujet tiré de l'histoire d'Alexandre, et Sa Majesté voulut bien se faire un plaisir de donner quelques moment de ses heures de relâche pour le voir peindre; ainsi elle le fit loger dans le château, et si proche de son appartement qu'elle le venait voir dans des moments inopinés lorsqu'il tenait le pinceau à la main, et daignait même s'entretenir avec lui sur les plus grandes actions de ce héros. M. Le Brun y fit le tableau de la Famille de Darius, et y représenta Alexandre qui, sortant de la bataille d'Issus, vient rendre visite aux princesses de la maison royale de Perse, que cette victoire avait fait captives. Ce tableau jeta les fondements de la fortune que M. Le Brun fit auprès du roi. »
(Guillet de Saint-Georges, Mémoires inédits sur la vie et les ouvrages des membres de l'Académie royale.) — « Le roi voulut voir jusqu'où pouvait aller la force dn génie de ce peintre et l'obligea de peindre, sur-le-champ, la tête de Parysatis, ce qu'il fit au premier coup avec succès. » (Florent Lecomte.) CAT. VILLOT.
POUSSIN (1594-1665) — 426 — Les aveugles de Jéricho.
CLAUDE LORRAIN (1600-1682) — 221 (+) Fête de village. — 222 Port de mer au soleil couchant. — Claude Lorrain est le peintre de la lumière; mais de même que le Poussin, sans cesser d'être vrai, appliquait à un ensemble imaginaire des détails exacts, de même Claude Lorrain composa toujours ses tableaux sans jamais entrer dans le naturalisme de l'école hollandaise. Ses troupeaux qui ruminent sous des ombres épaisses, ses palais qui profilent sur le ciel leur silhouette élégante, ses campagnes dignes du paradis terrestre, ses ports où la brise du soir roule doucement les vagues d'une mer tranquille, ses portiques entremêlés de beaux arbres qui balancent leurs feuilles sur un ciel sans nuages, il les a peint comme la nature aurait pu les faire, mais il les a inventés comme son esprit se plaisait à les conce- voir. S'il rivalise avec la nature pour l'éclat de la lumière, si dans un petit espace de toile, il sait montrer des étendues im-
menses, s'il connaît les brumes fraîches du matin et les tièdes vapeurs du soir, il s'en sert pour donner la vie et la vérité à son rêve intérieur; mais en somme, ce qu'il peint c'est toujours luimême.
VALENTIN (1600-1634) — 586 — Un concert.
POUSSIN (1594-1665) — 437 — Pyrrhus sauvé.
Eacides, roi des Molosses, ayant été chassé de son royaume par des rebelles, Angélus et Androclidès, ses amis, s'échappèrent avec son fils le jeune Pyrrhus et les femmes qui le nourrissaient. Poursuivis, ils combattirent l'ennemi en fuyant, et parvinrent, à la fin du jour, à une rivière débordée. Désespérant de la passer à gué, ils firent connaître leur situation aux Mégariens placés sur l'autre rive, en traçant quelques lignes sur deux morceaux d'écorce de chêne, qu'ils lancèrent à l'autre bord, après avoir attaché l'un au fer d'une lance et roulé l'autre autour d'une pierre. Les Mégariens construisirent un radeau, traversèrent le fleuve, et sauvèrent Pyrrhus. — Au premier plan, près du fleuve caractérisé par une figure allégorique couchée, les deux soldats jettent la pierre et la lance. Vers le milieu de la composition, deux soldats ; l'un tient le jeune Pyrrhus, l'autre le montre aux Mégariens dont il invoque le secours. Près de l'enfant, trois femmes; une agenouillée vue de dos, deux autres debout, se retournant avec effroi du côté des serviteurs fidèles qui repoussent l'ennemi. De l'autre côté du fleuve, les Mégariens sur la rive, une statue Hermès de Mercure, et l'entrée de la ville.
CAT, VILLOT, JOUVENET (1644-1717) — 297 — La pêche miraculeuse CLAUDE LEFÈVRÉ (1633-1675) — 195 — Portraits d'un maître.
et de son élève. — Le maître est un abbé à la physionomie respectable et l'élève ressemble aux écoliers de tous les temps, mais il y a dans cette peinture une précision et une sûreté de touche bien remarquable.
RIGAUD (1659-1748) — 479 — Portrait du sculpteur Des jardins SÉBASTIEN BOURDON (1616-1671) — 34 — Le sacrifice de Noé à la sortie de l'arche.
CLAUDE LORRAIN (1600-1683) — 224 — David sacré roi par Samuel. — 225 — Ulysse remet Chryseis à son père. — Claude Lorrain a choisi des sujets très-variés; on pourrait s'attendre à y trouver des impressions fort différentes, il n'en est rien cependant. Le véritable sujet de son tableau est toujours emprunté aux rayons da soleil,quel que soit d'ailleurs le nom dont il veuille le revêtir; mais on ne se plaint pas de cette monotonie, car ce
maître qui se ressemble toujours a pourtantle don d'être toujours supérieur à lui-même.
SANTERRE (1650-1717) — 496 — Suzanne au bain.
POUSSIN (1594-1665) — Bacchanale. — Ce joli tableau nous fait remonter à la jeunesse du Poussin. En effet ce mâle génie qui semble devoir plus encore à l'étude et à la méthode qu'au tempérament natif, s'est plusieurs fois modifié et on peut suivre au Louvre toute la série de ses transformations. Les sujets mythologiques appartiennent presque tous aux débuts de sa vie d'artiste. Quoique la touche y soit souvent un peu sèche, on y voit la préoccupation des écoles vénitienne et lombarde qu'il étudia beaucoup dans sa jeunesse. La pensée est aussi moins apparente et moins réfléchie que dans la seconde partie de sa vie, mais l'ordonnance est toujours heureuse, et on y trouve souvent une grâce qui lui fera un peu défaut plus tard.
Le Louvre est riche en tableaux du Poussin, et ce maître austère est mieux représenté ici que dans aucun autre musée d'Europe. Le Poussin a été appelé le peintre des philosophes, et son œuvre entière témoigne de la justesse de cette épithète.
Inférieur à Titien ou à Rubens pour le coloris, il le cède également à Raphaël pour le sentiment de la beauté des formes, mais la composition et l'ordonnance, la vérité du geste, la force de l'expression et la grandeur du style, lui assignent une place au premier rang parmi les grands maîtres, et on peut le mettre à côté de son compatriote Corneille pour la force et l'énergie de ses pensées. Le Poussin savait tout, il avait tout appris et tout raisonné, mais devant la nature, il oubliait la science et ne se rappelait l'antique que pour savoir mieux la choisir; en face de son idée, il faisait comme les peintres primitifs avec la science en plus et ne peignait jamais pour peindre mais exprimer quelque chose.
POUSSIN (1594-1665) — 422 — Le Jugement de Salomon. — Ce tableau, conçu à une époque où le talent du Poussin avait atteint toute sa maturité, est un tableau rigoureusement classique.
Salomon est assis sur un trône au milieu de la composition.
Devant lui sont les deux mères, dont l'une tient sous son bras l'enfant mort, tandis que l'autre fait un geste de terreur, en voyant son enfant qu'un soldat armé du glaive tient par le pied:
les spectateurs expriment l'étonnement ou l'effroi dont ils sont saisis.
POUSSIN (1594 1665) — 415 (+) Eliézer et Rebecca. — Au milieu d'un groupe de jeunes filles occupées à prendre de l'eau à une fontaine, Eliézer, vêtu à l'oriental et coiffé d'un turban, offre des colliers à Rebecca placée devant lui. Au fond on aperçoit la ville. « Le sieur Pointel, dit Félibien, écrivit au Poussin qu'il l'obligerait, s'il voulait lui faire un tableau de plusieurs filles, dans lequel on put remarquer différentes beautés. Le Poussin, pour satisfaire son ami, choisit cet endroit de l'écriture sainte, où il est rappelé comment le serviteur d'Abraham rencontra Rebecca qui tirait de l'eau pour abreuver les troupeaux de son père, et de quelle sorte après l'avoir reçu avec beaucoup d'honnêteté et donné à boire à ses chameaux, il lui fit présent des bracelets et des pendants d'oreilles dont son maître l'avait chargé.» Voici un sujet d'un genre absolument intime et dans lequel le Poussin, bien qu'obéissant aux principes de l'école italienne, a montré toute l'originalité de son inspiration. Quel est le Florentin qui, voulant faire une Rebecca à la fontaine, n'eût aussitôt songé à une belle fille d'une grande allure, décrivant une ligne magistrale par le mouvement de ses hanches? Le Poussin, lui, l'a faite ingénue; puis, distribuant sur la scène un groupe nombreux de jeunes filles, il a su donner à chacune un tempérament et une expression spéciale. Tandis que Rebecca semble à la fois embarrassée et charmée d'être choisie parmi ses compagnes, voici, accoudée sur la margelle du puits, l'envieuse, qui regarde ces présents offerts à une autre; voici la curieuse qui, dans sa distraction, ne s'aperçoit pas que sa cruche déborde ; puis, c'est la dédaigneuse, qui s'éloigne d'un air d'indifférence; puis une autre qui, pour dissimuler son embarras, continue à puiser de l'eau, affectant d'ignorer ce qui se passe. Pas une nuance qui ne soit finement observée et délicatement rendue. Si Molière a vu ce tableau, il a dû reconnaître là un compatriote : il aurait fait parler ses personnages, comme Poussin les a peints.
JOUVENET (1644-1717) — 306 — Portrait de Fagon, médecin de Louis XIV.
RIGAUD (1659-1743) — 478 — Portraits de la mère de Rigaud, dans le même costume et sous deux aspects différents.
On lit dans les mémoires inédits des membres de l'ancienne Académie royale de peinture : « En 1695, il fit le voyage de Roussillon pour se rendre chez sa mère. Il la peignit en trois différentes vues : une en face, l'autre en profil, et la troisième à trois quarts, - afin que M. Coyzevox, son ami, un des plus habiles sculpteurs de France, qui devait faire en marbre ce portrait, eût plus de facilité à le perfectionner. »
CLAUDE LORRAIN (1600-1682) — 233 — Entrée d'un port.
JACQUES COURTOIS (1621-1676) — 133 — Marche de troupes.
Nous n'avons que deux tableaux à signaler sur le panneau placé au fond de la salle.
LE SUEUR (1617-1655) — 516 — La Salution angélique.
BON BOULOGNE (1649-1717) — 32 — Saint Benoit ressuscitant un enfant. — C'est le meilleur tableau de cet artiste.
Panueau de gauche JACQUES COURTOIS (1621-1676) — 134 — Combat de cavalerie.
MIGNARD (1610-1695) — 354 — Sainte Cécile. — 360 — Portrait de l'auteur.
LARGILLIÈRE (1656-1746) — 320 — Portrait de Charles Le Brun.
LE SUEUR (1617-1717) — 566 — Le Christ à la colonne. — Ce tableau a quelquefois été attribué à Simon Vouet. Le catalogue du Louvre, en lui donnant l'attribution de Le Sueur, ajoute qu'il a dù être peint à une époque ou Le Sueur était complètement sous l'influence de son maître.
LE SUEUR (1617-1655) — 518 (+) La descente de croix. — Ce tableau, qui est de forme ronde, est considéré comme un des chefs-d'œuvre du maître.
LE BRUN (1619-1690) — 61 — Jésus élevé en croix.
VALENTIN (1600-1634) — 588 — La diseuse de bonne aventure.
JOUVENET (1644-1717) — 299 — Les vendeurs chassés du Temple.
LE SUEUR (1617-1655) — 524 — La messe de saint Martin, évêque de Tours.
FRANÇOIS PUGET (?-1707) — 402 — Portrait de Pierre Paget, célèbre statuaire.
LE BRUN (1619-1690) — 59 — Entrée de Jésus-Christ dans Jérusalem.
SIMON VOUET (1590-1649) — 641 — La présentation de Jésus au Temple.
POUSSIN (1594-1665) — 424 — Sainte-Famille. — 417 — Moïse sauvé des eaux. — 429 — L'Assomption de la Vierge. — 442 — Echo et Narcisse. — 445 (+) Les bergers d'Arcadie. — Un des ouvrages les plus célèbres du maître. — Au milieu d'une campagne déserte, trois bergers tenant des bâtons et accompagnés d'une jeune fille, sont arrêtés devant un tombeau sur lequel on lit : « Et in Arcadia ego. » On reconnaît là l'esprit philosophique du Poussin, dont ce tableau a été souvent considéré comme le chef-d'œuvre.
Nous avons vu que les figures du Poussin étaient générale- ment petites; voici pourtant une toile avec des personnages de grandeur naturelle. C'est un sujet allégorique : (446) le Temps soustrait la vérité aux atteintes de l'Envie et de la Discorde. Ce tableau, destiné à décorer un plafond, fut exécuté en 1641 pour le cardinal de Richelieu. Le Temps, sous la figure d'un vieillard ailé, enlève dans ses bras la Vérité, représentée par une femme nue. Au bas du tableau, on voit l'Envie, la chevelure hérissée de serpents, et la Discorde tenant un poignard et une torche allumée.
LE SUEUR (1617-1655) — 520 — Saint Gervais et saint Protais refusent de sacrifier à Jupiter. — Saint Gervais et saint Protais, les mains liées, sont amenés par des soldats devant la statue de Jupiter, au pied de laquelle un sacrificateur tient un bélier tout prêt. Ce tableau a été longtemps dans l'église Saint-Gervais, à Paris. C'est assurément une rareté qu'un tableau de Le Sueur d'une taille pareille, mais nous avouons que ce n'est pas celui que nous préférons : la Descente de croix, qui est d'une dimension bien plus modeste, est un chef-d'œuvre qui caractérise bien mieux le talent du maître.
RIGAUD (1659-1743) — 475 — Portrait de Louis XIV. — 476 — Portrait de Philippe V, roi d'Espagne.
— On trouve dans les Mémoires inédits des membres de l'ancienne Académie royale de peinture le renseignement suivant : Rigaud ayant fait en 1700 pour Louis XIV, le portrait de Philippe V, roi d'Espagne, son pelit-fils, quelques jours avant son départ de la France, celui-ci pria le roi son grand-père de lui donner aussi
son portrait peint de la même main, ce que Sa Majesté lui accorda. Rigaud eut l'honneur de le commencer l'année suivante, et, étant achevé, ce monarque le trouva d'une ressemblance si parfaite et si magnifiquement décoré, qu'il lui ordonna d'en faire une copie de même grandeur pour l'envoyer au roi d'Espagne à la place de l'original, qui fut placé à Versailles, dans la salle du Trône. » — On lit dans les Mémoires de Dangeau : « Jeudi 10 mars 1701, à Versailles. La goutte du roi continue; il se fait peindre l'après-dîné par Rigaud pour envoyer son portrait au roi d'Espagne, à qui il l'a promis. — Vendredi 11 mars. La goutte du roi a un peu augmenté, et au sortir du sermon, où on le porta, il se fit reporter chez madame de Maintenon, où Rigaud travailla à son portrait. » CAT. VILLOT.
MIGNARD (1610-1695) — 349 — La Vierge à la grappe. — Les vierges de Mignard ont eu autrefois un succès prodigieux. Toutes les dames de la cour avaient la prétention d'avoir une figure mignarde, le mot était passé dans la langue et devint le compliment le plus flatteur qu'on put adresser à une femme.
CLAUDE LORRAIN (1600-1682) — 227 (+) Un port de mer. — 223 — Le débarquement de Cléopâtre à Tarse.
POUSSIN (1594-1665) — 427 — La femme adultère. — Ce tableau a été peint en 1653 pour le célèbre le Nôtre, contrôleur général des bâtiments.
POUSSIN (1594-1665) — 432 — La mort de Saphire.
LE NAIN (dix-septième siècle) — 378 (+) Procession dans l'intérieur d'une église. — Admirable petit tableau, bien supérieur à tout ce qu'a fait le Nain et dont l'attribution est fort contestée.
LE NAIN — 375 — Un maréchal dans sa forge.
CLAUDE LORRAIN (1600-1682) — 220 — Vue du Campo Vaccino, à Rome. — 226 — Port de mer.
LAURENT DE LA HIRE (1606-1656) — 287 — Apparition de Jésus aux trois Maries. — 286 — La Vierge et l'Enfant Jésus.
JACQUES COURTOIS (1621-1676) — 135 — Choc de cavalerie. —
132 — Combat de cavalerie. — 136 — Cuirassiers aux prises avec la cavalerie turque.
POUSSIN (1594-1665) — 433 — Le Ravissement de saint Paul — Bacchanale. — 448 — Le Printemps ou le Paradis terrestre.
(Ce tableau est placé sur le panneau en face.) — 449 — L'Été ou Ruth et Booz. — 450 — L'Automne ou la grappe de la terre promise. — 451 (+) L'Hiver ou le Déluge. — Ces quatre derniers tableaux, commandés à Poussin par le duc de Riche-
lieu, ont été exécutés pendant les dernières années de la vie du maître et nous permettent de l'apprécier comme paysagiste.
Le paysage, en effet, a été compris d'une façon très-différente par les artistes qui se sont livrés à ce genre de peinture. Suivons un moment Ruisdael, le grand paysagiste hollandais; soit qu'il s'enfonce dans la forêt, ou qu'il suive le cours des cascades, soit qu'il entrevoie à l'horizon la silhouette des lointaines chaumières, ou qu'il promène sa rêverie dans les grèves battues par le vent, nous trouverons toujours une âme profondément émue et un artiste habile à traduire les impressions qu'il a reçues.
Mais loin de demander à la nature des inspirations, le Poussin les colore des siennes. Dans ces rochers dénudés, où le peintre du nord a vu des moutons pelés chercher leur maigre pâture, il voit, lui, l'endroit ou venaient les dieux. Les bocages mystérieux prêtent leur ombre aux nymphes que poursuivent les satyres, et le buisson que le vent agite, mêle le bruit de ses feuilles aux accents de la lyre d'Orphée.
Nicolas Poussin dessinait, d'après nature, des arbres, des rochers, des terrains, des fabriques, puis il les associait dans sa composition, donnant à chaque chose une importance relative, élaguant par ici, développant par là, et peuplant tout cela d'un monde imaginaire, nymphes et faunes, personnages empruntés à la mythologie. Mais s'ils se meuvent dans un site que l'artiste a composé pour eux, le terrain sur lequel ils marchent, les arbres qui les abritent de leur ombre, sont toujours pris dans la nature, et la scène quoiqu'inventée, est traduite d'une façon qui lui donne l'apparence de la vérité.
C'est ce qu'on peut voir dans les quatre magnifiques tableaux qui furent commandés à Poussin par le duc de Richelieu. Le Déluge, qui est le dernier ouvrage du Poussin, est peut-être le plus caractéristique de ses paysages. L'air est surchargé de nuages, la pluie tombe par torrents, de vastes mers confondent les plaines et les montagnes et montent déjà vers le sommet le plus élevé des rochers. Sur une barque à laquelle s'accroche un homme qui se noie, une femme passe son enfant au père réfugié sur un rocher. Le serpent tentateur, cause du désastre, semble contempler son œuvre en se glissant dans les anfractuosités du terrain; au loin, l'arche vague paisiblement.
Salle de Le Brun.
Nous entrons ensuite dans une vaste salle, où sont accrochées les grandes batailles de Le Brun, qui sont emmagasinées plutôt qu'exposées sur les parois de la salle. C'est une suite de tableaux qui devaient être reproduits en tapisseries des Gobelins. Ces immenses toiles, exécutées de 1661 à 1668, représentent des sujets relatifs à l'histoire d'Alexandre; elles ont été gravées d'une façon très-remarquables par Gérard Audran. Mais parmi ces gravures, il en est une, le Porus combattant dont Le Brun a seulement donné la composition, car le tableau n'a jamais été exécuté. Les cinq tableaux de Le Brun que nous voyons ici (l'un d'eux, la Famille de Darius (72), est placé dans la salle précédente; voir page 166) sont très-mal éclairés; l'aspect en est d'ailleurs peu agréable.
Le Brun peignait sur des toiles préparées au brun rouge, et les dessous ont, dans beaucoup d'endroits, absorbé les colorations nouvelles que le peintre y avaient mises, en sorte que l'aspect de l'ensemble est d'un ton briqueté très-uniforme.
70 — Le passage du Granique.
71 — La bataille d'Arbelles.
73 — Alexandre et Porus.
74 — Entrée d'Alexandre dans Babylone.
« Il y a là, dit Théophile Gautier, une fertilité d'invention, une grandeur de style, une abondance d'épisodes, un balancement de groupes, une fierté de tournure et même un caprice d'ajustement dans les armes des barbares, qui sont d'un véritable maître. Ce goût de dessin, cette tonalité de couleur peuvent ne pas plaire, mais il est impossible de nier qu'un souffle héroïque traverse ces grandes batailles; c'est de l'épopée en perruque, nous l'accordons, mais n'est pas épique qui veut, et dans ce temps-là, fut-on Apollon, fut-on Alexandre, il fallait ressembler à Louis XIV. »
Le Brun était fait pour Louis XIV. Pendant que Le Sueur était délaissé dans son couvent, c'est Le Brun qui tenait le sceptre des arts. Despote absolu dans les arts, comme Louis XIV dans la politique, il sut comme lui se tenir à la hauteur de son rôle.
Sculptures, ornements intérieurs des appartements, tapisseries, pièces d'orfèvrerie et de serrurerie, ouvrage de mosaïque, tables, vases, lustres, candélabres, tout lui passait par les mains, et
rien ne paraissait à la cour qui ne fût inventé par lui et exécuté sous sa direction.
Salle du dix-huitième siècle.
La grande belle salle où nous entrons, en tout point semblable à celle où nous avons vu les peintures du dix-septième siècle, est la dernière qui soit consacrée à l'ancienne école française.
Encore le mot de dix-huitième siècle ne doit-il pas être pris au pied de la lettre, puisque cette salle contient des ouvrages exécutés sous le premier Empire ou même sous la Restauration. C'est là qu'on peut suivre le mieux l'évolution qui s'est faite dans la peinture quand le genre néo-grec a succédé aux pastorales et aux fêtes galantes de l'époque précédente.
Panneau de droite.
DESPORTES (1661-1743) — 168 — Diane et Blonde, chiennes de la meute de Louis XIV. — 166 — Chasse au cerf.
LANCRET (1690-1743) — 310 — Le printemps. — 311 — L'été.
— 312 — L'automne. — 313 — L'hiver. — Jolis tableaux fort bien peints et qu'on goûterait davantage si on ne savait pas qu'on va rencontrer Watteau un peu plus loin.
OUDRY (1686-1755) — 387 — La chasse au loup. — Ce tableau est assez près de celui de Desportes pour qu'on puisse apprécier la différence qui sépare les deux artistes. Avec moins de finesse et de distinction dans le dessin, Oudry, qui fut le peintre de la meute de Louis XV, comme Desportes l'avait été de la meute de Louis XIV, a peut-être plus de chaleur dans la conception.
Sa chasse au loup est son plus beau tableau : il y a une rage superbe dans toutes ces têtes de chiens haletants et acharnés après le loup qui se défend avec fureur.
CHARDIN (1699-1779) — 98 — La mère laborieuse. — 99 — Le bénédicité. — Ces deux tableaux ont été exposés au Salon de 1740.
GREUZE (1725-1805) — 266 — 267 — Jeune fille, étude. — 265 — Portrait du peintre Jeaurat.
ANTOINE COYPEL (1661-1722) — 144— Athalie chassée du temple.
— Grand tableau d'une composition un peu théâtrale, dont le musée possède aussi une répétition en petit.
CARLE VANLOO (1705-1765) — 329 — Une halte de chasse. —
C'est une scène de la vie princière où les brillants costumes de la cour s'étalent avec complaisance dans une riante campagne, près d'un mulet harnaché à l'espagnole, qui a porté les provisions du repas.
Ce tableau, exposé au salon de 1737, était cintré en haut et en bas, et avait été peint pour les petits appartements du château de Fontainebleau, où il parait être resté jusqu'à la première Révolution. Un état de peintures et scupltures en dépôt à ce château, daté du 17 prairial an II (5 juin 1794), le cite parmi les tableaux qui n'avaient pas été trouvés assez beaux pour être conservés, et dont une grande partie déjà avait été vendue avec le mobilier. Cependant, échappé à cette vente avec quelques autres, oubliés sans doute, il resta dans les magasins des bâtiments de Fon- tainebleau jusqu'en 1846, époque à laquelle il y fût retrouvé parmi d'anciennes boiseries. Rapporté aussitôt au Louvre, on le rentoila pour être placé aux Tuileries dans les appartements de M. le duc de Nemours, et c'est après 1848 qu'il prit place dans les galeries du Musée. Une note de cet état de 1794, dont on vient de parler, dit que « l'on voyait autrefois dans ce tableau le portrait de Louis XV et celui des trois sœurs MMes de Chateauroux, de Mailly et Flavacourt, et que ce n'est que depuis que le roi ne vécut plus avec ces femmes que la tète de Louis XV fut changée. » Cette tradition ne parait pas justifiée par les trois tètes de femmes, qui n'ont pas le caractère des portraits de Vanloo, mais plutôt celui de ses têtes de fantaisie; et ne se pourrait-il pas que cette note ait été mise alors pour sauver cette peinture en cherchant à lui donner un intérêt historique ?
CAT. VILLOT.
Ces injustices de l'opinion ne sont pas rares dans l'histoire de l'art, et une génération relève quelquefois l'idole abattue par la génération précédente. C'est ce qui est arrivé pour Carle Vanloo, qui après avoir été exalté outre mesure de son vivant, est tombé sous l'influence de l'école impériale dans un tel discrédit, que les élèves de David conjuguaient le verbe vanloter, ce qui voulait dire à leurs yeux, faire exécrablement mauvais. Méritaitil ces dédains? ce n'est assurément par l'avis de notre génération, et il suffit pour s'en convaincre de voir les copies qui se font actuellement d'après la Halte de chasse.
BOUCHER (1704-1770) — 24 (+) Diane sortant du bain. — 26 à 29 — Pastorales. — François Boucher nous offre l'exemple le plus étonnant des fluctuations de la mode. La dépréciation
qu'ont subie pendant un demi-siècle les ouvrages de Boucher n'est pas due seulement au changement qui s'est opéré dans l'école française; elle vient aussi de ce que presque toutes les peintures de cet artiste ayant été conçues en vue de l'harmonie décorative, pour des appartements où dominaient le blanc, l'or et le bleu de ciel, ont paru d'un ton faux et conventionnel lorsqu'on les a éloignées de leur milieu. Aussi ne doit-on pas juger de ses travaux décoratifs avec le même œil que d'autres tableaux, très-montés de ton, qu'on voit près d'eux dans les galeries. Quel effet devaient-ils faire dans le salon d'une marquise, où l'on admettait que les couleurs tendres, où les fleurs d'un rose pâle et les rubans bleus d'azur s'enlevaient partout sur des fonds d'un blanc nacré et où les femmes poudraient leurs cheveux pour les mettre à l'unisson de la teinte dominante?
Le ton laiteux et transparent des chairs de Boucher, qui paraît souvent manquer de consistance, est toujours savamment calculé pour la place qu'elles occupent dans la décoration d'un appartement.
Cette couleur souvent conventionnelle de Boucher a inspiré à Diderot une singulière boutade philosophique, à propos d'un sujet religieux, que le peintre des Grâces s'était avisé de faire.
« Si vous dites au peintre : mais, monsieur Boucher, où avez vous pris ces tons de couleur? Il vous répondra : dans ma tête.
— Mais il sont faux. — Cela se peut et je ne me suis pas soucié d'être vrai. Je peins un événement fabuleux avec un pinceau romanesque. Que savez-vous ? La lumière du Thabor et celle du paradis sont peut-être comme cela. Avez-vous jamais été visité par les anges? — Non. — Ni moi non plus; et voilà pourquoi je m'essaye comme il me plaît dans une chose qui n'a point de modèle en nature. — Monsieur Boucher, vous n'êtes pas bon philossophe, si vous ignorez qu'en quelque lieu du monde qu'on vous parle de Dieu, ce soit autre chose que l'homme. »
Boucher est tout entier au Louvre : la Diane sortant du bain, si elle n'est pas son chef-d'œuvre est assurément un de ses meilleurs tableaux ; et si on veut le juger comme décorateur, ses pastorales placées à côté, vont vous montrer son style dans la forme qui lui a été la plus habituelle. Nous y trouvons les formes boursouflées, les herbages bleus, la disposition d'une
grâce apprêtée et tout l'éclat conventionnel que nos pères aimaient tant. Ajoutons que personne mieux que Boucher n'a su peindre les petits enfants potelés et bouffis, et c'est à eux qu'il doit en partie l'immense succès qu'il a obtenu de son vivant.
Son style trouva de nombreux imitateurs, et bientôt on ne vit partout que des amours joufflus etdes nymphes au nez retroussé avec une petite fossette dons les joues, des bergers enrubannés serrant la taille de leurs bergères, des déesses de la mythologie travesties en marquises, des jeunes filles au minois fripon folâtrant sur un lit détait.
FRAGONARD (1732-1806) — 208 — Le grand prêtre Corésus se sacrifie pour sauver Callirhoé.
« Vraie peinture d'opéra, demandant à l'opéra son âme et sa lumière. Et pourtant quelle magnifique illusion que ce tableau ! Il faut le voir, embrasser de l'œil au Louvre la claire et chaude splendeur de la toile, le rayonnement laiteux de tous ces blancs habits de prêtres, la lumière virginale inondant le milieu de la scène, mourant et palpitant sur la Callirhoé, enveloppant ce corps défaillant comme d'un évanouissement de jour, carressant cette gorge qui s'éteint. Les rayons, les fumées, tout se mêle; le temple fume ; les vapeurs de l'encens montent de partout. La nuit roule sur le jour du ciel. Le soleil tombe dans l'ombre et fait des ricochets de flamme.
Les réverbérations d'un feu de soufre illuminent les visages et la foule. Fragonard jette à poignées, sur son coup de théâtre, les éclairs de la féerie : c'est Rembrandt chez Ruggieri. » DE GONCOURT. (L'Art au XVIIIe siècle.) A notre avis, ce sujet ne convenait nullement au tempérament du peintre; mais le tableau n'en est pas moins intéressant, parce que c'est le début d'un peintre qui tâtonnait encore et n'avait pas trouvé sa voie. C'est dans les petits sujets badins qu'on peut apprécier cet aimable artiste, envers lequel Diderot s'est souvent montré assez dur.
« Fragonard, dit-il, a l'étoffe d'un habile homme, mais il ne l'est pas; il peut aussi facilement s'empirer que s'amender. Il n'a pas assez regardé les grands maîtres de l'école d'Italie. Il a rapporté de Rome le goût, la négligence et la manière de Boucher, qu'il y avait portés. Mauvais symptômes, mon ami ! Il a conversé avec les apôtres et il ne s'est pas converti ; il a vu les miracles et il a per- sisté dans son endurcissement. »
GRIWZE (1725-1805) — 259 — « Sévère reproche à Caracalla, son fils, d'avoir voulu l'assassiner dans le défilé d'Ecosse, et lui
dit: Si tu désires ma mort, ordonne à Papinien de me la donner avec cette épée. » (Livret du salon de 1769.) Ce tableau qui fut peint par Greuze pour sa réception à l'Académie, est franchement mauvais, et prouve qu'un peintre n'aborde pas impunément un genre de peinture contraire à son tempérament.
—263 (+) La Cruche cassée.— Ici nous retrouvons le vrai Greuze.
Malgré les qualités séduisantes que tout le monde lui reconnaît, Greuze, comme tous les artistes de ce temps, est un maître fort incomplet. Ses meilleures toiles sont peut-être celles qui ne contiennent qu'une tête, par exemple, ces délicieuses petites filles, roses, fraîches, à la mine enfantine, au nez mignon, qui regardent avec de grands yeux, dont la bouche sourit, et qui, avant de réjouir les amateurs par leurs demi-teintes finement peintes, ont certainement fait le bonheur de leur mère par leur gentillesse et leur bonne mine. La Cruche cassée peut-être regardée comme le type de ce genre, ou une intention grivoise est toujours cachée sous l'innocence apparente du personnage.
L'expression du visage est presque toujours heureuse dans les tableaux de Greuze, mais on supporte difficilement la façon lourde dont il peint les vêtements et les accessoires. En outre, si la composition est ingénieuse, le geste est bien souvent déclamatoire, comme on peut le voir dans le Retour du fils maudit — 262 — et dans la Malédiction paternelle — 261.
Ce genre intime plaisait vivement à Diderot qui décrit ainsi l'Accordée de village — 260 (+) un des meilleurs tableaux de Greuze assurément :
« Le peintre, dit-il, a donné à sa fiancée une figure charmante, décente et réservée ; elle est vêtue à merveille. Ce tablier de toile blanc fait on ne peut mieux; il y a un peu de luxe dans sa garniture ; mais c'est un jour de fiançailles. Il faut voir comme les plis de tous les vêtements de cette figure et des autres sont vrais. Cette fille charmante n'est point droite; mais il y a une légère et molle inflection dans toute sa figure et dans tous ses membres, qui la remplit de gràce et de vérité. Elle est jolie vraiment et très-jolie.
Plus à son fiancée, elle n'eût pas été décente; plus à son père et à sa mère, elle eût été fausse. Elle a le bras à demi passé sous celui de son futur époux, et le bout de ses doigts tombe et appuie douce- ment sur sa main ; c'est la seule marque de tendresse qu'elle lui
donne et peut-être sans le savoir elle-même; c'est une idée délicate du peintre. »
CARLE VANLOO (1705-1765) — 330 — Portrait de Marie Leczinska, reine de France. — Très-belle peinture.
VERNET (1714-1789) — Plusieurs tableaux de marine.
PRUDHON (1758-1823) — 457 — Le Christ en croix.
DAVID (1748-1825) — 156 — Portrait de David dans sa jeunesse.
154 — Les Amours de Paris et d'Hélène. — Ce tableau, exposé en 1789, fut commandé à l'artiste par le comte d'Artois, depuis Charles X.
LETHIÈRE (1760-1832) — 322 — La mort de Virginie.
GROS (1771-1835) — 276 — François Ier et Charles-Quint visitent les tombeaux de Saint-Denis. — Tableau exposé au salon de 1812.
Charles-Quint, se rendant dans les Pays-Bas après la révolte des habitants de Gand, fut invité par le roi François Ier à traverser la France, fit son entrée à Paris le 1er janvier 1540, y resta six jours, et désira visiter les tombeaux des souverains. Les deux monarques sont arrivés au bas de l'escalier conduisant aux caveaux de SaintDenis, où un chapelain tenant deux flambeau s'apprête à les guider.
François 1er montre à Charles-Quint le tombeau de Louis XII, surmonté de deux drapeaux vénitiens pris à la bataille d'Aignadel.
Henri, dauphin de France, est à la droite de Charles-Quint; son frère, Charles d'Orléans, à la gauche de son père. En face des souverains, au premier plan, à droite, le cardinal de Bourbon, abbé de Saint-Denis, la mitre en tête, la crosse à la main, assisté de deux prêtres. Sur les marches de l'escalier, le connétable de Montmorency, portant l'épée, entre Henri d'Albret et le duc de Guise. Antoine de Bourbon est aussi sur la même marche. Derrière eux le légat, les cardinaux de Bellay, de Lorraine et d'Astorgia. Dans la tribune, au fond de laquelle on aperçoit une portion du trésor de Saint-Denis, se fiennent Catherine de Médicis, madame d'Usez, madame de Brissac, Diane de Poitiers, la belle Féronnière, Amyot, Jean Goujon. La deuxième tribune est occupée par madame d'Andelot, la comtesse de Larochefoucauld, madame d'Elbeuf, la femme de l'auteur, ayant à sa gauche le jeune Montaigne. Le Primatice s'appuie contre le pilastre, Pierre Lescot regarde par-dessus les têtes des femmes placées au premier rang, Jean Bullan s'avance également pour mieux voir, et Clément Marot et Rabelais s'entretiennent ensemble. — Signé : Gros.
CAT. VILLOT. Gros n'a guère fait de petits tableaux, et il semble que sa
peinture ne s'y prêtait guère. Voici comment Delacroix a apprécié celui-ci : « Le tableau de François 1er et Charles-Quint visitant les tombeaux de Saint-Denis (1812) présente encore, dans un genre différent, pour le sujet et la dimension, un remarquable effort de talent. On y trouve une finesse d'intention et d'exécution qu'on ne s'attendait pas à rencontrer dans le peintre d'Eylau et de Jaffa. Le Charles-Quint surtout est parfait; il est impossible de caractériser un personnage historique, dont tout le monde a pu se faire un portrait d'après ses actions, et l'image que nous montre le peintre défend à l'esprit de demander autre chose. »
EUG. DELACROIX. (Revue des Deux Mondes, 1er septembre 1848.) CARLE VERNET (1758-1835) — 633 — Chasse au daim pour la Saint-Hubert, en 1818, dans les bois de Meudon.
« Le mouvement représenté est le passage de l'eau dans l'étang de Ville-d'Avray. Mgr le comte d'Artois y assistait avec Mgr le duc de Berry. » (Livret du salon de 1827). A droite, au bord de l'eau, le comte d'Artois à cheval, accompagné de sa suite, parle au grand veneur (M. le comte de Girardin) qui tient son chapeau à la main. A gauche, des chasseurs se dirigent vers l'étang, et passent au milieu de groupes de blanchisseuses et des lignes de cordes supportant du linge qui sèche. De l'autre côté de l'étang les dames en calèche et de nombreux cavaliers. Au fond, à gauche, le village de Villed'Avray. A droite, des hauteurs boisées. Au premier plan, du même côté, un gendarme des chasses vu du dos. — Signé, à droite : Carie Vernet. CAT. VILLOT.
CONSTABLE (1776-1837) — 891 — La baie de Weymouth. —
Toile peinte avec un entrain et un brio surprenant. On sait que Constable a exercé une grande influence sur le paysage moderne en France. En effet on reconnaîtra là les tendances qui, depuis 1830 ont prévalu parmi nos artistes.
BONNINGTON (1801-1828) — 22 — François Ier et la duchesse d'Estampes. — Le parc de Versailles (esquisse). — Bonnington qui a toujours vécu en France, a exercé, bien qu'il soit mort à 27 ans, une véritable influence sur les artistes de notre pays.
Eugène Delacroix qui était son ami, a donné dans une lettre adressée à Burger, d'intéressants détails sur la manière dont il l'a connu au Louvre :
« Quand il m'est arrivé de le rencontrer pour la première fois, ditil, j'étais moi-mème fort jeune, et je faisais des études dans la galerie du Louvre : c'était vers 1816. Je voyais un grand adolescent en
veste courte, qui faisait, lui aussi et silencieusement, des études à l'aquarelle, en général d'après les paysages flamands. Il avait déjà dans ce genre, qui dans ce temps là était une nouveauté anglaise, une habileté surprenante. A mon avis, on peut trouver dans d'autres artistes modernes, des qualités de force ou d'exactitude dans le rendu supérieure à celles des tableaux de Bounington, mais personne, dans cette école moderne, et peut-être avant lui, n'a possédé cette légèreté dans l'exécution qui, particulièrement dans l'aquarelle, fait de ses ouvrages des espèces de diamants dont l'œil est flatté et ravi, indépendamment de tout sujet et de toute imitation. » GUÉRIN (1774-1833) — 281 — Enée racontant ses malheurs à Didon.
SIGALON (1788-1837) — 499 — La jeune courtisane. — Salon de 1812.
LÉOPOLD ROBERT (1794-1835) — 494 — Le retour du pèlerinage à la madone de l'Arc.
« Il représente en le simplifiant, en le résumant, en l'idéalisant, le pèlerinage que les Napolitains ont coutume de faire, à l'époque de la Pentecôte, à une chapelle située dans un village voisin de la capitale pour demander à la Vierge de répandre la fertilité sur les champs. Au centre de la composition, un chariot vu de profil, traîné par deux bœufs, porte six personnages : deux jeunes filles assises, l'une le bras étendu, s'appuie à un thyrse fixé sur le char, et est soutenue par un paysan qui la tient par la taille; l'autre cherche à saisir les feuillages du thyrse d'un jeune garçon debout sur le timon, le pied sur la croupe de l'un des bœufs qui se renverse par un mouvement d'une hardiesse extrême en s'appuyant sur un lazarone placé près de lui. Un joueur de mandoline, qui rappelle un peu l'Improvisateur napolitain, est assis à l'arrière du lourd véhicule. A côté du char, sur le devant du tableau, dansent deux femmes; l'une frappe sur un tambour de basque qu'elle tient élevée au-dessus de sa tête; l'autre relève son tablier avec une grâce, une noblesse exquises.
Près des bœufs, un lazarone danse également en marchant en arrière et en jouant des castagnettes. En avant de l'attelage, deux enfants ouvrent la marche; le plus jeune, presque nu, porte un thyrse sur l'épaule, l'autre fait retentir un instrument formé de trois marteaux de bois. Les bœufs, les personnages sont couverts d'ornements, de fleurs et de feuillage. En arrière du groupe principal, on aperçoit quelques pèlerins, et au fond une partie de la ville de Naples, la côte de Castellamare et le Vésuve. » « Le tableau de Robert fut acheté par l'administration pour la somme de 4,000 francs et placé au musée du Luxembourg. L'un des plus chers désirs du peintre était ainsi rempli. Aussi se hàte-t-il de remercier Gérard, qui s'était entremis de la manière la plus amicale
pour obtenir ce résultat, par une lettre dont j'extrais quelques lignes : « Vous daignez me dire que le prix qu'on a mis à mon tableau est trop au-dessous du mérite que votre indulgence veut y voir; mais ne suis-je pas grandement récompensé par l'honneur d'avoir un de mes ouvrages dans les galeries d'une nation à laquelle je voudrais appartenir! Cet avantage serait inappréciable à mes yeux si je pouvais l'envisager comme une adoption. » Et quelques jours plus tard il écrivait à son ami Navez : « Je viens d'avoir encore une preuve que le gouvernement français veut bien m'envisager comme un de ses nationaux, puisqu'il vient de faire l'acquisition de mon grand tableau du Retour de la fête de la Madone de l'Arc, pour le placer dans la galerie du Luxembourg. C'est un honneur qui me flatte beaucoup et qui me fait espérer de voir continuer l'attention qu'on veut bien accorder en France à mes productions. » CH. CLÉMENT. (Léopold Rubert.) Panneau de gauche
RESTOUT (1692-1768) — 469 — Le Christ guérissant le paraly- tique.
SUBLEYRAS (1699-1749) — La Madeleine aux pieds de JésusChrist chez Simon le Pharisien.
C'est aussi un descendant de Paul Véronèse que Pierre Subleyras.
Il a été invité aux noces et festins de l'illustre peintre. La Madeleine aux pieds de Jésus chez Simon le pharisien a la belle ordonnance, la richesse et le développement des grandes compositions de Paolo Cagliari. Les convives sont couchés ou accoudés sur des lits à l'antique, et la Madeleine agenouillée essuie de sa chevelure blonde, comme d'une serviette d'or, les pieds du Christ placé à la gauche du tableau. Sur le devant, des serviteurs portent des plats et des amphores. Un grand chien ronge des restes, et dans le fond, sur un vaste dressoir, s'étagent des vases, des orfèvreries et des vaisselles illuminés de reflets sourds. Cela n'est pas robuste, tranquille et lumineux comme les Noces de Cana; mais quelle facilité, quelle abondance, quel esprit et quelle couleur agréable dans la gamme argentée !
THÉOPHILE GAUTIER.
OUDRY (1686-1755) — 388 — Chien gardant des pièces de gibiers — 386 — Blanche, chienne de la meute de Louis XV.
DESPORTES (1661-1743) — 180 — Gibier, fleurs et fruits.
CHARDIN (1661-1779) — 25 — Instruments de musique.
BOUCHER (1704-1770) — 25 — Vénus commandant à Vulcain des armes pour Enée.
WATTEAU (1684-1721) — 649 (+) L'embarquement pour l'île de Cythère. — Ce tableau est un de ceux qui caractérisent le mieux le talent de Watteau, si même ce n'est pas son chef-d'œuvre.
Pour bien parler de Watteau il faut avoir la plume de Théophile Gautier; c'est donc lui que nous chargerons de décrire ce joli tableau : « Au bord d'une mer dont l'azur vague se confond avec celui du ciel et des lointains, près d'un bouquet d'arbres aux branches légères comme des plumes, se dresse une statue de Vénus, ou plutôt un buste de la déesse terminé en gaîne à la façon des Termes et des Hermès. Des guirlandes de fleurs s'y suspendent. Un arc et un carquois y sont attachés. Non loin de la déesse, sur un banc, une jeune femme jouant de l'éventail, semble hésiter à partir pour l'Ile de Cythère. Un pèlerin agenouillé près d'elle lui chuchote à l'oreille de galantes raisons, et un petit Amour, le camail sur les épaules, la tire par le pan de sa robe. Il doit être du voyage sans doute. A côté de ce groupe, un cavalier prend par les mains, pour l'aider à se lever, une jeune beauté assise sur le gazon. Un autre emmène sa belle, qui ne résiste plus, et dont il entoure du bras le fin corsage.
Au second plan, trois groupes d'amoureux, le camail au dos, le bourdon à la main, se dirigent vers la barque où sont déjà arrivés deux groupes de pèlerins de la tournure la plus svelte et la plus coquette. Avec quelle élégance la femme qui va entrer dans l'esquif relève par derrière, d'un petit tour de main la traîne de sa robe! Il n'y a que Watteau pour saisir au vol ces mouvements féminins. La barque est sculptée, dorée et porte à sa proue une chimère ailée, cambrant son torse et renversant sa tête dans une coquille à cannelures. Des rameurs demi-nus la manœuvrent, et de petits Amours en déploient la tente. Au-dessus de l'esquif, dans des tourbillons de légères vapeurs, pareilles à des gazes d'argent, volent, se roulent et jouent des Cupidons enfants, dont un agite une torche. Voilà bien à peu près les principaux linéaments de la composition et la place des personnages. Mais quels mots pourraient exprimer ce coloris tendre, vaporeux, idéal, si bien choisi pour un rêve de jeunesse et de bonheur, noyé de frais azur et de brume lumineuse dans les lointains, réchauffé de blondes transparences sur les premiers plans, vrai comme la nature et brillant comme une apothéose d'Opéra! Rubens et Paul Véronèse reconnaîtraient volontiers Watteau pour un de leur petit-fils. L'auteur de l'Embarquement pour l'île de Cythère est assurément le peintre de l'école française le plus coloriste. » Après la mort de Louis XIV, quand la France, ennuyée de l'étiquette de la vieille cour, poussa le cri joyeux de la régence, Watteau se mit à peindre tout un petit monde de fantaisie, des soubrettes, des Aminthes et des Léandres, des duègnes et des
pères nobles, vêtus, des costumes traditionnels de la comédie italienne et folâtrant sous des bosquets rafraîchis par les jets d'eau où se mire l'arc-en-ciel ; des bergers de satin bleu et des bergères de satin rose s'égarant dans des allées mystérieuses, pendant que de petits amours badins voltigent dans les nuages et que les rayons d'un soleil imaginaire glissent à travers des arbres d'une forme inconnue ailleurs qu'à l'Opéra. Les arlequins et les colombines, les pierrots et les escarmouches dont il a peuplé ses tableaux n'ont rien de commun avec les Esther et les Assuérus que ses contemporains faisaient grimacer sous des accoutrements bizarres. Entre leur peinture et la sienne, il y a la même différence qu'entre une tragédie monotone, pompeusement déclamée avec de grands gestes emphatiques, et un petit proverbe vif et piquant, spirituellement joué par de bonsacteurs.
TORCQUÉ (1696-1772) — 577 — Portrait de Marie Lcczinska, reine de France. — Très-belle peinture.
DAVID (1748-1825) — 151 — Les licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils. — Ce tableau, exposé en 1789, avait été commandé par le roi Louis XVI. — 150 (+) Le Serment des Horaces.
Collection de Louis XVI. — David avait conçu le projet de ce tableau à Paris ; mais il ne l'exécuta qu'à son deuxième voyage à Rome, où il se rendit avec Drouais, qui venait d'obenir le premier prix, et qu'il associa à ses travaux. Drouais dessina les draperies mannequinées par David, peignit le bras du troisième Horace, dans le fond, et le manteau jaune de Sabine. Le pied gauche d'Horace père arrêta longtemps l'artiste, qui le recommença plus de vingt fois. Le tableau fut exécuté en onze mois, et exposé au public dans l'atelier de David au mois d'août 1785. Une foule immense alla l'admirer. Le pape désira qu'on le lui portât au Vatican ; mais l'ordre de l'envoyer immédiatement à Paris empêcha David de se rendre au désir du Saint-Père. Le vieux Pompeo Batoni, chef de l'Académie de peinture, ne pouvait se lasser de contempler cette composition, et proposa à David de se fixer à Rome pour lui succéder comme chef de l'Académie. Le tableau eut en France un succès colossal. M. d'Angiviller, directeur général des bâtiments, à qui cette peinture déplut, fit d'abord quelques difficultés sur l'achat de cette toile, par le motif que sa dimension dépassait celle des autres tableàux avec lesquels elle devait être acquise ; enfin, les Horaces furent admis et payés6,000 francs : c'était le prix ordinaire des tableaux commandés aux académiciens. Le tableau parut au salon de 1785.
CAT. VILLOT.
Ce tableau est tout à fait capital dans l'œuvre de David, et marque une étape dans l'histoire de la peinture en France. David s'était déjà fait connaître par son Bélisaire et par sa mort de Socrate. Mais c'est le Serment des Horaces qui a fait de lui un chef d'école.
Ce tableau, en effet, a toute l'éloquence d'un manifeste et toute la rigueur implacable que David apportait dans ses projets de réforme. On ne lira pas sans intérêt l'opinion qui a été émise sur ce tableau par Thiers, lorsqu'il écrivait sur les beauxarts.
En suivaut sa marche, depuis le Bélisaire jusqu'aux Sabines, on voit l'influence italienne diminuer et le goût pour le dessin antique se perfectionner, s'exagérer même jusqu'à l'excès.
Dans le Bélisaire, le dessin a une pureté non affectée, les expressions sont vraies, la couleur est grave et sage, le pinceau est facile et large, la composition tout entière a une grandeur naturelle non tourmentée, qui participe de tous les styles, sans avoir l'exagération d'aucun, et qui ressemble à du Poussin un peu plus correct et plus arrangé qu'il ne l'est ordinairement. Dans les Horaces, la sévérité de la composition et de l'expression, la sagesse de l'exécution, sont les mêmes, cependant l'ordonnance du sujet incline déjà vers la sévérité du bas-relief, et le dessin grand et noble s'épure déjà trop, sans cesser cependant d'être naturel. L'apogée des productions de M. David est peut-être dans les Horaces, et ce bel ouvrage, plein de beautés de tout genre, et respirant quelque chose d'antique, marque l'époque où les penchants du génie sont prêts à s'exagérer, et où le goût systématique succède au goût vrai et naturel. Il en est de même dans les arts et dans les sciences : l'auteur d'une révolution la porte toujours trop loin ; s'il a découvert une grande vérité, il l'altère en la poussant jusqu'au système ; s'il a inventé un génie ou un style, il le corrompt en le poussant jusqu'à la manière.
Dans les Sabines, l'un des ouvrages de M. David les plus admirés et les plus dignes d'admiration, le dessin est devenu tout à fait académicien, et les attitudes mêmes révèlent une intention excessive de développer de belles formes. Le pinceau ne coule plus sur la toile, il est lourd ; la couleur a déjà la prétention de l'école actuelle et tend au gris et au violet. Mais la composition a une richesse, une variété si grande, enfin les corps sont si beaux, que cet ouvrage dans un style déjà outré n'en est pas moins l'un des plus remarquables de M. David.
Le Socrate, si grand de conception, le Brutus, plein de si beaux détails, les Thermopyles, et tant d'autres ouvrages, qui ont signalé le pinceau de ce maître célèbre, renferment toutes les traces d'un grand talent ; mais pour quiconque aime le simple, le vrai, et redoute le
style, quand il est devenu systématique, les premiers ouvrages de M. David sont ses véritables chefs-d'œuvre, et ils ont d'ailleurs le mérite d'avoir corrigé notre école, tandis que les derniers n'ont fait que la pousser vers une route où elle n'était déjà que trop engagée.
THIERS. (Article sur David, à propos de son dernier tableau de Mars et de Vénus. — Revue européenne, 1824.) DAVID (1748-1825) — 160 — Portrait de madame Récamier. — Ce charmant portrait qui n'est qu'ébauché, prouve une fois de plus à quel point ce peintre, savait être souple quand il oubliait un moment ses théories pour n'obéir qu'à son sentiment personnel.
BOILLY (1761-1845) — 19 — L'arrivée d'une diligence dans la cour des Messageries. — Ce joli petit tableau a figuré au Salon de 1804.
VIEN (1716-1809) — 634 — Saint Germain et Saint Vincent.
— Cette peinture est intéressante parce qu'elle montre le point exact où était la peinture en France, quand David a accompli sa réforme. David est élève de Vien.
LETHIÈRE (1760-1832) — 321 — Brutus condamne ses fils à mort. — Ce grand tableau classique a figuré au Salon de 1812.
Le groupe de Brutus et Collatin est superbe ; mais le reste présente malheureusement certaines mollesses. La composition de l'ensemble est très-bien entendue.
GÉRARD (1770-1837) — 237 — Daphnis et Chloé — 235 — Entrée de Henri IV à Paris. — Ce tableau est une réduction originale de celui qui est au musée de Versailles.
Au milieu de la composition, Luillier, prévôt des marchands, s'avance à la tête d'un groupe d'ofticiers municipaux et présente les clefs de la ville au roi, autour duquel se pressent à gauche Crillon, de Retz, Montmorency, Brissac, et à droite Biron, Sully portant le casque du roi, et Bellegarde, tous à cheval et en tenue de bataille.
Plus à droite, arrive le maréchal de Matignon, l'épée encore à la main, qui vient de défaire un corps de lansquenets, tandis qu'à côté de lui Saint-Luc d'Epinay montre le roi à un groupe de ligueurs. On remarque ensuite, en revenant vers la gauche, un vieillard, les yeux levés au ciel, ainsi qu'une femme à genoux et vêtue de deuil. Un citoyen et un guerrier se jettent dans les bras l'un de l'autre, le guerrier agite le vieux drapeau de l'armée; près d'eux et au premier plan, le quartenier Neret marche entre ses deux enfants qui veillaient avec lui à la garde de la porte Neuve, et enfin une foule de peuple se précipite au devant du cortège, dont l'arrivée est annoncée par
des trompettes qui se répandent dans les divers quartiers de la ville.
Au fond du tableau, s'élève la porte Neuve, sous laquelle ont défilé les troupes ; on voit aussi une partie de la petite galerie du Louvre (galerie d'Apollon), et, sur un balcon moins éloigné, Gabrielle d'Estrées qui assiste à l'entrée du roi.
CAT. VILLOT.
CONSTABLE (1776-1837) — 889 (+) Le Cottage. — Petit tableau bien caractéristique de la manière du peintre.
Constable peut être regardé comme le père du paysage contemporain. Sa manière de comprendre la composition d'un tableau est l'antipode des méthodes classiques et même des dispositions habituelles à l'école hollandaise. Dans les tableaux de Ruisdael, de Winants ou de Berghem, aussi bien que dans les paysages historiques du Poussin, on trouve presque toujours au premier plan une plante, un buisson, un tronc d'arbre, ou un fragment d'architecture, dont le détail est très-étudié et forme un accident destiné à être comme la clef de voûte de l'exécution, en ce sens que la touche est de plus en plus fondue à mesure qu'on se rapproche de l'horizon. C'est un procédé employé par tous les artistes du dix-septième siècle, pour exprimer la fuite et la profondeur de la scène, en accompagnant la dégradation des tons par une dégradation équivalente dans la manière de peindre. Constable, au contraire, usant d'un système qui fut repris par plusieurs peintres français et notamment par Théodore Rousseau, s'efforce généralement d'attirer l'attention vers le second plan et de conduire l'œil jusqu'au lointain. Le premier plan est, dans cette intention, peint d'une manière assez vague, et tout l'effet de l'ensemble se détermine à une certaine distance du cadre. Ainsi dans le Cottage, c'est le second plan du tableau qui en donne la clef et en exprime le caractère : les terrains qui sont devant sont disposés pour fournir une masse sombre qui vient balancer la lumière resplendissante du ciel.
LÉOPOLD ROBERT (1794-1835) — 493 — Le retour des moissonneurs dans les marais Pontins. — Cette toile et celle qui lui fait pendant sur le panneau opposé faisait partie d'un groupe de quatre peintures dans lesquelles l'artiste voulait caractériser à la fois les saisons et les principaux peuples de l'Italie. Le Retour de la Madone de l'arc devait personnifier
Naples et le printemps; les Moissonneurs, Rome et l'été; l'automne devait être figuré par les vendanges aux environs de Florence, et l'hiver par le carnaval à Venise. Sous la préoccupation des chagrins intérieurs qui rongeaient Léopold Robert et qui devaient amener sa fin prématurée, le carnaval de Venise fut remplacé par les Pêcheurs de l'Adriatique, le dernier tableau du peintre. L'Hiver est au musée de Neufchàtel, l'Automne n'a jamais été exécuté, et dans les deux tableaux que possède le Louvre, l'Été, c'est-à-dire les Moissoneurs, est trèssupérieur à celui qui lui fait pendant. Malheureusement ces deux tableaux sont horriblement abîmés et menacés d'un ruine prochaine. La chimie était assurément moins avancée au quinzième siècle qu'aujourd'hui, mais il paraît que l'industrie en faisait de meilleurs applications à la peinture, car les tableaux du vieux Van Eyck sont restés intacts, et presque tous ceux qu'on a exécutés depuis le commencement de ce siècle, sont dans un état déplorable.
« La scène se passe dans les marais Pontins, non loin de Terracine. C'est le soir d'un beau jour d'été; le ciel est légèrement voilé de chaudes vapeurs; on aperçoit dans le lointain la belle ligne du Monte Circello, le cap Circé des anciens. Au premier plan, le char, vu de face et attelé de buffles, vient de s'arrêter. On va dresser les tentes pour la nuit. L'un des conducteurs a mis pied à terre et, son aiguillon à la main, s'appuie nonchalamment, les deux bras sur le timon de la voiture. L'autre est encore à cheval sur sa pesante monture. Sur le char, le père de famille, qui a reconnu le lieu favorable pour le campement, vient d'ordonner la halte. Près de lui sont un jeune homme qui déploie les tentes, et une jeune femme de la plus noble tournure, avec son petit enfant dans ses bras, qui domine la scène, forme le centre du tableau, le résume et lui donne en quelque sorte sa signification symbolique. A droite, des moissonneurs dansent en s'accompagnant du piffero ; à gauche se tiennent quelques femmes, dont une relève son tablier gonflé d'épis. A l'arrière-plan, on aperçoit les rustiques ouvriers qui attendent les ordres du maître. »
CHARLES-CLÉMENT. (Léopold Robert.)
NOUVELLE ÉCOLE FRANÇAISE On a placé dans une grande salle dusecond étage les tableaux de la nouvelle école française. Le chemin le plus court pour y
arriver est l'escalier placé au bout du musée asiatique. (Entrée sous le vestibule de la colonnade.) Arrivé au premier étage, on trouve droit devant soi la petite salle de Della Robbia : une toute petite porte ouverte à droite donne sur l'escalier étroit qui conduit à la fois au musée de marine et au musée dont nous parlons. Cette collection formée des tableaux qu'on voyait encore il y a quelques années au musée du Luxembourg, est de formation récente. Elle n'était pas assez nombreuse pour occuper les trois salles destinées à la recevoir, en sorte que la première et la troisième logent provisoirement des tableaux appartenant à d'autres séries, et qui n'ont pu trouver leur place dans les salles du bas. Mais le salon du milieu où sont les tableaux français modernes est beaucoup plus grand que les deux autres.
La première salle que l'on trouve en arrivant renferme des tableaux de l'ancienne école française, qui appartiennent presque tous au dix-huitième siècle. Nous avons parlé déjà de la plupart des maitres qu'on voit ici, et leur style nous est connu. Nous signalerons pourtant ici un petit tableau de David (153), qui passerait inaperçu si on n'appelait pas l'attention sur lui : il représente Diomède au moment où le héros vient de lancer le javelot que Minerve a dirigé. Mars blessé et couvert de son armure est renversé à terre. Cette peinture est d'un grand intérêt, parce qu'elle fait connaître David à une époque où le jeune artiste ne songeait nullement à la réforme qu'il a apportée depuis dans la peinture et où son talent était encore tout imprégné du style maniéré qui dominait alors dans l'école française. En effet, ce tableau est tout à fait de la jeunesse de David, et lui a même fait obtenir un second prix en 1771.
Comme on a réuni dans la grande salle qui suit une série de tableaux qui marquent une étape assez importante dans l'histoire de l'art français, il faut dire quelques mots du courant d'idées dans lequel a vécu le groupe de peintres qu'on a appelé romantiques et qu'on désigne quelquefois aussi sous le nom d'école de 1830.
Après la mort de David, l'antiquité, dont la génération précédente avait fait une étude presque exclusive, fut complètement abandonnée et même tournée en ridicule. Les artistes qui se croyaient fidèles à la tradition du maître, procédaient par routine
plutôt que par enthousiasme, et ne connaissaient que de nom les auteurs classiques dont s'étaient nourris les peintres du premier empire. Ils avaient une dictionnaire mythologique pour y puiser des sujets, quelques plâtres dans leurs ateliers qu'ils admiraient par habitude, mais toute l'activité, tout l'élan, toute la passion étaient du côté des novateurs qui se posaient en adversaires de la doctrine condamnée. On ne renonça pas de suite à prendre des sujets de tableaux dans les livres, car l'habitude en était trop invétéré, mais les scènes tirées de l'histoire grecque et romaine étant déclarées froides et ennuyeuses, on se rejeta sur le Moyen Age et la Renaissance, et les écrivains français étant entachés d'un goût trop prononcé pour les anciens, on demanda des inspirations aux littératures étrangères. Si Gœthe apparaît si fréquemment dans les œuvres de Scheffer, si on retrouve Byron dans Delacroix, Walter Scott eut aussi ses sectateurs, non que ses romans aient fourni à nos peintres des sujets qui en dérivassent positivement, mais son goût pour les vieilles chroniques, son érudition dans le costume et l'ameublement, son sentiment pour la mise en scène trouvèrent parmi nous des adhérents. Paul Delaroche ne relève pas de lui directement, mais il a vécu dans le même ordre d'idées et a usé dans la peinture des procédés que Walter Scott appliquait à la littérature. Comme lui, Paul Delaroche ne sort pas de la vie réelle, et comme lui, il a subjugué et charmé le public par l'expression dramatique de ses tableaux et la recherche piquante du détail historique.
Le chef du mouvement romantique, Géricault, avait puisé le sujet de son grand tableau de la Méduse, dans un simple article de journal, mais comme des épisodes pareilles ne se trouvent pas tous les jours dans les nouvelles, force avait été aux peintres de chercher dans les livres, les sujets que les gazettes ne pouvaient leur fournir. Seulement un mouvement analogue se produisait en littérature : la jeunesse abandonnait les traditions classiques et prenait en pitié ce polisson de Racine. Quand Ingres montra son apothéose d'Homère, où Shakespeare et le Dante se trouvaient à côté des écrivains classiques, l'étonnement fut universel. Mais cette page n'était pas seulement une leçon de bon sens, qui mettait de côté des querelles puériles, c'était aussi une leçon de peinture. En ramenant le dessin à une observation
plus exacte et plus naïve de la nature, en cherchant ses inspirations dans l'étude des maîtres italiens du quinzième et du sei- zième siècles, Ingres tournait alors le dos à l'école dite classique, qui n'avait alors d'autre idéal que l'imitation servile des statues antiques de l'époque romaine.
Ce ne sont donc pas, comme on le dit souvent à tort, Géricault et Delacroix qui ont transformé l'enseignement de David, c'est Ingres. En effet, tous les artistes portés vers la forme et la précision, tous ceux qui étaient amoureux de la ligne simple se tournèrent résolument vers Ingres, qui prit bientôt l'autorité d'un chef d'école. Mais les natures turbulentes, les tempéraments fougueux ne trouvaient pas leur compte dans ce talent austère et implacable. Ceux-ci avaient besoin d'un chef et l'auraient difficilement trouvé en dehors de Delacroix : en effet, Delaroche avait trop de rectitude dans l'esprit, Scheffer trop d'hésitation dans les tendances, pour être acceptés par une bande de révolutionnaires qui rejetaient systématiquement toute règle et ne voulaient obéir qu'à l'inspiration du moment. Eugène Delacroix a été dans la peinture l'expression la plus décidée de ce mouvement, bien que sa conversation ait plus d'une fois dérouté ceux qui voulaient s'appuyer de son autorité pour justifier l'extravagance de leurs idées. Son nom est devenu un point de ralliement, et ses œuvres ont été attaquées et défendues avec fureur. Mais ses amis en exaltant ses défauts les plus évidents lui ont fait assurément plus de tort que ses ennemis en contestant ses immenses qualités. Cet artiste avait pourtant une valeur trop réelle pour justifier des admirations saugrenues et portant le plus souvent de travers.
Ingres et Delacroix ont donc marqué les deux termes extrêmes d'une lutte qui est terminée aujourd'hui, et qui appartient à l'histoire.
Premier panneau.
BRASCASSAT (1804-1867) — 722 — Le taureau.
HORACE VERNET (1787-1863) — 872 —Judith et Holopherne.
— Ce sujet biblique ne donne qu'une idée très-incomplète du talent d'Horace Vernet. La critique s'est montrée d'une extrême
sévérité envers ce tableau qui a figuré au Salon de 1831. Voici ce qu'en dit Gustave Planche : La Judith est moins crue de ton, moins plate d'aspect, mais très-maniérée. J'imagine que si le drame traité par M. Yernet était mis en opéra, l'héroïne ne manquerait pas d'étudier et de reproduire son tableau. Il y a dans le sourire d'Holopherne endormi une lubricité vulgaire et triviale; sa tête manque absolument de grandeur, n'inspire aucun effroi, et ne permet pas de trembler un seul instant pour celle qui va si hardiment et si brusquement rompre son sommeil : je ne lis sur ses traits qu'une débauche et une ivresse comme on en voit tous les jours : la poésie et l'art n'ont pas passé par là. Quant à Judith, dont tout Paris connaît le modèle, copié presque littéralement sur une atrice mêlée à de funestes souvenirs, on peut assurer que mademoiselle P. avait, et conserve encore, une majesté imposante et grave qu'on chercherait en vain sur la toile de M. Vernet. A quelque foi, à quelque incrédulité que que l'on appartienne, en dehors de tous les systèmes mystiques ou sceptiques que l'on peut avoir adoptés, la Bible est un ensemble de magnifiques poëmes, et quand on s'avise d'y toucher, et d'en vouloir tirer et détacher quelque chose, il faut le faire largement, hardiment, mais simplement. Voyez Milton, Klopstock, Raphaël, Michel- Ange, ils poétisent et agrandissent les paroles de la Bible; mais s'ils vont plus haut, c'est en suivant la même route. Ils n'ont pas, comme Horace Vernet, la prétention ou le malheur d'enjoliver et d'embourgeoiser le drame biblique en essayant de le renouveler, de l'habiller en costume moderne.
G. PLANCHE. (Salon de 1831.) INGRES (1780-1867) — 788 — Jésus-Christ remet à saint Pierre les clefs du Paradis. — Cette peinture, imitation des productions d'un autre âge, a trouvé dans la critique française de chauds admirateurs.
Notre-Seigneur remettant à saint Pierre les clefs du paradis en présence des apôtres ornait autrefois l'église de la Trinité-du-Mont, à Rome, où une copie le remplace. C'est un tableau d'un style sévère, qui rappelle les cartons d'Hampton-Court : les draperies sont largement agencées, les têtes ont un caractère énergique et robuste, comme il convient à des pêcheurs d'hommes qui vont jeter le filet sur l'univers pour ramener des âmes. Le saint Pierre est superbe, et le Christ ne pouvait mieux choisir la pierre sur laquelle devait s'élever un jour l'édifice immense du catholicisme; les clefs qui plus tard se croiseront sur l'écusson papal sont bien à leur place, dans ces mains musculeuses et basanées. La tête du Christ mêle au type traditionnel le sentiment particulier de l'artiste; c'est ainsi que les maitres savent être neufs en traitant des sujets en apparence usés.
TH. GAUTIER. (Les Beaux-Arts en Europe.)
— 791 — Roger délivrant Angélique. — Ce tableau a figuré au Salon de 1819.
Avec son monstre de carton, son chevalier troubadour et son paysage de décor, le Roger délivrant Angélique serait une scène d'opéra, sans la figure d'Angélique, d'une grâce si frêle et d'une pâleur si diaphane. M. Ingres, qui le plus souvent peint des femmes d'une beauté païenne, a réalisé ici l'idéal féminin du moyen âge dans sa fleur la plus délicate. Le jet correct d'une Andromède se mêle à la sveltesse d'une fée gothique dans ce beau corps enchaîné nu au rocher.
PAUL DE ST-VICTOR.
DELACROIX (1798-1863) — 955 — La liberté guidant le peuple.
— Ce tableau, dont la coloration est un peu grise, a figuré au Salon de 1831. Le souffle qui l'a inspiré fait involontairement penser au poëte qui décrit ainsi la Liberté : C'est une forte femme aux puissantes mamelles, A la voix rauque, aux durs appas, Qui, du brun sur la peau, du feu dans les prunelles, Agile et marchant à grands pas, Se plaît aux cris du Peuple, aux sanglantes mêlées, Aux longs roulements des tambours, A l'odeur de la poudre, aux lointaines volées Des cloches et des canons sourds.
AUGUSTE BARBIER.
« Au lendemain de la révolution de Juillet, sa sympathie pour le mouvement populaire se traduisit par la Barricade qui est maintenant au Luxembourg. Vainqueurs et vaincus gisent sur le pavé, réconciliés dans la mort. Des enfants, des gamins pour qui les combats sont une manière de jeu, font encore le coup de pistolet, mêlés à des figures étranges qu'on croit avoir vu quelque part; déjà, cependant, la barricade est unrempart inutile qu'a renversé l'insurrection victorieuse, et dont les débris sont foulés aux pieds par une fille du peuple, apparue au milieu de la fumée, tenant un fusil d'une main, de l'autre un drapeau tricolore. Mais que dis-je? cette fille aux épaules nues, aux puissantes mamelles, qui respire si volontiers l'odeur de la poudre et porte un bonnet phrygien sur ses cheveux épars, c'est la Liberté, la Liberté en personne. Ainsi transfigurée par la passion, cette forte fille, qui court pieds nus à travers la mitraille, est devenue une allégorie, ou plutôt l'allgéorie, descendue des cieux, s'est incarnée dans une figure populaire ; l'idéal a tressailli au sein du réel. »
CHARLES BLANC. (Les Artistes de mon temps.)
THÉODORE ROUSSEAU (1812-1867 ) — 847 — Sortie de la forêt de Fontainebleau, Coucher de soleil (Salon de 1855).— C'est une superbe pochade mais rien de plus. Cette facture heurtée, et à peine indiquée se retrouve, sur un assez grand nombre de tableaux du maître, et il y en a d'autres, au contraire, où la recherche du détail est poussée presqu'a la mièvrerie. Ceux qui ont fréquenté l'atelier de Théodore Rousseau savent qu'il faisait simultanément et d'après une idée arrêtée les tableaux les plus poussés et ceux qu'il voulait laisser à l'état d'ébauche ; l'exécution de ses paysages était chez lui le résultat d'une théorie absolument arrêtée : « Dans une ferme, disait-il, on s'arrête on se repose, on regarde chaque détail avec plaisir, on examine les pommiers noueux qui se renversent sur l'herbe humide de la prairie, les fleurs dont la note brillante vient interrompre la monotonie verte des herbages, les constructions rurales avec leur désordre pittoresque, la brouette sur le fumier, les poules qui picotent, la vache qui rumine paisiblement. Pour rendre l'impression qu'on a éprouvée, il faut traduire chaque détail dans son intimité, et ne négliger aucun des accessoires, qui tous ont une raison d'être dans l'ensemble. L'exécution sera tout autre dans la forêt par un temps d'orage: ici, on ne s'arrête plus, on passe, on est pressé d'être rentré et toute la nature est en mouvement. Les nuages roulent et se chassent les uns les autres, les branches des arbres sont sans cesse balayées par le vent, et dans leur incessante agitation, dissimulent la forme exacte de leurs feuillages, l'œil ne peut rien fixer de positif, et l'esprit, incapable de se fixer sur un point déterminé, est uniquement saisi par le tumulte de la nature. L'exécution qu'il faut adopter ici, doit être, non pas lâchée, mais sommaire; la touche, large et décisive, doit exprimer les accents généraux, sans s'arrêter aux détails minutieux. » Deuxième panneau.
PAUL DELAROCHE (1797-1856) — 758 — Mort d'Elisabeth, reine d'Angleterre en 1603 — Salon de 1827 Elisabeth donna une bague à son favori, le comte d'Essex, à son retour de l'heureuse expédition de Cadix, en lui ordonnant de la
garder comme un gage de sa tendresse, et en l'assurant que dans quelque disgrâce qu'il pût tomber, s'il la représentait alors à ses yeux, elle serait favorable à sa justification. Lorsqu'il se vit jugé et condamné, il confia cet anneau à la comtesse de Nottingham, en la priant de le remettre à la reine. Le comte de Nottingham, ennemi déclaré du duc d'Essex, exigea de sa femme qu'elle n'exécutât point la commission dont elle s'était chargée. Elisabeth, qui attendait toujours que son favori lui rappellerait ses promesses par ce dernier moyen, pour l'émouvoir en sa faveur, fut décidée enfin par le ressentiment et la politique à signer l'ordre de l'exécution. La comtesse de Nottingham tomba malade, et sentant arriver sa fin, les remords d'une si grande infidélité la troublèrent : elle supplia la reine de venir la voir, et lui révéla ce fatal secret en implorant sa clémence.
Elisabeth, saisie de surprise et de fureur, traita la mourante comtesse avec l'emportement le plus extrême, s'écriant que Dieu pouvait lui pardonner, mais qu'elle ne lui pardonnerait jamais ; elle sortit avec la rage dans le cœur et s'abandonna dès ce moment à la plus profonde mélancolie; elle rejeta toute espèce de consolation et refusa même de prendre des aliments; elle se jeta par terre, y resta immobile, nourrissant ses regrets des réflexions les plus cruelles, et déclara que la vie n'était plus pour elle qu'un fardeau insupportable.
Des cris étouffés, des gémissements, des soupirs furent le seul langage qu'elle se permit. Elle passa ainsi dix jours et dix nuits étendue sur son tapis et appuyée sur des coussins que ses femmes lui apportèrent; les médecins ne purent lui persuader de se mettre au lit, et encore moins d'essayer les secours de leur art. Sa fin parut prochaine. Le Conseil s'assembla et députa le chancelier, l'amiral et le secrétaire d'Etat à la reine pour savoir ses intentions sur le choix de son successeur. Elle répondit d'une voix défaillante, qu'ayant porté le sceptre des rois, elle voulait qu'un roi lui succédât. Cécil la pressa de s'exprimer plus positivement : « Un roi me succédera, répliqua-t-elle, et ce ne peut-être que mon plus proche parent, le roi d'Ecosse. » L'archevêque de Cantorbéry l'exhorta ensuite à tourner ses pensées vers Dieu : « C'est ce que je fais, et mon âme cherche à s'unir à lui pour jamais. » Peu de temps après, sa voix s'éteignit, ses sens s'affaiblirent, elle tomba dans un assoupissement léthargique qui dura quelques heures, et elle expira doucement, sans aucun signe violent d'agonie, dans la soixante-dixième année de son âge et la quarante-cinquième de son règne. — On remarque le lord garde du sceau, le lord amiral, l'archevêque de Cantorbéry et le secrétaire d'Etat Cécil, qui est à genoux devant la reine.
Malgré d'incontestables qualités, la Mort d'Élisabeth est un tableau qui sent un peu l'inexpérience d'un jeune homme et ne saurait donner la mesure d'un talent qui s'est élevé beaucoup plus haut. Au reste les critiques qu'on peut faire de ce tableau sont très-bien résumées dans un article de M. Delaborde.
« C'est en face de la Mort d'Elisabeth qu'on sentira l'abus de la méthode et que le regard sera comme étourdi d'une sorte de fracas pittoresque. M. Delaroche, heureusement, n'était pas homme à se méprendre longtemps. En dépit des applaudissements qui accueillirent, au Salon de 1827, la Mort d'Elisabeth, il vit bien que persister dans la voie où il venait d'entrer, c'était s'exposer à faire fausse route : il se hâta de rétrograder. Un soin excessif dans le rendu des accessoires put encore, sous sa main, nuire de temps à autre au relief des morceaux essentiels et diviser l'effet de ses compositions ; mais ce défaut, il travailla sans relâche à s'en corriger, et là même où les objets inertes sont traités par lui avec le plus d'amour, ils n'usurpent plus, comme dans l'Elisabeth, le droit de se mettre en vue. » H. DELABORDE. (Etude sur les beaux-arts.) SAINT JEAN (1808-1860) — 849 — Les fleurs dans les ruines (Salon de 1855).
EUGÈNE DELACROIX (1798-1863) — 753 (+) Dante et Virgile aux enfers. — Ce tableau parut au Salon de 1822. C'était le début du peintre qui raconte lui-même dans une de ses lettres ses premières émotions.
« Vers la fin de 1815, j'entrai chez Guérin pour étudier la peinture.
Je ne sais s'il s'est aperçu que je promisse quelque talent, mais il ne m'a jamais encouragé. Quand je fis, en 1822, le premier tableau que j'osai exposer, et qui représentait le Dante et Virgile, je le fis venir chez moi par déférence pour le lui soumettre : il n'en fit guère que des critiques, et si je ne pus jamais tirer de lui son assentiment à mon désir de l'exposer, il est juste de dire que quelques jours après l'ouverture de l'Exposition, m'ayant retrouvé à l'Académie où j'allais encore étudier, en élève, sur les derniers bancs, il voulut bien me dire que ces Messieurs, c'est-à-dire les professeurs, avaient remarqué mon tableau.
» Le succès capital de ma carrière date de cette époque lointaine.
Je ne parle pas de celui que j'eus dans le public malgré mon obscurité, ou peut-être à cause d'elle, mais de la manière flatteuse dont Gros me parla de mon tableau. J'idolâtrais le talent de Gros, qui est encore pour moi, à l'heure où je vous écris, et après tout ce que j'ai vu, un des plus notables de l'histoire de la peinture. Le hasard me fit rencontrer Gros, qui, apprenant que j'étais l'auteur du tableau en question, me fit, avec une chaleur incroyable, des compliments qui, pour la vie, m'ont rendu insensible à toute flatterie. Il finit par me dire, après m'en avoir fait ressortir tous les mérites, que c'était du Rubens châtié. Pour lui, qui adorait Rubens, et qui avait été élevé à l'école sévère de David, c'était le plus grand des éloges. Il me demanda s'il pouvait faire quelque chose pour moi. Je lui demandai, incontinent, de me laisser voir ses fameux tableaux de l'Empire,
qui, dans ce moment, étaient dans l'ombre de son atelier, ne pouvant pas être exposés au grand jour, à cause de l'époque et des sujets.
Il m'y laissa quatre heures, seul ou avec lui, au milieu de ses esquisses, de ses préparations; en un mot, il me donna les marques de la plus grande confiance, et Gros était un homme très-inquiet et très-soupçonneux. »
(Lettre d'Eugène Delacroix.) L'accueil fait au jeune artiste par la critique n'est pas moins curieux à étudier. Tous les écrivains bien posés se récrièrent à l'envi contre les tendances révolutionnaires du peintre.
Cependant il y eut des exceptions, et l'une d'elle mérite d'être notée. Delacroix était alors un débutant, et n'avait aucune sorte de réputation. Un jeune débutant en littérature, qui depuis est devenu un grand homme d'Etat, fut parmi les critiques d'art le premier qui devina sur cette toile l'avenir reservé au peintre.
Voici comment Thiers apprécie ce tableau dans son compte rendu du Salon de 1822: « Aucun tableau ne révèle mieux, à mon avis, l'avenir d'un grand peintre que celui de M. Delacroix représentant le Dante et Virgile aux enfers. C'est là surtout qu'on peut remarquer ce jet de talent, cet élan de la supériorité naissante qui ranime les espérances un peu découragées par le mérite trop modéré de tout le reste. Le Dante et Virgile conduits par Caron traversent le fleuve infernal et fendent avec peine la foule qui se presse autour de la barque pour y pénénétrer. Le Dante, supposé vivant, a l'horrible teinte des lieux. Virgile, couronné d'un sombre laurier, a les couleurs de la mort. Les malheureux condamnés à désirer éternellement la rive opposée s'attachent à la barque. L'un la saisit en vain, et, renversé par son mouvement trop rapide, est replongé dans les eaux, un autre l'embrasse et repoussse avec les pieds ceux qui veulent l'aborder comme lui ; deux autres serrent avec les dents ce bois qui leur échappe. Il y a là l'égoïsme et le désespoir de l'enfer. Dans ce sujet, si voisin de l'exagération, on trouve cependant une sévérité de goût et une convenance locale qui relèvent le dessin, auquel des juges sévères, mais peu avisés ici, pourraient reprocher de manquer de noblesse. Le pinceau est large et ferme, la couleur vigoureuse, quoique un peu crue.
L'auteur jette ses figures, les groupe, les plie à volonté, avec la hardiesse de Michel-Ange et la fécondité de Rubens. Je ne sais quel souvenir des grands artistes me saisit à l'aspect de ce tableau ; j'y retrouve cette puissance sauvage, ardente, mais naturelle, qui cède sans effort à son propre entraînement. »
MARILHAT (1811-1847) — 808 — Ruines de la mosquée du sultan Hakem, au Caire.
PAUL HUET (1804-1868) — 787 — L'inondation à Saint-Cloud.
— Salon de 1855.
INGRES (1780-1867)— 789 (+) Homère déifié. — Ce tableau destiné à servir de plafond pour une des salles du musée Charles X, a une importance capitale dans l'histoire de la peinture française au dix-neuvième siècle.
« Devant le péristyle d'un temple ionique Homère déifié est assis avec le calme et la majesté d'un Jupiter aveugle; sa pose immobile indique la cécité, quand même ses yeux blancs comme ceux d'une statue ne diraient pas que le divin poëte ne voit plus qu'avec le regard de l'âme les merveilles de la création qu'il a retracées si splendidement. Un cercle d'or ceint ses larges tempes, pleines de pensées; son corps, modelé par robustes méplats, n'a rien des misères de la caducité; il est antique et non vieux; l'âge n'a pas de prise sur lui, et sa chair s'est durcie pour l'élernité dans le marbre éthéré de l'apothéose. D'un ciel d'azur que découpe le fronton du temple et que dorent comme des rayons de gloire quelques zones de lumière orangée, descend dans le nuage d'une draperie rose une belle vierge tenant la palme et la couronne.
» Aux pieds d'Homère sur les marches du temple, sont campées dans des attitudes héroïques et superbes ses deux immortelles filles, l'Iliade et l'Odyssée : l'Iliade, altière, regardant de face, vêtue de rouge et tenant l'épée de bronze d'Achille; l'Odyssée, rêveuse, drapée d'un manteau vert de mer, ne se montrant que de profil, sondant de son regard l'infini des horizons et s'appuyaut sur la rame d'Ulysse : l'action et le voyage !
» Ces deux figures, d'une incomparable beauté, sont dignes des poëmes qu'elles symbolisent ; quel éloge en faire après celui-là !
» Autour du poëte suprême se presse respectueusement une foule illustre : Hérodote, le père de l'histoire, jette l'encens sur les charbons du trépied, rendant hommage au chantre des temps héroïques ; Eschyle montre la liste de ses tragédies ; Apelle conduit Raphaël par la main ; Virgile amène Dante; puis viennent Tasse, Corneille, Poussin, coupés à mi-corps par la toile; de l'autre côté, Pindare s'avance, touchant sa grande lyre d'ivoire; Platon cause avec Socrate ; Phidias offre le maillet et le ciseau qui ont tant de fois taillé les dieux d'Homère ; Alexandre présente la cassette d'or où il renfermait les œuvres du poëte. Plus bas s'étagent, en descendant vers l'âge moderne, Camoëns, Racine, Molière, Fénelon, rattaché au chantre de l'Odyssée par son Télémaque.
» Il règne dans la portion supérieure du tableau une sérénité lumineuse, une atmosphère élysienne argentée et bleue, d'une douceur infinie ; les tons réels s'y éteignent comme trop grossiers et s'y fondent eu nuances tendres, idéales. Ce n'est pas le soleil des vivants qui éclaire les objets dans cette région sublime, mais l'aurore de l'im-
mortalité; les premiers plans, plus rapprochés de notre époque, sont d'une couleur plus robuste et plus chaude. Si Alexandre dans son casque, sa cuirasse et ses énémides d'or, semble l'ombre d'une statue de Lysippe, Molière est vrai comme un portrait d'Hyacinthe Rigaud.
» Quel style noble et pur! quelle ordonnance majestueuse ! quel goût véritablement antique ! Dans ce tableau sans rival, l'art de Phidias et d'Apelle est retrouvé. » THÉOPHILE GAUTIER.
LÉON BENOUVILLE (1821-1859) — 704 — Saint François d'Assise, transporté mourant à Sainte-Marie des Anges, bénit la ville d'Assise. — Salon de 1853.
« Le saint, près d'expirer, se soulève à demi sur une civière que viennent de poser à terre les moines qui l'ont apporté; et de cette main, où les clous du crucifiement ont laissé un stigmate sympathique, il bénit sa ville bien-aimée : la mort mêle ses tons de cire jaune aux teintes mates de l'hostie sur cette tête émaciée, consumée d'extase et nageant déjà dans les effluves de la béatitude céleste. A coté du saint, un jeune moine au profil idéalement pur, aux longues mains jointes comme celles d'une statue sur un tombeau, prie avec une onction et une ferveur sans pareilles. Deux autres moines, plus âgés, se tiennent debout auprès de la civière; leurs têtes rasées qu'entoure une couronne de cheveux, et qui rappellent le crâne d'ivoire du squelette ; leurs nuques, dont les vertèbres font saillies, les plis droits de leurs frocs n'accusant que la charpente humaine dépouil- lée de sa chair, expriment à un haut degré l'ascétisme monacal.
C'est du Zurbaran tempéré par du Le Sueur; car une lueur languissante, une suavité morbide adoucissent ces têtes, où se lit la nostalgie du ciel. »
THÉOPHILE GAUTIER.
DECAMPS (1803-1860) — 750 — Les chevaux de halage. —
751 — Une caravane (esquisse). — Malgré le mérite de ces deux ouvrages, ils ne nous paraissent pas suffisants pour faire apprécier Decamps aux personnes qui ne connaissent pas ses toiles importantes : il y a ici une lacune dans notre musée.
EUGÈNE DELACROIX (1798-1863) — 756 — Femmes d'Alger dans leur appartement. — Ce tableau qui a figuré au Salon de 1834, montre une face particulière du talent de l'artiste. Ici, il n'y a aucun sujet dramatique, aucune recherche de l'émotion. C'est un bouquet de couleurs rien de plus. On a souvent comparé Delacroix à Victor Hugo; on peut dans une certaine mettre
admettre ce rapprochement pour les Femmes d'Alger, qui produisent une impression assez analogue à celles des Orientales.
« Outre leur mérite intrinsèque, les Femmes d'Alger marquent un événement d'importance dans la vie de M. Delacroix, son voyage en Afrique, qui nous a valu tant de toiles charmantes et d'une fidélité si locale. — Oui, ce sont bien là les intérieurs garnis à hauteur d'homme de carreaux de faïence formant des mosaïques comme dans les salles de l'Alhambra, les fines nattes de jonc, les tapis de Kabylie, les piles de coussins et les belles femmes aux sourcils rejoints par le surmeh, aux paupières bleuies de kh'ol, aux joues blanches avivées d'une couche de fard, qui, nonchalamment accoudées, fument le narghilé ou prennent le café que leur offre, dans une petite tasse à soucoupe de filigrane, une négresse au large rire blanc. » THÉOPHILE GAUTIER.
CHASSERIAU (1819-1856) — 728 — Le tepidarium, salle où les femmes de Pompéi venaient se reposer en sortant du bain. —
Ce tableau, exposé en 1853, a excité dans la critique française un enthousiasme très-vif.
BRASCASSAT (1804-1867) — 723 — Paysage et animaux.
SAINT-JEAN (1808-1860) — 850 — La récolte. — Salon de 1855.
EUGÈNE DEVÉRIA (1805-1865) — 765 — La naissance de Henri IV.
— Salon de 1827.
Eugène Devéria a été un des grands noms du romantisme. Un nstant, mais rien qu'un instant, il a été le rival d'Eugène Delacroix. Comme d'autres se mettent tout entiers dans un livre, il se mit ,out entier dans un tableau. Son coup d'éclat, son coup de maître, a Naissance d'Henri IV, il le fit à vingt-deux ans, en l'année 1827, LU moment où Delacroix exposait son Sardanapale, et il produisit me sensation d'autant plus vive que le tableau de Delacroix était noins réussi. Ce fut au point qu'on ne jurait en cette année que par Devéria. Un de nos meilleurs peintres m'a raconté qu'après l'ouverure du Salon, les élèves de M. Hersent firent en plein atelier une le ces manifestations qui ont leur excuse dans la bonne foi et les enraînements de la jeunesse. Les plâtres antiques furent brisés, on eta gaiement par la fenêtre les têtes et les mains, les pieds et les ambes. Ces jeunes iconoclastes, qui ne savaient pas être des barbares, n'épargnèrent aucun moulage, pas même la Vénus de Milo qui était venue, dépuis peu, révéler un art grec bien supérieur à elui du Laocoon et de l'Apollon. Ce fut une immolation générale, une démence, un délire! Que s'était-il passé, cependant? Un peintre vait représenté un sujet historique, la naissance d'Henri IV, et il avait représenté avec les costumes du temps. Il y avait mis de la ichesse, de la couleur, de l'effet. On y voyait non-seulement de jo-
lies femmes, mais des bourgeois, des manants, un nain grotesque, un gros chien, un fond d'architecture gothique, des habits de soie, des pourpoints à crevés, des toques de velours, tout ce que l'art classique, en ses rigides enseignements, avait relégué avec dédain dans la peinture de genre.
CHARLES BLANC. (Les Artistes de mon temps.) Troisième panneau HIPPOLYTE FLANDRIN (1809-1864) — 769 — Portrait de jeune fille.
THÉODORE ROUSSEAU (1812-1867) — 848 — Lisiére d'une forêt (esquisse).
EUGÈNE DELACROIX (1798-1863) — 752 — Portrait du peintre.
— Ce qui rend ce portrait doublement intéressant, c'est que l'artiste n'a jamais cultivé ce genre auquel d'ailleurs son talent se prêtait difficilement.
ARY SCHEFFER (1795-1858) — 852 — Les femmes souliotes. —
Voyant leurs maris défaits par les troupes d'Ali, pacha de Janina, elles prennent la résolution de se précipiter du haut des rochers. — Salon de 1827.
« Nous en avons le souvenir présent. Un jour, dans cet atelier qui d'ordinaire était rempli de chevalets d'un petit modèle, et où la toile la plus grande n'excédait guère les dimensions d'un portrait nous fûmes surpris d'en trouver une qui du sol montait presque au plafond. Elle était déjà couverte d'un épiderme de couleur laissant voir des contours finement arrêtés. Ce n'était pas encore un tableau, c'était plus qu'une ébauche. On eût dit une apparition vaporeuse et diaphane. De malheureuses femmes réfugiées au sommet d'un rocher se tordaient les mains de désespoir, les unes implorant le ciel, les autres penchées sur l'abîme et regardant l'issue d'un combat meurtrier. Jamais nous n'oublierons cette scène émouvante. Sans quelques coups de crayon blanc encore tracés sur la peinture, l'illusion aurait été complète; la scène elle-même apparaissait comme à travers un transparent. Scheffer était là depuis huit jours dans le feu de sa première pensée; c'était, on le devine, ses Femmes souliotes, qu'il jetait ainsi sur la toile. Ces créatures héroïques se lançant à la mort pour fuir le déshonneur et l'esclavage lui avaient monté la tête. Peindre en petit, c'est-à-dire indiquer seulement, laisser dans le vague et dans l'à-peu-près un tel acte, de telles âmes, c'était, selon lui, en prendre trop à son aise. Il fallait essayer de tout dire et de tout rendre à l'échelle de la nature. Il abandonnait donc ses tableaux commencés, ses joujoux, comme il les appelait, et se donnait tout entier à cette œuvre virile. » VITET. (Etude sur l'histoire de l'art.)
— 851 — La mort de Géricault. — Derrière le lit, le colonel Bro, debout; en avant, M. de Dreux d'Orcy, tous deux amis de Géricault. — Peinture faite en 1824.
INGRES (1780-1867) — 792 — Jeanne d'Arc. — Ce tableau, peint en 1854, est tout à fait indigne de l'artiste qui en est l'auteur : c'est une erreur, et la présence de cette toile au musée ne peut s'expliquer que par une autre erreur de l'administration.
PAUL DELAROCHE (1797-1856) — 759 (+) Les enfants d'Edouard.
— On a souvent établi un parallèle entre le talent de Paul Delaroche et celui de Casimir Delavigne, et ce parallèle, qui dans l'origine était un compliment adressé au peintre s'est formulé depuis comme un blâme. Nous n'avons pas à examiner ici la valeur ittéraire de Casimir Delavigne, mais Delaroche, bien qu'il n'ait )as eu comme Ingres ou Delacroix, le privilége d'un défaut évilent, qui appelle la passion dans la polémique, est un artiste lui se relèvera de l'injuste oubli où il est aujourd'hui. Il a parlessus tout une qualité essentielle, c'est la personnalité, car si n trouve aisément les ancêtres de Casimir Delavigne, il serait lus embarassant de désigner quel peintre a précédé Paul Delaoche dans sa manière toute particulière d'émouvoir et de préenter le drame. Au reste le succès que cet artiste a obtenu dans opinion publique est encore trop récent, pour n'être pas conamné par notre génération, mais comme il était légitime, la énération qui viendra après la nôtre, lui rendra nécessairelent la place qui lui est due.
ARY SCHEFFER (1795-1858) — 853 — Eberhard, comte de Wir- mberg, dit le larmoyeur. — « Et tandis que nous, dans notre amp, célébrons notre victoire, que fait notre vieux comte ? Seul, ans sa tente, devant le corps de son fils mort, il pleure. » (Balde de Schiller). — Salon de 1834.
Ce sujet est traité dans la manière rembranesque d'Ary Scheffer.
recherchait alors le faire heurté, l'empâtement brusque, les nbres chauffées au bitume; et sa peinture, pour avoir du corps, avait pas moins d'âme. La tête du père, empreinte d'une douleur rile et reléguée dans une ombre ardente, contraste énergiqueent avec la figure de son fils, suave et tendre comme celle d'une erge guerrière.
PAUL DE ST-VICTOR.
HEIM (1787-1865) — 785 (+) Le roi Charles X distribuant des
récompenses aux artistes à la fin de l'exposition de 1824. — Salon de 1827.
Une vaste table était dressée dans le grand salon du Louvre; on avait placé près de cette table un fauteuil destiné au roi.
Charles X, ayant à sa droite le vicomte de la Rochefoucauld, directeur des Beaux-Arts, le comte de Forbin, directeur général des Musées, et M. de Cailleux, secrétaire général, reste debout près de la table, autour de laquelle se pressait une foule de dames artistes. Le vicomte de la Rochefoucauld annonce que le roi a accordé le grand-cordon de l'ordre de Saint-Michel à M. Carle Vernet, peintre d'histoire, et à M. Cartellier, sculpteur.
Ces deux artistes s'avancent, et le comte de Forbin présente au roi ces décorations, qu'ils reçoivent des mains mêmes de Charles X. MM. Bosio, Hersent, Dupaty, Horace Vernet sont ensuite proclamés officiers de la Légion d'honneur. « Je regrette beaucoup; dit le roi à ce jeune artiste en remettant sa décoration, que votre grand-père n'existe pas, car j'aurais pu récompenser en un seul jour toute la génération. » (Extrait du Moniteur de janvier 1825.) Au centre du tableau, Charles X donne le cordon de Saint-Michel à Cartellier, derrière lequel est placé Carle Vernet, qui vient de recevoir le sien. Derrière le roi sont le vicomte de la Rochefoucauld, tenant la liste des récompenses; le comte de Forbin et M. de Cailleux, tenant des croix. Ce tableau offre les portraits de cent-un personnages, qui sont, outre ceux déjà cités, en commençant par la droite du spectateur : MM. Fontaine, Gérard, Percier, Blondel, Richomme, M. et madame Hersent, Regnault, Mauzaisse, Cicéri, le comte Turpin de Crissé, Ramey, Dupré, Galle, le baron Taylor, Boutou, le baron Gros, madame Le Brun, Gudin, Horace Vernet, Charles Nodier, Pradier, Alaux, Paul Delaroche, le baron Atthalin, Picot, le baron Bosio, madame de Mirbel, Meynier, Tiolier, Thévenin, Huyot, Labarre, mademoiselle Godefroid, Vaudoyer, Le Sueur (statuaire), Bourgeois, Ansiaux, Ducis, Steuben, madame Jaquotot, Lancrenon, Boïeldieu, Rouget, Taunay, Rossini, Le Sueur (compositeur), Chérubini, le duc de Maillé, Gosse, Bertin, Paulin Guérin, Bertin, Delorme, Gassies, Laitié, Jazet, Saint, le marquis d'Autichamp, le baron Desnoyers, Gayrard, Redouté, Isabey père, Léon Cogniet, Bidauld, Couder, Watelet, Eugène Isabey, David d'Angers, Guénepin, Constantin, Lethière, Lebas, Boilly, Laribe, Garnier, Abel de Pujol, Ingres, Schnetz, Dejuinne, Dupaty, Garneray, Demarne, le baron Lemot, madame Haudebourt. madame Ancelot, Quatremère de Quincy, Tardieu, Bra, Raggi, Drolling, Kinson,
Langlois, Vandaël, Giraud (statuaire), Daguerre, Petitot, Debay père, Simon fils, Gatteaux, Cortot et Heim. Le grand salon est décoré des objets d'art les plus remarquables de l'exposition, parmi lesquels on reconnaît: le portrait équestre du duc d'Angoulême, par M. Horace Vernet; Jeanne d'Arc et le cardinal de Winchester, par M. Paul Delaroche; le Vœu de Louis XIII, par M. Ingres; Philippe V reconnu roi d'Espayne, par Gérard, et la statue de Charles X.
(Notice des Musées.) Quatrième panneau.
HEIM (1787-1865) — 784 — Le massacre des Juifs, après la prise de Jérusalem par Titus, sujet tiré de l'histoire des Juifs par Josèphe. — Ce tableau a figuré au Salon de 1824. — Croyant sur la foi des faux prophètes, trouver un asile dans un des cours du temple, une foule de malheureux qui s'y étaient réfugiés, furent impitoyablement massacrés. Le groupe de la femme renversée à terre avec son enfant qu'elle veut préserver des coups d'un cavalier romain est admirable de mise en scène dramatique.
Cette peinture, qui fit à l'époque de son apparition une sensation énorme, valut à l'artiste d'être décoré de la propre main du roi devant son ouvrage même et lui fournit l'occasion de faire un tableau d'un tout autre caractère et qui est peut-être son chefd'œuvre. C'est celui qui représente le roi Charles X distribuant des récompenses au Salon de 1824. Nous avons parlé déjà de ce tableau, qui est placé dans la même salle sur le panneau que nous venons d'examiner.
HIPPOLYTE FLANDRIN (1809-1864) — 768 — Figure d'étude.
COURT (1797-1865) — 736 — La mort de César.
« Le corps balafré de César est étendu sur les rostres, aux pieds de la louve romaine que tètent les nourrissons de bronze. Au fond se dessinent la silhouette du Capitole et les divers monuments qui encombraient le Forum. Antoine secoue aux yeux du peuple la tunique ensanglantée du dictateur et l'excite contre les meurtriers.
Cette prosopopée mélodramatique allume l'indignation de la plèbe entassée autour de la tribune aux harangues ; plusieurs se baissent pour ramasser des pierres et les jeter aux assassins. Brutus, suivi de Cassius, s'éloigne pâle et songeur, doutant de la légitimité de son crime et se demandant si ces Romains dégénérés valaient la peine qu'il trempât pour eux ses mains dans le sang peut-être paternel de César.
» Il y a dans cette composition, arrangée d'une manière un peu théâtrale, des parties excellentes, aussi bien dessinées que bien
peintes : les hommes qui déposent la civière sur les rostres sont parfaits de mouvement; le torse exsangue de César parle avec la bouche de ses blessures plus éloquemment encore que la harangue d'Antoine; la jeune mère, soulevant ses jeunes enfants pour leur faire faire voir le cadavre du dictateur, a une tête d'une beauté vraiment romaine.
Le sénateur obèse et chauve qui se lamente est largement peint et d'un bon caractère; les types des têtes d'hommes du peuple sont étudiés avec soin, et quiconque a visité Rome a dû voir dans les petites rues au delàdu Tibre plus d'une physiouomie semblable; certaines portions de nu, dos, torses, jambes, sont très-bien rendues et mê- lent l'antique à la nature dans une proportion heureuse; on doit louer également les draperies ajustées avec beaucoup de goût et de science ; il y a de la vigueur dans le coloris, et l'effet général est satisfaisant. La lumière se concentre sur le groupe principal et y fixe l'attention. Sans doute le prix de Rome récent se fait sentir en quelques endroits; le maître n'est pas encore tout à fait dégagé des traditions de l'école ; mais les grandes qualités qui font le peintre d'histoire se produisent avec éclat, et le critique le plus chagrin pouvait dès lors prophétiser à l'auteur de la Mort de César un avenir qui ne s'est pas réalisé, et que tout semblait promettre. » THÉOPHILE GAUTIER. (Les Beaux-Arts en Europe.) HORACE VERNET (1789-1863) — 871 (+) La barrière de Clichy, ou défense de Paris en 1814. — Cette petite toile exquise a été peinte en 1820.
Le maréchal Moncey donne au chef de bataillon OJiot l'ordre d'empêcher les Russes de s'emparer de la butte Montmartre.
Parmi les acteurs de cette scène, on remarque le maréchal Moncey, M. Odiot, colonel; M. de Marguery-Dupaty, homme de lettres; Charlet, et Horace Vernet, l'auteur du tableau.
TROYON (1810-1865) — 860 (+) Les Bœufs au labour, Effet du matin.
« L'aube vient à peine de naître ; des clartés blanchissantes commencent à percer les brumes laiteuses du matin ; la sueur froide de la nuit perle encore en gouttes de rosée sur les herbes d'un vert glauque; la terre mouillée se nuance de teintes brunes; l'attelage, courbé par le joug, se présente de face et marche pesamment sous l'aiguillon d'un bouvier à moitié endormi ; les bêtes aux mufles carrés, les fanons pendants, les genoux cagneux, l'encolure épaisse et lourde des braves bêtes qui vont ouvrir le sillon où germera le pain de l'homme, et qu'on récompensera par la boucherie, tout cela est rendu avec une largeur et une simplicité magistrales; des naseaux luisants des bœufs sortent de longs jets de fumée, car la ma- tinée est froide, et leur respiration se condense en brouillard.
M. Troyon a un talent particulier pour peindre les ciels; celui des
Bœufs allant au labour est d'une vérité extraordinaire ; ce sont bien là ces tons gris argentés, ces vapeurs diaphanes des matinées d'automne, qui se résolvent en bruines ou que pompe le soleil plus haut monté. »
TH. GAUTIER. (Les Beaux-Arts en Europe.) 851 — Le retour à la ferme. — Ce tableau qui a figuré au Salon de 1859, a été donné au musée par la mère de Troyon.
EUGÈNE DELACROIX (1798-1863) — 754 (+) Scène des massacres de Scio. — Ce tableau a figuré au Salon de 1824.
« Le Massacre de Scio avait été conçu par lui sous l'influence de la Peste de Jaffa, qui avait si fort impressionné Delacroix. Il n'en fut que plus hardi à peindre tout ce qu'il y avait d'horrible dans un spectacle qui devait exprimer son indignation et soulever celle des autres. Il n'était pas, du reste, une âme généreuse qui ne s'émût au récit des malheurs qui accablait la Grèce opprimée, ensanglantée, et Delacroix était l'écho du sentiment public quand il peignit ce massacre dont les affreux détails remplissaient alors tous les journaux. Il le fit sans ménagement, avec les accents de la colère. Cependant l'incendie, les monceaux de cadavres, l'extermination ne sont pas en montre sur le devant du tableau. Le peintre a rejeté au loin le carnage qui, entrevu et deviné, n'en est que plus terrible. Tout près du spectateur, il n'a représenté que la désolation. Ici, un nourrisson se traîne sur la poitrine de sa mère morte; là une jeune femme s'appuie en pleurant sur un moribond. Plus loin se dresse une image du fatalisme oriental, personnifié par un palikare immobile, résigné au couteau. Deux amants s'embrassent en attendant qu'on les égorge, et au premier plan, une vieille matrone, au teint livide, une beauté en ruine, affaissée sur le sable, les yeux hagards, les bras tombants, semble résumer à elle seule tout ce grand désastre.
Sa tête, hébétée par la douleur, se détache sur un groupe sombre qui lui-même s'enlève sur l'implacable lumière du ciel. C'est une Sciote en lutte désespérée contre un cavalier turc, qui, monté sur un cheval gris de fer et bondissant, traîne à la queue de sa monture une jeune Grecque nue. » CHARLES BLANC. (Les Artistes de mon temps.) Nous avons vu en parlant du Dante et de Virgile, que Thiers avait en quelque sorte deviné le talent futur de Delacroix : il parla dans des termes non moins élogieux du Massacre de Scio et voici ce que nous trouvons à ce sujet dans une lettre d'Eugène Delacroix.
« M. Thiers est le seul homme, placé pour être utile, qui m'ait tendu la main dans ma carrière. Après ce premier article, dont je n'avais pas pensé à le remercier, tant je croyais que les choses
allaient d'elles-mêmes dans ce monde, il en fit un autre tout pompeux au Salon suivant, sur le Massacre de Scio. Même insouciance de ma part. J'ignorais même à qui j'étais redevable de tant de bienveillance. Gérard m'invita à Auteuil, où je vis enfin cet ami inconnu, qui ne parut pas du tout étonné de mon peu d'empressement à le rechercher après tout ce qu'il avait fait pour moi. Quand depuis il se trouva en situation de m'être utile d'une autre manière, il le fit avec la même simplicité. C'est lui qui me donna à faire, étant ministre de l'intérieur, le salon du Roi au palais Bourbon. Il le fit malgré les avis charitables de mes ennemis, et même de mes amis, qui lui disaient comme à l'envi que c'était me rendre un mauvais service, attendu que je n'entendrais rien à la peinture monumen- tale, et que je déshonorerais les murs que je peindrais. » (Lettres d'Eugène Delacroix.) — 757 — La noce juive dans le Maroc. — Salon de 1841.
« A quelques pas des Femmes d'Alger, nous avons la Noce juive au Maroc. Ici lethème change. Deux tons dominants, complémentaires l'un de l'autre, le rouge et le vert, vont être le seul nœud du tableau et caractériser les deux actions principales, la musique et la danse.
La lumière, tombant du zénith dans l'intérieur d'une cour, est une lumière diffuse, incolore et franche. Cependant le rouge qui anime le dessous des planchers, et qui exalte les bandes vertes du balcon, et quelques demi-tons orangés qu'on aperçoit dans l'escalier placé à droite, laissent deviner au dehors un soleil incandescent. L'ensemble des tons chauds dérivés du rouge ayant été mis dans l'ombre, et l'ensemble des tons froids dans le clair, il en résulte une sensation particulière, celle de la fraîcheur sous un ciel d'Afrique. L'impression est la même que celle des Femmes d'Alger, mais elle est obtenue par des moyens tout autres, notamment par la grande localité de blanc très-légèrement sali de vert que forme la muraille du fond, au beau milieu du tableau. Ce grand mur blanc à la chaux, uni et tranquille, donne le mouvement aux figures, tandis que dans les Femmes d'Alger, c'est un mur richement couvert de dessins innombrables qui donne le repos. » CHARLES BLANC. (Les Artiste de mon temps.) INGRES (1780-1867) — 793 — Portrait de M. Rivière. — 794 — Portrait de sa femme.
— 790 — Cherubini, portrait historique, — peint en 1842.
Le goût réclame un peu, dans le portrait historique de Cherubini, contre l'union mal assortie de l'Euterpe grecque drapée du péplum, et d'un vieillard à carrick, appuyé sur sa canne, décoré de la rosette des officiers de la Légion d'honneur. Cette apothéose de cabinet est moins grandiose que bizarre. On peut trouver encore que le maître a trop effacé du visage de son modèle le mouvement et la couleur de la vie. En voulant faire un portrait historique, il a fait un por-
trait posthume. La tête de Cherubini n'est ni chair ni marbre; elle est restée dans le ton blafard d'un buste de plâtre. Ces réserves faites, il faut admirer la beauté virile de la muse aux cheveux noirs, debout derrière le vieillard, et l'étonnant raccourci du bras qu'elle étend sur sa tête comme pour le sacrer.
PAUL DE ST-VICTOR.
Troisième salle
Cette salle contient un assez grand nombre de tableaux flamands et hollandais qui n'ont pu trouver place dans les galeries du bas. Ils ne sont ici que provisoirement, et doivent être remplacés par des tableaux d'artistes français morts dans ces dernières années et dont les ouvrages figurent encore au musée du Luxembourg.
MUSÉE DES DESSINS La collection des dessins du Louvre est très-considérable. En voici le classement tel qu'il est présenté dans le catalogue offi- ciel : nous ferons observer seulement que la rédaction du catalogue date déjà de plusieurs années, et que, soit par dons, soit par achats, le Musée s'est enrichi de plusieurs dessins non portés au catalogue.
- Nombre de dessins.
Ecoles d'Italie. 18,203 Savoir : Ecole florentine. 2,635 — romaine-ombrienne. 1,764 — vénitienne. 1,186 — lombarde. 975 — polonaise. 2,336 — piémontaise et génoise. 398 — napolitaine et sicilienne. 329 Ecoles d'Italie non déterminées. 8,580 18,203 Ecole espagnole. 87 — allemande. 802 — ilamande. 3,152 — hollandaise. 1,071 — française. 11,738 — anglaise. 11 Ecoles non déterminées. 198 Dessins indiens. 82 .— chinois. 9 Emaux et peintures sur porcelaine. 191 Total. 35,544
On comprend que cette énorme quantité de dessins n'a pu être exposée complètement et que l'administration a dû faire un choix. Il y a deux catégories de dessins exposés; ceux qui sont placés dans des cadres à poste fixe, demeurent invariablement les mêmes, tandis que ceux qui sont dans des écrans mobiles peuvent être renouvelés de temps à autre.
L'entrée du musée des dessins estsous le pavillon de l'Horloge.
Quand on arrive au premier étage, on trouve à droite la galerie Lacaze: en prenant à gauche on arrive droit au Musée des dessins, dont la porte se trouve à côté d'un escalier. Le Musée forme quatorze salles qui vont en se suivant au premier étage.
Mais il y a au second étage un vestibule et une grande salle, connue sous le nom de Salle des boites, dans lesquels on a placé des dessins extrêmement précieux, mais que l'air et la lumière pourraient altérer : plusieurs en effet sont déjà fort dégradés.
Cette salle des boites n'est ouverte que le samedi de 2 heures à 4 heures. Pour y aller, il suffit de monter l'escalier qui est près de la porte du Musée des dessins : il y mène tout droit. Comme la salle des boîtes est en quelque sorte le salon d'honneur des dessins, c'est par elle que nous devons commençer notre examen.
Grande salle des boites
Cette salle renferme les dessins les plus précieux du Louvre; le plus grand nombre est de Michel-Ange et de Raphaël.
Le vestibule qu'on trouve en entrant et qu'on traverse pour aller à la Salle des boîtes contient quelques dessins de maîtres.
260 — JULES ROMAIN — Danse des Bacchantes. — Ce dessin à la plume a été piqué et a servi de carton.
320 — RAPHAEL — Composition connue sous ce titre : Les Cinq saints.
374 — LE TITIEN — Groupe d'apôtres. — Ce dessin à la plume est la première pensée du tableau de l'Assomption de la Vierge, maintenant à l'Académie des Beaux-Arts de Venise.
1258 — POUSSIN — Le baptême. — Ce dessin et ceux qui suivent jusqu'à celui qui représente l'Extrême-Onction, se rattachent à la suite des Sept sacrements, toutes ces études, souvent très-poussées comme effet, sont à la plume et lavées de bistre.
109 — MICHEL-ANGE, une tête de Satyre. — Ce dessin appartenait au dix-huitième siècle au célèbre amateur Mariette qui le décrit ainsi : « J'ai un très-beau dessin de Michel-Ange; c'est une tête de faune ou satire que Michel-Ange a dessinée à la plume avec tout l'art et la science dont il était capable, sur une autre tête de femme au crayon rouge, qui avait été dessinée précédemment sur le même papier par un pauvre ignorant, peut-être le fameux Minghella de Valdarno dont parle Vasari. L'on voit encore paraître au travers du beau travail de Michel-Ange cette tête de femme au crayon rouge qui était aussi de profil, et il y a apparence que celui qui l'aura faite étant venu demander à Michel-Ange qu'il la lui corrigeât, celui-ci, pour se réjouir, transforma la tête de femme en une tête de faune, parce que effectivement l'autre était si mauvaise, qu'il n'était pas possible de l'améliorer en y ajoutant seulement quelques traits.
Peut-être aussi que Michel-Ange se sera réjoui ainsi aux dépens de quelqu'un de ses condisciples qui travaillait en dépit de Minerve, car en examinant la manœuvre du dessin, je trouve que le maniement de la plume tient beaucoup de la manière de Michel-Ange dans sa jeunesse. Il arrangeait alors ses tailles avec plus de soin, son dessin imitait davantage la gravure que lorsqu'il fut parvenu à un âge plus mûr. Quoi qu'il en soit, ce badinage de Michel-Ange est une chose curieuse.
Notice DE MARIETTE.
110 — MICHEL-ANGE, une Sainte-Anne assise, tenant sur ses genoux la Vierge qui allaite l'Enfant-Jésus; ce dessin provient également de la collection Mariette.
Dans le bas, étude d'homme nu. — Au verso, figure de Salomé agenouillée, et tenant dans un plat la tête de saint Jean.
Plusieurs lignes d'écritures (qui ne sont pas de la main de MichelAnge) font supposer que la feuille de papier sur laquelle sont faites ces études, a été détachée d'un livre de commerce appartenant à des marchands changeurs du Marché-Neuf, dont l'un portait le nom de Bonarotto di Simone, et était probablement le frère de Michel-Ange.
119 — MICHEL-ANGE. — Etude pour une des figures d'esclaves qui devaient orner le tombeau de Jules II. On sait que dans le projet primitif de Michel-Ange, ces figures étaient assez nombreuses.
123 — MICHEL-ANGE. — Etude pour la statue colossale de David. Ce dessin de Michel-Ange a appartenu à Mariette, qui en a donné la description suivante :
« J'ay le dessein ou première pensée que M. Ange a faite pour « cette admirable statue. Dans ce dessin, David a sous le pied droit « la tête de Goliath, ce qui lui fait lever la jambe et par consé« quent avancer le genou ; mais il y a apparence que Michel-Ange « a été obligé d'abandonner cette idée, qui paroit plus heureuse « que celle qu'il a suivie, par les défaut ou le manque du marbre.
« Sur la même feuille où est cette figure, est une étude pour le bras « droit du David, tel qu'il a été exécuté, el l'on y lit le nom de « Michel-Ange. »
124 — MICHEL-ANGE. — Dessin à la plume représentant une Vierge qui tient l'Enfant Jésus sur ses genoux. C'est une étude pour un groupe en marbre qui n'a pas été entièrement terminée et qui fait partie de la décoration de la chapelle Saint-Laurent à Florence. Voici comment Mariette parle de ce dessin qui lui a appartenu : « Jose dire qu'on ne peut rien désirer de plus fini et de plus savant que les deux dessins que j'ai, et que Michel-Ange a fait pour pour les statues d'hommes qui accompagnent ce tombeau. J'ai aussi le dessin de la Vierge, qui est d'une grande beauté. Il est trop fini, comme le sont presque toutes les études de Michel-Ange. Je ne sache même aucun maître qui ait terminé davantage ses études. Quand il cherche quelque attitude, il jette avec impétuosité sur le papier ce que lui fournit son imagination. Il dessine alors à grands traits, il devient en quelque façon créateur. Mais veut-il étudier la nature, pour la représenter ensuite avec vérité dans sa sculpture ou dans sa peinture? Il suit tout une autre méthode; il caresse ce qu'il fait, il y met plus d'ouvrage. Son dessin n'est plus une esquisse, c'est un morceau terminé dans lequel aucun détail n'est omis, c'est la chair même ; aussi n'en fallut-il pas davantage à Michel-Ange pour modeler. J'ai plusieurs dessins où l'on voit les repaires ou différents points que Michel-Ange y a mis, et qui sont autant d'indices que ces dessins lui ont servi pour modeler.
310 — RAPHAEL — Dessin à la pierre noire et à la plume, lavé au bistre et rehaussé de blanc. C'est la composition pour une des loges du Vatican représentant le passage de la mer Rouge. Elle est mise au carreau pour l'exécution de la fresque,
311 — RAPHAEL. — La coupe de Joseph trouvée dans le sac de Benjamin. — Dessin pour les loges.
315 — RAPHAEL — La Vierge donnant le sein à l'Enfant Jésus.
— Dessin lavé de bistre sur un trait à la pierre noire, rehaussé de blanc.
319 — RAPHAEL — Le Christ mort, dessin à la plume.
La sainte Vierge, assise à terre, soutient la tête du Sauveur.
L'excès de la douleur a vaincu ses forces, et elle tomberait en arrière, si deux saintes, agenouillées près d'elle, ne lui prêtaient secours. Une autre femme debout s'approche de Marie, et soulève le voile qui enveloppe sa tête. Sainte Marie-Madeleine, assise et les jambes repliées, retenant de son bras gauche la partie inférieure du corps du Christ, et la main droite posée sur celle du Sauveur, tourne ses regards avec tendresse vers la Vierge, et l'on voit qu'elle s'élancerait aussi à son aide, si le précieux fardeau qui porte tout entier sur ses genoux ne l'en empêchait. A droite, saint Jean, debout et les mains jointes, est absorbé dans son affliction; à gauche, saint Joseph d'Arimathie, vu de face et levant la main droite; il porte une longue barbe, et sa tête est coiffée d'un turban.
REISET. (Notice des dessins.) 324 — RAPHAEL — La bataille de Constantin, dessin à la plume.
Première pensée de la fresque peinte, après la mort de Raphaël, par Jules Romain, dans une de salles du Vatican.
Dessin comprenant environ 80 figures principales , d'anges, d'hommes et de chevaux, outre un grand nombre de figures accessoires.
« Quelles que soient la beauté et la célébrité de ce dessin, nous devons, pour rendre hommage à la vérité, avouer qu'il nous paraît plutôt être l'œuvre d'une élève travaillant sous la direction du maître, que celle du maître lui-même.
» L'exécution de Raphaël est ordinairement plus simple, plus brève plus légère. Les figures qui sortent de sa main ont une certaine grâce particulière et supérieure que nous ne retrouvons pas ici, et enfin, tout en l'admirant beaucoup, nous pensons qu'il aurait été encore plus beau si Raphaël l'avait fait au lieu de le faire faire.
» Dans les dernières années de sa vie, la multiplicité des travaux dont il était surchargé et qu'il menait de front, l'obligea souvent à recourir à ses élèves.
» Polydore de Caravage, cet habile et ardent imitateur des basreliefs antiques, nous paraît être celui des élèves de Raphaël dont l'exécution se rapproche le plus de celle de notre Bataille, et si notre conjecture est juste, si ce dessin doit être avec le temps rayé des œuvres de Raphaël, c'est Polydore qui en recueillera l'honneur.
Il travaillait sans doute sous les yeux et d'après les croquis du maître, et il aura fait là son plus bel ouvrage.
» Nous ajouterons une remarque qui n'est pas sans intérêt. On sait que Raphaël avait envoyé des dessinateurs en Grèce, et ce dessin nous fournit la preuve qu'il dut avant sa mort jouir de leurs travaux. En effet plusieurs têtes de chevaux de profil qui se voient à la gauche de la composition sont copiées de la frise de Phidias.
» La ressemblance est telle qu'elle ne peut être fortuite. On ne la retrouve ni dans la fresque peinte après la mort de Raphaël par Jules Romain, ni dans aucun ouvrage que nous connaissions du maître ou de ses élèves.
» Si l'ou compare d'ailleurs le dessin avec la fresque, on remarque des différences assez notables soit dans l'ensemble, soit dans les détails. Dans le dessin, la scène a plus de profondeur: la chaîne de montagnes qui sert de fond est plus éloignée et plus haute. Elle est remplacée dans la peinture par des collines qui touchent presque aux combattants. Ce changement a fait supprimer diverses figures de second plan indiquées dans la première pensée, et donne en quelque sorte à la composition l'apparence d'un bas-relief. Plusieurs figures de premier plan ont aussi été supprimées. Ce sont: vers le milieu, un homme renversé, vu en raccourci et les bras étendus; le corps pris sous un cheval mort : à droite, près de Maxence, deux guerriers cherchant à s'échapper à la nage. L'une des figures d'anges qui volent au-dessus de la tête de Constantin est modifiée.
etc. » CAT. REISET.
325 — RAPHAEL — Apparition de saint Pierre et de saint Paul à Attila. — Dessin lavé de bistre et rehaussé de blanc.
Le roi des Huns marchant contre Rome, s'arrête, frappé d'épouvante, la vue des deux apôtres armés d'épées qui s'avancent dans les airs à sa rencontre.
Première pensée de la fresque peinte en 1513 ou 1514 dans la chambre d'Héliodore au Vatican. Dans la peinture, Raphaël a supprimé plusieurs figures de soldats qui forment la partie gauche de la composition, et les a remplacées par le pape Léon, qui, suivi d'un nombreux cortège, s'approche monté sur une mule et donnant la bénédiction.
Ce superbe dessin, qu'une longue exposition à la lumière a altéré, se trouvait en 1530 à Venise, dans la collection de Gabriel Vendramin. L'anonyme de Morelli en fait foi. Nous ne saurions dire ce qu'il devint eusuite. Dans le dix-septième siècle, il tomba entre les mains de Jabach et fit partie de la collection vendue en 1671 à Louis XIV.
326 — RAPHAEL. — Dessin à la plume représentant le pape Jules II et son cortège. Le souverain pontife est précédé de la croix, accompagné de hallebardiers et suivi d'un cardinal monté sur une mule.
365 — PERUGIN — Le Baptême de Jésus, dessin à la plume,.
lavé de bistre et rehaussé de blanc.
367 — PERUGIN — La Vierge agenouillée et priant.
381 — ANDREA DEL VERROCHIO. — Etude à la plume d'après un des chevaux de Venise.
382 — LÉONARD DE VINCI — Tête de jeune homme de profil et coiffé d'une calotte. — Dessin très-terminé à la plume et lavé d'encre. — On voit à gauche trois autres indications de figures.
107 — BONACORSI PERINO DEL VAGA —Le triomphe de Bacchus.
— Dessin à la plume lavé d'encre de Chine.
108— BONACORSI PERINO DEL VAGA — Thésée combattant les Amazones. — Dessin à la plume lavé d'encre de Chine.
« Les compositions du Triomphe de Bacchus et de la Bataille des Amazones avaient été demandées à Perino del Vago par le cardinal Farnèse, pour l'ornement d'un coffret d'argent, qui se voit aujourd'hui au Musée de Naples. Elles furent gravées, sur des cristaux de roche de forme ovale enchassés dans ce coffret, par Giovanni Bernardi de Castel Bolognese, célèbre graveur en pierres dures (Vasari, Vita de Valerio Vincento). Cette destination explique le fini extraordinaire de nos deux dessins.
Le cardinal avait demandé pour le même ouvrage des dessins à d'autres artistes, et il paraît que le Phaëton de Michel-Ange, composition bien connue dont Mariette possédait la première pensée, en faisait partie. Perino del Vago ayant vu les sujets dessinés par Michel-Ange, refusa, par un rare scrupule de modestie, de donner d'autres dessins pour le coffret.
Pou voir les autres salles de dessin, il faut redescendre au premier étage : la porte de la première salle est ouverte à côté de l'escalier.
Première salle
Le plafond, peint par Blondel représente la Gloire inscrivant le nom de Bouvines sur les tablettes du Temps. — La première chose qu'on voit en entrant dans la salle c'est le grand carton peint en détrempe par Jules Romain. Ces cartons forment une série (261 à 264), mais leur dimension n'a pas permis de les rapprocher; on verra les autres dans les salles suivantes.
Ces quatre superbes cartons ont été donnés en 1785, au roi Louis XVI, par le miniaturiste anglais Richard Cosway, grand amateur de curiosités, d'objets d'art et de dessins.
Voici en quels termes M. A. Cunninghau raconte le fait dans son 6° volume des British Paintens: « Un jour, se promenant avec
» sa femme dans la galerie du Louvre, il fut surpris de de voir » de grands murs absolument nus, et dit : Maria, mes cartons » feraient bien ici, et pour dire la vérité, ils y seraient bien né» cessaires. Ces cartons étaient des ouvrages de Jules Romain : » Cosway les estimait beaucoup, et il en avait refusé un prix élevé » de la Russie. Il les offrit alors comme don au roi de France : ils » furent acceptés et suspendus dans le Louvre. Quatre magnifiques » pièces de tapisserie de Gobelins furent données au peintre comme » témoignage de la reconnaissance royale: il en fit hommage au » prince de Galles. »
Les tapisseries données à Cosway représentaient quatre sujets des aventures de don Quichotte, d'après Coypel, et avaient une valeur de 14,210 livres. On y joignit un exemplaire complet des estampes du cabinet du Roi.
Les cartons, au lieu d'entrer au Louvre, furent d'abord envoyés aux Gobelins. Le comte d'Angivilliers avait sans doute l'intention de les faire traduire une fois de plus en tapisserie; mais la Révolution survint, et le Musée national qui s'organisait les réclama.
CAT. REISET.
Le carton placé dans cette salle (263) représente un Triomphe : un char richement orné et traîné par quatre chevaux blancs, porte un guerrier couronné qui tient d'une main un sceptre, de l'autre une branche de laurier. L'encens brûle à ses pieds : les soldats portent à ses côtés des trophées et des étendards, en escortant des prisonniers qu'ils conduisent vers la porte d'une ville qu'on aperçoit au fond.
Parmi les dessins exposés dans la vitrine centrale, nous signalerons un groupe de guerriers de Penturichio (255), une figure assise de Filippo Lippi (230), une Judith de Mantegna (242), plusieurs têtes de Lorenzo di Credi, et de l'autre côté de la vitrine, une étude d'homme nu, portant sur ses épaules un cadavre (347). Ce dessin, par Signorelli a été exécuté dans le groupe des damnés de la cathédrale d'Ovieto. D'autres dessins par le même maître, sont des premières pensées se rattachant à cette vaste composition.
En dessous du grand carton de Jules Romain, nous noterons une belle tête de vieillard (200), par Lorenzo di Credi (étude pour un saint Joseph, dans une Adoration des Bergers qui est à Florence), une tête de vierge par Le Perugin (364), étude pour le fameaux tableau du Musée de Caen. Sur le panneau vis-à- vis, nous noterons une Annonciation de Lorenzo di Credi (205), un
cavalier par Pinturicchio (256), un Jugement de Salomon (241) de Mantegna, de belles études de Signorelli.
Deuxième salle
Plafond par Blondel, représentant la France qui reçoit la Charte des mains de Louis XVIII. — De grands cartons peints en détrempe par Jules Romain, et se rattachant à la même suite que celui que nous avons vu dans la salle précédente, décorent les deux parois de cette vaste salle. L'un (262), représente une Ville prise et incendiée, l'autre (264), un fragment de Triomphe. Ce dernier est plus connu sous le nom de Triomphe de Scipion (+).
Des vitrines, couvertes de dessins des deux côtés, occupent le centre de la salle. Dans la première, en commençant par le côté extérieur, nous devons signaler une tète de femme par Bandinelli (60); c'est, dit-on, le portrait de sa femme ; la Visitation de Sébastien del Piombo (235) et Vénus et Vulcain, de Jules Romain (259), sont des dessins qui ont servi pour les tableaux qu'on a vu dans le Musée. Une tête de jeune homme de profil (384), très-beau dessin de Léonard de Vinci, de belles études d'André del Sarto, et de Fra Bartolommeo, puis au tournant, deux têtes de Léonard de Vinci (385-386), et sur la face intérieure, une superbe tête du Titien (377) dont on trouve le pendant un peu plus loin, et à l'angle une Psyché de Raphaël (327), étude d'après nature, dont le maître s'est servi pour les fresques de la Farnésine.
En commençant la face extérieure de la seconde vitrine, nous avons une tête d'enfant (52), par André del Sarto qui s'en est servi pour son tableau de la Charité qui est au Musée, un buste du Père Eternel (321) dessin de Raphaël pour la Dispute du Saint-Sacrement. Sur la face interne, étude d'André del Sarto (34) pour la Madone du sac, dans le cloître de l'Annonciade, à Florence.
Un autre dessin de Raphaël se voit un peu plus loin (322); il comprend plusieurs, études pour la Dispute du Saint-Sacrement. Puis voici une curieuse étude de draperie par Léonard de Vinci (389); elle est peinte avec du noir et du blanc sur une
toile très-fine. Un dessin de Raphaël pour la figure du Commerce, peinte en grisaille au Vatican (328) termine cette série. Entre les deux vitrines que nous venons de voir, on a placé des dessins de maîtres tournant sur pivot.
Examinons maintenant les dessins placés contre la muraille à gauche de la porte par où nous sommes entrés. Une étude pour un Christ (125) par Michel-Ange, deux têtes de Raphaël (312-313), fragments du carton de la fresque d'Héliodore.
Un peu plus loin, un autre dessin de Raphaël (323) montre sainte Catherine d'Alexandrie; c'est le carton du tableau qui est maintenant à Londres. Un très-beau dessin de Léonard de Vinci (+) (390), représente une jeune femme vue en buste avec la tête de profil. Ce dessin a été piqué avec le plus grand soin par le maître lui-même: il est exécuté à la pierre noire et à la sanguine. Sur le panneau placé vis-à-vis, nous trouvons plusieurs études de Bandinelli, et des dessins exécutés d'après les figures de de Michel-Ange dans la chapelle des Médicis.
Troisième salle
Le plafond, peint par Drolling, représente la Loi descendant sur la Terre. — Nous trouvons sur un des panneaux de cette salle le dernier des grands cartons peints à la détrempe par Jules Romain (261). Il est intitulé les Prisonniers. Deux curieuses gouaches du Corrége sont placées plus bas aux deux extrémités du panneau. L'une représente la Vertu (17) et l'autre le Vice (18) : ces deux compositions allégoriques ont été exécutées pour le duc de Mantoue, et ont fait plus tard partie du cabinet de Charles Ier, roi d'Angleterre. On a placé sur le panneau qui fait face à celui-ci, et dans la vitrine centrale, des dessins de Nicolo del l'Abbate, du Primatice, deBaroche, de Paul Véronèse qui a ici une Sainte-Famille (140), au verso de laquelle on lit la note suivante écrite de la main du maître : « Infinies sont les attitudes dans lesquelles les peintres ont repré- senté la Vierge Marie. Albert Durer surtout a composé un grand nombre de sujets de ce genre; mais presque toujours avec l'EnfantJésus dans les bras et contre le sein.
L'Enfant est toujours nu. Les Grecs le faisaient emmailloté, peutêtre parce qu'ils ne savaient pas dessiner le nu, et aussi pour plus
de dévotion. Tous ceux qui peignent et qui sont d'habiles dessinateurs peuvent donner carrière à leur imagination. Toute action d'enfant se peut reproduire. Qu'il soit nu ou habillé, peu importe.
Dernièrement Michel-Ange Buonarroti l'a représenté dormant, pen- dant que la Vierge lit. Reste donc à faire ce que je n'ai jamais vu.
La Vierge sera debout près du berceau, occupée à habiller son enfant. Alentour seront des anges avec des fruits et des fleurs en main, ou avec des instruments de musique. Et ainsi l'Enfant sera à demi-nu, à demi-vêtu, soit dans le berceau, soit dehors : sans figures de Joseph ou d'Anne, mais seulement des anges. »
Quatrième salle
Le plafond peint par Mauzaisse, représente la Sagesse divine donnant des lois aux rois et aux législateurs. — Les maîtres de l'école bolonaise occupent presque entièrement cette salle. On y voit d'abord toute la série des études d'Annibal Carrache, pour les fresques de la galerie Farnèse, puis des grandes têtes du Guide, beaucoup plus expressives que la peinture, quelquesjolis dessins de Zucchero, et de divers maîtres italiens du dix-septième siècle. Il faut signaler aussi à cause de leur extrême rareté, un dessin de Murillo (457), représentant Saint-Joseph qui tient l'Enfant-Jésus par la main, et une étude de cheval par Velasquez (459) : ce dernier croquis a été fait pour le fameux tableau de la Reddition de Bréda, au musée de Madrid.
Cinquième salle
Cette grande salle contient à elle seule tous les dessins des écoles allemandes, flamandes et hollandaises qui ont pu être exposés. On remarquera sur le panneau où est la cheminée deux dessins de Rubens (556-557) : ce sont des études pour le fameux tableau du Jardin d'amour, dont l'original est au Musée de Madrid.
Parmi les autres dessins accrochés aux murailles, il faut signaler un portrait de Rubens, par lui-même (555), un baptême de Jésus (548), dessin de la jeunesse du maître ou l'imitation de Michel-Ange est évidente, un très-beau dessin de l'Elévation en croix (549), première pensée du grand tableau de la cathédrale d'Anvers, un autre très-beau dessin du Christ mort (550), étude pour le grand tableau du Musée de
Bruxelles, plusieurs études intéressantes pour la galerie de Médicis, des études d'animaux, etc. Il y a aussi des dessins de Rubens exécutés en Italie d'après les maîtres, entre autr es ceux qui reproduisent les prophètes et les sybilles de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine. Le dessin de la Bataille d'Anghi ari (365), d'après Léonard de Vinci est d'autant plus intéressant que depuis longtemps, le modèle n'existe plus.
Quatre cavaliers se disputent un étendard. L'un d'eux en tient la poignée, qu'il cherche à défendre de ses deux mains, tout en se retournant avec effort; il est couvert d'un casque et d'une armure bizarres, et son cheval est dirigé vers la gauche. Le second cavalier vient à son aide : tenant la hampe de l'étendard de la main gauche, brandissant de la droite son cimeterre, il cherche à faire lâcher prise aux assaillants. Son cheval mord avec fureur au poitrail l'un des chevaux ennemis. Les deux assaillants tiennent l'étendard du côté de la flamme ; ils s'efforcent d'en briser la hampe, et de rester ainsi les maîtres du précieux trophée.
On voit encore, entre les chevaux, trois figures de combattants.
Ce sont, à droite, un vieillard tenant par les cheveux un jeune homme renversé sur le dos et le mettant à mort; à gauche, un jeune homme accroupi et se couvrant de son bouclier.
Le dessin que nous venons de décrire ne reproduit, selon toutes les probabilités, qu'un fragment du grand carton destiné à l'ornement de la salle du Conseil à Florence, et où Léonard avait représente la déroute de Niccolo Piccinino, général des troupes de Philippe, duc de Milan. Le maître avait même commencé à peindre cette composition à l'huile sur le mur, mais il fut obligé d'abandonner son ouvrage, à cause de la mauvaise qualité de l'enduit qu'il avait employé. Le carton fut exposé à l'admiration des artistes en même temps que celui de la Guerre de Pise, de Michel-Ange également destiné à la décoration de la salle du Conseil. Ces deux grands ouvrages devaient avoir le même sort. Ni l'un ni l'autre ne fut exécuté, et tous deux furent détruits au bout de quelques années.
Le carton de la Bataille d'Anghiari n'existait plus du temps de Rubens ; tout nous fait supposer du moins que c'est d'après une copie qne le maître flamand a fait cette étude, terminée avec tout le soin possible.
REISET. (Notice des dessins.) Le musée possède aussi des portraits de Van Dyck dessinés au crayon noir et blanc, des aquarelles de Joardens, etc. Les maîtres primitifs Memlink, Holbein sont également représentés par quelques beaux dessins. De Rembrandt, nous avons
des dessins à la sanguine, et de curieuses études d'après un lion. Toute la série des petits maîtres se montre également.
Nous retrouvons les buveurs de Teniers, les animaux de Paul Potter, Berghem, et Adrien Van de Velde, les paysages de Ruisdael, les marines de Van Goyen, Backuysen et Guillaume Van de Velde, etc., etc. Il ne faut pas non plus quitter cette salle sans avoir jeté un coup d'oeil sur la jolie esquisse de Lemoyne, qui présente sous forme très-réduite la grande décoration du salon d'Hercule à Versailles.
Sixième salle
Quand on sort de ce salon, on entre dans un petit couloir, sur lequel donne un escalier qui conduit au musée de marine : il donne accès à une toute petite salle, on pourrait dire un cabinet, dans lequel sont quelques dessins, parmi lesquels on remarque, un portrait par le peintre anglais Lawrence, des pastels de Russel de Perroneau, et des fleurs de madame Sturel Paigné, artiste d'un grand talent qui est morte à Metz, il ya quelques années.
Septième salle
Le Poussin, Claude Lorrain, et Le Sueur occupent en grande partie cette salle. Nous avons déjà vu plusieurs dessins du Poussin dans la salle des boîtes. Pami ceux qui sont ici, nous signalerons le jugement de Salomon (1253), première pensée de notre tableau du Louvre, Hercule nettoyant les écuries d'Augias (1274) et Eumolpe apprenant à Hercule à jouer de la lyre (1275), dessins fort intéressants, parce qu'ils nous montrent les compositions que le maître comptait exécuter pour la décoration de la grande galerie du Louvre, qu'il n'acheva pas; on y voit aussi des paysages et des premières pensées de divers tableaux qui sont maintenant dans des collections étrangères.
On trouve dans la même salle plusieurs beaux dessins de Le Sueur, parmi lesquels nous citerons d'abord un croquis fort curieux, placé sur le mur qui fait face à la fenêtre. C'est la première pensée d'un tableau qui est maintenant à Saint-Pétersbourg et qui représente Darius faisant ouvrir le tombeau de Nitocris (1016).
Ce dessin est couvert de petits carreaux au moyen desquels Le Sueur cherchait à se rendre compte de la perspective de sa composition, et des proportions de chaque figure ou de chaque objet qui devait y entrer. L'artiste a en outre écrit sur chacun des détails du monument qui forme la droite, les dimensions qu'il était censé avoir.
Au verso, les lignes suivantes nous montrent avec quel soin il s'était livré à ces recherches et quel en avait été le résultat :
Le devant du tombeau est posé à. 10 pieds.
Le tombeau a de tong. 20 » Du tombeau aux arbres. 42 » Des arbres à la pyramide. 24 » La pyramide a de largeur et profondeur. 14 » De la pyramide aux arcs. 58 » Les arcs ont de profondeur. 24 » Des arcs à la pyramide du loin. 72 » Font en tout. , 264 pieds.
Les arbres sont à trois fois plus loins que la base du tableau n'est large qui sont 72 pieds dans le tableau.
La pyramide est à quatre fois
Les arcades sont posées à 168 pieds dans le tableau.
Ils ont de hauteur 16 pieds de vide et 8 pieds de large.
REISET, (Notice des dessins.) Le Sueur avait été chargé d'exécuter plusieurs tableaux pour la décoration des appartements d'Anne d'Autriche. On suppose qu'ils auront été déplacés par les intrigues de Romanelli, peintre italien qui fut également employé par Anne d'Autriche.
Comme on ignore ce qu'ils sont devenus, il y a tout lieu de croire qu'ils sont perdus. On en a du moins quelques dessins, entre autres le Parnasse (1021), belle composition ou on voit Minerve qui préside l'assemblée des Muses; le tableau, peint en bleu sur fond d'or et de forme octogone, était un plafond.
On peut voir dans la même salle plusieurs dessins se rattachant à la décoration de l'hôtel Lambert, et d'autres pour le Saint Paul à Ephèse que nous avons au Louvre. Nous signalerons aussi plusieurs charmants dessins lavés de bistre par Claude Lorrain.
Huitième salle Nous trouvons ici le recueil des études de Le Sueur pour l'histoire de saint Bruno (+). Il vient d'une collection formée à
Paris par Francanzani, parent et élève de Salvator Rosa, et a fait ensuite partie du fameux cabinet de Crozat.
En joignant au recueil des études de saint Bruno, formé par Francanzani, et comprenant cent quarante-six dessins, les six dessins supplémentaires acquis en février 1781, nous arrivons à un total d'environ cent cinquante dessins, formant l'œuvre précieux que nous venons de décrire. Il faudrait toutefois se garder de croire que ce sont là tous les dessins exécutés par Le Sueur pour la suite de saint Bruno. Quelle que fût son ardeur, Francanzani ne pouvait tout retrouver, ni tout acquérir. Nous voyons, en effet, qu'il nous manque un des dessins d'ensemble (celui du tableau n° 15), et que certaines compositions sont représentées par un très-petit nombre d'études.
Le Sueur dut en faire un nombre très-considérable. Il avait, dans le cloître des Chartreux, des modèles tout trouvés et toujours prêts, et il dessinait d'après nature avec une facilité surprenante, qui n'avait d'égale que son habileté. Nous le voyons répéter les mêmes études, pour approfondir le moindre détail.
Il importe aussi de remarquer le progrès fait par l'artiste pendant les trois années employées à ce grand travail. Les études des premiers tableaux rappellent d'une façon particulière l'exécution de Simon Vouet. L'inspiration est tout entière celle de Le Sueur ; mais le procédé appartient encore à son maître. Peu à peu; la transformation s'opère, et, vers le milieu de l'œuvre, Le Sueur déploie déjà toute l'ampleur de son talent simple et profond.
REISET. (Notice des dessins.) Il y a dans cette série de très-beaux dessins de figures iso- lées qui ne se retrouvent pas dans les tableaux et n'ont pas été utilisées par l'artiste. Plusieurs des compositions d'ensemble ont reçu aussi d'importantes modifications; ainsi dans le tableau de Saint Bruno porté au ciel, il y a trois anges et plusieurs petits enfants ailés ; tandis que dans le dessin, il y a cinq anges et les petits enfants ailés n'y sont pas. La disposition des personnages principaux est quelquefois changée totalement. Le dessin du Saint Bruno enseignant la théologie, montre le saint complétement de face et au fond de la composition (1055). Dans le tableau au contraire, il est de profil et au premier plan, disposition qui est incontestablement préférable. Dans la mort de Raymond Diocrès (1041), on voit au pied du lit deux enfants tenant des cierges ; dans la peinture ils sont remplacés par un vieillard. Le diable, qui paraît dans le tableau, derrière la tête du mourant, ne se voit pas dans le dessin, ce qui est peutêtre préférable.
Au dessus de cette série on a placé une suite de grands dessins d'Ingres. Ce sont les cartons coloriés, ou du moins légèrement tintés, d'après lesquels ont été exécutés les vitraux qui décorent les chapelles de Dreux et de Saint-Ferdinand.
Chapelle Saint-Ferdinand.
Saint Philippe. — Saint Rupert. — Saint Charles-Borromée. —
Saint François d'Assise. — Saint Ferdinand, roi. — Saint Raphaël, archange. — Saint Henri, empereur. — Saint Clément d'Alexandrie.
— Saint Louis, roi. — Saint Antoine de Padoue. — Sainte Adélaïde.
— Sainte Hélène, impératrice. — Sainte Rosalie. — Sainte Amélie, reine.
La Foi, — L'Espérance. — La Charité.
Chapelle de Dreux.
Saint-Denis. — Saint Remy. — Saint Germain. — Sainte Clotilde.
— Sainte Geneviève. — Sainte Radegonde. — Sainte Isabelle de France. — Sainte Bathilde.
Neuvième salle
Quelques uns des grands cartons de Le Brun ont trouvé place dans les salles précédentes, mais celle-ci est presque entièrement consacrée aux études de ce maître. Le premier dessin qu'on rencontre est un portrait de la marquise de Brinvilliers (853) qui est placé tout près de la porte. Le Brun l'a dessinée d'après nature, en 1676, au moment ou elle allait subir son jugement : ses traits altérés portent les traces de la torture. D'une de ses mains elle tient un petit crucifix. Un prêtre, dont la figure est légèrement indiquée à droite, met un cierge dans son autre main.
Plusieurs dessins ont servi comme études pour des tableaux du musée, et notamment pour le célèbre tableau de la tente de Darius. Il y a aussi divers projets pour les plafonds du palais de Versailles et des compositions dont quelques unes ont servi de modèles pour d'autres artistes. Ainsi le dessin du Passage du Rhin (846) est la composition donnée par Le Brun, pour le bas-relief de Michel Anguier qui décore la porte Saint Denis. Une série assez intéressante est celle des dessins sur les campagnes
de Louis XIV, ou Van der Meulen a collaboré avec Le Brun. Enfin on trouve dans la même salle des dessins de Coypel, de Jouvenet, de Girardon, de Rigaud, de Le Nain, et des maîtres français du dix-septième siècle.
Dixième salle
Cette salle est consacrée aux maîtres du dix-huitième siècle: c'est naturellement Watteau qui doit nous attirer le premier.
Ses études aux trois crayons sont de ravissants dessins, où plusieurs petites têtes sont extrêmement poussées. Les deux dessins du Scapin debout (1328) sont des études pour le tableau des Fêtes vénitiennes, les trois figures d'hommes (1329) ont servi pour les Plaisirs du bal, etc.
Le musée n'est pas très-riche en dessins de Boucher, mais ceux qu'il possède sont exquis.
Les dessins de Greuze sont généralement à la sanguine; on voit entre autres une étude de vieille femme (776) pour le tableau de la Malédiction paternelle, une tête de jeune homme au bistre (775) pour le tableau du fils puni, une tête de vieillard, à la sanguine (768) pour le tableau du Paralytique; le personnage en pied, appuyé sur sa canne (769), passe pour être un portrait du duc d'Orléans, père de Philippe-Egalité.
Nos fameux dessinateurs de vignettes, Moreau et Cochin, sont également représentés dans cette salle. Moreau le jeune n'en a qu'un, c'est une fête donnée à Louveciennes en 1771.
« Le dessin placé dans les galeries du Louvre n° 1196, et représentant une fête donnée à Louis XV par madame Dubarry en 1771, est, on en conviendra, tout l'opposé de ceux que Moreau produisait en 1810. C'est d'ailleurs l'un des plus charmants que l'on connaisse.
de lui, et l'on ne saurait voir un repas plus brillant et mieux représenté. Tout ce monde qui se presse autour de la table étincelante de lumières et somptueusement chargée, les livrées, les habits chamarrés des personnages assis et prenant part au banquet, les robes à falbalas des belles dames, tout cela est disposé et rendu le plus heureusemeut du monde, et la figure du vieux roi assis près de sa maîtresse est, quoiqu'en de bien petites proportions, une merveille de distinction et de ressemblance. »
REISET. (Notice des dessins.) Cochin est représenté par trois superbes dessins qui se rapportent aux fêtes données à Versailles en 1745 pour le mariage
du Dauphin avec Marie Thérèse, infante d'Espagne, (686-687- 688).
Le triomphe de Cochin fut la représentation des fêtes de la cour à l'occasion du mariage du Dauphin et d'autres réjouissances publiques. Dès 1739, lors des noces de Louise-Elisabeth de France avec l'Infant d'Espagne, il avait dessiné et gravé deux pièces représentant les feux d'artifice de Paris et de Versailles, compositions ornées d'un grand nombre de figures spirituellement groupées. Pour le mariage du Dauphin en 1745, il composa quatre grands sujets : bal paré et bal masqué, cérémonie religieuse et spectacle de gala, qui sont en ce genre de véritables petits chefs-d'œuvre. Ils ont été gravés par lui-même et par Cochin père, et l'on ne saurait rien voir de plus élégant et de plus agréable, rien qui donne une meilleure idée du luxe et de la bonne grâce des femmes de la cour. Le Louvre possède trois des dessins originaux faits à cet occasion.
REISET. (Notice des desssins.) Enfin il faut noter dans cette salle les dessins de Fragonard, de Oudry, de Boissieu, etc.
Onzième salle Le tableau inachevé de David, représentant le Serment du jeu de Paume (+), attire tout d'abord les regards (706).
David exposa au Salon de 1791 (n° 132 du livret) le dessin de cette composition, dessin qui eut un grand succès et qui fut gravé par H. Jazet.
Par un décret du 28 septembre 1791, l'Assemblée constituante ordonna que le tableau serait exécuté aux frais du Trésor public, et placé dans le lieu de ses séances ; mais David, absorbé par la politique, laissa la peinture à l'état d'ébauche et telle que nous la voyons aujourd'hui. Les personnages sont tracés au trait : le nu est, en certains endroits, modelé avec soin sous les vêtements qui devaient le recouvrir et qui sont déjà indiqués au crayon. Quelque têtes principales (celles de Mirabeau, de Barnave, de Dubois de Crancé et du père Gérard) sont peintes avec une grande vérité, Sur le panneau qui fait face, il faut voir en premier lieu les beaux dessins de Prudhon. L'un d'eux est la composition de son fameux tableau de la Justice poursuivant le crime. (Voir page 47.) Une autre dessin du maître placé en pendant se rattache à la même idée. Il représente l'ange de la vengeance divine, amenant deux coupables devant le trône de la Justice.
« Tout porte à croire que la composition célèbre qu'il à exécutée n'était pas celle qui s'était offert à son esprit dans le premier mo-
ment. Il existe de lui, sur le même sujet, un dessin remarquable, mais entièrement différent, et qu'il a bien fait d'abandonner. Ce serait, contrairement au préjugé établi, une nouvelle preuve de l'insuffisance ordinaire du premier jet, et de la nécessité qu'il y a à mûrir une idée et à la retourner de plusieurs manières. Le dessin dont nous parlons rappelle un peu pour la disposition la Calomnie de Raphaël; on y voit la justice assise à un tribunal et un ange vengeur qui traîne devant elle deux coupables, un homme et une femme, La figure de la femme qui se débat et résiste à la main qui l'a saisie est d'une pantomime terrible; quant à l'action de l'homme, son complice, elle est vulgaire. La victime n'est plus cette touchante figure de jeune homme tombé sur le devant du tableau, les bras mollement allongés, et beau encore dans le sein de la mort.
C'est une jeune femme massacrée, jetée au pied du tribunal avec son enfant mort comme elle. Ce triste corps, ramassé sur lui-même et étendu là comme le mouton sur l'étal du boucher, est d'une invention si naïve et si frappante à la fois, que le peintre a dû regretter de l'abandonner avec le reste de la composition; mais l'ensemble était mal ordonné, et n'avait pas cette harmonie dans les lignes et cette unité de conception qui distinguent si éminemment l'autre tableau. Ce tribunal placé sur l'un des côtés de la scène, et qui se présente de travers à cause de la perspective, ôte à la figure de la Justice et à celles qui l'accompagnent l'assiette et par conséquent le caractère d'impassibilité que l'esprit voudrait leur trouver. »
EUGÈNE DELACROIX.
(Revue des Deux Mondes, 1er novembre 1846.)
Il faut signaler dans la même salle d'autres dessins de Prudhon, d'un caractère tout différent par exemple, le Triomphe de Vénus (1284); celui-ci est un dessin très-terminé, aux crayons noir et blanc sur papier bleu. A côté, on trouve un joli dessin de Carle Venet et Isabey représentant le premier consul qui passe une revue dans la cour des Tuileries (1315). — Puis la première pensée du Léonidas de David (704), plusieurs beaux dessins de Géricault; le centaure enlevant une femme (749), le lion attaquant un cheval(748), les hommes nus retenant les chevaux prêts à s'élancer (751), et tout à côté, le beau dessin de Delacroix sur l'éducation d'Achille. Sur les autres panneaux, on voit les paysages et les intérieurs de Granèt, un joli portrait par Paul Delaroche, deux curieux croquis de Gros, le dessin coloré d'Isabey, qui représente l'ancien grand escalier du Louvre, et les deux fins portraits à la mine de plomb, dans l'un desquels Ingres s'est représenté lui-même. Enfin il faut terminer par
l'intéressante série de portraits au crayon, où Heim a si admirablement retracé la physionomie des hommes célèbres de son temps.
« Le trait est vif, net, spirituel; prenant la physionomie par son côté caratéristique, sous son angle distinctif; on s'arrête volontiers devant cette curieuse collection renfermée dans le même cadre, et que les graveurs feront bien de consulter lorsqu'ils auront à reproduire quelque personnage de ce temps. Ce sont des notes familières, sans emphase, et où le vrai perce à chaque coup de croyon. »
TH. GAUTIER.
Douzième salle
Je demanderai la permission en entrant dans cette salle d'appeler tout d'abord l'attention sur une série bien curieuse, mais malheureusement mal placée entre les fenêtres; c'est celle des dessins indiens : il y en a de fort remarquables. Nous noterons entre autres quelques aquarelles gouachées et rehaussées d'or, comme la jeune femme à sa toilette (1413), qui se regarde dans un miroir que lui présente une servante accroupie sur ses talons. Le combat d'Antilopes (1415) nous montre un spectacle donné devant un prince indien, qui est assis sur le haut d'une estrade dorée : parmi les gens de sa suite on remarque deux Européens, portant le costume du commencement du dix-septième siècle. Le prince partant pour la chasse (1414) est une miniature des plus remarquables. Le prince, dont la tête est ceinte d'une auréole est couvert d'habits magnifiques et tient un faucon sur le poing. Mais il faut surtout nous arrêter devant la famille de Soudiat Doula, grand visir de l'empereur Mogol, entouré de sa famille (1417).
Cette aquarelle rehaussée de gouache a été peinte à Faisabad par Nevazilal en 1774.
Ce Nevazilal , en peignant la famille du grand vizir, a trouvé la disposition la plus simple et la plus naturelle, et a groupé ses personnages avec un rare bonheur. Tous les enfants sont vêtus de fines robes blanches et ont la tête couverte de coiffures ornées de perles. Outre le visir et ses neuf fils, on voit, sur un plan un peu secondaire, un dernier personnage debout, portant un collier de perles. Il est placé derrière l'héritier présomptif, qui, comme son père, tient l'épée à la main. REISET. (Notice des dessins.)
Cette salle renferme une fort belle série d'émaux et de miniatures. La collection des émaux de Petitot que possède le Louvre était déjà fort célèbre au dernier siècle lorsque le roi Louis XVI en fit l'acquisition en 1786. On sait que le fameux artiste génevois (1607-1691) a fait un grand nombre de portraits d'après des personnages célèbres du dix-septième siècle, mais tous n'ont pas été peints d'après nature, et la plupart sont des reproductions d'ouvrages de Mignard, Nanteuil et autres artistes qui avaient un grand renom à cette époque. Nous signalons plusieurs portraits d'Anne d'Autriche, de Louis XIV dans sa jeunesse, de Marie-Thérèse, de la duchesse de Fontanges (1451), de madame de Maintenon (1455), de madame de Sévigné (1456), de la duchesse de la Vallière (1475), de la marquise de Môntespan (1476), etc. Cette petite collection est des plus intéressantes au point de vue artistique, mais si on veut se placer sur le terrain de l'exactitude historique, il ne faudrait pas s'y fier absolument, car les portraits de Petitot ne sont pas toujours d'accord, avec ceux des mêmes personnages peints par d'autres artistes, comme Mignard ou Nauteuil, dont notre célèbre peintre d'émaux a souvent interprété les œuvres à sa façon.
Les belles miniatures de Hall (787-788), le portrait du général Kléber, par Jean Guérin (781), qu'il ne faut pas confondre avec le peintre de la Didon, méritent aussi de nous arrêter. Ce portrait de Kléber a servi de type à tous ceux qui ont été faits depuis.
Ce portrait, exposé au Salon de 1798, fut fort remarqué. L'auteur aimait à rappeler que le général Bonaparte, en ayant entendu parler, le fit demander et le garda plusieurs jours sur la cheminée de son petit salon de la rue Chantereine.
Augustin, le miniaturiste, est un artiste aujourd'hui bien oublié, mais qui fut très-célèbre autrefois. Nous avons ici trois portraits de lui, parmi lesquels il y a le sien en grisaille.
« Au Salons de 1796, Augustin fit paraître son propre portrait, dans lequel il avait cherché à se surpasser, et qui fit sensation parmi les amateurs de ce genre. Nous en trouvons l'éloge dans deux brochures du temps: l'une (les Etrivières de Juvénal, ou Satire sur les tableau exposés au Louvre l'an V) s'exprime ainsi :
« Augustin, tu t'es surpassé ; « Ton portrait est peint comme un ange, « Et l'on peut dire à ta louange « Qu'Isabey seul t'a devancé. »
Dans la seconde, qui a pour titre: Critique du Salon, ou les tableaux en vaudeville, nous trouvons en l'honneur du même portrait, un autre couplet « Expression et vérité.
« Accord de couleur, harmonie, « Jean Augustin en vérité, « A l'ivoire a donné la vie ; « Il respire le sentiment, « Ce portrait que tout le monde aime, « Pour peindre l'auteur dignement, « Je crois qu'il faut être lui-même.
Parmi les miniatures de madame de Mirbel, il faut signaler les portraits de Ingres et du baron Gérard. Voici comment un critique connu pour sa sévérité, Gustave Planche, appréciait les ouvrages de madame de Mirbel.
Pour l'étude et le modelé du masque humain, je ne crois pas qu'il soit possible d'aller plus loin ; mais il me semble que l'auteur a encore beaucoup à gagner pour la fermeté et pour ce que j'appellerai l'unité de l'exécution. A coup sûr, toutes ses figures sont bien ensemble; il n'y a pas un trait qui bronche ni qui grimace; les yeux et la bouche sont bien à leur place, mais les différentes parties du visage ont trop souvent l'air d'être ajoutées l'une à l'autre, posées l'une a à côté de l'autre, et ne sont pas assez solidement reliées. Il y a du bonheur, de l'adresse, de la conscience, un savoir immense, un talent infini, mais peut-être la hardiesse n'est-elle pas suffisante. Je reprocherais volontiers à l'exécution de madame DE MIRBEL ce que j'ai bien souvent blâmé dans le jeu de mademoiselle Mars, ou dans le chant de madame Malibran, c'est de porter officiellement l'attention sur des détails qui paraissent exagérés quand on les voit successivement, et qui ne seraient que vrais si on les embrassait d'un seul coup d'œil. G. PLANCHE. (Salon de 1831.) On trouve encore dans la même salle plusieurs ouvrages d'un caractère tout différent, par exemple des dessins de Prudhon, Géricault, Marilhat, une grande et belle aquarelle de Decamps, représentant des petits enfants, un superbe Delacroix, le lion dévorant un cheval, enfin des dessins de maîtres appartenant à l'Ecole française primitive et qui n'ont pu trouver place dans la salle suivante.
Treizième salle
Voici une salle qui devrait en quelque sorte servir de vestibule à l'Ecole française, car elle renferme les ouvrages de nos plus anciens maîtres. C'est d'abord un portrait dessiné par Clouet (682) et des miniatures de son école. Puis vient la série assez nombreuse des dessins au crayon et au pastel de Daniel du Monstier. Celui de Brulart, marquis de Sillery (717) est un des plus beaux assurément. On lit à droite ces mots écrits à la sanguine : Ce samedi 26 de novembre 1605. Tous ces personnages historiques ont dans les dessins de du Monstier une physionomie bien personnelle et fort intéressante à observer.
Daniel du Monstier est le plus connu d'une famille de dessinateurs dont plusieurs ont eu de la réputation. Il avait reçu le titre de peintre et valet de chambre du roi.
Un contemporain appelle Daniel du Monstier le plus excellent crayonneur de l'Europe. En effet sa vogue était générale, et tous les personnages célèbres du temps sont venus poser aux galeries du Louvre devant lui. Ses plaisanteries relevées de gros sel gaulois, sa brusquerie, les excentricités quelque peu scandaleuses de son cabinet et de sa bibliothèque (réservées pour le huis clos, sans doute, et forcement cachées aux visiteurs de toute condition qui se présentaient chaque jour chez lui), tout cela faisait de notre peintre un homme singulier, dont on aimait le talent et dont on citait les boulades.
L'abbé de Marolles consacre à Daniel le quatrain suivant; « Daniel du Moutier eut une âme sincère, « Travaillant en crayon, il s'en fit de l'honneur: « En cela son sçavoir fut rempli de bonheur « Sa parole estoit douce et sa piqueur amère. »
Ailleurs il dit : « Daniel du Moutier que tout son siècle admire. »
CAT. REISET.
Il faut encore signaler quelques remarquables dessins de Lagneau (placés provisoirement dans la salle précédente) et de rès-beaux portraits dus à des inconnus, par exemple celui qui représente un des fils de Henri II, à l'àge de 10 ans (1663), le portrait d'un fils de François Ier (1351), celui d'un prince de Condé (1381).
Enfin nous terminerons, par un grand dessin sur soie (1342 bis),
ayant servi de parement d'autel, et donné à la cathédrale de Narbonne par Charles V ou par son fils Charles VI.
Quatorzième salle
Cette salle est consacrée aux pastels ; presque tous ceux qui sont exposés appartiennent à l'Ecole française. Il faut d'abord signaler les beaux portraits de Latour (1704-1788) et parmi eux le grand portrait en pied de madame de Pompadour (+) (819). L'artiste voulant montrer le goût de son modèle pour les travaux de l'esprit lui met un cahier de musique à la main : sur la table placée près d'elle, sont quelques livres, entre autres l'Encyclopédie et l'Esprit des lois, une mappemonde, des pierres gravées et une petite estampe portant la signature Pompadour sculpsit.
Le portrait de madame de Pompadour, assise dans son appartement, qui parut au Salon de 1755, fut largement payé à Latour.
La marquise lui envoya mille louis d'or (24,000 fr.). Et cependant il eut quelque peine à se contenter, et trouvait qu'on aurait dû lui donner le double. — Ce magnifique ouvrage, qui est le principal ornement de la salle des pastels du Louvre, est et restera, croyonsnous, le terme le plus élevé et le plus parfait du genre. Tant que la soleil ou l'humidité n'auront pas dévoré ces couleurs fugitives, tant qu'elles adhéreront à leur fond, le charme sans pareil de la figure principale, le bon goût, l'ingénieuse disposition des accessoires, la complète harmonie de l'ensemble feront de ce portrait le désespoir de tous les pastellistes et de bien des peintres à l'huile.
REISET. (Notice des dessins.) Outre ce beau portrait, on verra avec plaisir ceux de Louis XV (813), de Marie Leczinska (814), du maréchal de Saxe (818) et celui de Latour lui-même (823) qui s'est représenté en buste, riant et regardant le spectateur.
La Vénitienne Rosalba Carriéra (1675-1857) dont la réputation a presque égalé celle de Latour, a aussi plusieurs pastels dans cette salle. Celui qui représente une jeune fille blonde, avec les épaules découvertes (187) a appartenu au fameux amateur Ma- riette qui a écrit derrière le cadre les mots suivants: « Ce pastel, de l'illustre mademoiselle Rosalba, vient de M. Crozat, et m'a été donné après sa mort par M. le marquis de Chàtel ». La eune fille tenant un singe (185) et la jeune femme portant un
bouquet blanc dans ses cheveux (186) sont aussi des productions exquises de cette artiste.
Que dire maintenant des trois pastels de Chardin : ah ! ce ne sont pas des physionomies aussi séduisantes, que les jolies figures dont Rosalba Carriéra nous a laissé l'image. Le bon Chardin s'est représenté deux fois et nous a laissé en outre le portrait de sa femme : ce sont trois chefs-d'œuvre, et le Musée a fait une vraie trouvaille le jour ou il a acquis ces pastels (678-679-680).
Comme aujourd'hui les ouvrages de Chardin se couvrent d'or, il est bon de rappeler le prix que le musée a donné pour cette acquisition. Les trois portraits ont été achetés en vente publique en 1839. Le portrait ou Chardin s'est représenté avec un linge blanc autour de la tête et des besicles sur le nez a été adjugé aux prix de 72 francs. Celui ou Chardin porte un abat-jour vert et de grandes lunettes, a été payé avec celui de sa femme, pour 146 francs les deux; il faut ajouter que les deux mêmes portraits avaient été, en 1810, vendus ensemble pour la somme de 24 francs !
Prud'hon revient ici comme pastelliste et on trouvera, sous le numéro 1287, le portrait de mademoiselle Mayer, qui eut tant d'influence sur sa vie.
MUSÉE DE SCULPTURE
MONUMENTS ÉGYPTIENS
L'entrée du musée Egyptien est sous la colonnade du Louvre : la porte est à droite en regardant l'église Saint Germain-l'Auxerrois. La plupart des monuments placés dans le musée portent l'indication de la dynastie à laquelle ils se rattachent. Pour faciliter les recherches, nous croyons utile de donner jci un tableau comparatif des dates et des dynasties correspondantes. Nous avons adopté pour cela le tableau donné par M. Mariette dans le catalogue du Musée de Boulaq.
CAPITALES CAPITALES DYNASTIES DUREE AYANT J.-C.
(NOM GREC) (NOM ARABE)
ANCIEN EMPIRE I. Tanis Harabat-el-Madfouneh 253 ans 5,004 ans II. Tanis — 302 ans 4,751 ans JII Memphis Myt-Rabyneth 214 ans 4,449 ans IV Memphis — 28.1 ans 4,235 ans V , Memphis — 248 ans ans VI Éléphantine Gesyret-Asonan 203 ans 3,701 ans VII Memphis Myt-Rabyneh 70 j. 3,500 ans VIII Memphis — 142 ans 3,500 ans IX Heracléopolis Abnas-el-Medineh 109 ans 3,358 ans X Heracléopolis — 185 ans 3,249 ans MOYEN EMPIRE XI Thèbes Meydinet-Abou L,,, ,.,. ans XII (213 0ans 3,0(34 ans XIII — — 453 a n s ans XIV Xois Sakha 1184 ans 2,398 ans XV (Pasteurs) Sân ( XVI — — 511 ans 2,214 ans XVII - — ( NOUVEL EMPIRE XVIII Thèbes Medynet-Abou 241 ans 1,703 ans XIX — — 174 ans 1,462 ans XX — — 178 ans 1,288 ans XXI Tanis Sân 130 ans 1,110 ans XXII Bubastis Tell-Basta 170 ans 980 ans XXIII Tanis Sân 89 ans 810 ans XXIV Saïs Sa-el-Hagar 6 ans 721 ans XXV (Ethiopiens) 50 ans 715 ans XXVI Saïs Sa-el-Hagar 138 ans 665 ans XXVII (Perses) 121 ans 527 ans XXVIII Saïs Sa-el-Hagar 7 ans 406 ans XXIX Mondès Aschmoun-er-Rouman 21 ans 39Ô ans XXX Sebennytès Samanhoud 38 ans 378 ans XXXI (Perses) 8 ans 340 ans
L'an 332, l'Égypte tombe sous la domination macédonienne, et dès lors l'époque dite pharaonique cesse d'exister.
Les grands monuments placés dans les salles du rez-dechaussée, comprennent les statues, les bas-reliefs, les stèles et les sarcophages. Avant d'entrer dans la description des plus remarquables, nous devons rappeler les différents caractères
de l'art pendant les grandes périodes de l'histoire d'Egypte.
« Les caractères généraux propres aux cinq époques de l'art égyptien, dit M. de Rougé, se reconnaissent particulièrement sur les figures de ronde bosse. Dans le premier style memphitique, les statues et les figurines représentent une race musculeuse et trapue ; l'attitude est raide, les pieds sont souvent courts, le nez est droit, souvent gros et rond par le bout. La coiffure ordinaire se compose de cheveux coupés courts et dont les boucles sont rendues par de petits cubes. Ces caractères appartiennent spécialement à la troisième dynastie et au commencement de la quatrième. Dans les statues du roi Khafra au musée de Boulaq, on remarque déjà un art très-avancé; celles qui appartiennent à la cinquième dynastie y joignent plus de finesse, et la statue de bois qui appartient au même Musée et qui a figuré à l'Exposition universelle a excité l'étonnement général par l'incroyable air de vie répandu dans cette œuvre admirable.
» Nous ne connaissons pas encore de statues importantes appartenant à la sixième dynastie et aux époques suivantes.
» Sous la douzième dynastie, les saillies musculeuses des jambes sont encore vigoureusement indiquées; mais cette deuxième époque se caractérise par un nouveau canon des proportions du corps humain qui donne aux figures un aspect plus élancé.
» L'école de la dix-huitième dynastie perfectionna la sculpture des têtes ; les profils sont d'une grande pureté, et les lèvres, mieux dessinées, sourient gracieusement, mais les membres trop arrondis ont habituellement perdu leur vigueur ; on voit apparaître les riches coiffures à petits tuyaux, et le ciseau reproduit quelquefois les longues robes d'étoffe transparentes. Les beaux colosses sculptés sous la dix-neuvième dynastie n'empêchent pas d'attribuer à cette époque le commencement d'une prompte décadence de l'art égyptien, qui se remarque surtout dans les monuments consacrés par les particuliers.
» Les statues de l'école saïte ont au contraire reconquis la finesse et le naturel ; la coiffure, assez volumineuse, se compose ordinairement d'une étoffe qui enveloppe complétement les cheveux. Le basalte égyptien, d'un grain si fin, fournit aux saïtes une matière de prédilection, et sa dureté semble n'avoir été qu'un jeu pour ces puissants artistes.
» Sous les Ptolémées, les figurines de style égyptien deviennent très-rares. On conserve au Vatican deux colosses en granit de Ptolémée et d'Arsinoé Philadelphes ; leur style est encore purement égyptien, ils se rapprochent des saïtes sans les égaler. Le Louvre possède une belle tête royale, bien franchement égyptienne par sa matière et sa coiffure, mais dont le modelé rappelle au contraire les artistes grecs. Il ne serait pas raisonnable de classer parmi les statues égyptiennes les imitations romaines de la Villa Hadriani, dont les auteurs n'ont emprunté à l'art pharaonique que des détails de pose ou de costume. »
GRANDE SALLE. — Les monuments qui frappent tout d'abord en entrant dans la salle sont les grands sphinx qui en occupent les deux extrémités. Le sphinx, animal fabuleux composé d'un corps de lion et d'une tête d'homme est un symbole de la force unie à l'intelligence. Ce mode de représentation s'applique toujours'à des divinités ou a des rois, car en Egypte le roi est assimilé à la divinité. Le sphinx placé au fond de la salle (21) représente Ramsès II, dit Meïamoun, le Sésostris des Grecs ; et l'autre sphinx (23) a la tête de Ménephtah, fils du précedent. Ces deux pharaons répondent dans l'histoire a l'époque du départ des Hébreux, et Ménephtah passe pour être celui qui poursuivit Moïse jusqu'à la mer Rouge, où son armée fut engloutie.
Tous les autres monuments contenues dans cette salle étant disposés sur deux côtés, nous les étudierons l'un après l'autre afin de ne pas faire de confusion. Nous appelerons l'attention seulement sur ceux qui nous ont paru les plus importants. Nous ferons le tour de la salle en commençant par le coté des fenêtres.
Un pied ( A 18 ) et une tête colossale ( A 19 ) en granit rose, se voient tout d'abord à droite en entrant. Ce sont des fragments, de monuments élevés à la gloire d'Aménophis III, le Mémnon des Grecs, celui-là même dont le colosse placé près de Thèbes résonnait au lever du soleil. A la base du pied, vingt-trois noms de peuples vaincus sont figurés dans des cartouches, conformément à l'idée égyptienne reproduite par le Psalmiste : « Que tes ennemis soient l'escabeau de tes pieds ».
Le personnage agenouillé (A 94 ) est le portrait du roi Nectanèbe Ier, dont le règne a produit de très-beaux monuments; il est représenté ici avant qu'il fût en possession de la couronne. Le beau sarcophage en basalte qui vient ensuite ( D 9 ) a été apporté en France par Champollion et il est considéré comme le chef d'œuvre de la gravure égyptienne dans l'époque saïte. Il a été destiné à un prêtre nommé Taho. Nous n'entreprendrons pas la description des scènes qui y sont gravées, et qui, selon M. de Rougé, remplirait un volume si on voulait la faire complète.
Nous nous arrêterons devant un petit groupe en grès (A 54), dont M. de Rougé donne la description suivante:
« Ce groupe représente un grammate chargé des revenus d'Ammon dans le Midi, nommé Unsu. Auprès de lui est sa femme Amenhotep.
» Le nom d'Ammon a été martelé avec acharnement sur ce groupe Il appartient à l'époque des Toutmès, ce que confirme le beau tracé des hiéroglyphes. Le nu de l'homme est peint en rouge vif, celui de la femme en jaune. Derrière le siège était une prière en beaux hiéroglyphes ; elle est défigurée par le martelage du nom d'Ammon.
» Ces mutilations, dues suivant toute apparence au superstitieux Aménophis IV, qui voulut abolir tout autre culte que celui du disque solaire, deviennent très-précieuses pour la classification de certains monuments, puisqu'elles indiquent le règne d'Aménophis III (dixhuitième dynastie) comme une limite inférieure pour l'époque des inscriptions qui ont été martelées. » Après avoir passé devant quelques sphinx, qui ne présentent rien de particulièrement intéressant, nous arrivons devant un sarcophage en granit gris ( D 10 ) qui a été sculpté par un prêtre nommé Horus. L'extérieur est décoré de scènes relatives à la course nocturne du soleil, dans la décoration intérieure on voit le défunt adressant sa prière à ses juges représentés sur les côtés; ces assesseurs d'Osiris sont au nombre de quarante-deux, conformément aux traditions; le dieu qui les préside porte la plume de justice sur la tête et tient le glaive à la main.
Le personnage dont on voit ensuite la statue en granit gris et qui tient entre ses mains un petit autel élevé sur un support s'appelait Pefnet (A 93). L'inscription nous apprend qu'il était fonctionnaire, et qu'il a fait exécuter d'importants travaux dans le district d'Abydos.
Il ne faut pas s'éloigner sans avoir vu les deux stèles en pierre calcaire, qui sont placées sous verre dans des vitrines plates, tout près de l'endroit ou nous sommes arrivés, car elles sont bien remarquables par la finesse de la gravure. La première- ( C 167 ) montre un personnage nommé Autef, assis en compagnie de ces deux épouses. Ses fils et ses filles apparaissent devant lui, et dans un second registre on voit des serviteurs portant des coffres et des vases pour les offrandes.
L'autre stèle ( A 168 ) se rattache au même personnage, qui reçoit encore les hommages de la famille : ses enfants sont représentés sur un registre, et le suivant montre les gens à son service. Le catalogue énumère ainsi les personnages qui composent cette seconde rangée :
« Deuxième rangée : 1° « Le chef de la maison » Kesch porte la caisse ; 2° « la servante » Tata porte l'oie et un vase ; « 3° le chef de résidence » Nekhta porte un vase et un panier; 4° « le serviteur » Anlef porte une gazelle et amène un veau; 5° « la nourrice » Se-tran-sa porte une étoffe et une fleur; 6° « sa fille » An-Ku porte un vase et un miroir ; 7° « la nourrice * Seni porte deux vases ; 8° « la nourrice » Set-en-ran-f porte un coffre, un vase et des fleurs ; 9° « la servante » Takhen porte un vase et une étoffe; 10° « un homme » Neb Kau, fils de Meri; 11° « son fils » Usertesen ; 12° un homme Sebek-Tutu; 13° « sa fille » Tebes ; 14° « sa fille » Aï.
« Cette stèle nous fait entrer dans tous les détails de la vie de famille où les principaux serviteurs figuraient à côté des maîtres jusque dans l'expression de leur destinée funéraire. » DE ROUGÉ. (Notice des monuments égyptiens.) La dernière statue de ce côté (A 1) représente Sekhet, divinité solaire, qui prend la forme d'une femme à tête de lionne, surmontée d'un disque solaire orné d'un Urœus.
Si maintenant, pour faire le tour de la salle, nous revenons à notre point de départ en longeant la muraille, nous trouvons d'abord ( D 29 ) un naos en granit rose. « Ces sortes de cha- pelles, sculptées dans un bloc de pierre dure, étaient fermées par des portes; elles contenaient des statues précieuses ou des animaux sacrés. Celui-ci avait été dédié par le roi Amasis, ( vers l'an 580 avant J.- C.), mais les cartouches de ce roi ont été martelés avec soin; on sait qu'Amasis était un usurpateur.
La réaction s'est même exercée jusque sur son étendard dont la devise : le mainteneur de justice est devenu presque illisible. » Près de là est un groupe (A 47) qui remonte à la douzième dynastie : il représente deux prêtres de Phtah, le père et le fils, et il a été dédié par le petit-fils.
Une belle stèle en granit rose ( D 48 ) imite dans sa forme générale, la décoration d'une porte égyptienne sous la dixhuitième dynastie. Un grand sarcophage ( D 1 ) en granit rose attire ensuite l'attention.
Cette cuve, taillée en forme de cartouche royal, a reçu la momie du roi Ramsès III (vingtième dynastie); elle fut trouvée en place dans son tombeau, et les inscriptions attestent sa destination. Le couvercle est à Cambridge. La décoration se compose des scènes relatives à la course du soleil dans les sphères du ciel infernal. Aux pieds et à la tête, les deux déesses protectrices, Isis et Nephthys, reposent sur un grand collier, symbole de l'or, et en même temps
des salles qui contenaient le sarcophage. Ce monolithe est du commencement du treizième siècle avant Jésus-Christ.
Les sarcophages des premières dynasties, dit M. de Rougé, étaient taillés dans la forme d'un édifice. Ils n'étaient décorés que de simples lignes droites et brisées, dont l'agencement produisait un excellent effet. Les deux feuilles de lotus variaient seule cette sévère ornementation. Tel était celui du roi Menkérès, trouvé dans le troisième pyramide de Giseh, et celui qui se voit aujourd'hui au musée de Leyde. Ceux du second empire sont de diverses formes ; ils sont souvent couverts de scènes sculptées, et leur richesse alla toujours croissant jusqu'aux dernières époques de l'art égyptien. L'idée principale qui régit toute la décoration de ces beaux monuments est l'immortalité de l'âme humaine, doctrine nationale au plus haut degré chez les Egyptiens.
Ordinairement, la déesse de l'enfer qui s'appelait Amenti, est gravée au fond du sarcophage; la momie reposait sur elle. Au-dessus s'étendait la déesse du ciel. Les déesses Isis et Nephthys veillaient à la tête et aux pieds du défunt. Les scènes gravées sur les parois intérieures et extérieures se rapportent toutes aux diverses régions du ciel infernal que les âmes étaient censées parcourir à la suite du soleil.
Près de la muraille, après ce monument on voit (D 7) un ;arcophage en basalte, taillé en forme de boîte à momie, et ensuite un colosse en granit rose (A 16).
Ce monument est un des plus précieux que l'Egypte ait conservés; 1 représente le roi Sebekhotep III, de la treizième dynastie. Indépendamment du grand nombre de siècles qui nous séparent des rois le cette époque, leurs monuments ont eu à subir les outrages d'une ongue et désastreuse invasion. Aussi ne connaît-on plus que trèspeu d'échantillons de la sculpture des dynasties qui précédèrent la reizième. CAT. ROUGÉ.
Le colosse debout en grès rouge placé au milieu de la salle A 24) appartient à Seti II, fils de Ménephtah.
Ce fut aussi un roi guerrier qui soutint dignement par les armes a puissance de la dix-neuvième dynastie. Toutes ces attributions ous sont fournies par les légendes gravées sur les piédestaux de es monuments. Elles contiennent des dédicaces au nom de ces sou- erains. Séti II tient ici dans sa main un grand bâton d'enseigne sur equel est gravée toute la série de ses noms et titres royaux.
CAT. ROUGÉ.
On voit derrière ce monument une portion de la base de l'obésque de Louqsor (D 31) dont la décoration se compose de uatre singes cynocéphales, debout et les mains levées en signe
d'adoration devant le soleil. Plusieurs sarcophages, dont quelques-uns affectent la forme humaine, vont nous amener à un grand bas-relief peint (+), provenant du tombeau de Séti 1er (B 7).
Ce roi, chef de la dix-neuvième dynastie, reçoit un don symbolique de la déesse Hathor. La robe de la déesse est couverte d'une inscription qui se rapporte aux faveurs qu'elle accorde au roi. On remarque dans ce bas-relief la beauté du profil du roi et de celui de la déesse.
On doit remarquer également le galbe maigre et élancé du roi Séti, qui peut être pris pour un véritable type des proportions recherchées alors par les artistes. CAT. ROUGÉ.
Le mêmeroi apparaît non loin de là, tout près de la porte, sur une stèle fort intéressante (+) par le sujet qui rappelle les honneurs que, suivant la Bible, le pharaon rendit à Joseph après l'explication des songes (C 213). Elle nous montre en effet l'investiture du collier: le roi paraît à une sorte de balcon et préside à la cérémonie. Le fonctionnaire lève les bras en signe d'allégresse pendant que des serviteurs lui attachent les grands colliers d'anneaux d'or que le roi vient de lui accorder.
Nous voici maintenant revenus à la grande porte d'entrée par laquelle nous sommes arrivés, et il nous faut regagner de nouveau le fond de cette grande galerie pour voir la salle suivante.
SALLE D'APIS. — Tous les monuments contenus dans cette salle proviennent des fouilles de M. Mariette : la plupart se rattachent au culte d'Apis.
« Le zèle pour les funérailles d'Apis, dit M. de Rougé, semble avoir augmenté à mesure que l'on s'approche des derniers temps. Les premiers tombeaux étaient très-simples; sous les derniers Saïtes et sous les Ptolémées, au contraire, les taureaux furent ensevelis dans de magnifiques sarcophages de granit, et les auteurs nous parlent des prodigalités excessives employées souvent pour ces funérailles. La tombe d'Apis est nommé par les Grecs sérapéum ou temple de Sérapis ; mais pour les Egyptiens, Sérapis n'était autre chose que l'Apis mort ; car chaque mort étant assimilé à Osiris, Apis mort devenait Osiris-Apis ou Osar-Hapi, d'où est venu, par abréviation, Sérapis.
Les plus anciens monuments trouvés dans la tombe d'Apis datent du règne d'Aménophis III (dix-huitième dynastie). Le culte de ce taureau existait pourtant dès l'ancien empire, mais les tombes sacrées étaient sans doute dans un autre lieu qui n'a pas été retrouvé.
Les dernières inscriptions recueillies jusqu'ici nous conduisent jusqu'à l'époque de Cléopàtre et de son fils Césarion. »
La statue d'Apis (S 98) placée au milieu de la salle, a été trouvée en face de sa chapelle. Elle était peinte et on y distingue encore les marques sacrées, qui consistaient dans des tâches noires régulières, terminées en forme de croissant. Les monuments qu'il faut encore signaler dans cette salle sont les deux lions, dont un, celui qui est placé devant la fenêtre, est particulièrement remarquable comme sculpture. Il y a en outre des sphinx et plusieurs vases de la catégorie de ceux qu'on appelle canopes : quelques-uns sont d'une taille énorme. Les canopes servaient à renfermer certaines parties des entrailles du mort et étaient placés sous la protection des quatre génies, fils d'Osiris. Aussi ces vases se trouvent toujours par collection de quatre ensemble.
On a rangé tout autour de la salle une série d'inscriptions trouvées dans les tombeaux d'Apis : elles sont d'une valeur inappréciable pour l'archéologie, parce qu'elles donnent les dates du règne des Pharaons sous lesquels sont morts les Apis. On y trouve entre autre, l'épitaphe (S 2274) d'un Apis qui, d'après la date, doit être celui que Cambyse blessa dans son accès de fureur, au retour de sa malheureuse expédition d'Ethiopie.
Une porte ouvrant sur cette salle, donne accès à un cabinet dans lequel on a placé des inscriptions. On y trouve aussi un des canopes d'albâtre, un des lions du sérapeum, et une figure du dieu Bès (S 962), également trouvée dans le sérapéum. Ce dieu Bès, probablement le même que Typhon, est un nain trapu et guerrier, qui porte la peau de lion comme Hercule, et qui n'a rien d'égyptien dans la tournure. Son type artistique doit être d'origine asiatique.
ESCALIER. — Quand on monte l'escalier placé à l'extrémité de la galerie égyptienne du rez-de-chaussée, on voit d'abord de grands tableaux.
Les tableaux qui sont suspendus dans l'escalier n'appartiennent pas au Louvre. Ce sont des calques faits par MM. Bertrand et Joret, à Biban el Molouk, sur le tombeau de Ramsès Ier. Dans la paroi de gauche, en montant, on voit : 1° le roi Ramsès Ier adorant le scarabée, symbole du créateur; 2° Osiris sur son siège de juge infernal; le roi lui est amené par les dieux Horus et Toum et par la déesse Neit. Dans la paroi de droite, le soleil, figuré par un homme à tête de bélier, vogue dons sa barque; le serpent exprime par ses ondula-
tions, la route de l'astre qui traverse la région des âmes. Le second tableau contient la suite du même sujet. La scène suivante nous montre le roi Ramsès entre les deux protecteurs de l'âme, Horus et Anubis. Dans les deux petits tableaux, le roi est représenté adorant les dieux Plah et Nowre Atmou; la déesse Ma, ou Justice, se tenait à droite et à gauche de la porte qu'accompagnaient ces deux tableaux, pour y recevoir le roi défunt.
Les auteurs de ces beaux calques ont obtenu la permission de les exposer au Louvre, dans le Musée égyptien. Ils donnent l'idée la plus exacte de la décoration d'un tombeau royal de la dix-neuvième dynastie.
CAT. ROUGÉ.
Sur le palier du haut on trouve, sous les numéros 36.37 et 38, trois statues d'une très-grande importance archéologique.
36. — Statue en pierre calcaire (+).
Un homme debout, nu jusqu'à la ceinture; il est vêtu d'une simple chenti attachée par une ceinture sans ornements. La main droite, collée au corps, tient entre le pouce et l'index le sceptre nommé pat, signe du commandement. La main gauche, appuyée à la poitrine, tient le grand bâton, symbole des chefs. La coiffure, imitant de petites boucles étagées et taillée carrément, ne descend que jusqu'au cou ; elle est peinte en noir; les jambes sont nues et à demi-engagées dans le bloc. La pupille, les paupières et les sourcils sont peints en noir, et le dessous des yeux orné d'une bande verte Le style de ce morceau rappelle par sa rudesse et sa simplicité les plus anciens monuments funéraires, voisins des Pyramides, et annonce la plus haute antiquité. Ce personnage s'appelait Sepa, il avait la dignité de prophète et de prêtre du taureau blanc. Les épaules sont hautes, la tête très-ronde, le torse fort, les jambes ébauchées très largement et l'articulation du genou très-vigoureusement rendue.
Les pieds sont beaucoup plus courts que d'ordinaire. Tous ces carac-tères indiquent le premier âge de la scuplture égyptienne. Les hyéroglyphes sont également du plus ancien caractère.
Il serait téméraire de fixer une date à ce monument. Mais on peut affirmer qu'il à été sculpté sous la troisième ou tout au commencement de la quatrième dynastie.
37. — Cette statue ne diffère de la précédente que par sa taille un peu plus élevée. La légende est exactement la même, elle représente le même individu. Sepa, appartenant à la famille royale ; c'est ce qu'indique le titre suten rekh, qui est attribué aux petits-fils d'un roi ou ou d'une reine, et que nous traduisons par parent royal.
38. — Statue de femme en pierre calcaire.
Elle appartient évidemment à la même époque et probablement à la même famille que la statue de Sepa. Le bas des yeux était orné d'une bande verte, la prunelle était peinte en noir, ainsi que les
cils, les sourcils et la coiffure, qui descend jusqu'aux seins. Elle est vêtue d'une simple robe ou chemise ouverte en triangle au milieu de la poitrine. Les bras sont ornés de bracelets composés de douze anneaux qui étaient également peints en couleur verte. Les pieds sont courts et le gras des cuisses très-marqué. Sa légende se lit : la royale parente Nesa.
Les trois numéros qui viennent d'être décrits méritent la plus grande attention. Leur style est celui des plus anciens bas-reliefs de Memphis, contemporains authentiques des premières dynasties.
Nous n'avons pas connaissance que d'autres statues de grandeur naturelle appartenant à cette époque aient encore été découvertes; on peut donc les considérer à bon droit comme les plus anciennes statues du monde entier. La roideur de la pose et l'extrême simplicité de la composition s'allient, dans ces morceaux, à un profond sentiment de la vérité et n'excluent pas une certaine grandeur.
On remarquera le soin avec lequel on a cherché à rendre la nature à l'articulation des genoux.
DE ROUGÉ. (Notice.) A côté de ces précieux monuments, on a placé sur ce palier des statues égyptiennes en granit rose ou noire, une Isis romaine en marbre et deux beaux sarcophages en basalte.
Le plus grand fut destiné à un nommé Teskertes (D 40 b.), nom qui paraît étranger à l'Egypte. Sur la poitrine, un disque solaire déverse ses rayons sur l'épervier à tête humaine qui représente l'âme. A droite et à gauche, les déesses Isis et Nephtys lui tendent les voiles enflées, symbole du souffle de la vie. Au-dessous, le scarabée; à droite et à gauche, sur les flancs, les quatre génies funéraires, protecteurs des entrailles. La décoration est complétée par une série des dieux célestes adorés par le défunt. Aux pieds, les chacals, guides des chemins célestes.
A l'intérieur du sarcophage sont figurées les deux déesses du ciel et de l'enfer. CAT. ROUGÉ.
On voit en face une statue en albâtre de Ramsès Meïamoun, plusieurs pyramides votives, en relation avec le culte du soleil et des tables à libations, sortes de bassins en pierre de diverses formes.
Enfin il faut signaler, à cause de leur extrême importance, deux moulages de statues, dont les originaux font partie du musée de Boulaq, au Caire. Ils sont placés de chaque côté du musée Charles X. La statue à gauche est une reine : l'original est en albâtre et provient de Thèbes.
Ce magnifique monument représente une reine qui a joué un rôle important dans les affaires de l'Egypte au temps de l'occupation
éthiopienne (vingt-cinquième dynastie); elle s'appelait Ameniritis.
Comme nous l'avons dit, la statue est d'albâtre ; mais son socle, qui est encore adhérent, est de granit gris. C'est sur ce socle que figurent les titres de la reine. La longue inscription gravée sur le pilier auquel la statue est adossée est une invocation aux dieux. On y voit que notre statue, quand elle était complète, devait être surmontée de deux longues plumes, peut-être en or, qu'elle a perdues aujourd'hui. Rien n'égale l'élégance de ce jolie morceau. Les formes en sont chastes, pures, et en même temps aussi justes qu'on peut l'attendre d'une statue égyptienne. La reine est coiffée de la grande perruque des déesses. Elle tient le fouet de la main gauche, et de la droite une sorte de bourse. On remarquera le travail fini de ses bracelets.
MARIETTE. (Notice du Musée de Boulaq.) La statue qui fait pendant à celle-ci, vient de Memphis, et représente le roi Chephren.
Vers le côté sud-est du Grand Sphinx de Giseh, il existe un édifice tout entier de granit et d'albâtre, qui servait de temple à la divinité (Hor-em-Khou, Armachis) adorée sous la forme du Sphinx.
C'est dans l'une des chambres de ce temple que se trouve un puits à eau qui devait servir aux ablutions sacrées, et c'est du fond de ce puits, où elle avait été précipitée à une époque inconnue, que nous avons retiré la statue de Chéphren; Les inscriptions gravées sur le socle ne laissent, en effet, aucun doute sur l'identification de ce monument, qui représente Schafra, ou Chéphren, le fondateur de la deuxième Pyramide.
Le roi est représenté assis, dans l'attitude imposée par les lois religieuses de l'Egypte. Derrière sa tête est debout un épervier, les ailes ouvertes en signe de protection. Le roi a la main gauche étendue sur la jambe; la main droite tient une bandelette ployée. On remarquera les détails du siège. Les bras se terminent par des têtes de lion. Sur les côtés sont figurées en relief épais les tiges des deux plantes qui désignent la Haute et la Basse-Egypte, enroulées autour du caractère Sam, symbole de réunion.
L'ensemble de cette statue est empreint d'une certaine majesté tranquille qui charme et qui étonne. La tête, d'une conservation incroyable, doit être le portrait du roi daus son âge mûr. Les épaules, les pectoraux, les genoux surtout, trahissent un ciseau puissant que la difficulté de la matière n'a pas rebuté. Plus qu'à aucune autre époque peut-être la nature a été observée et rendue. Au milieu de tant d'admirables statues de l'Ancien-Empire que possède le Musée du Caire, notre Chéphren, comme œuvre d'art, n'occupe sans doute pas le premier rang. Mais que l'art égyptien ait déjà pu, il y a soixante siècles, produire une statue qui, sans être absolument un chef-d'œuvre, dépasse cependant le niveau ordinaire de la sculpture égyptienne; que cette même statue, à travers tant de siècles et tant
de causes de destruction, soit venue jusqu'à nous à peu près intacte, c'est là un fait dont se réjouiront tous les amis des études archéologiques. Je n'ai pas besoin d'ajouter que la découverte de la statue de Chéphren sera une révélation pour ceux qui, encore aujourd'hui, nient les conquêtes de Champollion et accusent les fondateurs des Pyramides de n'avoir pas même connu l'Ecriture.
MARIETTE. (Notice du musée de Boulaq.) La porte placée entre les deux statues dont on vient de parler, conduit au Musée Charles X, qui contient aussi un grand nombre de monuments égyptiens de petite dimension : ces salles seront décrites plus loin dans le chapitre sur les antiquités. La porte qui est placée à droite donne accès à une série de salles qui contenaient autrefois le Musée des souverains. Les objets qu'elles renferment seront décrits plus loin dans le chapitre sur les objets d'art.
MUSÉE DE SCULPTURE
MONUMENTS ASIATIQUES
Le musée des monuments de l'ancienne Asie a son entrée dans le bâtiment de la colonnade du Louvre, sous la grande porte, en face le musée des monuments de l'Egypte.
L'Assyrie et la Chaldée sont le point de départ de toute la civilisation asiatique. Mais au commencement de ce siècle, on ne connaissait aucun des grands monuments de l'art assyrien.
Les voyageurs qui avaient visité les bords de l'Euphrate et du Tigre en avaient rapporté des cachets, des cylindres et autres petits objets, mais rien ne pouvait faire présager qu'on pourrait, au moyen des monuments de l'art, reconstruire par l'imagination cette civilisation qui occupe une place si grande dans l'histoire.
C'est en 1842 que M. Botta, consul de France à Mossoul, dont on voit le portrait dans le couloir qui sépare la petite salle d'entrée de la grande salle des Taureaux, entreprit de faire des fouilles sur la rive orientale du Tigre, à l'endroit même que les auteurs anciens désignaient comme étant l'emplacement de l'ancienne Ninive.
Ces fouilles entreprises sur un monticule recouvert par un village dont les habitants se montraient fortement hostiles, ne
donnèrent aucun résultat. M. Botta s'avança du côté de Khorsabad, village situé à seize kilomètres de Mossoul, et entreprit de nouvelles fouilles qui, cette fois, furent couronnées de succès.
On découvrit d'abord une salle dont les parois étaient couvertes de bas-reliefs représentant des combats. On commença alors un puits ou on trouva de nombreux bas-reliefs. Cependant l'insalubrité du climat nuisait aux travaux et le consul lui-même était atteint des fièvres, quand un obstacle d'un autre genre vint tout arrêter subitement.
M. Botta s'était fait faire une petite maison au milieu de ces fouilles et il y logeait lorsqu'il allait visiter les ruines. Le pacha prit les fossés archéologiques pour des travaux de défense d'une citadelle que les chrétiens voulaient élever là, et la cabane consulaire pour le lieu de ralliement des insurgés. Il faut dire que M. Botta employait pour ses fouilles des chrétiens nestoriens dont il voulait soulager la misère. Il fallut écrire à l'ambassade de France, à Constantinople , et ce ne fut qu'après de longues démarches que les fouilles recommencèrent.
On découvrit alors un palais entier recouvert de sculptures colossales et de bas-reliefs représentant des scènes de la vie publique et privée des anciens Assyriens. Les fouilles entreprises par M. Botta ont été continuées depuis par M. Place, qui découvrit la première statue assyrienne qui ait été exhumée; car jusque-là on n'avait encore trouvé que des bas-reliefs. Un Anglais, M. Layard, entreprit bientôt des fouilles près du village de Nimrod, et bientôt dans le village de Koyoundjeck. Les sculptures qu'il y a découvertes ont enrichi le musée de Londres, comme celles de Khorsabad avaient enrichi celui de Paris.
Toutes ces ruines se rapportent au second empire d'Assyrie dont Ninive, la capitale, fut détruite l'an 606 avant Jésus-Christ.
C'est Koyoundjeck dont les ruines répondent plus spécialement à Ninive, toutefois elles ne datent pas de la première ville de Ninive, mais de la cité rebâtie par Sennacherib, fils de Sargon, sur l'emplacement de l'ancienne. Cette reconstruction n'a pas eu lieu de suite après la première destruction; le palais et la ville, dont les restes ont été trouvés près de Khorsabad, avaient été élevés pour remplacer Ninive qui n'existait plus. C'est Sargon
lui-même, le fondateur de cette ville, qui nous l'apprend dans une inscription traduite par M. Oppert : « Au pied des monts Mousri, pour remplacer Ninive, je fis, d'après la volonté divine et le désir de mon cœur, une ville que j'appelai Hisir-Sargon.
Je l'ai construite pour qu'elle ressemble à Ninive, et lés dieux qui règnent dans la Mésopotamie ont béni les murailles superbes et les rues splendides de cette ville. » Lorsque la véritable Ninive fut rebâtie, la résidence de Sargon devint à peu près comme est Versailles par rapport à Paris.
C'est de Khorsabad que viennent, la plupart des monuments assyriens que nous avons au Louvre : quelques-uns pourtant, et ce sont les plus anciens, viennent de Nimrod, dont les ruines ont été trouvées sur l'emplacement de l'ancienne Kalakh, ville qui fut bâtie par Assournazirpàl, et ou les rois d'Assyrie avaient aussi une résidence. Babylone a fourni également quelques débris à nos collections, mais ils sont rares et généralement moins intéressants que ceux de Ninive et de ses environs.
L'ART ASSYRIEN, — L'étude des monuments assyriens est indispensable à tout homme qni veut comprendre la marche et la succession des civilisations antiques. La plupart des archéolo- gues voient dans les fragments assyriens, le point de départ de l'art grec qui, pour s'être élevé plus haut, n'en serait pas moins redevable à l'Asie de ses premiers bégaiements.
« La présence des monuments assyriens dans l'île de Chypre est un fait de la plus haute importance pour l'histoire de l'art. Il nous explique comment, même avant- l'avénement des Achéménides et les incursions de ces princes en Asie-Mineure et en Grèce, ces deux contrées avaient pu emprunter à l'Assyrie des notions d'art, des types qui se sont transmis traditionnellement dans toutes les parties de l'Occident où les Grecs sont établis.
» Lorsqu'on rapproche de certaines figures de Korsabad la copie de ce précieux bas-relief trouvé à Marathon, qui représente le guerrier Aristion, un des plus anciens ouvrages grecs que l'on connaisse, on demeure frappé de la ressemblance des détails; les yeux, la chevelure, la barbe, les muscles sont traités de la même manière.
» Les analogies si évidentes qui existent entre les sculptures de Persépolis et celles de la Grèce (analogies dont les antiquaires du siècle dernier rendaient compte en supposant que les bas-reliefs de Persépolis avaient été exécutés par des prisonniers grecs) s'expliquent naturellement à présent que l'on sait à quelle origine commune il
faut rapporter les principes d'art que les Perses et les Grecs ont mis en pratique chacun suivant son génie particulier.
» On s'explique facilement ces analogies lorsqu'on pense à la parenté intime de race et de langue qui unissait les Perses et les Grecs, malgré quelques exemples d'antagonisme politique, et quand on apprécie la facilité avec laquelle ces derniers acceptaient des cultes étrangers. »
A. DE LONGPERRIER.
Le grand ouvrage de M. Place, qui a continué les fouilles commencées par son prédécesseur, nous fait connaître exactement la forme d'un palais assyrien. L'habitation de Sargon comprenait cinq divisions principales : le sérail, ou palais proprement dit, affecté à la demeure du roi et de ses officiers ; le harem, ou habitation des femmes; le temple, l'observatoire et les dépendances. Ce vaste ensemble était décoré par une série de bas-reliefs, conçue d'après un système décoratif que M. Place explique de la manière suivante : « En considérant l'ensemble des bas-reliefs d'un palais ninivite, on ne peut mieux le comparer qu'à un poëme épique célébrant la gloire du fondateur. C'est lui le héros de ces longs récits ; il est toujours en scène, et tout s'y rapporte à sa personne. Comme dans les poëmes écrits, l'épopée débute par une sorte d'invocation aux esprits supérieurs représentés par les figures sacrées qui occupent les seuils. Après cette pensée donnée aux génies protecteurs de l'Assyrie, on passait à la narration elle-même. Pendant de longues heures, l'intérêt se trouvait surexcité par une succession d'épisodes émouvants. Peuple de soldats, les Ninivites se complaisaient dans ces souvenirs qui flattaient l'amour-propre du prince et entretenaient l'esprit belliqueux de la nation.
» Les façades les plus longues du palais, c'est-à-dire celles des cours et des grandes galeries qui s'offraient les premières sur l'itinéraire des visiteurs, sont vouées de préférence aux manifestations de la pompe souveraine. Ces cérémonies, exécutées presque toujours dans des proportions colossales, montrent de longues files de prisonniers ou de tributaires se dirigeant vers le monarque. Celui-ci, reconnaissable à la place qu'il occupe, à son entourage, à ses insignes, à son attitude, reçoit ces hommages avec un calme on pour mieux dire avec une placidité presque dédaigneuse. Il est tantôt debout, tantôt assis sur son trône, entouré de ses officiers et de ses serviteurs.
Les personnages s'y suivent processionnellement, sans confusion, et gardent quelque chose de cette froideur hautaine qui devait signaler les réceptions royales.
» C'est plus loin, dans des salles plus petites et sur une plus petite échelle, que le drame commence et que l'artiste manifeste plus d'en-
train, de verve et d'invention. Marches, batailles, escalades de montagnes, constructions de digues, passages de rivières, se suivent nombreux et pressés, racontés en quelques traits expressifs. Ici, la mêlée est terrible et les guerriers luttent corps à corps ; là, couverts de boucliers, ils combattent à distance avec l'arc et la fronde; l'air est sillonné de flèches et de projectiles; plus loin, les blessés et les morts jonchent le sol ou sont précipités dans les flots, ou écrasés sous les roues des chars; on voit même des vautours qui déchirent les entrailles des cadavres.
» Le roi prend part au combat, quelquefois à pied ou à cheval, le plus souvent sur un char attelé de coursiers magnifiques. Parfois un dieu figuré sur un disque ailé, ou bien un aigle qui plane au-dessus de la tête du monarque semble prendre parti pour les Assyriens.
Ailleurs, c'est une ville attaquée. L'assaut se prépare; les machines de guerre battent la muraille ; les mineurs creusent la maçonnerie; les assiégés se défendent encore avec des pierres, des liquides brûlants, des torches, des chaînes pour détourner les machines; ou enfin, réduits à la dernière extrémité, les mains levées au ciel, ils implorent la clémence des vainqueurs ; mais ceux-ci sont impitoyables ; on les voit chargés de butin, chasser devant eux des hordes de prisonniers, parmi lesquels se pressent pêle-mêle des hommes et des femmes, traînant leurs enfants par la main ou les portant sur leurs épaules, suivis de leurs troupeaux et prenant le chemin de l'exil pour aller travailler aux monuments que le vainqueur élèvera bientôt en souvenir de cette nouvelle conquête.
» Voici, en effet, le roi lui-même qui préside à la construction d'un d'un palais, il commande, et ses soldats, le bâton levé, surveillent sur le chantier une multitude d'esclaves qui pétrissent l'argile, façonnent la brique et la transportent sur leurs épaules. Le monticule artificiel s'élève, et déjà les monolithes gigantesques sont traînés péniblement par de longues files de travailleurs attelés; puis ce sont de nouvelles guerres, de nouveaux triomphes ; l'artiste ne se fatigue jamais de ces images et trouve toujours une manière nouvelle de les traiter. Et toujours quelle réalité saisissante ! Après le carnage de l'action, on assiste à des vengeances impitoyables. Ce sont des prisonniers écorchés vifs, sciés en deux, mis en croix, ou qui ont la tête tranchée en présence du monarque, pendant qu'un scribe impassible inscrit froidement sur un papyrus le compte des têtes qui s'amoncellent. Comme dernier trait pour peindre ces conquérants barbares, le roi, de sa propre main, crève les yeux d'un captif qu'on lui amène un anneau passé dans les lèvres. Narrateur fidèle le sculpteur ne cherche jamais à atténuer les horreurs qu'il représente et qui, du reste, étaient racontées tout au long dans les inscriptions. Il les exprime avec une brutalité naïve bien propre à nous faire comprendre la terreur qu'inspiraient les Assyriens, et dont les livres saints contiennent tant de témoignages.
» Après les tableaux héroïques, les scènes de chasse occupent le
premier rang. Les souverains assyriens, dignes enfants de Nemrod, ont manifesté une grande passion pour cet exercice violent, véritable diminutif de la guerre. On voit dans les bas-reliefs de Koyoundjeck le roi chassant la gazelle, l'hémione, le cerf, et principalement le lion, qui, à en juger par la multiplicité des tableaux, devait être le gibier qu'il préférait. En char, à cheval, à pied, il poursuit luimême les animaux; il manie la pique, le javelot, l'arc et la flèche avec assurance, et c'est presque en se jouant que parfois, le poignard à la main, il semble vaincre ses redoutables adversaires. A la fin, fatigué de carnages, il offre aux dieux les prémices de sa chasse, ou bien il se livre au repos. On le voit, retiré au fond du harem, à demi couché sur un lit somptueux, devant une table chargée de mets. La reine, assise en face de lui, prend part au festin. La fête est égayée par de jeunes esclaves accompagnant leurs voix des accords de la harpe, l'instrument préféré des poëtes bibliques. Mais ce tableau, tiré de Koyoundjeck, est unique en son genre, et rien d'analogue n'a été vu à Khorsabad, où le terrible Sargon n'apparaît jamais que dans l'éclat de sa majesté royale.
» D'autres bas-reliefs nous font assister au détail de la vie privée de ses sujets. Des intérieurs de villes ou de maisons mis à découvert en vertu d'une coupe géométrale très-singulière nous montrent les Assyriens occupés des soins les plus vulgaires, dressant les lits, faisant rôtir les viandes, pansant les chevaux et se livrant à divers métiers. Ou bien ce sont encore des gens-en marche avec leurs chariots remplis par des familles, chargés de grains, d'objets divers, et traînés par des bœufs où il nous semble reconnaître la race des bœufs à bosse de l'Inde ; ou bien encore, c'est une halte dans laquelle les animaux dételés se reposent et mangent, pendant que les hommes portent la main à un plat de pilaw ou boivent dans des outres. »
Les monuments assyriens sont beaucoup moins nombreux au Louvre qu'au musée britannique, et c'est à Londres qu'il faut aller quand on veut étudier les antiquités asiatiques au point de vue de l'histoire et des mœurs. Mais les monuments que possède le Louvre sont plus beaux et plus importants; et au point de vue de l'art leur étude offre un bien plus grand intérêt.
Petite salle d'entrée En s'approchant de la fenêtre qui éclaire la petite salle d'entrée, nous verrons deux figures d'homme ailé qui viennent de Nimrod et remontent au dixième siècle avant notre ère : les ailes, dans les monuments de l'ancienne Asie, sont un emblème de puissance.
Les autres monuments placés dans la même salle sont moins
anciens : la plupart sont du huitième siècle et remontent à Sargon. Nous appellerons l'attention sur le conducteur de chevaux qu'on voit sur un grand bas-relief placé vis-à-vis de la fenêtre : les détails du harnachement de ces chevaux royaux sont fort curieux. Les chevaux assyriens étaient renommés et même sous la domination persane les haras royaux étaient en Assyrie.
D'autres bas-reliefs extrêmement fins remontent au septième siècle; entre autre une chasse au lion dont il manque des fragments et une scène fort curieuse, mais placée malheureusement dans un endroit tout à fait obscur; elle représente un convoi de prisonniers traversant une forêt de palmiers. Ces prisonniers sont de deux sortes : les uns sont enchaînés, ce sont probablement des rebelles qu'on va châtier. Les autres sont des habitants apportant le tribut imposé à leur province. Parmi les objets qu'ils portent, on remarque des sacs de grain et des poissons qu'ils tiennent à la main. Tous ces prisonniers sont conduits par des soldats dont le costume est fort remarquable.
Salle des taureaux
Les taureaux assyriens (+) sont toujours placés à l'entrée du palais des rois, ou ils paraissent avoir un rôle analogue à celui des sphinx disposés sur les avenues qui mènent aux temples de l'Egypte. Peut-être même sont-ils comme les sphinx d'Egypte une simple personnification royale ; ce qui expliquerait tout naturellement la singulière légende des Hébreux, d'après laquelle leur plus grand ennemi, le roi d'Assyrie Nabuchodonosor, est métamorphosé en vache par le Dieu d'Israël.
Sauf les oreilles qui sont celles d'un taureau, la tête de ces animaux symboliques est complètement humaine par la forme.
Elle est comme celle des rois, pourvue d'une barbe parfaitement frisée et d'une longue chevelure bouclée. Enfin elle est coiffée d'une tiare, dont la partie supérieure se termine par une rangée de plumes droites ou de palmes; mais elle est surtout caractérisée par une double paire de cornes qui partent de derrière la tête et se contournent en revenant par devant. La manière dont les cornes sont rangées à la base de la tiare nous explique comment il faut comprendre la disposition des dix cornes de
l'animal symbolique dont il est question dans le prophète Daniel.
Les cornes, dans l'ancienne Asie, étaient un insigne de puissance, et c'est pour cela que les taureaux à tête humaine qui gardent la porte des palais sont pourvus d'une double paire de cornes, en même temps que de grandes ailes protectrices. Ces figures qui réunissent à la tête d'un homme le corps du plus vigoureux des animaux, expriment symboliquement l'intelligence unie à la force matérielle. Des ailes bien plantées sur les épaules, produisent le plus bel effet décoratif; la queue se termine par une longue touffe de poils tordus en rouleaux parallèles qu'interrompent par place des rangées horizontales de boucles. Les poils de l'échine, des cuisses et des flancs, présentent la même disposition. On remarquera aussi que dans les taureaux assyriens, qui sont toujours accolés à une muraille, les pieds de devant sont doublés, de manière que l'animal paraisse complet quand on le regarde de face. Une inscription tracée entre les jambes du taureau, contient les titres de Sargon, roi du pays d'Assour, et un récit de ses victoires.
En effet, le roi Sargon, dans le palais duquel ont été trouvés ces taureaux, en était le fondateur, ainsi qu'il l'a écrit lui-même dans une inscription traduite par M. Oppert : « Je choisis les emplacements pour les fondations; je posai les briques non cuites; la totalité des femmes jeta au milieu des amulettes préservatrices contre les démons, comme ablution des injures occasionnées par le creusement en l'honneur des divinités Nirsoch, Séré, Militta. Avec leur permission suprême, je bâtis pour demeure de ma royauté des salles en ivoire, en bois d'ébène, de lentisque, de cèdre, de pin, de pistachier; au-dessus, j'entassai de grandes poutres courbées en cèdre, que j'ai reliées par des poutres droites en pin et en lentisque, contenues par des crampons de fer. » Regardons maintenant la muraille où sont rangés les monuments de grande dimension.
« Ces grandes figures, placées entre des taureaux, complétaient la décoration du portail. Les tuniques d'un très-grand nombre de figures assyriennes, qui paraissent avoir été peintes en blanc, et la manière dont les cheveux sont disposés en petits flocons fournissent
un commentaire à ce passage de Daniel : « Son vêtement était » blanc comme la neige, et la chevelure de sa tête comme de la » laine mondée (DAN., VII, 9). » Le prophète parle d'un de ces êtres symboliques dont l'idée paraît lui avoir été inspirée par la connaissauces des représentations assyriennes. »
A. DE LONGPÉRIER.
Ce qui nous frappe tout d'abord ce sont ces graves personnages qui, sans effort ni colère, pressent sur leur poitrine un lion qui rugit, sans pouvoir se dégager du bras qui l'étreint.
C'est l'Hercule assyrien, dont la légende s'est fondue plus tard avec celle du héros grec. Puis, ce sont les génies protecteurs avec leurs grandes ailes et leur barbe bouclée, et les rois avec leurs grande robe et leurs bras couverts de riches bracelets.
Sur les bas-reliefs, vous voyez les eunuques inberbes, portant des vases, des trônes roulants, des meubles. Dans toutes ces figures, le détail est rendu sobrement, mais avec une grande concision. Ces profils aux nez longs et busqués, ces yeux dont le globe est en relief et bridé autour des paupières, ces barbes à quadruples rangs de boucles, ces personnages énigmatiques tenant à la main une fleur ou une pomme de pin, c'est le peuple assyrien, que les fouilles de Ninive nous ont révélés tout d'un coup.
Tous ces personnages étaient coloriés : ces figures que nous voyons sont celles dont parle Ezéchiel, ou leurs analogues;« et elle vit des hommes représentés sur la muraille, les figures des Chaldéens représentées à l'aide de ciseau. le corps couvert d'ajustements variés, la tête ceinte d'ornements de couleurs.
c'était l'image des fils des Chaldéens. elle s'en est rendue amoureuse par le regard de ses yeux, et elle a envoyé des ambassadeurs vers eux au pays des Chaldéens. » (Ezéchiel XXIII, 14 et 15). La Bible vient en effet en aide aux archéologues qui tentent d'expliquer ces énigmatiques figures et celles-ci, à leur tour, jettent quelquefois une demie lumière sur des passages difficiles à comprendre. Quand on voit, par exemple, sur un des premiers bas-reliefs exposés, que le trône royal est monté sur des roues, on comprend un peu mieux le mot de Daniel : « Son trône était de flamme et ses roues de feu ardent. »
On trouve aussi dans ces monuments de précieux renseignements sur le costume et le mobilier. Voyez tous ces personnages
dont la courte tunique, bordée d'un galon, disparait en partie sous le manteau à franges qui passe sur l'épaule gauche, traverse la poitrine en diagonale et s'ouvre par-devant. Remarquez aussi le type assez peu varié d'ailleurs, des bracelets qui ornent leurs bras. Observez aussi ce qu'ils tiennent dans les mains : quelques-uns portent de mystérieux emblèmes, comme la pomme de pin, ou la tige à trois capsules; d'autres ont un vase d'osier tressé, ou bien encore un vase à tête de lion. Ces vases à têtes d'animaux, qui ont avec les rhytons des Grecs une certaine analogie, ne pouvaient pas se poser sur la table; en effet, un basrelief du Musée britannique montre des vases de ce genre dans les mains des serviteurs qui se tiennent derrière les convives.
D'autres étonnements nous attendent quand nous allons examiner les bas-reliefs de moindre dimension qui sont placés près des fenêtres.
Voici près de la quatrième fenêtre un roi sur son char de triomphe et abrité des ardeurs du soleil par un vaste parasol.
Le parasol était pour les rois d'Assyrie un emblème de dignité : le bas-relief du Louvre en montre très-bien la disposition. Il est formé d'un épais tissus parsemé d'étoiles et d'autres ornements disposés en bandes. Un grand pan de la même étoffe retombe derrière le monarque pour le couvrir de son ombre. Ce parasol, qui n'est tenu par aucune main, semble fixé au char dans lequel nous trouvons trois personnes : le roi, le conducteur du char et un eunuque. Le roi est reconnaissable à la grand mitre surmon- tée d'un cône pointu, cette coiffure étant spécialement affectée au roi d'Assyrie. Le conducteur du char, qui doit être lui-même un très-grand personnage, est coiffé d'un bonnet rond et tient en main les guides. L'eunuque se reconnaît à son visage imberbe et à ses longs cheveux qui retombent sur les épaules, sans former les boucles multiples qu'on voit aux autres personnages.
A côté un autre bas-relief nous montre des citadelles avec leurs tours crénelées.
Près de la deuxième fenêtre en entrant ce sont des archers ou des cavaliers avec tout leur équipement. Et remarquons en passant que les chevaux sont admirablement bien dessinés.
Eu général, l'étude des animaux a été poussée plus loin que celle de la figure humaine chez les peuples de l'Orient.
Plus loin, sur l'escalier, nous trouverons des hommes qui conduisent des chevaux richement harnachés : ils sont armés de lances et une peau de bête jetée sur leur épaule recouvre en partie la tunique. Leur chaussure est composée d'une espèce de botte ouverte et lassée par devant dans toute la hauteur de la jambe; l'extrémité du pied forme une espèce de pointe qui se recourbe légèrement sur le devant. Le personnage qui ouvre la marche et celui qui vient derrière les chevaux, portent sur la main droite un objet qui parait représenter une muraille crénelée. On en a conclu que cet objet devait être l'emblème d'une ville soumise et que l'ensemble du bas-relief représentait un hommage rendu au roi.
Nos bas-reliefs fournissent aussi de bien précieux renseignements sur les instruments de musique en usage parmi les Assyriens (près de la deuxième fenêtre).
Au milieu de la salle on remarque le pavage d'une porte dont le dessin est d'une élégance rare; en face se trouve un petit autel à trois faces qui est le premier monument découvert par M. Botta à Khorsabad. Il supporte un petit lion en bronze d'un caractère superbe et parfaitement conservé : « Cette admirable figure, un des plus beaux ouvrages que l'antiquité nous ait légués, parait n'avoir eu d'autre destination que de servir de base et de décoration à l'anneau qui le supporte; anneau auquel on attachait probablement l'extrémité d'une corde, à l'aide de laquelle on hissait un voile au-dessus de la porte. Ce lion n'était pas mobile; à sa partie inférieure existe un goujon de scellement.
Il ne doit donc pas être confondu avec d'autres lions de bronze trouvés récemment à Nimrod, et sur lesquels on voit des inscriptions uniformes et en caractères phéniciens. On pense que ces monuments ont servi comme poids. Quant au lion de Khorsabad, il appartenait bien certainement au système général des portes: car à chacune d'elles, on a retrouvé les pierres du scellement ou des figures pareilles avaient été fixées. »
A. DE LONGPÉRIER.
Il faut aussi voir en passant deux moulages en plâtre qui ont une très-grande importance pour l'archéologie. Le premier est une espèce d'obélisque chargé de sculptures.
Ce moulage est la reproduction de la fameuse stèle de Salmanasar, dont l'original en basalte noir est au Musée britannique.
Les quatre faces de cette espèce d'obélisque, montrent dans une
série de curieux bas-reliefs les tributs des contrées étrangères que reçoit le monarque conquérant. Une inscription raconte les exploits de ce roi d'Assyrie qui vivait au neuvième siècle avant notre ère. En voici un paragraphe d'après la traduction de M. Rawlinson : « Dans la onzième année (de mon règne), dit le roi, je sortis de la ville de Ninive, et pour la deuxième fois je traversai l'Euphrate. Je pris les quatre-vingt-sept villes appartenant à Araloura, et cent villes appartenant à Arama, et je les livrai au pillage. Je réglai ce qui regardait le pays de Khamâna, et, passant par le pays de Yéri, je descendis aux villes de Hamath, et je pris la ville d'Esdimak avec quatre-vingt-neuf villes qui en dépendent, exterminant les ennemis d'Assour et enlevant les trésors. Hémithra, roi d'Atesch, Arhouléna, roi de Hamath, et les douze rois de Khéta, qui étaient en alliance avec eux, se levèrent contre moi et réunirent leurs forces. Je les combattis, je les défis, je leur tuai dix mille de leurs hommes, et j'emmenai en esclavage leurs capitaines, leurs chefs et leurs hommes de guerre. Je montai ensuite à la ville de Habbaril, une des cités principales appartenant à Arama (le roi d'Arménie), et j'y reçus le tribut de Barbaranda, roi de Chétina, en or, en argent, en chevaux, en moutons, en bœufs, etc. Je revins au pays de Khamàna, où je fondai des palais et des villes. » Ce qui donne encore à ce monument un intérêt tout particulier, c'est que les sculptures qui le décorent se rapportent pour une certaine partie à l'histoire sainte : Ainsi, dans le bas-relief du haut, derrière la stèle, le personnage, si humblement agenouillé devant le roi d'Assyrie est Jehu, roi d'Israël, qui vient faire sa soumission à Salmanasar.
L'autre moulage, connu sous le nom de stèle de Larnaca, est un monument d'une extrême importance archéologique, dont l'original est au musée de Berlin.
« Le bas-relief représente le roi Sargon, debout, vêtu d'une longue tunique ornée de franges. Sa tête est couverte d'une tiare dont les fanons retombent sur les épaules du monarque. De la main gauche, Sargon tient un sceptre surmonté d'une tète sphérique ; de la droite il supporte un appareil symbolique, au sommet duquel figurent un croissant lunaire, un soleil représenté sous la forme d'une rosace, une tige chargée de trois grenades et sept globules représentant les planètes. Près de ces symboles, on voit une mitre ornée de deux paires de cornes de taureau et surmontée d'une fleur de lis. Vingtsept lignes de caractères sont gravées sur la face antérieure de cette stèle et passent sur le relief de la figure royale. »
CAT. LONGPERRIER.
Il ne faut pas quitter cette salle sans dire quelques mots des caractères cunéiformes, dont on voit ici plusieurs échantillons, sur des moulages. L'écriture chaldéenne était à l'origine, comme celle des Egyptiens, purement hiéroglyphique ; c'est-à-dire que le signe écrit, était la représentation d'un objet. Mais au bout d'un certain temps le type primitif s'altéra au point de n'être plus reconnaissable : il devint alors l'expression d'un son ou plutôt d'une syllabe.
« Les Touraniens de la Chaldée, dit M. Maspéro, nons ont laissé l'exemple le plus ancien d'une écriture syllabique. Leur système adopté par les Assyriens se répandit au nord et à l'est en Arménie, en Médie, en Susiane, en Perse, et ne cessa d'être employé que vers les premiers siècles de notre ère. Les écritures des différents systèmes sont toutes formées par les combinaisons d'un même signe horizontal, vertical, ou tordu en forme de crochet. Cet élément a le plus souvent l'aspect d'un clou ou d'un coin, d'où le nom de cunéiformes qu'on donne habituellement aux écritures de ce type. »
L'inconvénient très-grand de l'écriture cunéiforme, c'est que le même signe peut se lire d'une manière très-différente, ce qui produit une confusion inévitable; il en résultait souvent une très-grande obscurité, même pour les Assyriens et les Babyloniens.
« Nous n'en voulons pour preuve, dit M. Lenormant, que le nombre de fragments de syllabaires et de vocabulaires grammaticaux tracés sur des tablettes d'argile, et destinés à révéler les arcanes du système graphique national, qu'on a trouvés en telle abondance dans les ruines de Ninive. Une bonne moitié de ce que nous connaissons de l'écriture cunéitorme se compose de guide-ânes qui peuvent nous servir à déchiffrer l'autre moitié, et que nous consultons exactement comme le faisaient il y a deux mille cinq cents ans, les étudiants de l'antique pays d'Assour. »
Salle des sarcophages phéniciens
Cette salle, outre les beaux sarcophages qui lui ont fait donner son nom, renferme le long de ses murailles, la suite des monuments assyriens, dont nous avons vu tout à l'heure le commencement. Près de la fenêtre nous trouvons sur un bas-relief des hommes qui portent différents objets, et sur un autre des hommes qui tirent des cordes, sans doute pour transporter quel qu'objet
très-pesant qu'on ne voit pas, car ces cordes remorquent probablement un radeau.
Deux autres bas-reliefs, placés au fond de la salle, nous montrent l'emploi de petites barques longues, minces et d'une forme qu'on ne trouve pas ailleurs. L'avant de ces barques est formé par une tête de cheval portée sur un long cou, et l'arrière se termine par une tige qui affecte la forme d'une queue de poisson. Ces deux appendices se relèvent à une assez grande hauteur dans une direction verticale qui fait angle droit avec la barque.
Ces bateaux sont employés à transporter des poutres attachées à l'arrière du navire; ils sont manœuvrés par des rameurs et on n'y voit pas trace de voiles.
L'exécution de ces bas-reliefs est extrêmement curieuse; l'eau, dessinée par de petites ondulations chargées d'exprimer le faible mouvement des vagues, est coupée çà et là de poissons, de tortues, de serpents, de crabes et autres animaux. Mais, outre cette population sous-marine que le sculpteur fait paraître à la surface des eaux, nous y trouvons les divinités protectrices entre autres, le taureau ailé à tête humaine portant la tiare, analogue à celui qu'on plaçait à la porte des palais.
Si l'on veut pousser jusque sur l'escalier qui mène aux salles du haut on y verra de nombreux moulages, d'après les bas-reliefs assyriens du Musée britannique, et on y pourra puiser de nouveaux renseignements. Mais, dans la salle même où nous sommes, on peut voir dans des vitrines plates plusieurs menus objets, tels que des peignes assyriens, des colliers, des amulettes, des cylindres babyloniens, et plusieurs petites figurines fort curieuses.
« Les cylindres, genre de pierres gravées, dont le nom indique assez la forme, ont été considérés pendant longtemps comme des cachets. On a même donné à quelques-uns d'entre eux des montures toutes modernes, imitées de certaines bagues égyptiennes, et qui permettent de rouler ces cylindres de manière à obtenir des empreintes de leur surface développée. Cependant on a retrouvé quelques cylindres munis de leur mouture, et cette dernière n'indique point l'usage auquel on avait d'abord pensé. Un axe composé de deux tiges métalliques qui sont rivées à l'extrémité inférieure, et forment un assez grand anneau au sommet, constitue un obstacle au mouvement de rotation nécessaire pour l'exécution de l'em-
preinte. Il faut donc regarder les cylindres comme des amulettes que l'on portait suspendues au cou. Ainsi s'explique la similitude des sujets gravés sur un assez grand nombre d'entre eux; similitude inconcevable pour des sceaux qui doivent être des marques d'identité. On a cru aussi, longtemps, que tous les cylindres étaient d'origine babylonienne et persépolitaine. L'étude des monuments permet actuellement de reconnaître qu'il existe des cylindres assyriens, babyloniens, phéniciens, médiques, perses. Il est présumable qu'on en trouvera d'arméniens, de juifs, etc. »
CAT. LONGPERRIER.
Nous emprunterons encore au même écrivain, quelques détails sur les colliers dont on voit plusieurs dans les vitrines plates, placées à côté des sarcophages phéniciens.
« Ce collier, ainsi que les autres décrits à la suite, a été trouvé le 17 février 1852, par M. Victor Place, consul de France à Mossoul, dans les fondations du palais de Khorsabad. Les colliers étaient déposés dans une couche de sable fin, et l'on pourrait reconnaître dans ce fait une illustration d'un passage de l'Ecriture (III, Reg. IV, 17), où il est dit que Salomon fit placer des pierres précieuses dans les fondations du temple. Quant aux colliers en eux-mêmes, il est certain que parmi les Assyriens, les hommes en portaient qui, comme ceux qui sont classés ici, étaient composés de pierres taillées en olive ou en cylindre alternant avec des grains plus ou moins sphériques. C'est ce que démontrent les bas-reliefs de Nimrod. Dans le collier n° 295, figure une pierre taillée en forme de canard qui se retourne en allongeant sa tête sur son dos. Des figurines semblables en terre cuite ont été trouvées à Nimrod. On a trouvé en Egypte des colliers semblables, et le Musée en possède plusieurs ; ils sont vraisemblablement de fabrique assyrienne, ainsi que l'indique une peinture de Thèhes du temps de Thouthmès III, dans laquelle on voit un peuple asiatique qui apporte au roi, entre autres présents, des colliers composés de grains oblongs alternant avec de petits grains ronds. » (A. DE LONGPÉRIER).
Arrivons maintenant aux sarcophages phéniciens qui sont disposés au milieu de cette salle et dans le vestibule qui précède l'escalier. Il faut remarquer en première ligne le fameux sarcophage d'Eschmunazar, roi de Sidon, qui a été découvert sur l'emplacemeut de cette antique cité. Il porte la plus longue inscription phénicienne connue.
On sait que ce sont les Phéniciens qui ont enseigné aux Grecs à se servir de l'alphabet. Un fait qui est bien curieux à noter, c'est que malgré cela, non-seulement les Phéniciens ne nous ont
pas laissé de livres, mais encore il n'y a pas de peuple dont on n'ait moins d'inscriptions.
« Une des causes qui contribua à cette rareté, dit M. Renan (Mission de Phénicie), fut l'habitude de faire des inscriptions sur des plaques de métal. Les cadres où étaient placées ces inscriptions et les traces des moyens de fixation se voient encore sur beaucoup de monuments. On sait que les inscriptions sur plaques de métal se conservent en beaucoup moins grand nombre que les inscriptions sur pierre, le métal ayant plus de valeur et étant plus facilement transportable que la pierre. » Les sarcophages que nous voyons ici ont généralement la forme qui était traditionnelle dans la contrée; mais le travail de la plupart d'entre eux trahit un ciseau grec. C'est ce dont il n'est pas permis de douter en voyant, par exemple, le beau sarcophage qui a été trouvé près de Tripoli. C'est celui qui est placé le plus près de la fenêtre : ce monument est en marbre blanc et taillé en gaine; il est formé de deux morceaux, dont la partie inférieure est évidée pour recevoir le corps, tandisque l'autre forme un couvercle. Des poignées saillantes ont été ménagées pour que le sarcophage puisse être soulevé. En s'approchant de la tête qui décore le couvercle, on peut voir que le trou auriculaire du côté gauche, a été percé d'un trou qui communiquait avec l'intérieur, et dont le but était probablement que le mort put entendre par là les prières que lui étaient adressées. Il est curieux de voir comment les artistes grecs, installés en assez grand nombre en Syrie et en Phénicie, pendant la période macédonienne, savaient se prêter aux exigences de ceux qui les faisaient travailler.
Salle du vase d'Amathonthe
Le vase colossal trouvé près d'Amathonte,dans l'ile de Chypre, occupe le milieu de cette salle. Ce vase qui ne mesure pas moins de 3 mètres 70 c. de diamètre, est taillé dans un seul bloc et pourvu de quatre anses sculptées avec un petit taureau au milieu.
On ignore la destination de cet énorme récipient. Des inscriptions, des chapiteaux et quelques grossières figures complètent la part faite dans cette salle aux antiquités de Chypre : tout le reste appartient à la Phénicie, et les emblèmes dont on voit la représentation attestent une influence égyptienne très prononcée,
par exemple le disque ailé flanqué de ses deux urœus, et d'autres symboles solaires. Ces fragments employés comme matériaux de construction par les modernes, font le plus singulier effet dans la construction des chapelles chrétiennes de la Syrie, où l'on rencontre très-souvent des emblèmes païens, fort innocemment placés à coup sûr, mais très-bien caractérisés.
Salle des monuments de Milet
Les fouilles exécutées à Milet et à Héraclée du Latmos, ont fourni tous les monuments qui sont dans cette salle. Les deux bases colossales qui occupent le centre de la salle proviennent de deux des dix colonnes de la façade antérieure du temple d'Apollon Didyméen. On remarquera que ces deux bases sont trèsrichement sculptées, mais ne se ressemblent nullement entre elles, ce qui renverse un peu les théories généralement admises, d'après lesquelles une symétrie rigoureuse, est donnée comme un des caractères essentiels de l'art antique.
On trouve dans la même salle les fragments d'un bandeau décoré d'une lyre entre deux chimères et plusieurs chapiteaux de retour d'angle ornés de griffons et de rinceaux : ces débris proviennent également du temple. On a trouvé dans la nécropole de Milet, les trois figures assises et le lion colossal de style archaïque. C'est le théâtre de la même ville qui a fourni les autres statues de femmes. Quant au cadran solaire et aux deux petits autels qu'on voit sur le côté, ils proviennent d'Héraclée du Latmos.
Salle du vase de Pergame Le beau vase trouvé à Pergame et donné en 1838 par le sultan Mahmoud, occupe le milieu de cette salle. Une frise de cavaliers, qui décore la panse du vase nous donne l'idée des courses équestres qui faisaient toujours partie des fêtes publiques. Les murailles de la salle sont recouvertes par la suite des bas-reliefs, provenant du temple de Diane Leucophryne à Magnésie de Méandre.
Le temple de Diane Leucophryne, à Magnésie, avait été bâti par le célèbre architecte Hermogène. Vitruve en parle ainsi : « Dans la ville de Magnésie, on voit le temple de Diane
Leucophryne. Si l'on excepte le temple d'Ephèse, ce monument, par la richesse des offrandes, par ses justes proportions et l'art avec lequel il est construit, par l'ornementation du lieu sacré, surpasse tous les temples d'Asie, et per sa grandeur, il les surpasse aussi tous, excepté deux, celui de Didyme et celui d'Ephèse. »
MUSÉE DE SCULPTURE
Les monuments grecs.
On donne généralement le nom de Musée des Antiques à la série de salles où sont rangées les statues grecques ou romaines. Cependant comme une partie de ces salles est consacrée aux monuments grecs et une autre aux monuments romains, il nous a paru utile de maintenir cette distinction, qui demande d'ailleurs à être expliquée. Presque tous les monuments contenus dans les salles romaines sont dus à des artistes grecs, et une grande partie des monuments contenus dans les salles grecques ont été exécutés sous la domination romaine. La classification établie au Louvre n'est donc pas fondée sur l'exécution des statues, mais sur le sujet qu'elles représentent; ainsi les salles grecques sont consacrées aux monuments relatifs à la mythologie et à l'histoire de la Grèce, tandis que les salles romaines sont consacrées aux monuments relatifs à l'histoire et aux usages des Romains. L'entrée du Musée des Antiques est sous le pavillon de l'Horloge, à main gauche en venant de la cour du Louvre : ce musée est compris tout entier dans les salles du rez-dechaussée.
Salle des Cariatides
Le nom de cette magnifique salle, construite sur les plans de Pierre Lescot, vient des cariatides de Jean Goujon, qui la décorent. Ces cariatides supportent un balcon derrière lequel était autrefois la nymphe de Benvenuto Cellini. Le prix que la sculpteur a reçu pour ce travail nous a été conservé par Sauvai : les cariatides ont coûté 737 livres tournois, qui feraient aujourd'hui 2653 francs. Malgré la valeur très-différente de l'argent au seizième siècle et au dix-neuvième siècle, il faut avouer que le talent était alors bien peu rétribué.
Jean Goujon qui était architecte en même temps que sculpteur, passe pour avoir le premier dans les temps modernes, employé les cariatides comme support en remplacement des colonnes. C'est probablement dans la lecture de Vitruve qu'il aura puisé cette idée, car il ne pouvait connaître aucune cariatide antique. On n'avait alors aucune représentation des fameuses cariatides du Paudrosion d'Athènes, qu'on regarde aujourd'hui comme le type le plus parfait que l'antiquité nous ait laissé dans ce genre. Ce fut donc une véritable création ; Jean Goujon pensa qu'une figure employée comme colonne devait garder son caractère de support sans prêter à toute l'illusion que la sculpture peut donner à ses ouvrages. Il les dépouilla d'une partie de leurs bras, comme si ces statues mutilées avaient été des ruines d'un autre àge et utilisées dans le monument. Les cariatides ont été comprises tout autrement dans le siècle suivant, et Puget, par exemple, en a fait des véritables personnages, affaissés sous le poids qu'ils supportent péniblement avec leurs bras.
A partir de la tribune des cariatides la salle s'étend tout d'une venue jusqu'aux colonnes qui forment comme une arrière salle au fond de laquelle est la cheminée qui est superbe et que nous examinerons tout à l'heure. Il nous faut voir maintenant les statues placées au milieu de la salle et tout autour. L'importance de ces statues, leur nombre et l'étendue de la salle, nous imposent la nécessité d'en parler dans l'ordre où elles sont placées.
Au centre même de la salle est un vase extrêmement célèbre qu'on désigne sous le nom de Vase Borghèse (+). Il a été trouvé dans le jardin de Salluste à côté d'un groupe également très-célèbre, le Faune à l'enfant. Ce beau vase, qu'on voit si souvent reproduit dans nos parcs, est décoré d'une scène et d'at- tributs bachiques. Le dieu des vendanges s'appuie sur une bacchante qui joue de la lyre pendant que de jeunes satyres exécutent des danses et jouent de la flûte; le vieux Silène chancelant est retenu par un satyre qui le prend au milieu du corps, tandis qu'une ménade joue du tambourin : le bord du vase est garni d'un cep de vigne et des masques sont sculptés à la place des anses. La vigne est le lierre sont les deux plantes consacrées
à Bacchus, l'une parce qu'elle produit le vin, l'autre parce qu'elle préserve de l'ivresse, dans l'opinion des anciens.
Bacchus (Dionysos) associait dans un même symbole la boisson ardente d'où naît l'ivresse et l'idée mystique de la mort et de la résurrection. Dans l'origine, les artistes le représentaient avec une grande barbe, une coiffure de femme et une longue robe orientale. Plus tard, on y substitua le type d'un adolescent aux formes féminines, dont l'expression nonchalante indique un demisommeil, une rêverie langoureuse. La chevelure est ornée de pampres et il tient à sa main un thyrse, une coupe ou une grappe de raisin. C'est ainsi qu'il est représenté dans les deux jolies statues qui sont à droite et à gauche du vase Borghèse et qui sont connues sous le nom l'une de Bacchus Richelieu, l'autre de Bacchus de Versailles. En se rapprochant ensuite de la tribune des cariatides, on trouve d'abord un hermès à deux têtes offrant les portraits des philosophes Epicure et Métrodore de Lampsaque. La grave figure d'Epicure contraste singulièrement avec l'idée qu'on pourrait s'en faire d'après des doctrines qui ne furent jamais les siennes, mais qui en furent logiquement déduites par les sectateurs de son école, surtout vers la décadence.
Il faut encore remarquer sur la même rangée, deux statues d'athlètes : l'une d'elle est particulièrement célèbre, c'est celle qu'on désignait autrefois sous le nom de Jason ou Cincinnatus (+), La tête antique a été rapportée et elle est un peu petite pour le corps auquel on l'a adaptée; en revanche le bras qui est une restauration moderne, paraît un peu gros pour la jambe. Malgré ces défauts de proportions, cette statue dont les parties prises isolément sont admirables, restera toujours comme un des modèles classiques de nos écoles. La rangée se termine des deux côtés par une statue mutilée et une coupe décorative d'une grande dimension.
Le long des fenêtres qui donnent sur la cour du Louvre, nous trouvons deux Vénus accroupies, la jolie figure connue sous le nom de Nymphe à la coquille, dont on a fait pour l'industrie de si nombreuses réductions, et la fameuse statue de l'Enfant à l'oie qui était autrefois une fontaine, dont l'eau s'échappait par le bec de l'oie. Ce motif plaisait beaucoup aux anciens qui l'on
répété nombre de fois : aussi on trouve des répétitions de l'Enfant à l'oie dans plusieurs musées, mais celui du Louvre est le plus beau. Malheureusement la tête est moderne.
Si nous passons aux fenêtres du côté opposé, nous serons tout d'abord attirés par un magnifique candélabre en marbre qui serait assurément le plus précieux monument de ce genre, s'il avait été dans l'antiquité tel qu'il est aujourd'hui. Mais il a été composé avec des fragments antiques de divers provenances, par le célèbre architecte et graveur Piranesi, qui le destinait à la décoration de son tombeau. La plupart des emblèmes ont rapport à Bacchus, et les quatre masques sont des silènes et des faunes.
Trois têtes de harpies, monstres ailés à tête de femme, ornent les coins du pied triangulaire.
Le sanglier qu'on voit derrière ce superbe candélabre est une imitation du fameux sanglier de Florence. Au reste, les embrasures des fenêtres de ce côté renferment plusieurs statues d'animaux, entre le lion de Platée, la louve allaitant Romulus et Rémus, la chienne, etc. On remarquera aussi les deux têtes de Sérapis, dont l'une est noire, par allusion au ténébreux séjour des morts où règne cette divinité, une statue d'Hercule enfant et une statuette représentant un pêcheur qui tient en main le petit vase destiné à contenir les poissons.
Quand nous arrivons au fond de la salle des cariatides, du côté opposé à la tribune, nous trouvons devant les colonnes deux statues assises d'un caractère austère et grandioses : elle représentaient l'une l'orateur Démosthènes, l'autre le philosophe Posidonius. Entre les deux statues on voit le fameux Jupiter de Versailles.
« Les proportions colossales de cette belle sculpture, dit M. Froh- ner, la pose majestueuse, la physionomie à la fois sévère et calme, la chevelure rejetée en arrière, comme si elle était fouettée par le vent : tout cela convient à Jupiter gigantomachos. Nous devons nous le figurer debout sur son quadrige, le bras droit levé, foudroyant les titans insurgés. Il n'existe pas d'image ancienne du maître de l'Olympe qui produise un effet plus grandiose que celle-ci. »
En passant derrière les colonnes on trouve la victoire de Samothrace, belle statue, dont a malheureusement que des fragments, et qui a été trouvée en 1863 dans l'île de Samothrace :
Magnifique statue colossale d'une Victoire ailée et drapée, qui probablement porte un trophée. Le sculpteur l'a représentée au moment où, venant du haut du ciel, elle touche la terre. La partie supérieure de son corps était donc penchée en avant, et les ailes en formaient le contre-poids.La draperie de la déesse est presque transparente.
Bien qu'elle date de l'époque des successeurs d'Alexandre, cette admirable sculpture se rapproche tout à fait du grand style de l'école de Phidias. Rien de plus hardi que le mouvement du chiton, fouetté par le vent, et dont la disposition n'a presque pas d'analogue dans l'art ancien. CAT. FROHNER.
Le beau lit en marbre rapporté de Macédoine par M. Heuzey est placé devant la cheminée. Bien que ce soit un lit funèbre, il nous donne bien l'idée de la forme qu'avaient les lits en Grèce.
La cheminée mérite aussi notre attention, car elle est fort belle. L'ancienne cheminée de la salle des gardes n'avait d'autre ornement que les armes de France placées à la partie supérieure.
La cheminée actuelle a été formée avec des fragments de sculpture de la Renaissance ajoutés avec un goût exquis par Percier et Fontaine. Elle est surmontée de deux belles figures de Cérès et de Bacchus, qu'on attribue à Jean Goujon, ou tout au moins à son école. On ignore l'emplacement qu'elles occupaient autrefois, car elles ont été trouvées dans nn assez mauvais état et accompagnées d'autres débris sur le sol de cette salle, qui depuis longtemps etait comme une sorte de magasin.
Avant de quitter la salle des cariatides, il faut nous approcher de la dernière fenêtre à droite, qui précède immédiatement la sortie. On y a placé l'Hermaphrodite Borghèse, statue fameuse dont il existe plusieurs répétions. Hermaphrodite était fils de Mercure et de Vénus, comme son nom l'indique (Hermès-Aphrodite); il avait quinze ans et était d'une beauté ravissante. La nymphe Salmacis l'ayant aperçu au moment où il se baignait, voulut s'approcher de lui, mais le jeune garçon rougit et tenta de s'enfuir. La nymphe le poursuivit dans l'eau, suppliant les dieux de permettre qu'elle fut unie à lui pour toujours. Les dieux l'exaucèrent, et à partir de ce moment ils ne firent plus qu'un. L'art a profité de cette légende pour créer un type mixte qui joint la beauté d'un jeune garçon à celle d'une jeune fille : la forme féminine est plus prononcée dans l'Hermaphrodite du
Louvre, et la forme masculine dans la belle statue du musée de Berlin.
Une charmante fontaine, connue sous le nom de fontaine des trois nymphes, et deux grands rhytons seront les dernières choses que nous aurons à signaler.
Le rhyton était à l'origine une simple corne de bœuf percée à son extrémitée et dont les campagnards se servaient pour boire. Plus tard on en a fait en terre, en verre et même en métaux précieux; puis on en a imité en marbre la forme qui est aussi celle des cornes d'abondance. Ceux-ci étaient destinés à servir de fontaines et l'eau s'échappait par le tête du taureau qui les termine en bas; le haut est au contraire évasé et le corps du rhyton est décoré de branches de lierre et de feuillage.
Salle du Tibre
Quand on quitte la salle des cariatides, on traverse le corridor de Pan, et en allant droit devant soi, on arrive à la salle du Tibre. Au fond de cette salle, un superbe groupe d'Atlantes adossés à la muraille, nous offre un spécimen de la sculpture décorative des anciens.
Les quatre satyres, de taille colossale, qui, à la villa Albani, supportaient une vasque de fontaine en granit, et qui soutiennent aujourd'hui une longue frise dans la salle du Tibre, sont plutôt des membres d'architecture que des statues proprement dites. Les figures de ce genre remplaçaient les pilastres, et nous savons, par un passage de Vitruve, qu'on les désignait sous le nom d'Atlantes ou de Télamons.
Tous les quatre ont la tête penchée sur la poitrine, les bras appuyés sur les hanches, comme s'ils avaient la plus grande peine à se maintenir sous le poids qu'on leur a imposé. Leurs corps robustes témoignent de la force surhumaine dont ils sont doués. De longues barbes arrondies, avec lesquelles se confondent les moustaches, encadrent leurs visages et leur donnent ce caractère étrange de figures immobilisées, ressemblant à des masques, caractère qui convient éminemment à la sculpture architecturale. Autour de la taille ils portent une ceinture de poils de bouc, dont la coupe imite le tablier égyptien (la schenti).
Une cinquième figure de cette série se voit au Musée de Stockholm ; la sixième vient d'être trouvée au milieu des ruines du théâtre de Dionysos, à Athènes. Il résulte de cette curieuse découverte que nos
satyres ont supporté l'architrave de la scène de ce théâtre, achevé par l'orateur Lycurgues, vers 338-340 avant notre ère.
Ils ne diffèrent entre eux que par la pose des jambes.
CAT. FROHNER.
C'est devant ce groupe qu'est la fameuse statue du Tibre, qui a donné son nom à la salle dont nous nous occupons. Elle décorait autrefois l'entrée du champ de Mars, dans l'ancienne Rome en même temps que le Nil dont l'original est de Rome : on peut voir dans le jardin des Tuileries les copies de ces deux statues disposées près du graud bassin, de manière à se faire pendants. Le Tibre, (+) sous la forme d'un vieillard à longue barbe et a demi couché a la tête couronné de lauriers; il tient d'une main un aviron, symbole des fleuves navigables, de l'autre une corne d'abondance remplie de fruits avec un soc de charrue au milieu, pour rappeler la fertilité que l'agriculture a donnée à ses bords. Près de lui repose la louve de mars avec ses nourrisson, Romulus et Rémus. Les bas-reliefs de la plinthe sont trèsendommagés et représentent Enée assis sur les bords du fleuve; derrière lui se trouve la laie, dont la fécondité désigne les descendant du héros. Sur les autres faces du socle, on voit le fleuve couvert de bateaux et des troupeaux paissant sur ses bords.
De chaque côté du Tibre, on voit une statue d'adolescent hanché gracieusement en jouant de la flûte : ces deux statues sont connues sous le uom de faunes fluteurs. Elles sont presque analogues et le catalogue du musée nous fournit sur elle le renseignement suivant : « Ces deux charmantes statues représentent des satyres adolescents, jouant de la flûte traversière. Les jambes croisées, ils s'appuient nonchalamment, le premier contre un cippe, le second contre un tronc d'arbre. Leurs pardalides en écharpe, attachées sur l'épaule, recouvrent une partie de ces supports placés sur le côté gauche. Le satyre au repos, peint par Protogène, s'appuyait peut-être aussi sur une colonnette. On admet généralement que le célèbre satyre de Praxitèle, connu sous le nom de Periboëlos (le Fameux) a été l'original de nos statues, hypothèse d'autant plus vraisemblable, que presque tous les musées possèdent ce motif souvent répété. Le style et l'idée rappellent, en effet, les tendances de l'école de Praxitèle et la floraison de la poésie bucolique; mais le Periboëlos portait une coupe. Quant au travail, le jeune satyre au cippe est bien supérieure à l'autre. »
La belle statue connue sous le nom de Diane à la biche (+) ou Diane de Versailles, occupe le milieu de la salle. La déesse est représentée au moment d'une course rapide ; elle est vêtue d'un chiton court finement plissé qui laisse à nu les bras et les les jambes. Son manteau placé en écharpe sur l'épaule, vient se nouer en manière de ceinture autour de sa taille. Sa main droite tire une flèche de son carquois, tandis que la main gauche tenait probablement ue arc. La biche Cérinée, dont les cornes étaient d'or, accompagne la déesse, dont elle était l'animal favori. Il existe plusieurs répétition de ce type, mais la statue du Louvre est de beaucoup la plus belle.
De jolis bas-reliefs sont encastrés dans le piédestal de cette statue. Celui qui regarde la fenêtre représente trois villes personnifiées, portant sur leurs têtes des couronnes crénelées. Les vases de sacrifices et les branches d'arbre qu'elles tiennent dans leurs mains font croire qu'elles vont à la rencontre d'u triomphateur. Du côté qui est vis-à-vis le Tibre, un fragment de basrelief montre deux jeunes femmes ; l'une d'elles a dans les mains un instrument à corde dont la forme rappelle notre guitare.
Le centaure Borghèse (+) est une des plus belles représentations de ces personnages mythologiques. Le catalogue du Louvre en donne la notice suivante :
« Une centaure, les mains liées derrière le dos, porte sur sa croupe un petit amour bachique vers lequel il tourne la tête et le torse, et qu'il cherche à fouetter de sa queue de cheval sans pouvoir l'atteindre. L'expression douloureuse de sa figure offre quelque ressemblance avec celle, de Laocoon. L'une de ses oreilles est abaissée et l'autre se relève en pointe. L'extrémité de son nez, couverte de rides, rappelle les naseaux d'un cheval hennissant. Dans son impuissance, le monstre implore la grâce du jeune vainqueur. L'amour a les bras étendus, comme s'il maniait un fléau. Il se penche du côté droit, de sorte que son regard triomphant rencontre celui du centaure martyrisé. Les tempes sont couronnées de lierre, et sur ses joues on remarque cette petite mèche qui caractérise les suivants de Bacchus. »
Le musée du Capitole à Rome possède une statue de centaure analogue à la nôtre, mais où il n'y a pas l'enfant.
La fameuse statue connue sous le nom de faune à l'enfant (+), est une image de Silène, le père nourricier de Bacchus. Il nous
apparaît ici, sous la forme d'un vieux satyre aux membres sveltes et nerveux; c'est une des rares statues où l'art grec ait idéalisé les formes de la vieillesse.
Il nous faut encore signaler dans cette salle un monument fort curieux : l'autel astrologique de Gabies, connu sous le nom de Table des douze dieux, appartient à l'époque romaine. Ce monument est une sorte de table circulaire, au milieu de laquelle a du être un cadran solaire. Autour de la table, les têtes des douze divinités de l'Olympe sont sculptées avec un relief très-prononcé et se présentant toute de face dans l'ordre suivant : Jupiter caractérisé par la foudre, est placé entre Minerve et Vénus. Celle-ci, qui est diadémée, est reliée à Mars, son époux, par l'Amour qui les enlace tous deux dans ses petits bras; mais l'Amour n'apparaît ici que comme emblème pour qualifier l'union de Mars et de Vénus, car il n'a jamais compté parmi les douze grands dieux. Après Mars, vient Diane, dont on entrevoit le carquois, et ensuite Cérès et Vesta, qui se retrouve à côté de Mercure, caractérisé par le caducée. La figure suivante est Vulcain reconnaissable à son bonnet rond; il est suivi de Neptune, dont le trident est placé à gauche, puis de Junon et Apollon, qui se trouve à la gauche de Minerve, ce qui termine la série des douze grands dieux. Comme les douze signes de Zodiaque forment le contour de la table qui contenait un cadran solaire, on a pensé que chacun des dieux est ici pour présider à une des douze heures du jour, on à un des douze mois qui constituent la révolution de l'année.
« 1° La colombe de Vénus répond au Bélier pour le mois d'avril ; 2° le trépied d'Apollon est près du Taureau pour le mois de mai; 3° la tortue de Mercure suit les Gémeaux pour le mois de juin; 4° l'aigle de Jupiter répond au Cancer pour le mois de juillet ; 5° le panier (calathus) de Cérès répond au Lion (août) ; 6° le bonnet de Vulcain entouré d'un serpent, à la Vierge (septembre); 7° la louve de Mars à la Balance (octobre) ; 8° le chien de Diane au Scorpion (novembre), 9° la lampe de Vesta au Sagittaire (décembre); 10° le paon de Junon au Capricorne (janvier); 11° les dauphins de Neptune au Verseau (février) ; 12° la chouette de Minerve aux Poissons (mars). »
Il nous faut encore citer dans cette salle, un torse de satyre découvert au Palatin dans les fouilles entreprises aux frais du
gouvernement français, une charmante statue de jeune fille romaine, placée dans une niche à côté des faunes atlantes, et de l'autre côté deux grandes statues de Bacchus et d'Esculape, et la jolie figure de Zingarilla, placée près de la fenêtre. Parmi les bas-reliefs encastrés dans la muraille nous appellerons plus particulièrement l'attention sur celui qui représente Apollon, Diane et Latone jouant de la lyre en face d'une Victoire qui verse la libation sacrée sur l'autel du dieu.
Enfin continuant notre course, nous entrons dans un passage où on a placé la jolie statue d'Antinous Aristée. Au-dessus de cette statue est un bas-relief qui représente la Naissance de Bacchus. La Terre, couronnée de tons, prend dans ses bras le jeune dieu qui vient de naître en sortant de la cuisse de Jupiter.
Sur un autre bas-relief, ou voit une procession de suppliants, précédée de magistrats. Ils sont tous vètus du pallium et s'acheminent vers une divinité qui est probablement Junon. La déesse, les magistrats et le peuple, sont représentés dans des dimensions différentes, suivant la dignité de leur nature et celle de leurs fonctions.
Salle du Gladiateur
La première statue qu'on rencontre en venant de la salle du Tibre, est la Dianede Gabies. (+) Cette belle figure, une des perles du Musée des Antiques, montre la déesse occupée à sa toilette, sans doute après le bain. Elle attache les deux bouts de son manteau avec une fibule sur l'épaule droite; sa chevelure est frisée et entourée d'une bandelette. Quelques archéologues ont vu, dans cette belle statue, non pas la déesse elle-même, mais seulement une des nymphes de sa suite, et en effet, elle né porte pas les attributs ordinaires de Diane, mais elle se rattache évidemment à sa suite par son costume et sa tournure.
Vient ensuite, toujours en suivant le milieu de la salle, une charmante tète de satyre, bien connue sous le nom de Faune à la tâche. Puis on trouve une statue qui déploie ses formes avec un mouvement musculaire très-accentué, et qui a reçu à tort la dénomination de Gladiateur (+).
« Le héros, dit Clarac, est nu et dans l'action de combattre contre un ennemi qui serait à cheval. De son bras gauche il lève le bou-
clier pour parer le coup qui le menace, tandis que de sa main droite armée, et étendue en arrière, il va blesser son adversaire de toute sa force. La pose de cette statue est admirablement calculée pour cette double action; et chaque partie des membres, chaque articulation, chaque muscle porte l'empreinte du mouvement et de la vie plus peut-être que dans aucune statue qui soit sortie de la main d'un artiste grec. L'auteur de ce chef-d'œuvre est Agasias d'Ephèse, fils de Dosithéus. Il a gravé son nom sur le tronc qui sert de support à la figure. » De petits bas-reliefs par le Bernin, représentant des lutteurs sont encastrés dans le piédestal de la statue.
Une tète d'Hercule jeune nous sépare d'une statue également très-célèbre de Vénus genitrix. La déesse adorée sous ce nom était regardée par les Romains comme la mère de leurs ancêtres : plusieurs médailles impériales représentent cette divinité dans un costume et une attitude semblables à ceux de notre statue. Elle est vêtue d'une tunique transparente qui paraît en quelque sorte collée sur ses membres : elle a un sein découvert pour indiquer la nourrice du genre humain, et relève son manteau. Les oreilles sont percées et devaient porter des boucles précieuses, selon un usage assez commun dans l'antiquité.
Si nous voulons maintenant faire le tour de la salle, nous trouverons près de la fenêtre la plus rapprochée de la Salle du Tibre, une belle statue de Mercure. Un petit bas-relief représentant Ulysse qui consulte le devin Tirésias est encastré dans le piédestal. On voit encore près des fenêtres, deux jolies statues d'enfants, dont l'exquise naïveté montre combien les anciens s'entendaient à ce que nous nommerions aujourd'hui la sculpture intime. Enfin une belle statue d'Amazone blessée et un autel rond, en marbre de Paros, consacré à Diane Lucifer ou à la Lune, complètent ce que nous avons à voir du côté des fenètres.
Du côté opposé nous trouvons un joli Cupidon avec les attributs d'Hercule. Mais la superbe statue de Marsyas et le sarcophage de Meléagre, méritent de nous arrêter un moment. Le silène Marsyas est une personnification de la musique phrygienne el surtout de la flûte, par opposition à la lyre qui est un instrument purement grec. Fier de son talent de flûte, Marsyas osa défier Apollon et il fut convenu que le vaincu serait à la merci
du vainqueur. Apollon chanta en même temps qu'il jouait de la lyre, et les Muses, choisies pour arbitres du différend, lui décernèrent la victoire. Le pauvre Marsyas fut suspendu à un pin et impitoyablement écorché. Sa peau suspendue à une colonne dans sa ville natale s'agitait en signe de satisfaction, quand on jouait de la flûte sur le mode phrygien, tandis qu'elle demeurait immobile lorsqu'on jouait de la lyre. Cette fable n'est qu'un des mille aspects sous lesquels la mythologie nous retrace l'antagonisme de l'Orient et de l'Occident. Elle était extrêmement populaire et a été reproduite sur une foule de monuments : mais celui du Louvre est assurément le plus beau.
Aux pieds du Marsyas est un sarcophage célèbre, le sarcophage de Méléagre.
Les bas-reliefs qui ornent la façade de ce sarcophage ont pour sujet la mort de Méléagre. A la droite du spectateur on voit le combat de ce chasseur contre ses oncles, les fils de Thestius, pour recouvrer la dépouille du sanglier de Calydon qu'ils lui avaient enlevée : un des Thestiades est déjà blessé à mort; la scène se passe à la campagne indiquée par un arbre ; les deux autres scènes ont lieu dans l'intérieur d'un palais. A la gauche, Althée, mère de Méléagre, pour venger ses frères, fait brûler le tison auquel les Parques avaient attaché la durée de la vie de son tils. Une d'elles, le pied appuyé sur une roue comme Némésis et la Fortune, écrit sur un rouleau l'heure fatale de Méléagre; une furie, les cheveux épars, une torche à la main, excite Althée à la vengeance; cette divinité infernale a des ailes sur la tête comme Méduse. Au milieu le héros, près d'expirer, est couché sur un lit; ses sœurs, les cheveux dénoués et les vêtements en désordre, Œnée son père, sa maîtresse Atalante pleurent la perte prématurée du héros; cette héroïne est chaussée de cothurnes de chasse, et sa coiffure est du genre du crobylus. Une des sœurs veut placer dans la bouche du mourant la pièce de monnaie qu'il doit payer à Caron pour son passage, à moins que ce ne soit une tête de pavot pour assoupir ses douleurs et lui procurer une mort plus douce. Des sphinx, gardiens du tombeau, sont sculptés sur les côtés.
CAT. CLARAC.
Au-dessous de ce sarcophage on a placé un planisphère égypto-grec, connu sous le nom de planisphère de Bianchini, à cause de l'astronome italien qui l'a publié le premier. On y voit des Zodiaques, tracés sur des cercles concentriques, avec des Décans, divinités subalternes des Egyptiens, qui présidaient
chacune à dix jours de chaque mois; — en sorte que chaque signe du Zodiaque avait trois Décans sous son influence.
Salle de la Pallas
Un superbe vase en marbre, le Vase de Sosibius, bien connu de tous ceux qui s'intéressent aux arts décoratifs, ouvre la série des antiques placés au milieu de cette salle.
Le vase de Sosibius a les anses décorées de calices de fleurs et soutenus par quatre cols de cygne. Une branche de lierre, symbole du culte de Bacchus, entoure la gorge du vase : le bas de la panse est gaudronnée.
Le gracieux bas-relief sculpté sur la panse de cette amphore à vin représente un sacrifice bachique. Le feu est allumé sur un autel dont la base porte le nom de l'artiste, Sosibios d'Athènes.
Trois personnages viennent du côté gauche : Artémis, en tunique talaire à manches courtes, un carquois sur l'épaule, traîne de la main droite un daim, victime de la cérémonie qu'elle va célébrer, de la main gauche elle tient son arc. Derrière elle, une Bacchante ; drapée joue de la lyre; enfin, un Satyre nu, dont la pardalide flotte au vent, exécute un hymne sur la double flûte. Il est couronné d'une bandelette.
De l'autre côté, Hermès accourt à grands pas. Le dieu a la barbe pointue, les cheveux disposés en longues nattes; il porte un vêtement, ouvert sur le côté, que l'on pourrait comparer à la dalmatique de nos prêtres. De la main droite il lève son caducée, car il conduit le cortège bachique au sacrifice. Cet attribut, très-court, dépasse un peu la hauteur du bas-relief.
Une Bacchante en extase, le sein et les bras nus, le suit en dansant; de la main droite elle brandit un couteau; un quartier de chevreuil se voit dans sa main gauche abaissée. Elle est accompagnée d'un pyrrichiste, guerrier nu et casqué, qui, armé d'une épée et d'un bouclier rond, exécute la pyrrique ou danse à l'épée Enfin, un groupe de deux autres Bacchantes, l'une avec le thyrse, sa compagne avec le tambourin, ferment la procession.
CAT. FROHNER.
La statue qui vient ensuite est l'Apollon Sauroctone; le jeune dieu regarde un lézard qu'il vient sans doute d'agacer avec sa flèche. Apollon, dans ce caractère, est considéré comme le soleil levant, ou le soleil de printemps, parce que la présence du lézard coïcinde avec ses premiers rayons.
Après l'Apollon Sauroctone, c'est le buste d'Homère qui va nous
arrêter : c'est un superbe buste, mais dans laquelle il ne faut aucunement songer à voir un portrait, car au temps présumé d'Homère, la statuaire était encore dans un état assez barbare.
Il ne faut donc voir ici qu'une tête de fantaisie, mais elle répond si bien à l'idée que nous nous faisons du vieux poëte aveugle, qu'elle est devenue en quelque sorte typique, et que nous ne saurions nous figurer Homère autrement.
Deux statues de Vénus, séparées par une grande cuve en porphyre, viennent après le buste d'Homère. La première est la plus célèbre : son nom de Vénus d'Arles, vient de la ville où elle a été découverte. Elle se rattache, comme la Vénus de Milo à la classe des déesses à demi vêtues, qu'on désigne habituellement sous le nom de Vénus victorieuses.
Le buste qui vient ensuite est d'un grand intérêt pour l'histoire.
« L'inscription grecque gravée au haut de la gaîne, présente le nom d'Alexandre le Macédonien, fils de Philippe. Cet Hermès, dont le temps a corrodé la superficie, est le seul portrait authentique d'Alexandre le Grand qui nous soit parvenu. Le cou est tant soit peu penché vers l'épaule gauche : cette attitude était familière à ce héros ; ses biographes l'ont remarqué. On doit aussi faire observer que la disposition des cheveux d'Alexandre, ressemble à celle des tètes de Jupiter dont il se disait fils. »
La charmante statue qui vient après Alexandre a soulevé bien des dissertations dans le monde des archéologues.
Son attitude indique une vague et tranquille rêverie. La mort, en Grèce était du masculin, et sur les monuments de l'art, il est souvent fort difficile de la séparer du sommeil. Les deux frères étaient jumeaux et fréquemment représentés ensemble : à Sparte on leur rendait le même culte. La belle statue que nous voyons ici peut s'appliquer à l'un ou à l'autre : elle était autrefois connue sous le nom de Génie funèbre ou Génie du repos éternel. Des raisons qui seront sans doute expliquées dans le nouveau catalogue ont fait changer cette dénomination et la statue est maintenant intitulée l'Amour. Voici la description qu'en donne l'ancien catalogue : Un adolescent nu, couronné de fleurs de pavot, est adossé contre nu tronc de pin, les jambes croisées, les bras élevés et posés sur la tête qu'il penche légèrement vers l'épaule gauche. De longs cheveux
bouclés descendent sur sa poitrine; ses paupières à demi closes font présumer qu'il est sur le point de s'endormir. Cette figure, dont la pose gracieuse, l'abandon charmant, l'expression douce et mélancolique méritent tous les éloges, représente le génie de la mort, car la mort n'est qu'un beau sommeil. Le même motif se retrouve sur un sarcophage du Vatican, avec cette différence que le manteau du jeune homme y est suspendu à l'arbre, et qu'un Amour, armé d'une torche allumée, montre un masque gisant aux pieds du génie.
CAT. FRÔHNER.
Un admirable vase bachique, connu sous le nom de Vase aux masques, termine du côté de la salle Melpomène la série des statues placées au milieu de celle où nous sommes; et dont il nous faut maintenant faire le tour.
En prenant le côté de la muraille, la statue la plus rapprochée du Vase aux masques, que nous venons de quitter représente la muse Uranie. Un bien curieux bas-relief est encastré dans le piédestal. On sait que pour les païens, les hommes avaient été fabriqués par Prométhée : nous voyons ici le divin sculpteur en train de pétrir des petites figures, auxquelles Minerve, la sagesse éternelle, donne la vie et l'âme en leur posant un papillon sur la tête. Le papillon, ou Psyché, était en effet le symbole de l'âme dans l'antiquité, et c'est de Minerve que le genre humain tient ce bienfait, car l'habileté de Prométhée lui a donné sa furme, mais rien de plus.
La statue de Némésis vient après Uranie; devant elle on voit une jolie petite figure d'Hercule enfant qui étouffe les deux serpeuts envoyés par Junon. Elle n'est pas aussi célèbre que le bronze du Musée de Naples qui représente le même sujet, mais elle en approche beaucoup pour la grâce, bien que le mouvement soit différent.
Une Joueuse de lyre qui n'est pas très-belle, mais que les détails de son costume et surtout de sa coiffure rendent intéressant, est placée derrière le fameux sarcophage d'Actéon, sur lequel on voit se dérouler les infortunes du jeune chasseur qui avait eu l'imprudence de regarder Diane au bain, et fut pour ce crime métamorphosé en cerf et mangé par ses propres chiens.
La Pallas de Velletri (+), qui occupe le centre de la muraille a donné son nom à la salle où nous sommes. C'est une admirable statue de grandeur colossale. Il est probable qu'elle tenait une
Victoire dans la main gauche, tandis que la droite s'appuyait sur une lance. Elle porte le casque corinthien et son égide formée d'écaillés et de petits serpents est agrafée par une tête de Méduse qui a la bouche entr'ouverte et laisse voir toutes ses dents. Elle a été trouvée en 1797 dans une villa romaine aux environs de Velletri. C'est la plus belle statue de Minerve qui nous soit restée de l'antiquité.
Après cette austère figure, nous pouvons nous arrêter devant la gracieuse image de Polymnie, qui, la tête couronnée de roses et mollement accoudée, poursuit en souriant son rêve intérieur.
Le bas de cette statue appartient seul à l'antiquité, car la partie supérieure a été rétablie d'après d'autres figures de la même muse qui présentaient un mouvement analogue.
Un sarcophage très-célèbre, le sarcophage des Muses, est placé devant la statue de Polymnie.
« Ce sarcophage d'une parfaite conservation, dit Clarac, est décoré de bas-reliefs sur les trois faces et sur les bords du couvercle.
Le principal de ces bas-reliefs représente les neuf Muses, et chacune d'elle y paraît caractérisée par ses attributs distinctifs.
En partant de la gauche, Clio, muse de l'histoire, tient un rouleau. Thalie, muse de la comédie, un masque comique et le pédum pastoral; sa tunique, plus courte que celle des autres muses, découvre les jambes, ce qui ne se voit pas ordinairement, et pourrait indiquer la liberté des compositions comiques. On peut aussi remarquer que cette muse, et celle qui vient ensuite, ont des manches courtes par-dessus les manches longues; ce qui n'est pas dans le costume grec, ou n'appartient qu'aux acteurs comiques. Erato présidait aux chants amoureux, aux plaisirs de l'esprit et de la philosophie ; ici elle n'a pas d'attributs ; on lui donne ordinairement une lyre. Ses cheveux sont enveloppés d'une espèce de filets, qu'on nommait cécryphale. Euterpe, qui présidait à la musique, tient les deux flûtes (tibiæ) qu'elle avait inventées; elle est couronnée du laurier d'Apollon, et vêtue de l'orthostade, robe des chanteurs, retenue par une large ceinture. Polymnie, muse de la pantomime, est toujours représentée ainsi enveloppée d'un grand manteau, et méditant; sa coiffure est du genre du crobylus. Calliope, muse des chants héroïques, est prête à écrire ses vers sur des tablettes, qui, comme le remarque M. Visconti, sont plus propres que les rouleaux à des compositions qui doivent être soignées et souvent retouchées. Terpsichore, muse de la poésie lyrique, de la danse et des chœurs, couronnée de laurier et vêtue comme Euterpe, joue de la lyre, dont les accords animaient la danse. Uranie, muse de l'astronomie, trace avec un radius sur un globe les mouvements des astres ; et Melpo-
mène, muse de la tragédie, ayant son masque tragique relevé sur la tête, médite ses grandes conceptions; sa tunique royale est contenue par une ceinture d'une largeur extraordinaire, et ses cothurnes sont très-élevés. »
On pourrait se demander quel rapport il peut y avoir entre ces figures et l'idée de la mort.
La place des Muses était naturellement marquée sur les sarcophages, de même que les masques de théâtre qu'on y voit fréquemment sculptés. La vie était considérée comme un rôle qu'on jouait en passant sur la terre, et s'il avait été bien joué, on passait dans l'île des heureux. Tous ces antiques usages ont disparu vers la fin de l'empire et le rôle civilisateur qu'on avait attribué aux Muses a été oublié.
Au fond de la salle nous trouvons une Adorante, avec les bras tendus vers le ciel, suivant le geste traditionnel des anciens lorsqu'ils invoquaient la divinité, car l'usage de prier à genoux et les mains jointes nous est venu d'Asie, et n'est pas d'origine grecque.
Nous rapprochant ensuite de la fenètre, nous voyons une Euterpe, et dans l'embrasure même, une petite statuette fort curieuse qui représente un écorcheur rustique, ou si vous aimez mieux un boucher de campagne. Le brave homme est là tout entier à sa besogne, et ne songe nullement, je vous jure, aux théories sur le beau idéal dans la statuaire antique. Mais de tels monuments ont cela de bon qu'ils nous montrent que les Hollandais n'ont pas eu dans l'art le monopole des vérités grossières, et que les anciens savaient à leurs heures parler le langage du réalisme.
Devant la fenêtre suivante, est une urne en porphyre rouge.
Cette urne funéraire plaisait singulièrement au comte de Caylus, un célèbre antiquaire du dernier siècle. Il voulait en faire son tombeau et avait composé dans ce dessein l'épitaphe suivante :
Ci-gît un antiquaire acariàtre et brusque, Oh! qu'il est bien placé dans cette cruche étrusque.
Nous devons signaler ensuite un très-beau candélabre et un siège exécuté en rouge antique de la plus belle qualité
et décoré de quelques ornements d'un goût charmant. Il était destiné à l'usage des bains, comme on le voit par les cavités pratiquées au milieu de la foulée.
La dernière statue de la salle est une Junon sur le piédestal de laquelle est encastré un petit bas-relief grec de la plus belle époque, représentant Jupiter avec deux déesses. Enfin entre la fenêtre, juste en face du Vase aux masques, il ne faut pas négliger de voir le charmant petit groupe de Bacchus et Silène, où le sculpteur s'est plu à opposer aux formes rubicondes du père nourricier de Bacchus, les formes délicates et fines de son divin nourrisson.
Salle Melpomène
Le nom de cette petite salle vient d'une statue colossale de Melpomène, en marbre pentélique, qui la remplit presque à elle seule.
Statue d'un seul bloc de marbre pentélique, et une des plus grandes qui existent. Elle se trouvait autrefois à Rome, dans la cour du palais, construit, après 1495, par Bramante pour le cardinal Raffaëllo Riario, et devenu ensuite l'hôtel de la Chancellerie apostolique. Cet édifice occupe une partie de l'emplacement de l'ancien portique de Pompée; les quarante-quatre colonnes de granit rose qui en ornent la cour proviennent sans doute de cette fastueuse construction. On a donc supposé, non sans vraisemblance, que la Melpomène pouvait avoir décoré le théâtre de Pompée, élevé en 699 sur les confins du Champ de Mars, d'après le modèle du théâtre de Mitylène. Toutefois elle n'a pu être placée sur la scène (en bois), qui fut détruite par quatre incendies successifs, sous les empereurs Tibère (an 22 de notre ère), Titus (79-81), Philippe (247) et Carin (282-84), et qui s'écroula de nouveau pendant le règne d'Arcadius et Honorius. La salle de spectacle resta debout jusqu'au douzième siècle.
CAT. FRÔHNER.
Un bas-relief intéressant, bien qu'il ne soit à vrai dire qu'un fragment, est encastré dans le piédestal : il représente un romain combattant contre un barbare.
Outre la grande Melpomène, cette salle renferme deux statues de Muses et deux bustes, mais il faut s'arrêter un moment pour voir la mosaïque placée aux pieds de la Melpomène. C'est une mosaïque moderne, exécutée par Belloni, d'après un dessin du baron Gérard. Elle représente Minerve, sur un char attelé de
quatre chevaux; la déesse tient les guides d'une main et porte une victoire dans l'autre; la Paix et l'Abondance la suivent.
Quatre fleuves, le Nil, le Danube, le Pô et le Niémen, couchés et appuyés sur leurs urnes, complètent cette mosaïque, qui est entourée d'une riche bordure. Les figures sont formées de petits cubes de verre colorés, tandis que l'encadrement et une partie des ornements sont formés de petites plaques de marbre.
Salle de la Vénus de Milo
Le chef-d'œuvre de la statuaire antique au Louvre occupe le milieu de cette salle, où on n'a pas voulu placer d'autres statues. La beauté grave et sans afféterie de la Vénus de Milo (+) n'a rien des coquetteries aimables que la plupart des modernes considèrent comme l'apanage essentiel de la femme. C'est au mois de février 1820, qu'un pauvre paysan grec, habitant l'île de Milo, en fit la découverte en fouillant dans son jardin. Cette statue est en marbre de Paros; elle est formée de deux blocs dontla réunion est cachée par les plis de la draperie.
On ferait une bibliothèque avec les volumes, les brochures et les articles de revues publiés sur la Vénus de Milo; les archéologues n'ont pas encore pu se mettre d'accord sur la question de savoir si elle était ou non groupée avec un Mars. Les exemples de figures présentant un mouvement analogue à celui de la - Vénus de Milo ne sont pas rares dans les monuments antiques, mais comme il y en a d'isolées et de groupées, les exemples cités à l'appui d'une des deux théories ne sauraient être bien concluants contre l'autre. A vrai dire, ces discussions n'ont pas au point de vue de l'art un bien grand intérêt.
Près de la fenêtre se trouve une vitrine renfermant les fragments du bras et une main tenant la pomme trouvés en même temps que la statue. Mais est-il démontré que ces fragments y aient réellement adhéré? Les uns disent qu'ils y adhéraient quand la statue a été découverte; suivant eux ils auraient été brisé dans une rixe survenue entre les indigènes et les matelots chargés de transporter la statue. D'un autre côté ces fragments n'ont qu'une valeur assez faible comme art et il serait bien difficile de supposer qu'ils soient de la même main que le reste
de la statue. Aussi les hypothèses les plus diverses n'ont pas manqué de se produire à ce sujet; nous citerons comme exemple l'opinion d'un savant antiquaire, Emeric David; il suppose que la statue, qui appartient incontestablement à la grande époque de l'art grec, aurait été brisée sous Constantin, par un acte de zèle des chrétiens, et restaurée ensuite sous Julien, avec la grossièreté qu'on mettait de son temps, dans tous les ouvrages de sculpture.
Par sa pose, la Vénus de Milo peut être placée parmi les statues auxquelles on donne le nom de Vénus victorieuses. On range dans cette catégorie, une série assez nombreuse de Vénus qui n'ont de vêtements que pour couvrir les membres inférieurs, et ont pour caractère déterminant la pose d'un pied sur une petite élévation. Cette posture implique l'idée de la domination sur Mars, si c'est un casque qui supporte le pied, sur le monde s'il pose sur un rocher. Dans ce caractère, la déesse n'a pas la grâce qu'on lui donne comme Vénus naissante. Les formes du corps sont pleines de vigueur et de puissance, et les traits ont une expression de brutalité dédaigneuse fort éloignée du sourire.
Nous avons dit que cette salle ne renfermait pas d'autres statues que la Vénus de Milo; mais plusieurs bas-reliefs sont encastrés dans les placages de marbre qui recouvrent les murailles. Parmi eux nous citerons surtout celui qui représente Jason domptant les taureaux de Colchos. Le héros dont la tête manque, saisit avec force une des cornes du taureau pour l'aqattre. A ses pieds on voit la charrue au joug de laquelle il doit soumettre les taureaux aux pieds d'airain. Le roi de Colchos, assis sur un rocher, sa main gauche appuyée sur un long sceptre, admire la force prodigieuse du héros et parait anxieux de connaître l'issue du combat. Le jeune homme placé près de lui est probablement son fils Absyrte. La scène qui se passe derrière représente Médée enveloppée d'un long voile et donnant la main à Jason pour s'unir à lui. Junon, protectrice du héros, est placée entre eux, comme pour consacrer leur hymen. Médée est suivie de sa vieille nourrice et l'Amour tient son arc derrière Jason.
Ce bas-relief est incomplet et il y manque, outre la tête de Jason, un des deux taureaux et d'autres personnages qui accompagnaient probablement le héros.
Salle de Psyché
La salle de Psyché fait suite à celle de la Vénus de Milo, mais dans l'espace qui les sépare on a placé deux statues de Vénus entièrement nues et accompagnées de l'Amour. La nudité absolue de Vénus indique toujours le moment de sa naissance et le petit dauphin qu'on voit souvent près d'elle sert à rappeler que la déesse a surgi de l'écume des vagues.
Au milieu de la salle dans laquelle nous entrons est une fontaine qui peut nous donner une idée de celles qu'on voyait habituellement dans les jardins, ou dans ces belles cours environnées de portiques, si communes dans les habitations des anciens. Elle est du plus beau marbre pentelique et d'un seul morceau. Sa forme rappelle celle des trépieds. Les têtes de lions qui la décorent étaient un ornement très-employé pour les fontaines et les conduits d'eau. Le conduit de celle-ci existe encore dans le piédestal orné de cannelure en spirales qui supporte le fond de la coupe.
La statue de Psyché placée contre la muraille a fait donner à la salle le nom sous lequel elle est désignée. Psyché, qui symbolise l'àme humaine, est toujours caractérisée dans l'art par ses ailes de papillon. Deux curieux sarcophages sont placés à côté : l'un, découvert près de Bordeaux représente Bacchus et Ariane, l'autre la Visite de Séléné à Endymion. Dans le premier, le jeune Dieu, suivi de la troupe bondissante des satyres, des faunes et des bacchantes, descend de son char attelé de centaures et s'approche d'Ariane qui, abandonnée par Thésée sur le rivage de Naxos, est plongée dans le sommeil. L'autre nous fait voir la Lune, personnifiée dans Séléné (et plus tard dans Diane) conduite par des amours vers Endymion endormi : plus loin, la déesse de la nuit remonte dans son char conduite par une des Heures.
Au-dessus de ce sarcophage est un petit Esculape ; une jolie statuette d'Euripide attire ensuite l'attention.
« La table de marbre adossée au siége sur lequel le poëte est assis augmente le prix de ce monument. On y a gravé le catalogue de ses pièces. Ce catalogue, quoique mutilé, intéresse l'histoire de
la littérature grecque. Il contient trente-six des soixante et quinze pièces qu'il avait composées. Celle d'Epeus n'est connue que par ce marbre. La plinthe offre le nom d'Euripide, et on a pu heureuse ment rétablir, d'après d'autres monuments, la tête et les symboles de la figure qui étaient perndus. D'après une indication de la plinthe et un reste de tenon dans le montant de gauche du siège, il parait que le poëte tenait à la main une haste pure ou sans fer, ou un sceptre, ainsi qu'on en donnait à quelques divinités; le masque traque tragique et le thyrse, attributs de Bacchus, inventeur de la tragédie, conviendraient aussi à Euripide. La manière dont il est vêtu rappelle les statues de Jupiter. » CLARAC.
En nousrapprochant des fenêtres, nous trouvons le jeune athlète vainqueur, l'Atalante de Trianon et le fameux faune dansant.
Ce faune tient sous le pied gauche un scabillum, espèce d'instrument creux en forme de sandale, entre les semelles de laquelle il y avait des crotales ou castagnettes qui servaient à marquer la mesure. Plusieurs musées possèdent des statues identiques à la nôtre : ce sont probablement des reproductions de quelque ouvrage célèbre dans l'antiquité. Enfin nous devons signaler dans l'embrasure des fenêtres deux grands sièges destinés au culte; l'un était consacré à Cérès, l'autre à Bacchus. Le premier est décoré de sphinx, le second de chimères.
Salle d'Adonis
Le nom que porte la salle vient d'un bas-relief où l'on voit représenté le départ d'Adonis, l'accident survenu pendant la chasse, et la mort du jeune amant de Vénus.
Un autre monument funèbre placé au-dessous de celui-ci et connu sous le nom de Sarcophage des Néréides, est particulièrement célèbre : le sujet qui le décore se rapporte aux croyances des anciens concernant l'immortalité de l'àme. Quatre Néréides couronnées de lierre, et portées sur des Tritons et des monstres marins, escortent, à travers les flots, des petits génies qu'elles conduisent aux îles Fortunées. Ces génies symbolisent les âmes qui se rendent au séjour des bienheureux.
Il faut encore citer un joli bas-relief encastré dans le mur et qui représente la Naissance de Vénus. Enfin, en se rapprochant de la salle suivante, nous trouvons deux jolies statues de Bac-
chus. Une surtout, celle qui est la plus rapprochée de la fenêtre, est d'un mouvement ravissant, malheureusement elle est extrêmement dégradée et on a été obligé de lui faire subir de trèsnombreuses restaurations.
Salle d'Hercule et Télèphe Un groupe colossal représentant Hercule qui porte Télèphe sur son bras, a fait donner son nom à cette salle, dans laquelle nous trouvons aussi un hermaphrodite couché et l'Eros Farnèse, torse grec trouvé en 1862 dans les fouilles entreprises par ordre du gouvernement français. On y voit aussi deux Minerves, qui ne présentent rien de particulièrement saillant.
Il faut encore signaler dans cette salle, de curieux bas-reliefs encastrés dans la muraille.
L'un d'eux représente les Amours au cirque. — Quatre biges, si dirigeant au galop vers la droite, sont conduites par quatre Amours et accompagnées de quatre autres Amours à cheval. Ce nombre rappelle les factions du cirque : la blanche, la rouge, la verte et la bleue, qui se maintinrent à Constantinople jusqu'au neuvième siècle de notre ère. Du reste, il ne courait, dans la règle, que quatre chars à la fois.
Le sculpteur a su mettre la plus grande variété dans ses motifs.
Le premier aurige, en partant de gauche, a la main droite levée pour fouetter son attelage, qui vient de renverser une amphore. Le second tourne la tête en arrière, dans la crainte que son camarade ne le gagne de vitesse. Un Amour tombé par terre risque de se faire écraser par les chevaux; il plie ses ailes et se cache la figure avec les bras pour n'être pas aveuglé par le sable de l'arène.
Le troisième éprouve un accident; son cheval de droite s'est abattu, et l'autre cheval, entraîné dans la chute, fait déjà des efforts pour se relever. Il est aidé par le quatrième aurige, qui le tire par la bride. Les chevaux du dernier char se cabrent devant un vase renversé, obstacle que des malveillants ont jeté sur la route. Il faut remarquer que tous les auriges ont les rênes attachées autour de la taille.
Quant aux cavaliers qui suivent les biges, nuus savons par les au- teurs anciens que des équilibristes s'exerçaient dans le cirque toutes les fois qu'il y avait une course de chars. Le troisième cavalier, tourné en arrière à cause de l'accident dont il est témoin, porte la main à la tête, tant il est effrayé par la chute des chevaux. Enfin, le coursier du quatrième se cabre, et l'Amour qui le monte est obligé : de s'accrocher à sa crinière pour ne pas être désarçonné.
CAT. FROHNER.
Salle de la Médée
Cette petite salle qui n'est qu'à moitié éclairée, n'offre rien de particulièrement saillant comme statue : le milieu est occupé par un très-beau trépied consacré à Apollon. Le nom que porte la salle vient d'un sarcophage, où l'histoire de la vengeance de Médée est représentée en plusieurs scènes sur un grand basrelief. On voit au-dessus un autre bas-relief qui montre des génies vendangeurs accomplissant leur travail devant un image de Bacchus barbu, en Hermès. Un de ces génies goùte le vin en trempant sa main dans la cuve , où un autre veut se plonger, tandis que deux de leurs camarades éprouvent déjà les effets de la liqueur bachique.
On trouve dans la même salle une statue de Silène et un joli groupe des trois Grâces : Les trois sœurs personnifiant la grâce, Euphrosyne, Aglaïe et Thalie, sont représentées dans leur pose traditionnelle, enlaçant les bras et dépouillées de tout vêtement. Deux d'entre elles portent une double armille. Les bouquets de fleurs que le restaurateur leur a mis dans les mains ne sont pas difficiles à justifier; d'après Pausanias, les Charites de la ville d'Elis tenaient, la première une rose, la seconde un osselet, la troisième une petite branche de myrte. Il faut cependant dire que les bouts des bandelettes que portent, dans notre groupe, les déesses de gauche et du milieu, sont antiques. Deux grands vases allongés, du genre de ceux qu'on appelle lécythus, sont placés aux extrémités de la plinthe et en partie couverts de draperies.
Nous avons vu que les Charites de l'ancien style étaient vêtues de longues robes. Pausanias déjà ne savait plus quel artiste avait osé le premier les sculpter nues.
CAT. FROHNER.
Un sarcophage placé au-dessous des trois Grâces montre une Famille de centaures. Enfin on peut voir dans la même salle un grand bas-relief très-remarquable, intitulé le Faune chasseur; c'est un faune assis, qui présente une pièce de gibier à une panthère.
Corridor de Pan
Après la salle de Médée nous retrouvons le corridor de Pan que nous avions déjà traversé en passant de la salle des Caria-
tides dans la salle du Tibre. Ce corridor est assez obscur : on y a placé de grands termes d'Hercule et de Mercure qui proviennent du château de Richelieu. La statue de Pan, qui a donné son nom au corridor est très-remarquable par le caractère d'animalité fortement prononcé dans des traits qui sont pourtant humains. Il y a dans cette création fantastique, moitié homme, moitié chèvre, une telle harmonie,qu'on a l'idée d'un type mixte plutôt que d'un monstre, Salle de Phidias
Un régal d'un nouveau genre nous attend dans cette salle, une des plus importantes du Musée des antiques: le plafond est de Prudhon. Il représente Diane implorant Jupiter: comme il est toujours intéressant d'entendre l'appréciation qu'un maître fait des ouvrages d'un autre nous croyons qu'on nous saura gré de citer ici une note écrite par Eugène Delacroix sur ce plafond.
« Il faut rapporter à cette époque l'exécution de son beau plafond de Diane implorant Jupiter, qui décore l'une des salles des Antiques au Musée. Prudhon est là tout entier : la noblesse et la légèreté de la déesse, la disposition savante, la beauté de ce foud, sur lequel on entrevoit les divinités de l'Olympe noyées dans une lumineuse vapeur, tout cela est d'un maître achevé. La conservation et la fraîcheur de ce morceau sont parfaites. Ces dernières qualités ne sont pas inutiles à noter dans l'œuvre de Prudhon. L'emploi de procédés particuliers appropriés à sa manière d'exécuter a eu quelquefois des résultats fâcheux pour ses ouvrages, et particulièrement pour ceux auxquels il travailla le plus. Sa manière habituelle consistait à ébaucher son sujet avec un ton uniforme ordinairement gris qui lui permettait de se rendre compte de l'effet de l'ombre et de la lumière avant d'en venir aux finesses de la couleur et du contour. Il revenait sur cette préparation avec des glacis ou de légers empâtements qui la voilaient, en quelque sorte, mais sans la faire entièrement disparaître. » Passons maintenant à l'examen des monuments: Au milieu de la salle est une base de trépied ou de candélabre, en marbre pentélique; connue sous le nom d'autel des douze dieux la, forme en est triangulaire et les trois faces qui décrivent une légère courbe, vont se rétrécissant vers le haut, de sorte que les figures de la frise inférieure ont des dimensions plus grandes que les dieux Olympiens de la zone supérieure. Ceux-ci sontl groupés deux par deux de la manière suivante :
« Le premier groupe représente Jupiter (Zeus) armé du foudre et vêtu d'un manteau qui laisse la poitrine et le bras à découvert. Le roi des dieux est représenté de face et tourne les yeux du côté de son épouse Junon (Héra). Celle-ci tient un long sceptre et retient de la main gauche son voile, qui est l'emblème des femmes mariées.
Ce voile, attaché au diadème de la déesse, retombe sur son dos et couvre seulement la partie postérieure de la tête. Neptune et Cérès, le dieu des mers et la déesse de la terre, forment le groupe suivant : Neptune est vêtu de la même façon que Jupiter et est caractérisé par son trident. Cérès, placé en face de lui, tient à la main un bouquet d'épis.
Mars (Arès) et Vénus (Aphnodite) apparaissent les premiers sur la deuxième face. Mars tient une lance et un bouclier; on peut être surpris de trouver dans un monument grec, certains détails qui appartiennent au costume romain, mais le casque et les lambrequins de la cuirasse sont des restaurations modernes. Le dieu de la guerre regarde son épouse, Vénus, qui est vêtue d'un chiton talaire et d'une mantille, et porte dans la main gauche la colombe, oiseau qui lui est consacré.
Mercure (Hermès) et Vesta (Hestia) viennent ensuite. Mercure, caractérisé par le cadacée qu'il tient à la main, porte une barbe pointue et des cheveux nattés, suivant l'usage de la période archaique. Il est vu de face, et une paire de grandes ailes est fixée a ses talons. Il tourne la tête du côté de Vesta, dont le costume ne diffère en rien de celui qui est donné à Junon, dans le même monuments.
Le troisième côté commence par Apollon et Diane (Artémis). Apollon, entièrement vêtu, tient dans sa main droite le plectrum, et la gauche portait probablement une lyre. Mais les jambes et la main droite sont seules antiques, et le sculpteur chargé de restaurer cette figure, en ignorant le sujet, en a fait une femme, ce qui n'a plus aucun sens. Il a aussi rallongé considérablement l'arc de Diane, qui était beaucoup plus petit, et n'a pas compris le mouvement de la main droite, avec laquelle, très-certainement, la déesse tirait une flèche de son carquois, car, dans cette figure, comme dans la précédente, le bas seul est antique. Mais la restauration n'a été nulle part aussi malheureuse que dans la figure suivante, dont elle a fait aussi une femme, et qui est Vulcain (Ephaistos), placé en face de Minerve (Athéné). Vulcain était pourtant très-bien caractérisé par la tenaille de forgeron qu'il porte dans la main droite, et qui est an tique. Minerve, qui tient sa lance et son bouclier a aussi quelques parties modernes ; mais elle a beaucoup moins souffert de la restauration que les figures précédentes. »
D'autres divinités occupent la rangée inférieure au dessous des douze grands dieux de l'Olympe sur chacune des trois faces de l'autel des douze dieux ; ainsi au dessous de la première face ou nous avons vu Jupiter, nous trouvons les trois grâces. Elles sont représentées vêtues, car c'est toujours ainsi qu'on les voit sur les monuments de l'art primitif. Leur groupement présente un caractère qui n'a pas été adopté par l'art des temps postérieurs. Elles sont toutes les trois de face et se touchent la main sans s'enlacer dans leur bras.
Les Euménides sont figurées sur la deuxième face. Elles tiennent un sceptre surmonté d'une fleur de grenadier, symbole de leur pouvoir, et leur main gauche ouverte, est un emblème de la Justice dont elles sont chargées d'exécuter les arrêts.
Sur la face suivante (celle d'Apollon), nous trouvons les heures que l'antiquité primitive, identifiait avec les saisons. Elles étaient au nombre de trois, car l'hiver, qui dans l'origine n'était pas considéré comme une saison, n'y figure pas. Le Printemps tient une fleur, l'Eté une branche de feuillage et l'Automne, qui est entre les deux autres, est caractérisé par la grappe de raisin.
L'autel des douze dieux, malgré les déplorables restaurations qui ont dénaturé le caractère de centaines figures, est un des monuments antiques les plus précieux pour l'archeologie. La sculpture, d'un relief très peu saillant, appartient au plus ancien style. Les dieux sont représentés dans une attitude raide et quelquefois avec les jambes serrées, conformément à une ancienne croyance d'après laquelle ils marchent en effleurant seulement la terre et sans avoir besoin de faire mouvoir leurs membres inférieurs. Les doigts très effilés des déesses, et les plis symétriques de leurs draperies sont aussi une marque de haute antiquité. Néanmoins le travail du ciseau annonce une liberté qui jure un peu avec les allures archaïques du style, et quelques archéologues ont pensée que le monument devait être une imitation, exécutée dans une époque plus avancée, d'un autel vénéré et de date beaucoup plus ancienne.
Nous trouvons près de la porte d'entrée une superbe statue de Minerve, connue sous le nom de Minerve au collier. Les colliers apparaissent quelquefois dans les images de déesses, et principalement de Vénus, mais il est plus rare d'en voir à Mi-
nerve. Cette statue, d'un style noble et sévère, est probablement une imitation antique de quelque original fameux.
Tout près de cette statue on trouve un admirable fragment antique trouvé dans les ruines de Délos. C'est celui qu'on désignait autrefois sous le nom du Fleuve Inopus, et qui est marqué aujourd'hui comme représentant Alexandre. La nouvelle édition tant attendue, du catalogue des statues antiques, nous expliquera probablement la raison d'être des changements d'attributions qui se sont tant multipliés depuis quelques années.
C'est ainsi que la belle tête diadèmée placée dans la même salle et qu'on nous avait habitué a appeler Jupiter Trophonius est devenue un Hermés.
Les bas-reliefs du temple d'Assos, placés sur le mur contre la salle du Tibre, appartiennent à une époque tout à fait archaique. Les blocs sur lesquels ils sont sculptés sont d'une grandeur inégale et d'une pierre très-molle qui s'égraine facilement à l'air, ce qui explique leur mauvais état de conservation. C'est avec des peines infinies qu'on est parvenu à enlever et à transporter ces blocs, dont l'arrivée dans notre musée en 1838 fut annoncée avec grand fracas. « Si l'on s'en rapportait, dit M. de Clarac, a l'enthousiasme de la Gazette de Smyrne, que j'ai sous les yeux, nos bas-reliefs seraient d'admirables chefs d'œuvre de la sculpture grecque. Malheureusement, avec la meilleure volonté du monde de voir le musée s'enrichir de chefs d'œuvre, on est obligé de rabattre beaucoup, mais beaucoup, de ces éloges exagérés, à l'orientale, que rien ne peut justifier. » Nos artistes trouveront en effet peu de choses à apprendre devant ces débris souvent informes, et dans tous les cas extrêmement dégradés. Mais l'archéologie peut puiser de précieux renseignements dans ces monuments que leur haute antiquité rend assurément vénérables. Seulement, dans une salle qui porte le nom de Phidias, ils produisent un effet un peu singulier.
Au reste comme Assos est en Mysie, leur véritable place serait dans les salle consacrées au monuments de l'Asie Mineure.
Le mur qui fait face a celui-ci contient plusieurs monuments de la plus belle époque de l'art grec. C'est d'abord la fameuse procession panathénaique (+) provenant de la facade orientale du Parthénon; elle y était placée près de l'angle du nord, c'est-à-
dire au-dessus de l'entrée principale et au dessous du fronton qui représentait la naissance de Minerve.
La frise qui couronnait les quatre façades de la nef du Parthénon représentait, sur une longueur de 528 pieds, la procession des grandes Panathénées. On sait que, depuis le règne de Pisistaate, tous les quatre ans, et dans la troisième année de l'olympiade, les Athéniens célébraient la naissance de Minerve, patronne de leur pays. Le 28 du mois d'Hécatombaeon (le 9 août environ), la pompe, au lever du soleil, quittait le Céramique extérieur, où d'abord elle s'était rassemblée, entrait dans la ville par le dipylon et, traversant la place de l'Agora, se dirigeait vers les Propylées. Un sacrifice de cent bœufs, présent des colonies, était conduit à l'autel de Minerve Poliade, qui, en dehors de cette offrande, recevait ce jour-là une nouvelle robe tissée par quelques jeunes filles d'origine noble. De plus, cent autres jeunes filles, appelées canéphores, portaient les vases d'or et d'argent que l'Etat avait achetés pour cette cérémonie.
Sur notre bas-relief on voit six canéphores se dirigeant, d'un air recueilli et d'un pas solennel, vers le côté gauche. Les deux premières sont arrêtées dans leur marche par un prêtre qui tient de la main gauche un plat à libations. Un autre prêtre est placé en face des deux canéphores suivantes ; le mouvement de sa main gauche, dont tous les doigts sont fermés, à l'exception de l'index, semble indiquer qu'il donne des instructions. Dans la main droite abaissée, il avait un objet en bronze. La cinquième jeune fille tient une phiale ; enfin la dernière tourne la tête vers l'une de ses compagnes, qui l'aide à porter un lourd candélabre.
Les hommes ont l'épaule et le bras droit à découvert; les canéphores sont vêtues de mantilles et de tuniques longues qui laissent les bras nus. La régularité de leurs poses convient à la marche lente d'une procession; leur attitude décente prouve combien elles sont pénétrées du respect religieux dû à la déesse. On ne saurait rien imaginer de plus gracieux que ce long cortège de jeunes Athéniennes prêtant à la fête patronale le charme de leur chasteté et de leur simplicité.
CATALOGUE FROHNER.
Avant que le marbre de ce précieux bas-relief eût été nettoy é il conservait des traces d'une véritable peinture, dont quelques parties étaient couvertes. Le fond était bleu; les cheveux et quelques parties du corps étaient dorées. Le bas-relief était extrê- mement peu saillant, comme tous ceux de la cella du Parthénon, qui étaient éclairés en reflet, mais les bas-reliefs qui décoraient les métopes avaient au contraire une saillie très prononcée, comme on peut le voir sur la métope que nous avons ici et qui
provient également du Parthénon. Elle représente un Centaure enlevant une femme (+).
Un vieux Centaure, chauve et barbu, retient de force une femme qui cherche à se dégager de son étreinte. D'une main il a saisi le poignet droit, de l'autre il essaye d'enlever la tunique talaire de sa victime, en même temps qu'il la presse entre les genoux. Déjà le sein et la jambe gauche de la femme sont à découvert, mais de la main qui lui reste libre, elle ramène sa draperie sur elle.
Le combat des Lapithes contre les Centaures était un des sujets favoris de la sculpture antique. Pirithoüs, à la veille de se marier avec Hippodamie, invite ses amis à la noce. Pendant le repas nuptial, le centaure Eurytion, pris de vin, insulte la jeune fiancée; alors les Lapithes, secourus par Thésée, tirent l'épée et livrent cette fameuse bataille qui finit par la défaite de leurs hôtes.
Douze métopes de la façade méridionale du Parthénon représentaient la Centauromachie ; la nôtre était la dixième. On sait que les colonnes du péristyle sont au nombre de quarante-six; il y avait donc en tout quatre-vingt douze métopes, chaque entre-colonnement étant surmonté de deux sculptures en haut-relief. Le Parthénon fut terminé en 437 avant l'ère chrétienne; il est probable que l'un des grands élèves de Phidias, Alcamènes, qui exécuta le Combat des Centaures pour le fronton du temple de Jupiter à Olympie, aura fait cette série de métopes.
Pour bien apprécier la valeur de son œuvre, on ne doit pas oublier que c'est Je la sculpture architecturale. Les figures, comme en ronde bosse, se détachent presque du fond. Cette saillie est nécessitée par la hauteur où se trouvaient placées les métopes, et il faut remarquer d'ailleurs qu'elle était considérablement diminuée par la saillie des triglyphes et des chapiteaux.
CAT. FROHNER.
Les deux fragments que nous venons d'étudier sont les seuls que nous ayons a Paris : les autres sont à Londres. Mais on a placé dans la même salle, et adapté à la même muraille d'autres fragments, qui sont bien intéressants, car ils proviennent du temple de Jupiter à Olympie. Les métopes du portique représentaient les travaux d'Hercule. Parmi les précieux débris qu'on a pu reccueillir au Louvre, le plus important représente le héros aux prises avec le fameux taureau.
On trouve encore ici le superbe bas-relief (+) sur lequel on lit les noms de Zéthus, Antiope et Amphion; mais malgré cette inscription ajoutée après coup, on pense qu'il représente Orphée, se retournant pour voir Eurydice, qui est suivie de Mercure. Enfin la tête de Demeter voilée, le bas-relief de
l'exaltation de la fleur, rapporté de Macédoine par M. Heuzey, les monuments funéraires, dits vases de Marathon, méritent de fixer l'attention du visiteur. Il ne faut pas oublier non plus les bas-reliefs connus sous le nom de choragiques ou delphiques; ils sont placés dans l'embrasure d'une fenêtre.
Un monument archaïque doit nous arrêter un moment : il a été trouvé en 1864 dans l'île de Thasos et est connu sous le nom de bas-relief de Thasos.
Ce monument constitue une des plus curieuses sculptures que l'antiquité nous ait transmises; il se compose de trois parties qui, dans l'origine, ont dû former une frise non interrompue. C'est à une époque relativement moderne que l'ouvrier, chargé d'en faire un sarcophage, s'est vu obligé de disloquer les bas-reliefs, placés jusqu'alors sur la même ligne.
Au milieu du morceau principal, on aperçoit une niche qui, se rétrécissant vers le haut, ne peut avoir eu d'autre destination que d'abriter le buste (en bronze) de quelque divinité. Elle est entourée d'un chambranle et surmontée d'une architrave saillante sur laquelle on lit, en caractères peu anciens, i'inscription Θεμɩστοϰράτης. Thémistocrate, fils d'Eros, est le nom du personnage à qui, sous la domination romaine, notre marbre a servi de cercueil.
CAT. FROHNER.
Apollon sur l'un des côtés de la niche, apparait en tenant la cithare et tourne la tête vers une femme placée derrière lui : malgré les mutilations de ces figures il est aisé de voir que la femme lui pose une couronne sur la tête. Il était d'usage dans les concours de musique, de couronner les poëtes lyriques victorieux. Trois femmes suivent en portant des présents: ce qu'elles offrent de particulier c'est qu'elles ont une posture identique, avec un costume entièrement différent.
De l'autre côté de la niche, trois autres femmes tiennent également des présents. Le fragment qui suit montre Hermès (Mercure), arrivant à la hâte, le bras droit en avant, et la bouche ouverte comme s'il allait parler: il tient son caducée et est suivi d'une femme qui tient des présents.
Les archéologues attachent à ces monuments une importance extrême; mais les explications qu'ils en donnent ne sont pas toujours absolument claires.
Après avoir chanté son hymne, Apollon reçoit les hommages des Nymphes dont il est accompagné; Hermès et les Charités se joi-
gnent à elles pour rendre la fête plus solennelle encore. Les cadeaux qu'elles apportent sont des bijoux et des ténies : nous savons que les Charités employaient leurs loisirs à filer et à tisser, comme les fées et les femmes sauvages de la légende allemande. Mais si l'on nous demande de préciser parmi ces figures lesquelles représentent les Nymphes et lesquelles sont les Grâces, nous sommes en face d'une véritable difficulté.
CAT. FROHNER.
Les deux inscriptions dites marbres de Nointel, contenant la liste des guerriers athéniens de la tribu Erechtéide, tués dans diverses guerres, l'an 457 avant notre ère, celle qui porte une invocation à Thésée, avec un petit bas-relief, celle qui donne le compte rendu des sommes dépensées par les trésoriers du Parthénon, celle qui transcrit le décret sur la restitution des sommes empruntées aux temples d'Athènes pendant la guerre du Péloponèse, sont aussi des documents historiques du plus haut intérêt.
Salle de la Rotonde
La salle où nous entrons mainte- nant est ronde : la superbe statue, connue autrefois sous le nom d'Achille Boryhèse, en occupe le centre. Ce nom d'Achille lui avait été donné par Visconti, à cause de l'anneau que le héros porte à la jambe et que cet antiquaire comme un préservatif du talon, seule partie d'Achille qui, d'après la tradition, fut vulnérable. Mais cette opinion a été abandonnée, d'autant plus que l'anneau qui entoure une des jambes est trop haut pour préserver le talon, et on est revenu à l'opinion de Winkelman, qui voulait y voir un Mars. On explique maintenant l'anneau par l'habitude qu'avaient certains peuples, et notamment les Lacédémoniens d'enchaîner le dieu de la guerre. Quel que soit le nom qu'on veuille lui donner, cette statue restera toujours comme un des plus grands chefs-d'œuvre que l'antiquité nous ait laissés.
Si maintenant nous regardons autour de la salle, nous verrons d'abord, près de la fenêtre centrale ; une fort belle statue, qu'on a appelé le Pollux. Le fils de Léda, les poings armés du ceste des pugilistes, s'apprête à porter un coup furieux à un adversaire qu'on ne voit pas et qui, d'après le fables argonautiques, doit être Amycus, roi des Béhrices.
Une Nymphe, deux belles statues d'Apollon Lycien, la figure qu'on désigne sous le nom de la Pudicité et celle qui est intitu lée Gérés, et qu'on regardait autrefois comme un portrait de Julie, fille d'Auguste, portant les attributs de Cérès, complètent la décoration de cette salle.
Vestibule Daru
La porte ouverte à main droite, en tournant le dos à la fenêtre, donne sur une grande salle d'un aspect morne, et qui ressemble bien plus à un magasin de dépôt qu'à un Musée.
C'est ce qu'on appelle le vestibule Daru.
L'aspect de cette grande pièce ne doit pas nous empêcher d'étudier certains ouvrages très-remarquables, qui étaient assurément dignes d'une place meilleure. Le sarcophage des Amazones, par exemple, découvert à Salonique, est une des plus belles acquisitions que le Musée des antiques ait faites depuis un demi-siècle. Il appartenait à deux époux, dont l'image est sculptée en ronde bosse au-dessus; cette sculpture n'est pas terminée. Mais les bas-reliefs du bas sont particulièrement remarquables. Celui de face représente des guerriers grecs combattant les amazones; sur les faces latérales, on voit d'un côté Hercule et Hippolyte, de l'autre Achille et Penthésilée. La beauté de ces bas-reliefs a fait supposer qu'ils appartenaient à la belle période de l'art grec, tandis que les statues auraient été exécutées postérieurement pour les Romains qui y ont été inhumés.
Plusieurs autres sarcophages ont pris place dans cette espèce de nécropole qu'on a établie sous l'escalier du pavillon Daru.
Parmi les statues qui sont dans la salle, il faut citer le Pédagogue, groupe en marbre trouvé à Soissons, et le Prisonnier barbare, qui est fort intéressant. Le bonnet phrygien qu'il porte est le signe distinctif du costume barbare dans les monuments de l'antiquité. Cette figure n'a de marbre statuaire que la tête et les mains : les représentations de prisonniers offrent souvent cette particularité.
Une statue polychrome bien curieuse, montre un vieillard qui a les pieds dans une cuve.
« La comparaison de cette figure avec une statue du musée Pie
Clementin, dans laquelle on ne peut s'empêcher de reconnaître un Pêcheur africain, ôte toute espèce de doute sur le véritable sujet de cette sculpture. Mais le statuaire italien qui l'a restaurée dans le seizième siècle, frappé par la maigreur de la figure, a cru qu'on y avait représenté Sénèque et a conduit son travail suivant cette supposition. Des savants célèbres, trompés par l'addition de la cuve, emblème du bain où le précepteur de Néron expira, ont publié cette figure comme un portrait de Sénèque. Les yeux sout en émail, la la ceinture en albâtre fleuri, et la cuve en marbre africain ; les bras, les cuisses et la ceinture sont modernes. » CAT. CLARAC.
Bien que les monuments relégués ici soient un peu perdus pour le public, il ne faudra pas négliger les bas-reliefs adossés à la muraille. L'un deux montre deux jeunes filles ornant de guirlandes un autel en forme de candélabre, qui brûle devant un temple. Une troisième jeune fille y apporte les premiers fruits de la campagne. Les satyres sculptés sur la base du candelabre montrent que ces offrandes sont consacrées à Bacchus.
Sur la muraille en face, il faut citer le bas-relief qui est connu sous le nom des danseuses. Ce sont cinq jeunes filles qui se tiennent par la main et dansent autour d'un temple d'architecture corinthienne. Ce monument nous donne l'idée des chœurs ou la danse et la musique embellissaient les fêtes religieuses.
Enfin, un autre bas-relief intitulé Trône de Saturne, est également digne d'attention. Il faut, avant de partir, jeter un coup d'œil sur les fragments de chapiteaux et les stèles, qui ont trouvé un refuge sous l'escalier derrière les sarcophages. On y verra, entre autres curiosités, les piliers trouvés près de Thessalenique, dans un édifice en ruines, connu sous le nom de Pa- lais enchanté. Les sculptures qui les décorent n'ont au point de vue de l'art qu'un intérêt assez médiocre; mais la légende qui s'attache à ces débris n'est pas sans intérêt.
Alexandre le Grand, avant de partir pour la conquête de l'Orient, demanda des renforts au roi de Thrace. Le roi s'empressa de satisfaire à ce désir et se rendit en personne, accompagné de sa famille, à la cour de Thessalonique. Alexandre fit à ses hôtes un accueil princier, mettant un palais magnifique à leur disposition. Cet édifice se trouvait situé à côté de sa propre résidence, et les deux palais communiquaient au moyen d'une galerie. La reine thrace était d'une beauté merveilleuse ; Alexandre, jeune encore et peu habitué à réprimer ses passions, aspirait autant à l'amour qu'à la
gloire. Fasciné par les charmes de la reine, il résolut de la séduire.
Les visites qu'il lui faisait finirent par donner l'éveil au mari, et dès qu'il fut sûr du fait, le roi de Thrace se mit en devoir de punir celui qui violait ainsi les droits de l'hospitalité. Parmi les gens de sa suite se trouvait un très-habile magicien, originaire du Pont, qui, grâce à son art, savait l'heure des rendez-vous d'Alexandre. Ce sorcier prononça des formules magiques qui avaient la puissance de changer en pierre quiconque oserait traverser la galerie à un moment déterminé. Mais Aristote, magicien dévoué à Alexandre et plus savant que celui du Pont, découvrit le danger qui menaçait son maître; sur ses instances, Alexandre s'abstint donc de la visite projetée. Alors la reine, impatiente et lasse d'attendre, envoya une de ses confidentes pour s'enquérir de la cause du retard. Bientôt elle se mit elle-même en route, tandis que le roi, son mari, accourut avec son magicien pour voir l'effet produit par les incantations. Au même moment, les deux époux avec leur suite furent transformés en statues.
CAT. FROHNER.
L'escalier du pavillon Daru contient aussi plusieurs antiquités ; en montant de là au Musée de peinture, on trouvera une reproduction de la fameuse Victoire de Brescia, plusieurs sarcophages en terre cuite, et des vitrines contenant des petits basreliefs, dont la plupart faisaient partie de l'ancien musée Campana. Galerie de sortie
En quittant le vestibule Daru, sans remonter l'escalier qui mène au premier étage, on trouve une galerie nouvellement ouverte et qui sert de sortie au musée des Antiques; elle aboutit au pavillon Mollien, et on sort par là sur les jardins du Carrousel. On a placé dans cette galerie, qui semble encore un peu vide, quelques copies en bronze, d'après les plus célèbres statues antiques de l'Italie. Ces reproductions sont intéressantes à un double titre : elles remplacent pour nous les originaux qui nous manquent et elles nous présentent des modèles pour la fonte de bronze a différentes époques de notre histoire. L'industrie du bronze peut donc aussi bien que l'art statuaire, trouver ici un sujet intéressant pour l'étude.
La première statue que nous reneontrons est une reproduction.de l'Apollon du Belvédère. Ce bronze a été fondu à Fontai-
nebleau, par G. Durant et Pierre Bontemps, fameux sculpteur français, en 1540. L'original, en marbre de Luni, a été découvert à la fin du quinzième siècle près de Capo d'Anzo, autrefois Antium; elle fut acquise par le pape Jules II, alors cardinal, et, lors de son avènement au pontificat, il la fit placer dans les jardins du Belvédère; les deux mains qui manquaient ont été faites alors par un élève de Michel-Ange.
Voici la description qu'en donne Winkelmann dans son His- toire de l'Art : « La stature du dieu est au-dessus de celle de l'homme, et son attitude respire la majesté. Un éternel printemps tel que celui qui règne dans les champs fortunés de l'Elysée, revêt d'une aimable jeunesse les charmes de son corps et brille avec douceur sur la fière structure de ses membres. Il a poursuivi Python, contre lequel il a tendu pour la première fois son arc redoutable ; dans sa course rapide, il l'a atteint et lui a porté le coup mortel. De la hauteur de sa joie, sou auguste regard, pénétrant dans l'infini, s'étend bien au delà de sa victoire. Ls dédain siège sur ses lèvres ; mais une paix inaltérable est empreinte sur son front, et son œil est plein de douceur comme s'il était au milieu des Muses. » Il faut surtout appeler l'attention sur le Laocoon en bronze qui était dans le jardin des Tuileries avant de venir prendre place au Musée. C'est d'après un moulage du Primatice que cette belle fonte a été faite en 1540 pour le château de Fontainebleau. On connaît l'immense célébrité du groupe antique, dont nous avons ici la reproduction. Voici la description enthousiaste qu'en donne Winkelman dans son histoire de l'art.
« Le Laocoon nous offre le spectacle d'une nature plongée dans dans la plus vive douleur, sous l'image d'un homme qui rassemble contre elle toute la force de son âme. Quoique la violence de ses tourments soit imprimée sur chaque muscle et semble enfler tous ses nerfs, vous voyez la sérénité de son esprit briller sur son front sillonné, et sa poitrine oppressée par une respiration gênée et par une contrainte cruelle s'élever avec effort pour renfermer et concentrer la douleur qui l'agite. Les soupirs qu'il n'ose exhaler lui compriment le ventre et lui creusent les flancs de manière à nous faire juger du mouvement de ses viscères. Toutefois ses propres souffrances paraissent moins l'affecter que celles de ses enfants, qui lèvent les yeux vers lui et qui implorent son secours. La tendresse paternelle de Laocoon se manifeste dans ses regards languissants ; on croit voir la compassion nager dans ses yeux comme une vapeur trouble; sa physionomie exprime les plaintes et non pas les
cris ; ses yeux, dirigés vers le ciel, implorent l'assistance suprême ; sa bouche respire la langeur, et la lèvre inférieure, qui descend, en est accablée ; mais dans la lèvre supérieure qui est tirée en haut, cette langueur est jointe à une sensation douloureuse. La souffrance, mêlée d'indignation sur l'injustice du châtiment, remonte jusqu'au nez, le gonfle et éclate dans les narines élargies et exhaussées. Au-dessous du front est rendu avec la plus grande sagacité le combat entre la douleur et la résistance, qui sont comme réunies en un point; car pendant que celle-là fait remonter les sourcils, celle-ci comprime les chairs du haut de l'œil et les fait descendre vers la paupière supérieure, qui en est presque toute couverte.
L'artiste, ne pouvant embellir la nature, s'est attaché à lui donner plus de développement, plus de contention, plus de vigueur. Là même où il a placé la douleur se trouve aussi la plus haute beauté.
Le côté gauche, dans lequel le serpent furieux lance son mortel venin par sa morsure, est la partie qui semble souffrir le plus à cause de la proximité du cœur, et cette partie du corps peut être regardée comme un prodige de l'art Ses jambes semblent faire un mouvement pour se soustraire aux maux qu'il endure. Aucnne partie n'est en repos. Les traces mêmes du ciseau paraissent comme autant de rides qui contribuent encore à l'expression de la douleur. »
Le Mercure du musée de Florence, le Tireur d'épines du musés de Naples, l'Ariane et le Commode en Hercule du Vatican, sont également des fontes de la Renaissance. La Vénus de Médicis et le Rémouleur de Florence, ont été fondus au dix-septième siècle par les Keller, auxquel le parc de Versailles doit de si beaux bronzes. Enfin le Centaure, l'Antinoüs du Capitole, ainsi que l'Amazone du Vatican sont des fontes du dix-huitième siècle.
MUSÉE DE SCULPTURE
Monuments romains
Les salles consacrées aux monuments romains ont une porte spéciale qui donne sur les jardins de l'infante, mais comme cette porte n'est jamais ouverte, il faut entrer par le pavillon de l'Horloge, traverser la salle des Cariatides, et la salle de Phidias, pour arriver à la salle de la Rotonde : nous connaissons déjà ces trois salles, nous n'avons donc pas a y revenir. Quand on est dans la salle de la rotonde, on laisse à gauche, la salle de Phidias, à droite, le vestibule Daru, et on a devant soi les salles romaines dont la première est consacrée à Mécène.
Salle de Mécène
Plafond par Meynier. — Un monument funèbre, un autel et une élégante fontaine décorée de têtes de lion, occupent le milieu de cette salle, qui a reçu son nom d'un buste colossal de Mécène placé sur le côté. On y voit aussi les images de Néron, de Sénèque, de Corbullon et de Caracalla, et des bas-reliefs intéressants.
L'un d'eux nous montre le recensement chez les romains. On voit tous les citoyens qui viennent les uns après les autres se faire enregistrer, et le Censeur, ou son représentant qui inscrit les déclarations de chacun.
Le mariage est symbolisé dans un autre bas relief où un homme et une femme sont debout près l'un de l'autre avec un enfant entre eux, comme gage de fécondité de leur union, dont une grappe de raisin forme l'emblème.
Nous voyons également sur un bas relief la manière dont on consultait les entrailles.
« Un prêtre haruspice consulte les entrailles et le foie d'un bœuf qu'on vient d'immoler, et parait rendre compte de ce qu'ils présagent à celui pour qui l'on a offert le sacrifice ; d'après la contenance des différents personnages, on pourrait croire qu'il n'est pas favorable.
Cette cérémonie se nommait extipice. Le pape ou victimaire tient à la main droite la hache (malleus) dont il a frappé la victime, et le vase où il a reçu son sang ; il n'a pour vêtement qu'une espèce de jupon, nomé limus par les Romains, plus long que le campestr, et qui était retenu par une ceinture à plusieurs tours, nommée licium. Le limus était quelquefois bordé de pourpre. Ce bas-relief, qui a appartenu à quelque grand monument, est peut-être le seul qui offre cette cérémonie.
CAT. CLARAC.
Salle des saisons.
Plafond peint par Romanelli. — Au milieu de cette salle est un groupe d'Adrien et de Sabine représentés en Mars et Vénus.
Les Romains regardaient Mars et Vénus comme les auteurs de leur race et sous l'empire, on donnait souvent aux dieux les traits des empereurs. Il est à remarquer que dans ce groupe, l'attitude de l'homme rappelle beaucoup celle du Mars Borghèse, placé au milieu de la salle de la Rotonde, et que la femme,
bien que drapée, rappelle par le mouvement de ses hanches la Vénus de Milo. Au reste l'exécution de ce groupe est fort médiocre. Les statues de Tiridate, les bustes des empereurs Honorius, Maximin, Constantin, Philippe le vieux, Pupien, Galien, Gordien, Alexandre Sévère, Elagabale, et des impératrices Amnia Faustina, Julia Mœsa et Orbiana, se trouvent dans cette salle, qui ne contient guère que des ouvrages d'une basse époque.
Ce qu'il y a de plus intéressant ce sont les bas reliefs : plusieurs comme ceux ou se trouvent retracées l'histoire de Phaeton et celle de Pasiphae, proviennent de sarcophages. Il faut noter aussi celui qui représente Bacchus et Ariande couronnés de pampres et tenant en main leurs thyrses. Ils sont montés sur deux chars attelés de centaures couronnés de branches de pins.
Un petit faune, monté sur la croupe du centaure, tient en main un rhyton et verse la liqueur dans un canthare.
Le médaillon du milieu renferme les bustes de deux romains dont les cendres reposaient dans ce tombeau. D'après la coiffure de la femme, cette sculpture paraît remonter au troisième siècle de l'ère chrétienne.
Il faut noter surtout le grand bas relief de Mithras.
Au milieu d'une grotte, le génie du Soleil, Mithras, sacrifie un taureau, tourné vers la droite. Représenté sous les traits d'un jeune homme aux cheveux bouclés, coiffé d'un bonnet asiatique, vêtu d'une petite tunique à manches longues, d'un manteau flottant et de pantalon (anaxyrides), et chaussé de soulier, le dieu pose le genou gauche sur le corps de sa victime; de la main gauche il relève la tête du taureau, tandis que, de la droite, il le frappe d'un coup de poignard et lui tranche l'artère au-dessous de la clavicule.
L'animal s'est affaissé; un chien lèche le sang qui coule de sa blessure, un serpent vient le mordre, et un scorpion lui pique les testicules, non-seulement avec ses serres, mais en même temps avec le dard venimeux dont sa queue est pourvue.
Deux jeune gens, également en costume asiatique, mais de moindre taille que Mithras, sont debout aux. extrémités de la scène.
Celui qui tient un flambeau droit, semble personnifier l'equinoxe du printemps; l'autre, avec une torche renversée, l'équinoxe de l'automne. Un corbeau, transformé en chouette par le restaurateur, se voit dans une des crevasses de la grotte.
Enfin, au-dessus du tableau principal, se dressent trois arbres fruitiers. D'un côté, le Soleil, vêtu d'un manteau flottant, conduit son quadrige qui se dirige vers la région céleste. D'une main il tient les rênes, de l'autre un fouet (brisé). L'enfant qui, un flambeau au
bras, précède les chevaux, est Phosphorus. Du côté opposé, la Lune, debout dans son char à deux chevaux, suit la pente inclinée. L'enfant Hesperus, une torche renversée à la main droite, court au-devant de l'attelage.
Dans la mythologie des anciens Iraniens, Mitrhas était le dieu du Jour; chez les Romains il devint exclusivement dieu du Soleil. Son culte, connu dans l'Occident depuis l'expédition de Pompée contre les pirates, acquit une autorité considérable sous le règne des Antonins.
La grotte hémisphérique est le symbole du monde terrestre; le taureau, dont la queue se termine souvent en un bouquet d'épis, représente la fécondité de la terre : sa mort est une allusion à la fin de la belle saison. Le scorpion est la constellation de l'automne; le chien signifie les chaleurs de la canicule; enfin le serpent (l'hydre) symbolise la fin de l'été. Quand au corbeau, oiseau fatidique d'Apollon, il faut se rappeler qu'une certaine partie des mystères de Mithras s'appelait coracica. Lui aussi, du reste, ainsi que l'urne que l'on rencontre souvent sur les bas-reliefs de ce genre, sont des constellations du ciel méridional. Il résulte de l'ensemble de ces observations que notre sculpture, œuvre de la fin du troisième siècle de l'ère chrétienne, est une allégorie cosmogonique.
CAT. FROHNER.
Salle de la Paix
Plafond peint par Romanelli. — Une statue en porphyre, avec la tête et les mains dorées, occupe le milieu de cette salle; elle a été restaurée à Rome, mais paraît avoir été primitivement une Minerve. Les statues de Pupien et de Tranquillina sont les seuls monuments à signaler dans cette petite salle.
Salle de Septime Sévère
Plafond par Romanelli. — Cette salle renferme une collection complète de bustes d'empereurs et d'impératrices, pendant la période qui s'est écoulée entre Marc Aurèle et Caracalla. La statue de Mammée occupe le milieu. Il faut signaler comme pièces rares, une statue de Pertinax, et les bustes de Didius Julianus et d'Albin.
Le buste de Plautille est remarquable par son excellente conservation. L'étrange coiffure qu'on lui voit représente une perruque dont l'usage était fort à la mode à cette époque. La Germanie et le nord de l'Europe fournissaient aux femmes riches de belles chevelures blondes, dont on faisait des porru-
ques et que l'on couvrait quelquefois de poudre d'or. Il est permis toutefois de croire que la perruque de Plautille était plutôt brune, car elle est représentée au musée du Capitole, dans une figure de marbre blanc, dont la coiffure est en marbre noir.
A côté de Plautille, on remarque un superbe buste de Caracalla.
On voit aussi dans cette salle plusieurs bas-reliefs intéres- sants; l'un d'eux nous donne la représentation d'une cérémonie romaine qui se pratiquait aux funérailles et qu'on nommait la Conclamation. Elle consistait à appeler plusieurs fois le mort à haute voix et au bruit d'instruments très-bruyants pour s'as- surer s'il bien réellement mort. Nous trouvons ici deux espèces de trompettes, l'une droite et l'autre recourbée.
D'autres bas reliefs montrent diverses cérémonies publiques ; le plus important représente des prétoriens devant le temple de Jupiter Capitolin, dont les trois portes indiquent les trois nefs consacrées à trois divinités associées, Jupiter, Minerve et Junon.
Ce bas-relief, d'un grand style et qui doit avoir fait partie d'un monument triomphal considérable, se compose de deux parties distinctes: le temple de Jupiter et un groupe de soldats romains. Il n'est pas certain qae ces deux fragments aient jamais fait un ensemble ; cependant rien ne s'oppose non plus à ce que nous admettions leur connexité.
Une inscription, tracée sur la frise du temple, en beaux caractères du premier siècle de notre ère, nous apprend que le sanctuaire était consacré à Jupiter Capitolin, IOVI CAPITOLINO. Deux colonnes d'ordre composite supportent un fronton triangulaire dans lequel est placé un aigle aux ailes éployées. La porte, à deux battants, est entr'ouverte ; les compartiments des vantaux sont décorés de losanges et de rosaces, et deux anneaux, très-lourds, sont fixés au milieu des battants. Du côté gauche, on remarque une des colonnes latérales de l'édifice.
Le temple du Capitole, dont la façade était orientée au midi, s'élevait sur l'emplacement qu'occupe aujourd'hui le palais Caffarelli.
Nous savons qu'il a péri trois fois par l'incendie; la première pendant les guerres civiles entre Marius et Sylla, ensuite lors de la chute de l'empereur Vitellius, et enfin, quelques temps après, sous le règne de Titus. Rebâti avec une grande magnificence par Domitien, il resta debout jusqu'au moyen âge. C'est probablement cette dernière construction que nous voyons sur le bas-relief du Louvre. Les Les portes du temple de Jupiter étaient revêtues de plaques d'or qui furent enlevées au cinquième siècle, pendant une crise financière, par ordre du général Stilichon.
Les soldats romains, réunis sur l'area (le square) du Capitole, paraissent être des prétoriens. CAT. FROHNER.
Un autre bas-relief extrèmemént intéressant nous montre le Suovetorilla : Les suovetorilla étaient des sacrifices solennels célébrés ordinairement tous les cinq ans, et dans lesquels on immolait un porc, une brebis, et un taureau; il parait que de ces trois mots on avait formé celui de suovetaurilla.
Ce bas-relief nous présente une cérémonie de ce genre.
Les deux lauriers qu'on apperçoit dans le fond à droite, sont ceux qui étaient plantés devant le palais d'Auguste, et les deux autels ornés de guirlandes étaient problablement dédiés, l'un aux dieux Lares et l'autre au Génie de ce prince. Devant ces autels, le magistrat du quartier, debout, la tête voilée, remplit les fonctions de sacrificateur, près de lui sont deux ministres ou camilli portant l'un la cassolette aux parfums, acerra, et le vase des libations, guttus ; derrière sont les deux licteurs de ce magistrat avec leurs faisceaux ; viennent ensuite les victimaires couronnés de lauriers, conduisant les victimes ou s'apprêtant à les frapper : enfin sur le second plan, on voit quelques assistants à la cérémonie. »
Salle des Antonine
Plafond par Romanelli. — Cette salle est, au point de vue de l'art, plus intéressante que les précédentes parce que les monuments qu'elle renferme se rattachent à une meilleure époque. Une statue colossale de Marc-Aurèle, et une statue de Trajan sont assis au centre de la salle : devant une des fenêtres, on a placé la tête colossale de Lucille découverte à Carthage, et les deux magnifiques bustes de Lucius Vérus et de MarcAuréle, trouvés aux environs de Rome, sur l'emplacement d'une maison de plaisance de Vérus. Elius Vérus, dans le buste colossal que nous voyons ici, a la tête couverte d'un des pans de sa toge et couronnée d'épis ; c'était le costume des frères Arvales dans les rites sacrés ; on donnait ce nom à une corporation sacerdotale dont on attribuait l'institution à Romulus.
La statue de Marc Aurèle, en habit militaire, est remarquable par la beauté du travail, et plus encore par les renseignements qu'elle fournit sur le costume des empereurs romains. Marc Aurèle porte le paludamentum et la cuirasse, qui était en cuir rehaussé d'ornements métalliques. La chaussure, très-riche laisse les doigts à découvert, mais la semelle est bordée d'une empeigne qui couvre le talon et le cou-de-pied.
La belle statue de Titus montre cet empereur dans une attitude où il semble vouloir haranguer ses soldats. Les jambarts de cette figure sont particulièrement remarquables.
On peut remarquer qu'il y a trois sortes de statues impériales : celles qui sont en costume militaire, celles qui sont en toges et celles où le personnage est représenté entièrement nu. Ces dernières sont des apothéoses; les dieux et les héros, c'est-à-dire les personnages nés d'un dieu étaient représentés nus, et les empereurs étant divinisés avaient naturellement les mêmes droits. Aussi dans ces derniers portraits, la tête seule donne la ressemblance du personnage, tandis que le corps est fait en dehors de lui et suivant les types consacrés. C'est ainsi que pendant les désordres qui signalèrent la période impériale, les sculpteurs faisaient à l'avance des personnages nus, dont la tête était seulement dégrossie ; de cette manière, on n'était jamais pris au dépourvu, car à chaque avénement nouveau, il suffisait de travailler au visage. Les gouverneurs pouvaient ainsi prouver leur zèle au nouvel empereur, en mettant trèspromptement sa statue sur les places publiques. Mais les empereurs se succédaient avec une rapidité telle qu'on imagina, au lieu de remplacer la statue, de substituer simplement une tête à une autre. Aussi les statues de nos musées ont presque toujours des têtes rapportées, et on ne peut jamais affirmer qu'elles ont été faites pour le corps sur lequel nous les voyons. Sous la décadence, l'usage des substitutions devint universel; sous Constantin, on prit des bas-reliefs représentant les victoires de Trajan, auxquels on enleva les têtes, pour mettre à la place celles de Constantin et de ses principaux officiers.
Salle d'Auguste
Plafond peint par Matout.— Une superbe statue d'Auguste (+), placée dans un hémicycle au fond de cette salle, lui a fait donner le nom sous lequel elle est connue. Elle est particulièrement: remarquable par la façon dont les draperies sont traitées. La toge est également très-belle sur la statue de Tibère( +), qui est placée dans la même salle.
« La toge de Tibère est d'une étoffe très-fine et très souple quii
ne cache rien de la beauté des formes ; outre la grande manière du jet des draperies, le travail en est remarquable, les plis en sont fouillés à une grande profondeur. Dans des endroits ils sont si minces, que le marbre laisse passer la lumière, et les parties enfoncées entre les plis sout beaucoup plus larges dans le fond qu'à l'entrée, ce que les statuaires appellent fouilles en cloche. »
Au centre de la salle est une tête colossale de Rome et une magnifique statue, connue sous le nom de Germanicus (+), mais qui représente un inconnu.
Le nom de ce personnage romain, représenté dans l'attitude et le costume de Mercure, dieu de l'éloquence, est encore inconnu. Nous aurons à le chercher parmi les hommes d'Etat de la République, peut-être parmi les ambassadeurs envoyés en Grèce par le Sénat.
La chlamyde, qui glisse le long de son épaule gauche, était retenue par le caducée (en bronze), qu'il a dû porter et dont l'existence est mise hors de doute par la disposition des plis de la draperie. La figure pensive, le bras droit élevé à la hauteur de la tète et le geste de la main caractérisent l'orateur qui parle devant une assemblée.
Sur la carapace de la tortue, emblème de Mercure, qui est placée aux pieds de la statue, on lit, gravé en caractère du dernier siècle avant l'ère chrétienne, le nom de l'artiste : Cléomène, fils de Cléomène, Athénien.
CAT. FROHNER.
Les bustes et les statues d'empereurs, depuis Auguste jusqu'à Trajan, remplissent tout le pourtour de cette salle.
On y voit plusieurs bustes superbes, entre autres celui d'Agrippa, qui a été trouvé aux environs de Gahies Le beau buste de Vitellius répond bien par le type aux habitudes crapuleuses que l'histoire prête à cet empereur. Les moulages de Vitellius sont fort répandus dans nos écoles de dessin, et tous les écoliers ont copié ce modèle. Toutefois on a élevé des doutes sur l'antiquité réelle de cette tête, que quelques-uns regardent comme l'œuvre de quelque habile sculpteur de la Renaissance.
Ce qui ajoute à ces soupçons, c'est que la draperie est attachée sur chaque épaule par une fibule, ce qui est contraire à l'usage romain de cette époque.
Cette salle est la dernière que nous ayons à voir dans le Musée des Antiques. Winkelmaun caractérise ainsi la décadence de l'art sous l'empire romain.
« Sous Adrien, dit-il, le style devint plus fini, plus pur, plus recherché que sous les premiers empereurs. Les cheveux sont plus
travaillés, plus unis, plus détachés; les cils sont relevés; les pupilles sont indiquées par un trou profond, usage rare avant ce prince et fréquent après lui. Le style, sous Adrien, perdit de ce sublime qu'on avait appris chez les Grecs ; mais étant grand néanmoins, il a eu des admirateurs. De même, on préfère quelquefois Pline à Cicéron, Velléïus à Tite Live. L'art continua sous les Antonins et diminua sous Sévère. On voit cependant d'excellentes têtes sous Caracalla. On faisait alors plus de bustes que de statues. Enfin sous Alexandre Sévère commence une nouvelle manière qui tombe dans le grossier. Les pupilles sont plus creusées; les fronts sillonnés; les figures des femmes et des enfants sont sèches et languissantes. L'art déclinait donc et tombait insensiblement. » Selon Visconti, on peut dire, au sujet d'un buste de Pupien, ouvrage du troisième siècle et qu'on voit au musée de Paris, que c'est le dernier portrait excellent dans la série des empereurs.
MUSÉE DE SCULPTURE Les monuments de la Renaissance
L'entrée de ce musée est dans la cour du Louvre, à droite, en venant du Pont des Arts, dans le corps de bâtiment qui est parallèle à la Seine. Au-dessus de la porte on lit sur une inscription : Musée du mogen âge et de la Renaissance. Ce titre n'est pas absolument exact, puisque ce musée contient une salle consacrée aux monuments judaïques et une autre aux monuments chrétiens. Néanmoins, comme les salles consacrées aux statues de la Renaissance sont les plus nombreuses et les plus importantes, il était difficile de lui en donner un autre.
Salle Judaïque En entrant dans le musée des sculptures du moyen âge et de la Renaissance, on trouve du côté droit une porte qui conduit de deux salles successives, la salle chrétienne et la salle judaïque.
C'est naturellement par cette dernière qu'il faut commencer notre description. Un monument moabite, la fameuse stèle de Mesa occupe le milieu de la salle : elle a été trouvée en 1869, à l'orient de la mer Morte, à trois journées de marche de Jérusalem. Ce fut une véritable conquête pour la science archéologique et M. Renan a écrit dans le Journal des Débats (février 1870) qu'il la considérait comme la découverte la plus importante qui ait jamais été faite dans le champ de l'épigraphie
orientale. La stèle de Mésa est un monument moabite ; le roi de Moab, délivré du joug du roi d'Israël, y parle dans le style biblique, et le dieu de Moab, Kamos, joue ici le même rôle que Jéhovah parmi les Hébreux. Voici le commencement de la traduction donnée par M. Héron de Villefosse dans son catalogue : C'est moi qui suit Mesa, fils de Casmogad, roi de Moab, le Dai- bonite. — Mon père a régné sur Moab trente années, et moi j'ai régné après mon père. — Et j'ai construit ce bâmat pour Camos dans Qarha. car il m'a sauvé de tous les agresseurs et m'a permis de regarder avec dédain tous mes ennemis.— Omri fut roi d'Israël et opprima Moab pendant de longs jours, car Camos était irrité contre sa terre. — Et son fils lui succéda, et il dit, lui aussi : « J'opprimerai Moab, — en mes jours, je lui commanderai, et je l'humilierai, lui et sa maison, » — Et Israël fut ruiné, ruiné pour toujours.— Et Omri s'était emparé de la terre de Me-deba— et il y demeura [lui et son fils, et] son fils vécut quarante ans, et Camos l'a [fait périr] de mon temps.— Alors je bâtis Baal Meon, et j'y fis des., et je construisis Qiriathaïm.
Et les hommes de Gad demeuraient dans lepays d'[Ataro]th depuis un temps immémorial, et le roi d'Israël avait construit pour lui la ville d'Ataroth. — J'attaquai la ville et je la pris, — et je tuai tout le peuple de la ville, en spectacle à Camos et à Moab, —et j'emportai de là l'Ariel de David (?), et je le traînai à terre devant la face de Camos, à Qerioth, — et j'y transportai les hommes de Saron et les hommes de Maharouth (?). —
Et Camos me dit : « Va! prends Nébah sur Israël. » — Et j'allai de nuit, et je combattis contre la ville depuis le lever de l'aube jusqu'à midi,—et je la pris : et je tuai tout, savoir sept mille [hommes], et les maîtresses, [et les femmes libres], et les esclaves, que je consacrai à Astar-Camos; — et j'emportai de là les vases de Jéhovah et je les traînai à terre devant la face de Camos. —
Et le roi d'Israël avait bâti Yahas et y résidait lors de sa guerre contre moi — Et Camos le chassa de devant sa face : je pris de Moab deux cents hommes en tout. — Je les fis monter à Yahas, et je la pris pour l'annexer à Daibon. — C'est moi qui ai construit Qarha, le mur des forêts et le mur de.—J'ai bâti ses portes, et j'ai bâti ses tours. — J'ai bâti le palais du roi et j'ai construit les prisons des. dans le milieu de la ville.— Et il n'y avait pas de bruit dans l'intérieur de la ville, dans Qarha ; et je dis à tout le peuple : « Faites-vous un puits chacun dans sa maison, » — et j'ai creusé les conduites d'eau pour Qarha, [avec des captifs] d'Israël.
CAT. HÉRON DE VILLEFOSSE.
Un autre monument moabite (5) représente un roi casqué, avec la poitrine nue et les reins entourés de la schenti égyptienne : il tient sa lance des deux mains, un arc est pendu à son épaule droite et un lion se tient à ses côtés. Ce curieux monument offre une certaine analogie de style avec les sculptures assyriennes les plus barbares, mais l'aj ustement se rapproche davantage de celui des Egyptiens.
Un bas-relief découvert à Ascalon (64), nous montre une figure énigmatique, intéressante pour l'archéologie.
— Le milieu de ce bas-relief est occupé par Atargatis ou Athara, la déesse locale d'Ascalon. Elle est debout, vêtue d'une sorte de jupe collante qui dessine la forme de ses jambes et se termine audessous du nombril par un rang de perles formant ceinture. Toute la partie supérieure du corps est nue; le cou est orné d'un collier; les cheveux de la déesse sont abondants et grossièrement indiqués ; de ses deux mains elle soutient son ventre, geste commun aux déesses de la Fécondité. Deux arbrisseaux à la tige noueuse, au large feuillage, qui s'élèvent de chaque côté de la déesse ombragent deux autres femmes accroupies et entièrement nues. Elles portent toutes deux une tresse de cheveux pendants sur l'épaule, coiffure symbolique de la jeunesse. Il est essentiel de remarquer les différences qui existent entre elles : l'une porte la tresse à gauche, l'autre à droite; la première a la main ouverte étendue vers la déesse, tandis que la seconde pose sur sa cuisse sa main fermée. La position des jambes est également défférente et l'affaissement des seins indique un âge plus mûr chez celle qui se trouve à gauche de la déesse. Enfin, l'une est séparée de l'arbrisseau; l'autre au contraire, semble n'en point être détachée.
CAT. HÉRON DE VILLLEFOSSE.
Le monument qui, au point de vue de l'art, présente le plus grand intérêt dans cette salle, est le couvercle d'un sarcophage découvert dans le tombeau des rois près de Jérusalem (18).
M. de Saulcy le considère comme pr venant du tombeau de David; sans le suivre sur le terrain dangereux des attributions historiques, nous devons appeler l'attention sur le style ornemental de ce monument, qui est tout à fait exceptionnel : Le sommet est orné d'une bande de rinceaux dans les enroulements desquels se répètent, à partir du centre et en allant vers les extrémités, les représentations suivantes: des glands de chêne avec leur feuillage, des fruits de ricin, un lis, une rosace à huit pétales, un raisin à gros grains, un raisin à petits grains et une feuille de
pampre. Cette bande est accostée de deux doubles guirlandes d'oli- viers avec fruits, encadrées par une torsade; une élégante petite rosace est placée au centre des guirlandes et indique en même temps le milieu du couvercle. Tout autour règne une frise de rinceaux formés de tiges d'arbres et de plantes chargées de fleurs et de fruits : lis, roses, grenades, cédrats, raisins, glands, etc. Le centre du couvercle est indiqué, au milieu de ces rinceaux, par une rosace placée dans les guirlandes d'olivier. L'extrémité du couvercle a beaucoup souffert : elle est ornée d'une triple palme du sein de laquelle sortent deux lis ; deux patères à ombilic décorent le champ.
— La décoration est exécutée à la rape; encadrement de moulures.
CAT. HERON DE VILLEFOSSE.
Un autre sarcophage, muni de son couvercle taillé en forme de toit, a été découvert également dans le tombeau des rois : une inscription nous apprend qu'il contenait les restes d'une reine nommée Sadda.
Au moment de la découverte, le couvercle était encore scellé; le sarcophage contenait un squelette bien conservé, la tête appuyée sur un coussinet ménagé dans la masse au fond de la cuve. Le cadavre posé sur un fond de terreau avait les deux mains croisées sur la région pubienne; il mesurait 1m,60, A peine fut-il découvert que tout s'évanouit : on n'a pu recueillir que les objets décrits sous le n° 22.
CAT. HÉRON DE VILLEFOSSE.
Ces débris consistent en fragments d'or et fils d'or tordus provenant d'une étoffe. Ils sont exposés dans une vitrine plate, avec des monnaies juives , quelques bijoux de l'époque romaine, etc. Enfin il ne faut pas quitter la salle judaïque, sans avoir vu le bas-relief carré (74) au milieu duquel est figuré le chandelier à sept branches entouré d'une couronne. Il est intéressant de comparer ce chandelier à celui qui est sculpté sur l'arc de Titus.
Salle chrétienne
Au centre, on voit au-dessus d'une mosaïque antique, le tombeau de saint Drausin, évêque de Soissons. Tout autour sont des sarcophages remontant aux premiers temps du christianisme; l'un deux, celui de Livia Primitiva est un des plus anciens monuments chrétiens découverts à Rome. On voit aussi un devant de sarcophage qui représente plusieurs scènes tirées
de la vie de Jésus-Christ. On a rangé dans une vitrine plusieurs lampes chrétiennes et divers objets remontant aux premiers âges du christianisme.
Salle de la cheminée de Bruges Dès qu'on est sorti de la salle chrétienne, il faut traverser le corridor d'entrée et passer dans la salle qui s'ouvre à main gauche. Ellecontient plusieurs pièces intéressantes et de grands moulages. Le plus important, celui de la grande cheminée de Bruges, occupe tout le fond de la salle. Cette cheminée célèbre, qui se trouve dans le palais de justice de Bruges, a été exécutée vers 1529. D'après une tradition erronée, elle serait l'œuvre d'un condamné à mort qui aurait fait ce chef-d'œuvre pour obtenir sa grâce.
Voici la description que M. Du Pays donne du monument original dans son excellent guide en Belgique : « Les statues dont la cheminée est ornée sont celles de l'empereur Charles-Quint, ayant d'un côté Maximilien et Marie de Bourgogne; de l'autre Philippe le Beau et Jeanne d'Aragon. Au deux cô- tés et au-dessus des statues sont les écussons aux armes d'Espagne, de Bourgogne, de Flandre, d'Angleterre, etc. Dans la niche, derrière la statue de Charles-Quint, on aperçoit le profil de Philippe le Bel, son père, et celui de Jeanne d'Espagne, sa mère. Les petits génies qui décorent la frise ainsi que le bas-relief représentant l'histoire de la chaste Suzanne, le Jugement et la Condamnation des deux vieillards, sont en marbre blanc. Toute cette cheminée a été restaurée en 1850 par M. Geerts. »
Deux tombeaux moulés sur des originaux célèbres qui sont également à Bruges, occupent une place isolée dans la même salle. Le premier est celui de Charles le Téméraire : Le tombeau de Charles le Téméraire fut érigé par ordre de Philippe en 1558, et terminé en 1562. La statue du duc est en cuivre doré. Il est couché sur un lit doré en costume de guerre, appuyant sa tête sur une couronne ducale, au cou l'ordre de la Toison d'or; un lion est à ses pieds, son casque est à sa droite, ses gantelets sont à côté de lui. On lit la devise de ce prince aventureux : Je l'ai empris bien m'en advienne. La dépense de ce mausolée incrusté d'émaux s'éleva à 24,395 florins, plus une gratification aux ouvriers devenus impotents ou privés de leurs dents par la suite de l'emploi du mercure pour la dorure. C'est Jacques Jongelinck qui coula et cisela l'effigie du monarque, d'après les dessins de Marc Cheraerds. Des anges exécutés de la même manière, soutien-
nent les rameaux d'un arbre généalogique auxquels sont appendus les écussons des maisons de l'Europe auxquelles il était alliés. »
Du PAYS. (Guide en Belgique).
Le tombeau de la duchesse de Bourgogne est placé de manière à faire pendant au précédent : « Le mausolée de Marie, duchesse de Bourgogne, qui mourut à 25 ans, d'une chute de cheval, élevé vers la fin du quinzième siècle est le meilleur des deux. Le nom de l'artiste est inconnu. La statue de la duchesse couchée sur un lit d'honneur, est également en cuivre doré au feu ; deux chiens sont à ses pieds. La dalle noire qui la supporte n'est point en pierre de touche comme on le dit communément. Les figurines en cuivre ciselé et doré qui ornent les côtés sont d'un travail remarquable. Quel que soit du reste, le mérite de ces mausolées, lis sont loin d'égaler les fameux tombeaux des ducs de Bourgogne, Jeau sans Peur et Philippe le Hardi, que l'on admire au musée de Dijon. Autour du mausolée se trouvent les écussons des principautés que cette riche héritière avait apportées en dot à la maison d'Habsbourg. »
Du PAYS. (Guide en Belgique).
En face la cheminée de Bruges, est un groupe d'Hercule combattant l'hydre de Lerne, bronze qui était placé dans le parc de Saint Cloud et qui a survécu aux dévastations des Allemands.
Vis à vis ce monument païen, est le tombeau de Blanche de Champagne, femme du duc de Bretagne : c'est une grande statue tumulaire, couchée les mains jointes avec un chien aux pieds, selon les antiques traditions. Cette statue parait appartenir au treizième siècle. Quelques sculptures italiennes se rattachant à l'école de Pise et de grands bas-reliefs de Jean Goujon, complètent cette salle.
Corridor d'entrée
Revenant dans le corridor où est la porte d'entrée, nous laisserons les salles qui sont à droite et à gauche, et en nous dirigeant vers la salle Jean Goujon, nous regarderons en passant quelques statues qui sont ici comme dans une antichambre. On trouve d'abord une figure de Childebert (70) qui provient de l'abbaye de Saint-Germain des Prés dont elle ornait autrefois le réfectoire. Cette statue ne remonte pas plus haut que le treizième siècle, mais elle paraît imitée d'une autre image beaucoup plus ancienne. Le catalogue en donne la description suivante :
« Posée debout, adossée à une colonnette, la main droite porte un sceptre dont le fleuron manque ; la gauche retient le cordon qui attache le manteau; un bandeau de pierreries orné de feuilles de trèfle surmonte la tète ; la chevelure est longue, la barbe et les moustaches sont ondulées. La robe est attachée par une ceinture ornée de pierreries dont un des bouts retombe en a vant; cette robe est de couleur rouge, et une imitation d'hermine est peinte à l'intérieur du manteau dont l'extérieur est bleu.
On voit également dans ce corridor les tombeaux de Pierre d'Evreux (80), de Catherine d'Alençon (81) et de Anne de Bourgogne (82).
Salle de Jean Goujon
Cette salle, assez vaste et qui est comme une salle d'honneur de la sculpture française sous la Renaissance, porte naturellement le nom de notre plus grand sculpteur. La statue de Diane occupe le centre de la pièce. Jean Goujon, qu'on a nommé le Phidias francais, et le Corrége de la sculpture, est un des artistes les plus variés de la Renaissance. De tous ses ouvrages en ronde bosse, la Diane du Louvre (+) est la plus célèbre (100). La déesse, appuyée sur un cerf au bois d'or, repose sur un socle de forme bizarre et présentant un peu l'aspect d'un vaisseau, orné de crabes, d'écrevisses et de chiffres amoureux. Sa coiffure, formée de tresses et enrichie de bijoux, est une de celles qu'ont adoptées les femmes du seizième siècle. Une tradition, presque abandonnée aujourd'hui, veut que cette tète soit un portrait de Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois. Ce chef-d'œuvre de la statuaire française aurait disparu sous la Révolution, sans le zèle de M. Lenoir, qui en rassembla les parties éparses au musée des monuments français.
Un dessin vigoureux et du plus grand style, une exécution ferme et élégante caractérisent ce morceau, qui surmontait une fontaine dans une cour du château d'Anet.
Deux groupes de Germain Pilon occupent aussi une place solée dans la même salle. Le premier est le groupe des Trois Grâces (112), qu'on appelle aussi les trois vertus théologales (+), et qui est l'ouvrage le plus fameux de Germain Pilon. Ce groupe, aillé dans un seul bloc de marbre, était destiné à porter une
urne qui contenait le cœur de Henri II. On a voulu retrouver dans la figure de ces trois Grâces les traits de Catherine de Médicis, de la marquise d'Estampes et de madame de Villeroi, mais cette hypothèse est complétement abandonnée par la critique. La manière dont elles sont disposées et l'élégance des mouvements donnent à l'ensemble du monument une variété qui ne nuit en rien à l'unité. Les formes fines et sveltes sont parfaitement en harmonie avec la grâce que comportait le sujet, et le charme des contours se découvre sous des draperies très-légères qui ne sont qu'un voile transparent. Le piédestal de forme triangulaire dont on a souvent critiqué le style un peu contourné, n'est pas de Germain Pilon.
Le monument qui fait pendant à celui-ci est un groupe en bois représentant les quatre Vertus cardinales (118 à 121). Ces statues auxquelles les bras manquent, étaient destinées à porter la châsse de la patronne de Paris, dans l'abbaye royale de SainteGeneviève du Mont.
On voit dans la même salle un monument funéraire très- célèbre, dû également à Germain Pilon, celui du chancelier de Birague et de sa femme. C'est de ce personnage que Michelet a dit : « Birague, l'homme de la Saint-Barthélemy, tellement impatient d'être cardinal, qu'il fut tout à coup veuf. » Le cardinal, en bronze, la tête nue, les mains jointes, est agenouillé devant un prie-Dieu de marbre blanc orné de têtes d'anges.
Le tombeau de sa femme est placé vis à vis. Jamais la réalité de la mort n'a été rendue d'une manière plus saisissante que dans ce bas-relief, où l'on voit une femme étendue, décharnée, nue, les cheveux déliés, les mains croisées, et dont le visage, vu de profil, nous montre les traits de Valentine Balbiani, femme du chancelier de Birague, qui s'y trouve encore représentée en ronde bosse, mais vivante cette fois et occupée à lire.
Enfin le Louvre possède de très-beaux bustes de Germain Pilon, entre autres ceux de Henri II et Charles IX, ainsi que celui de Henri III qu'on dit avoir décoré autrefois le château du Raincy.
Le nom de Jean Cousin est moins populaire que ceux de Jean Goujon et de Germain Pilon, et ce n'est pas avec une certitude absolue qu'on attribue à ce maitre le mausolée de
l'amiral Chabot (+), que Cicognara proclame le plus be au monument de la sculpture française. C'est, il est vrai, d'après une tradition fort ancienne qu'on place cette statue sous le nom de Jean Cousin : mais Sauval avoue assez nettement son ignorance, et toutes les recherches de la critique moderne ont été impuissantes pour en fixer l'origine d'une manière bien authentique.
Le brave amiral est couvert de son armure de guerre et à demi couché, le bras gauehe appuyé sur un casque et tenant à la main un sifflet, comme les hommes de mer en ont pour le commandement.
Une superbe cheminée occupe le fond de cette salle ; elle provient du château de Villeroy et le catalogue du Louvre la décrit ainsi :
« Elle a la forme d'un petit monument terminé par un fronton ; le centre est occupé par une niche de forme ovale destinée à contenir un buste, et où l'on a placé celui du roi Henri II, que l'on attribue à Jean Goujon, et qui a été longtemps désigné comme un portrait de l'amiral de Coligny; l'encadrement de cette niche est une élégante couronne de fruits et de fleurs. Deux nymphes sont placées debout, l'une à droite, l'autre à gauche, toutes deux dans la même pose, tenant des fleurs d'une main et portant de l'autre une couronne de feuillage qu'elles élèvent au-dessus de leur tête. Deux chimères sont sculptées sur la frise dela cheminée, et les pieds droits sont ornés d'un terme représentant un faune auquel se rattachent des guirlandes et d'élégants feuillages qui ont été dorés en partie. La masse de cette charmante cheminée est taillée dans une belle pierre de liais, et des marbres de couleurs variées y ont été inscrustés comme accessoires ou comme fonds. » A côté de cette belle cheminée, on voit une colonne, trois statues allégoriques et des emblèmes sculptés en bas-reliefs, provenant du monument funéraire du cœur d'Anne de Montmorency, connétable de France. La colonne est en marbre blanc, torse, striée et ornée de pampres et de feuillages. Les statues de bronze posées en avant représentent la Paix, la Justice et l'Abondance. Le mausolée d'Anne de Montmorency et celui de Madeleine de Savoie, sa femme, sont dus, ainsi que le monument qui vient d'être décrit, à Barthélemy Prieur.
Une Déposition du Christ et des Evangélistes par Jean Goujon, des nymphes et tritons provenant de la fontaine des Innoncents, se trouvent dans cette salle qui offre, comme on le voit, un spé-
cimen assez complet de la sculpture française sous la Renaissance.
Le catalogue attribue à Ligier Richier un Jugement de Daniel dont le style rappelle l'école allemande. Ce bas-relief montre la chaste Suzanne et les deux vieillards comparaissant devant Daniel, qui est assis sur un trône. Parmi les personnages qui assistent au jugement, on voit un fou qui agite sa marotte pour railler les amours caduques. Le haut du bas-relief est occupé par des anges placés dans des nuages. Le musée renferme aussi quelques morceaux de ce sculpteur qui fut un des plus grands maîtres de l'école française; mais ils n'en donnent également qu'une idée très-incomplète. Ceux qui voudront connaître Ligier Richier devront aller en Lorraine, voir le fameux sépulcre de SaintMihel, qui est son chef-d'œuvre.
Salle de Michel-Ange On entre dans cette salle parla porte qui se trouve à droite, en regardant les fenêtres, quand on est dans la salle Jean Goujon. Le premier monument qui frappe les yeux est la grande porte de Cré- mone (+). Ce monument, dont l'administration du Louvre a fait récemment l'acquisition, au prix de quatre-vingt mille fr., est trèsimportant pour l'histoire de l'art décoratif en Italie. Deux personnages armés dominent la composition de cette porte si riche d'ailleurs en ornements de tout genre. Le premier est Hercule, le fondateur mythologique de Crémone ; le héros, appuyé sur sa massue, se repose de ses travaux qui sont représentés sur les trois divisions de la frise et sur les piédestaux des colonnes. Le second est Persée appuyée sur son épée : l'armure et le casque appartiennent, dit-on, au ducde Milan, seigneur de Crémone: d'après cette théorie, les deux figures sculptées dans la frise en saillie et dans l'axe des colonnes appartiendraient aussi à l'illustre famille des Sforza. Quelques-unes des compositions que le caprice des sculpteurs a distribuées sur toutes les divisions de la porte, sont empruntées à des médailles ou à des marbres antiques.
Les deux belles figures de Michel-Ange, connues sous le nom d'esclaves ou de prisonniers (+), sont placées de chaque côté de la porte de Crémone. Elles étaient primitivement destinées à décorer le
tombeau du pape Jules II, monument dont le plan primitif ne fut jamais mis à exécution. Le catalogue du Louvre explique de la manière suivante comment ces deux superbes statues de marbre sont maintenant à Paris, au lieu d'être à Rome : « Comme ces statues n'avaient plus leur place dans le monument de SaintPierre-aux-Liens, Michel-Ange les donna au seigneur Robert Strozzi, qui l'avait recueilli malade en sa maison, et celui-ci en fit don au roi François Ier. Il est probable que le roi donna ces deux statues au connétable de Montmorency, car du vivant de Vasari, elles étaient à Ecouen, et elles y étaient encore lorsque Androuet du Cerceau a publié les vues du château. Elles en furent enlevées en 1632 pour être transportées dans la superbe demeure que le cardinal de Richelieu avait construite en Poitou.
Ce fut le dernier maréchal de ce nom qui les fit transférer à Paris, dans le jardin de son hôtel, et sa veuve les avait placées dans une maison qu'elle habita au faubourg du Roule. C'est là qu'en 1793, M. Alexandre Lenoir les trouva dans une écurie, en empêcha la vente et les acquit à l'Etat. »
On a placé, dans la même salle, une statuette d'après le Moïse de Michel-Ange, et des petites copies en bronze d'après les figures allégoriques, qui ornent les tombeaux de Julien et de Laurent de Médicis, dans la chapelle de San-Lorenzo à Florence. Elles représentent : le Jour, la Nuit, l'Aurore et le Crépuscule. Ces reproductions sont placées sur le mur qui fait face aux fenêtres : on y voit aussi un Jason vainqueur, belle statue de bronze qui a été reconnue pour être de l'école de Miehel-Ange, mais sur laquelle on ne possède aucun renseignement positif. Elle, décorait autrefois le parc de Saint-Cloud et en a été retiré au moment de la guerre.
Sur le mur qui fait face à la porte de Crémone, on voit une Mise au tombeau par Daniel de Volterre et au-dessus la fameuse Nymphe de Fontainebleau, par Benvenuto Cellini (+). « Je terminai, dit Cellini dans sos mémoires, une figure en bronze, grande de sept brasses, renfermée dans un hémicycle également en bronze.
Cette statue représentait la nymphe de Fontainebleau, ravissante villa appartenant au roi. Son bras gauche reposait sur des vases, d'où s'échappaient des sources, pour rappeler les eaux qui arrosent cette contrée; son bras droit entourait une tête de
cerf en ronde bosse, par allusion à la race de ces animaux qui peuplent le pays. Cette composition était ornée, d'un côté de chiens braques et de lévriers, de l'autre côté de chevreuils et de sangliers. » La nymphe de Cellini ne fut point placée dans le château de Fontainebleau pour lequel elle avait été faite, mais dans le château d'Anet : elle fait depuis la Révolution partie de nos collections publiques.
Plusieurs figures de Paul Ponce, un des maîtres italiens que François 1er appela près de lui, se voient également dans cette salle: on remarque principalement les monuments d'Albert Pie de Savoie, prince de Carpi; de Charles de Magny, capitaine des gardes de la porte du roi Henri II; de André Blondel de Rocquencourt, contrôleur général des finances du royaume sous Henri II; mais quelque estime qu'on puisse avoir pour ces statues, elles ne peuvent en aucune façon se comparer à celle de l'amiral Chabot que nous avons vu tout à l'heure, et on a de la peine à comprendre pourquoi le roi de France, qui avait dans son pays des artistes comme Jean Cousin, Germain Pilon et Jean Goujon, a toujours accordé ses faveurs à des étrangers qui ne les valaient pas.
Il faut encore noter dans cette salle, un Robert Malesteta, seigneur de Rimini, par Paolo Romano; une Beatrice d'Esté, par Désiderio de Stetignano; un Triton, par Jacopo della Quercia.
Dans un coin de la salle, l'œil est attiré par une statue plutôt bizarre que belle, et qui représente la Nature. Elle est du Florentin Tribolo (1485-1550), et Vasari en donne la description : « Retourné à Florence, dit-il, le Tribolo rencontra JeanBaptiste Della Palla qui, en ce temps-là, faisait faire autant qu'il pouvait de sculptures et de peintures pour envoyer en France au roi François 1er; achetait des antiquités de toutes sortes et des peintures de toutes façons, pourvu qu'elles fussent de bons maîtres, et journellement les encaissait et expédiait. Et comme précisément le Tribolo revint, Jean-Baptiste avait un vase de granit antique de forme très-belle et voulait l'accompagner, afin d'en faire une fontaine pour le roi; il s'en ouvrit au Tribolo sur ce qu'il en voulait faire. Et, celui-ci s'étant mis à l'œuvre, lui fit une déesse de la Nature qui, levant le bras, tient de ses mains ce vase qu'elle a sur la tête ; le premier rang de mamelles est
garni de petits enfants refouillés et détachés du marbre qui, tenant dans leurs mains des festons, ont les plus belles attitudes. Le rang qui suit est rempli de quadrupèdes, et près des pieds sont des poissons variés. Cette figure fut achevée avec tant de soin et de perfection qu'elle mérita, ayant été envoyée en France avec d'autres choses, d'être très-chère au roi et d'être placée comme une rareté à Fontainebleau. » Un charmant petit bas-relief qu'on attribue maintenant à Donatello, passait autrefois pour être un ouvrage de Jean Goujon : c'est une tête de profil, avec les cheveux bouclés et tous les charmes de la première jeunesse.
Parmi les rares pièces de l'école florentine primitive que l'on peut voir au Louvre, il y en a une exquise : c'est un basrelief en marbre : l'enfant Jésus, debout sur les genoux de sa Mère, donne la bénédiction avec sa main droite, tandis que la gauche tient un globe surmonté de la croix. C'est un très-heureux exemple d'une composition reproduite à l'envi par les peintres aussi bien que par les sculpteurs de cette époque. Un autre bas-relief, représentant le même sujet et attribué à Mino da Fiesole, a été donné dernièrement au Musée par M. His de Lasalle (12 bis).
Dans l'embrasure des fenêtres, on a placé les bas-reliefs d'un très-habile sculpteur de la Renaissance, Andrea Riccio, né à Padoue en 1480; il est surtout connu par les magnifiques ouvrages qu'il a laissés dans sa ville natale. Les bas-reliefs du Louvre décoraient un monument élevé à Vérone en l'honneur de Jérome della Torre, savant médecin italien. Quoique destinés à un mausolée chrétien, ils sont tout imprégnés de souvenirs païens et d'allégories en usage sous la Renaissance. Ces huit bas-reliefs, dont l'exécution est des plus remarquables, présentent les sujets suivants (devani la première fenêtre) : 1° Jérome della Torre enseigne la médecine à ses disciples groupés devant lui. Deux divinités, parmi lesquelles Apollon est reconnaissable à sa lyre, sont placées près du professeur qui tient un livre à la main. L'Adige et la ville de Vérone personnifiés terminent la composition de l'autre côté.
2° Jérome della Torre, malade et se sentant près de mourir, reçoit les soins de sa famille. Apollon, le dieu de la médecine,
assiste encore à la scène, mais les Parques sont derrière le moribond et l'inflexible Atropos s'apprête à couper le fil.
3° Les parents et les amis du malade, réunis devant la façade d'un temple, offrent un sacrifice pour sa guérison. Un serpent, génie d'Esculape, s'approchent pour goûter les mets déposés sur l'autel, mais les prêtres, examinant le brasier sacré, y voient de sinistres présages et semblent consternés.
4° Le savant vient de rendre le dernier soupir. Ses fils soutiennent son corps chancelant et ses filles éclatent en gémissements. Les torches allumées annoncent le commencement des funérailles, et au premier plan, un petit génie ailé, tenant une palme et un livre, exprime la gloire réservée au défunt.
(Devant la deuxième fenêtre.) 5° Le tombeau que nous voyons ici représenté est celui de Jérome della Torre, tel qu'il était à Vérone : au-dessus des sphinx on voit les places réservées aux bas-reliefs que nous décrivons. De nombreux assistants sont près du tombeau, devant lequel deux jeunes enfants tenant un masque rappellent les jeux scéniques qui avaient lieu aux funérailles antiques.
6° Les âmes, sous la forme de petits génies ailés, s'approchent de la barque de Caron qui va les transporter sur l'autre rive.
Le premier de ces petits génies est l'âme du défunt caractérisé par le volume qu'il tient à la main. L'arbre ou résident les songes occupe le milieu de la composition : on voit près de lui les Gorgones et tous les monstres infernaux.
7° Les Champs-Elysées sont ici représentés et les petits génies ailés exécutent des danses joyeuses au milieu d'un riant jardin. Il y a aussi de graves personnages qui dissertent et on reconnaît parmi eux Jérome della Torre, à la couronne que la Renommée lui pose sur la tête.
8° La Renommée, portant une couronne, parcourt l'univers en publiant la gloire du défunt, dont Pégase et le laurier expriment les talents. Le Temps, sous la forme d'un squelette, a quitté sa faux pour ne pas détruire les œuvres immortelles d'un savant illustre.
Salle de Michel Colombe
Cette salle à laquelle on arrive en passant sous la porte de Cré-
mone, doit son nom au patriarche de la sculpture française sous la Renaissance. Michel Colombe, l'auteur du fameux mausolée du duc de Bretagne, à Nantes, est représenté par un bas-relief qui représente saint Georges combattant le Dragon (84). Une statue de Louis XII, par Laurent de Mugiano, occupe le fond de la salle.
La statue de Laurent de Mugiano, que nous savons avoir été transportée de Milan au château de Gaillon en 1508, était à micorps; la tête avait été détruite lorsque M. Alexandre Lenoir recueillit les débris de l'œuvre du sculpteur milanais, et celle qui la remplace a été ordonnée par lui et faite par P. Beauvallet. Ce ne fut que plus tard, et pour le Musée historique de Versailles, que la demi-figure fut transformée en une statue en pied par l'adjonction des jambes et des accessoires qui y sont joints. Un buste en bronze, qui était un surmoulé, a été exposé au Louvre, dans une des salles du Musée d'Angoulême.
CAT. BARBET DE JOUY.
Les statues coloriées de Philippe de Comines, qui accompagna Charles VIII en Italie, et de sa femme, sont placées le long de la muraille.
Les deux statues (nos 85 et 86) ont pour base commune une sorte de sarcophage en pierre que décorent des armoiries et la devise : Qui non laborat non manducet. Le monument avait été érigé pour la sépulture de Philippe de Commines et de sa femme, dans l'église des Augustins, en une chapelle que cet homme éminent avait fait construire.
CAT. BARBET DE JOUY.
Sur le côté opposé, dans la même salle, on voit aussi les statues de Louis de Ponchel, trésorier du roi François Ier, et de Roberte Legendre, sa femme.
Ces deux statues (nos 87 et 88) recouvraient les tombeaux des personnages qu'ils représentent, dans une chapelle du chœur de SaintGermain-l'Auxerrois, bâtie, de 1504 à 1505, aux dépens de Louis de Ponchet, secrétaire du roi et intendant général des finances.
CAT. BARBET DE JOUY.
On a placé dans la même salle, une vierge en marbre, portant l'enfant Jésus sur le bras droit et qui provient du château d'Olivet, près d'Orléans. Elle parait se rattacher à l'école de Tours, dont Michel Colombe est le représentant le plus illustre. Enfin, il ne faut pas partir sans avoir vu une tête d'apôtre fort Cu-
rieuse (69 bis), qui est nn remarquable échantillon de la sculpture française du treizième siècle.
Salle des Anguier
Il faut revenir sur ses pas et traverser de nouveau la salle Michel-Ange et la salle Jean Goujon, pour arriver à la salle des Anguier. Le monument funéraire des ducs de Longueville par François Auguier (1604-1669) occupe le milieu de cette salle.
C'est une pyramide en marbre blanc, dont les quatre faces sont décorées de figures et de trophées destinés à rappeler la gloire militaire de la maison de Longueville et ses goûts pour les sciences, les lettres et les arts. Au bas de la pyramide on voit les statues de la Vérité, l'Union, la Justice et la Force (178 à 190).
Parmi les statues placées au centre de la salle, on distingue un Mercure en bronze, reproduisant celui de Jean de Bologne (60 bis); la fonte est de la Renaissance. De l'autre côté est une Renommée de Guillaume Berthelot (164).
M. Lenoir assure que cette statue a été originairement placée à Bordeaux, au château Trompette, aujourd'hui détruit. La Descrip- tion du château de Richelieu, par Vignier, contient la notice suivante : « Sur le petit dôme qui est au-dessus de la porte, il y a » une Renommée d'airain qui est de Berthelot. » Et il la dépeint ainsi : La Renommée au vol soudain, Au-dessus de ce petit dôme, Une trompette en chaque main, Publie avec plaisir, de royaume en royaume, La grandeur du ministre et de son souverain.
On ne saurait trouver une indication plus juste de la statue que le Louvre possède ; or, une statue identique provenant du château de Boissy, et antérieurement de celui de Richelieu, a été vendue à Paris au mois de décembre 1854 : celle-là était assurément celle dont parle Vignier, et avait été, de même que la nôtre, fondue sur le modèle de Guillaume Berthelot ; et en effet l'on n'en saurait imaginer aucun qui convînt mieux pour terminer ces dômes qui furent si fort à la mode dans les constructions du règne de Louis XIII.
CAT. BARBET DE JOUY.
Dans l'embrasure d'une fenêtre, on voit quatre chiens en bronze :
Ces beaux animaux décoraient le piédestal d'une fontaine que le roi Henri IV avait fait construire dans le jardin de la reine à Fontainebleau, et qui, privée des quatre chiens, existe encore aujourd'hui, surmontée, comme elle le fut dès l'origine, d'un bronze de la Diane antique. Les chiens furent transportés dans les jardins de Saint-Cloud; deux en ont été retirés en 1850 et deux en 1872.
CAT. BARBET DE JOUY.
Au fond sont trois statues de Simon Guillain (1581-1658); Louis XIII (166), Anne d'Autriche (167) et Louis XIV, à l'âge de dix ans (165) et sur l'autre muraille, le tombeau de Jacques de Souvré (193), et celui de de Thou, par François Anguier (19).
Nous apprécions médiocrement l'Orphée de Franqueville (62), et le David vainqueur de Goliath, par le même.
Ces statues si tourmentées dans leurs formes, si maniérées dans leur conception première, ont du moins un incontestable mérite au point de vue de l'histoire : celui de nous faire connaître exactement le point où la sculpture était arrivée en Italie, au commencement du dix-septième siècle.
Franqueville en effet (1548 et 1618) a été l'élève et bien souvent le collaborateur de Jean de Bologne. C'est ce qui est arrivé notamment pour la fameuse statue de Henri IV qui était autrefois sur le Pont-Neuf : Franqueville avait sculpté les quatre figures d'esclaves qui entouraient le piédestal et qui ont trouvé un refuge dans la salle où nous sommes (64 à 67). Quand à la statue elle-même, elle a été détruite et le musée en possède seulement quelques fragments (57 à 59).
Jean de Bologne était fort âgé lorsque, en 1604, il commença pour la France le cheval de bronze qui devait porter la statue de notre bon roi Henri IV. Ce fut son dernier travail, que la mort ne lui laissa pas le temps d'achever, et que Pierre Tacca fut chargé de finir. La statue équestre de Henri IV, terminée en 1611, embarquée à Livourne en 1612, échoua sur les côtes de Sardaigne et n'arriva à Paris qu'en 1614 ; elle fut placée sur le Pont-Neuf, en présence de Pierre Franqueville, premier sculpteur de Leurs Majestés, et de François Bordoni, leur sculpteur ordinaire. Franqueville imagina, pour la décoration du piédestal, les quatre figures d'esclaves en bronze, qui n'étaient pas achevées lorsqu'il mourut, et qui l'ont été en 1618 par Bordoni, son élève et son gendre. Le décret de l'Assemblée nationale du 14 août 1792 a été fatal pour l'œuvre de Jean de Bologne : l'extrémité d'une des jambes du cheval et un bras, une main, une botte, débris de la statue du roi, ont seuls échappé à la
fonte. Les quatre esclaves du piédestal, de l'invention de Franquevills, ont été conservés.
CAT. BARBET DE JOUY.
MUSÉE DE SCULPTURE
Les statues modernes
Le musée des sculptures modernes comprend les ouvrages de sculpture exécutés depuis le règne de Louis XIV jusqu'à nos jours. L'entrée de ce musée est dans la cour du Louvre : la porte ouvre sur le bâtiment qui fait suite au pavillon de l'Horloge, du côté de la rue de Rivoli.
Salle de Puget Trois ouvrages célèbres de Pierre Puget (1622-1694), occupent le milieu de la salle d'entrée. Le premier qui doit nous arrêter est le Milon de Crotone (203), (+) admirable groupe en marbre, que l'on compte avec raison parmi les grands chefs-d'œuvre de l'école française. L'athlète qui fut sept fois vainqueur aux jeux Olympiques et six aux jeux Pythiens, est là debout, dans la plénitude de sa force, et on sent qu'il pourrait broyer le lion d'un coup de poing, si le bout de ses doigts n'était retenu par l'arbre; le doute sur l'issue de la lutte rend le drame encore plus émouvant, car l'obstacle qui rendra la défense impossible, semble si peu de chose que l'esprit inquiet conserve encore de l'espoir. Au lieu de montrer son héros se débattant contre le lion, Puget le présente employant sa colossale énergie à dégager cette main, qui, si elle pouvait lui être rendue, terrasserait bien vite le monstre.
La tête rejetée sur l'épaule, du côté que la morsure déchire, pousse un cri désespéré en invoquant le ciel. C'est le plus haut degré où l'art moderne soit arrivé dans l'expression d'une situation convulsive, effrayante et instantanée.
Quand le Milon arriva à Versailles, le cri d'admiration fut unanime. Le roi dit au fils de Puget : « Votre père est grand et illustre, personne en Europe ne peut l'égaler. » Lebrun écrivit à l'artiste pour lui demander son amitié, « faisant plus de cas ;
dit-il, d'une personne de vertu comme lui, que des plus qualifiés de notre cour. »
Le groupe de Persée enlevant Andromède (204), par le même artiste, possède également d'admirables morceaux; néanmoins la postérité n'a pas ratifié le jugement de Louis XIV qui le préférait au Milon. La composition est un peu confuse. Persée est occupé à délier Andromède; celle-ci, entièrement nue, appuie un de ses bras déjà libres sur celui du héros. Pour indiquer les conséquences de cette délivrance, le sculpteur a imaginé de placer aux pieds d'Andromède un amour enchaîné comme sa maitresse et qui ne peut manquer de sourire au libérateur. Ce groupe avait été commandée pour le parc de Versailles, et lorsqu'il fut présenté à Louis XIV, le roi en fut enthousiasmé. Quelques observations furent néanmoins faites à l'artiste, au sujet de la figure d'Andromède qui est un peu petite pour le Persée. Cette statue est en somme loin de valoir le Milon de Crotone, du même artiste, auquel le roi l'a pourtant trouvé très-supérieure.
Entre les deux groupes de Milon et de l'Andromède, et juste en face de la porte d'entrée, il y a une grande statue de Puget : elle représente Hercule assis (201), et se reposant de ses glorieux travaux. Il y a un peu de mollesse dans cette statue où l'on ne trouve pas cette vie et ces frémissements d'épiderme qui caractérisent habituellement le grand sculpteur marseillais; mais ceux qui aiment l'énergie et la passion pourront se dédommager en regardant les deux superbes cariatides de taille colossale (199-200), que l'artiste a sculptés pour l'hôtel de ville de Toulon, et dont on voit ici le moulage.
Une œuvre bien étonnante et à laquelle nous ne savons comment donner un nom convenable, c'est le grand bas-relief qui représente Alexandre et Diogène (205). Nous disons bas-relief, faute d'un terme meilleur, car c'est un véritable tableau sculpté, et dont certaines parties sont même traitées en ronde bosse; Alexandre passe à cheval devant Diogène, qui du tonneau où il est assis lui crie de s'écarter de son soleil. Des guerriers complètent la composition qui se termine dans le lointain par des édifices en perspective. C'est une conception de peintre exécutée par un sculpteur; conception illogique, puisqu'une tête qui fait
saillie sur le ciel doit par cela même projeter sur lui une ombre absurde, mais tour de force d'un artiste rompu à toutes les audaces et dont le génie ne connaît ni règles, ni obstacles.
Presque tous les chefs-d'œuvre de Puget datent de sa vieillesse.
Il semble que l'âge n'agisse pas sur les hommes fortement trempés : « Je suis nourri aux grands ouvrages, écrivait-il à Louvois, je nage quand je travaille, et le marbre tremble devant moi, pour grosse que soit la pièce. » Mais traversé par l'indigence et la jalousie, il ne put réaliser les immenses projets qu'il avait conçus pour Versailles, entre autres la statue colossale d'Apollon qui devait, au milieu d'un grand canal, s'élever sur un rocher, où se grouperaient des Tritons et des Sirènes. L'époque la plus glorieuse de son talent fût précisément celle où il fut abreuvé d'injustices.
Malgré tous les éloges qu'il avait reçus, ce fut à peine si le prix qu'on lui donna pour le Milon et l'Andromède put le dédommager des frais énormes qne ces ouvrages lui avaient coûtés, son travail étant compté pour rien. A l'époque où Puget fit ses réclamations, la cour visait à l'économie, et l'artiste exposa vainement que l'ouvrage qu'on lui payait 15 mille francs en coû- tait 5,000 pour le marbre et les frais de transport, en sorte que le reste étant absorbé par les ouvriers et praticiens, ses six années de travail restaient sans salaire aucun.
La fierté de Puget l'avait empêché de venir à Versailles mener la vie de courtisan, et son tempérament se serait d'ailleurs fait difficilement aux exigences de Le Brun, qui régnait alors despotiquement sur les arts. Il n'en était pas de même de François Girardon (1628-1715) ; celui-ci était un vrai sculpteur de cour, et d'ailleurs un artiste d'un incontestable talent. Nous verrons à Versailles plusieurs de ses ouvrages et dans l'église de la Sorbonne, son chef-d'œuvre, le tombeau du cardinal de Richelieu.
Au Louvre nous avons le modèle de la statue équestre de Louis XIV que la ville de Paris avait fait élever en l'honneur du roi et qui a été fondue en 1792 (209). il est resté seulement un pied de la statue originale, et on peut le voir à côté (210).
On y verra aussi un fort beau buste en marbre de Boileau Despréaux, par Girardon (211). Le poëte qui en fut fort satisfait, écrivit à cette occasion les vers suivants :
Grâce au Phidias de notre âge, Me voilà sûr de vivre autant que l'univers; Et ne connût-on plus ni mon nom ni mes vers, Dans ce marbre fameux, taillé sur mon visage, De Girardon toujours on vantera l'image.
Ces vers de Boileau nous montrent en quel estime on tenait Girardon en son temps. Sa réputation a un peu baissé depuis et il faut dire qu'au Louvre il n'est représenté par aucune œuvre capitale.
Son contemporain, Pierre Legros (1666-1719), est représenté dans la même salle par quatre très-bonnes statues en hermès, représentant les quatre saisons (246). Il faut encore signaler ici les statues d'Atlas (244 bis) et de Phaétuse (244 ter) par Théodon deux têtes de Méduse par le Bernin, et un portrait de Mansart, par Lemoine, Salle de Coyzevox Quand nous avons examiné les ouvrages contenus dans la salle de Puget, il nous faut tourner à gauche et nous nous trouverons dans celle qui porte le nom du sculpteur Coyzevox (1640-1720).
Le tombeau de Mazarin, placé à droite en entrant, attire tout d'abord nos regards (227). Par son testament, fait trois jours avant sa mort, 1661, le cardinal Mazarin avait ordonné la construction du collége des Quatre-Nations. C'est dans la chapelle de ce collége, que fut d'abord placé le tombeau que nous voyons ici. Coyzevox a représenté le cardinal agenouillé, tète nue, et revêtu du costume des princes de l'Eglise; derrière lui un ange tient la pièce principale de ses armes, un faisceau de licteur. Ce sarcophage est en marbre : mais le tombeau est enrichi de trois figures allégoriques en bronze, assises sur les marches et appuyées aux moulures du soubassement; elles représentent la Prudence, la Paix et la Fidélité. On a rapproché du même tombeau les figures en marbre de la Religion et de la Charité ; elles faisaient partie du monument primitif et, placées à une grande élévation, elles servaient de support aux armoiries du cardinal.
Ce monument est le plus important de la salle; mais nous y trouvons encore d'autres ouvrages de Coyzevox, entre autres un berger jouant de la flûte (234), qui est placé au milieu de la salle,
et un portrait assez faible d'ailleurs, de la duchesse de Bourgogne, Marie-Adélaïde de Savoie (233). Cette princesse qui avait de grandes prétentions sur la beauté de ses jambes, voulut être représenté en Diane. Mais ce qu'il faut par-dessus tout signaler, ce sont les bustes de Le Brun (239) et de Mignard (240); ils sont pleins de vie, et bien supérieurs à ceux de Bossuet et de Richelieu, également de Coyzevox.
Salle de Coustou
Quand on a vu la salle de Coyzevox, il faut traverser la grande pièce d'entrée où sont les ouvrages de Puget que nous avons déjà examinés et on arrive à la salle de Coustou.
Les Coustou sont les sculpteurs qui caractérisent le mieux le goût de leur temps. Le premier, Nicolas Coustou (1658-1733), l'auteur du groupe de la Seine et de la Marne, placé dans le jardin des Tuileries, a les honneurs de la salle puisque sa jolie statue d'Adonis (250 bis) en occupe le centre; le jeune chasseur, assis sur un tronc d'arbre, tient encore son épieu dans la main gauche, et son chien est près de lui. Un César, d'une exécution médiocre, un portrait de Louis XV en Jupiter, et un portrait de Marie Leczinska, en Junon, celle-ci par Guillaume Coustou (1677- 1746) forme l'apport de ces maîtres dans la salle qui porte leur nom, et cet apport, il faut en convenir, est insuffisant pour représenter au Louvre ces éminents sculpteurs L'œuvre la plus remarquable de cette salle est certainement l'Amalthée de Julien (303) : c'est cette jeune fille en compagnie d'une chèvre, qu'on voit adossée à la muraille vis-à-vis les fenêtres.
La grâce, la décence, la simplicité de cette charmante figure en font un ouvrage hors ligne dans la sculpture du dix-huitième siècle. Il faut encore citer ici la Diane et la baigneuse d'Allegrain (1710-1795) et le Mercure de Pigalle. Il y a même deux répétitions de ce Mercure : une petite statue en marbre qui fut le morceau de réception de l'artiste à l'Académie, et une figure en plomb de grandeur naturelle qui était autrefois placée dans le jardin de Luxembourg.
Nous ne voulons pas quitter cette salle sans avoir signalé les petites statuettes en marbre qui sont rangées tout autour; ce sont les morceaux de réception à l'Académie. On voit bien là ce qu'on
a appelé le maniérisme du dix-huitième siècle; des figures renversées dans tous les sens, remuant à la fois tous leurs membres, faisant crisper tous leurs muscles, étalant une anatomie pédante et irréfléchie, affichent partout la prétention d'émouvoir et ne produisent le plus souvent que la fatigue. Mais si le style manque en général de noblesse, il faut reconnaître qu'il y a presque toujours une très-grande habilité pratique dans ces petites figurines. Quoique la plupart représentent des hommes fortement musclés, avec les mouvements les plus violents et les expressions les plus convulsives, il y en a quelques-unes qui ne manquent pas de valeur, par exemple le Milon de Falconnet, statuaire éminent (1716-1791), qui est également l'auteur de la petite baigneuse, si souvent reproduite par le moulage, et dont l'original est à côté de la statue de Julien.
Salle de Iloudon La salle suivante est consacrée à Houdon (1741-1828), dont une statue de bronze occupe le milieu; c'est une Diane entièrement nue, posée debout et n'adhérant à sa base que par l'extrémité du pied gauche : la main droite tient une flèche et la gauche qui est abaissée porte un arc. La déesse semble courir et tourne légèrement la tête du côté droit. Un article publié dans le Journal des Arts en 1802, nous apprend que la figure de cette divinité est un portrait. « La Diane du citoyen Houdon lui a fait beaucoup d'honneur, malgré les observations qui lui furent faites alors, d'avoir représenté Diane chasseresse nue ; cette inconvenance lui fut, dit-on, demandée par le particulier qui commanda cette statue. La tête est un portrait; par conséquent elle n'a pas le caractère idéal et sévère que les anciens donnaient à cette déesse. »
Malgré l'inconvenance mythologique qui fut reprochée à Houdon, sa statue eut un grand succès. Le modèle en plâtre avait été terminé en 1777 et Grimm, dans sa correspondance littédaire, rapporte les vers de Rulhières qui furent faits à cette occasion.
Oui, c'est Diane, et mon œil enchanté Désire dans sa course atteindre la déesse, Et mes regards devancent sa vitesse.
Aucun habillement ne voile sa beauté ;
Mais son effroi lui rend la chasteté.
On aurait dans Ephèse adoré ton ouvrage, Rival de Phidias, ingénieux Houdon, A moins que les dévots, en voyant ton image, N'eussent craint le sort d'Actéon.
La statue du Louvre est en bronze; la même figure a été faite en marbre. Celle-ci fut acquise par la grande Catherine et est maintenant à Saint-Pétersbourg.
Outre sa statue de Diane, Houdon, auquel on doit tant d'admirables portraits, est représenté au Louvre par deux beaux bustes. Le premier reproduit les traits fins et caustiques de l'abbé Auber, celui dont on a dit lorsque ce buste figura au salon : « passez vite, car il mord. » Le second est un portrait de Jean-Jacques Rousseau. On lit dans la Correspondance de Laharpe : « Le sculpteur Houdon est parti tout de suite pour aller modeler Rousseau à Ermenonville, ce qui fait croire que la mort ne la pas défiguré. » Il existe uue terre cuite de Houdon qui n'est pas tout à fait pareille au buste en bronze du Louvre, où l'auteur d'Emile est représenté comme un philosophe de l'antiquité.
L'Amour taillant son Arc, par Bouchardon, placée au fond de la même salle, était autrefois dans une île au milieu de l'étang de Trianon. Cette jolie statue, qui a été fort dépréciée au commencement de ce siècle est bien conforme à l'esprit du dixhuitième siècle. L'Amour, vainqueur des dieux et des hommes, s'est emparé sans peine de la massue d'Hercule, et tandis qu'il est occupé à s'en faire un arc, il incline la tête avec un mouvement de coquetterie un peu affectée, mais plein de grâce. On voit également sur la cheminée un petit modèle de la statue de Louis XV par Bouchardon.
Pajou ( 1730 - 1809) à deux jolies statues, une Psyché et une Bacchante, et deux très-beaux bustes, l'un de Buffon, l'autre de Madame du Barry. Enfin pour terminer nous nommerons la jolie bacchante de Clodion ouvrage en marbre très-remarquable, bien qu'en général cet artiste se soit surtout fait remarquer par ses jolies terres cuites.
Salle de Chaudet Quelque méritée que soit la réputation de Chaudet, celle de
Canova est infiniment plus étendue, et il nous semble que c'est lui qui aurait dû avoir les honneurs de cette salle. Le talent de Canova (1757-1822) est fin, élégant. délicat, mais souvent mou et efféminé ; la chair prend sous son ciseau le poli de l'ivoire, et ne rend pas assez les palpitations de de la vie. Mais malgré ses défauts, pour lesquels on est peut-être trop sévère aujourd'hui, Canova restera comme une des personnifications les plus complètes de son temps. Les deux groupes que nous avons de lui au Louvre, représentent le même sujet: l'Amour et Psyché.
Ces groupes, pleins d'une grâce un peu affectée, donnent une idée très-juste du talent et de la manière de l'artiste. Dans celui qui est placé au milieu de la salle, l'Amour semble arrêter son vol pour serrer dans ses bras Psyché qui s'abandonne à ses caresses; dans l'autre Psyché tient un papillon, qu'elle va déposer sur la main de l'Amour.
Le Phorbas de Chaudet et l'Aristée de Bosio sont placés au milieu de la salle et séparés par un des deux groupes de Canova.
Phorbas était un berger de Polybe dont Œdipe se croyait le fils. Il tient le petit enfant dans ses bras. C'est une bonne statue, ou tout est irréprochable, mais il serait peut-être difficile d'y signaler une qualité particulièrement saillante : Nous signalerons encore dans la même salle le Soldat de Marathon, le groupe de Daphnis et Chloé par Cortot , le Biblis changée en fontaine par Dupaty, l'Innocence et le groupe de Nisus et Euvyale par Roman, et le Caton d'Atique commencé par le même et terminé par Rude. En général les statues que contient cette salle montrent plus de savoir et de talent acquis que de véritable inspiration ; on n'y trouve plus le maniérisme des époques précédentes, mais on y sent bien rarement la vie et la personnalité.
Salle de Rude.
La salle suivante est consacrée au statuaire Rude, qui se présente avec son Mercure, sa Jeanne d'Arc et son jeune Pêcheur napolitain.
Rude, malgré son très-grand talent, n'est jamais parvenu à entrer à l'Institut et ceux qui se posent en censeurs de l'Académie ne manquent pas d'invoquer cet exemple pour mettre en
suspicion le bon vouloir des Immortels. « Une barbe de pastriarche, dit M. Sylvestre, lui descendait presqu'à la ceinture, avec une abondance extraordinaire qui attirait les regards de passants, et provoquait les railleries des membres de l'Institut. « Nous ne pouvons pas, pensaient-ils recevoir au milieu « de nous l'homme à la barbe. » Il faut avoir un talent tiré à quatre épingles, et le visage frais rasé pour entrer à l'Académie. La première femme de M. Ingres prit un jour le statuaire pour un modèle qui venait s'offrir à son mari. « Asseyez-vous, mon ami, je vais l'avertir. — Qui me demande?
Qui me persécute? grommela le peintre. — C'est un modèle de Fleuve qui vous attend. » Et l'auteur du Saint Symphorien fut consterné à la vue de M. Rude qui avait tout entendu et qui riait presqu'aux larmes dans cette fameuse barbe blanche. »
SILVESTRE. (Histoire des Artistes vivants).
Pradier ( 1790 - 1852 ), dont la réputation, un peu tombée aujourd'hui, fut si grande sous Louis-Philippe, est représenté par quatre de ses ouvrages : un fils de Niobs, une Psyché, une Atalante et une Sapho. Au milieu des concert d'éloges, que Pradier à entendu toute sa vie, il s'est quelquefois glissé des notes discordantes, notamment pour la statue de Sapho, qui nous semble d'ailleurs répondre victorieusement aux critiques un peu acerbes qui en ont été faites : M. Pradier, qui, dans la représentation de la forme nue, nous a montré depuis vingt ans tant de souplesse et d'habileté, n'obtiendra pas cette année le même succès que les années précédentes. La statue de Sapho sera, pour ses amis mêmes, une véritable énigme. Si le livret ne prenait la peine de baptiser cette figure, il serait impossible de deviner son nom. Une femme assise, qui joint les mains sur son genou, ne sera jamais pour personne un cœur exalté par l'enthousiasme ou égaré par l'amour. J'ajouterai que la tète, dépourvue de caractère, ne rappelle ni les fragments précieux que nous possédons, et que Boileau a si fidèlement traduits, ni l'élégie passionnée qu'Ovide a signée du nom de Sapho. Il y a certainement beaucoup de savoir dans l'exécution de cet ouvrage ; mais le savoir ne suffit pas à dissimuler l'absence de la pensée. M. Pradier fera bien de revenir au plus tôt à ses sujets de prédilection : il comprend la grâce, la volupté; il ne comprend pas la méditation, et toutes les fois qu'il essayera de l'exprimer, il ne peut manquer d'échouer.
GUSTAVE PLANCHE. (Salon de 1852.)
L'antipode de Pradier, au point de vue du style, c'était David d'Angers. Son Philopœmen donne bien une idée de sa manière énergique et puissante, qui recherche la vie et l'expression, mais dédaigne quelquefois la grâce de crainte de tomber dans l'affécterie.
Duret, ( 1804 - 1865 ) qui représente une autre face de la sculpture française sous Louis-Philippe, est représenté ici par son Vendangeur improvisant du Salon de 1839 et son jeune pêcheur dansant la Tarentelle, du Salon de 1833. Cette dernière statue, plus connue sous le nom de Danseur napolitain, est particulièrement célébre.
« Le type du Mercure inventant la lyre reparut deux ans après, dans le Danseur napolitain, avec plus d'élasticité, d'animation et de vie. Duret avait cette fois résolu le problème de ramener au sentiment moderne le choix des formes antiques, d'être à la fois classique et nouveau, naturel et recherché. Dans cette figure modelée pour le bronze, l'artiste avait su atteindre, sans les dépasser, les limites extrêmes du mouvement. Bien qu'elle porte sur le bout d'un seul pied, son équilibre n'a rien d'inquiétant pour le regard, et le spectateur voit du même coup d'œil l'élan qui a précédé et l'élan qui va suivre. Le danseur est coiffé d'un bonnet de grosse laine dont les mailles indiquées par le ciseau forment comme des perles de lumière, et font de cette coiffure commune un. ornement de bont goût et un encadrement à souhait pour le visage. Le torse, entièrement nu, sauf un caleçon de pêcheur, est étudié dans la perfection. C'est à tort, selon nous, qu'on trouve les bras un tant soit peu grêles relativement au reste du corps et aux jambes, en particulier, qui paraissent, dit-on, appartenir à un modèle plus développé. La gracilité est ici, au contraire, un caractère de l'âge. Le masque souriant exprime les sensations naïves de cette première jeunesse qui n'a besoin, pour être heureuse, que de vivre. Ceux qui désireraient plus d'ampleur dans les formes et des grâces plus sérieuses et plus mâles oublieraient que la pensée du sculpteur a été justement de représenter une nature adolescente, dont le charme est inhérent à sa délicatesse, et qui ne renferme qu'en abrégé les dons généreux de la vie. » CHARLES BLANC. (Les Artistes de mon temps.) On ne se fait pas une idée complète du talent de Simart ( 1806 - 1857 ) avec la Vénus plus petite que nature qui le représente dans cette salle. La Prière de Jaley, (1802 - 1866) est une jolie statue dans le genre aimable : quand au Spartacus de Foyatier, qu'on a vu si longtemps aux Tuileries, le succès
énorme qu'il a obtenu tient en partie à ce que cette statue, qui fut exposée peu après la révolution de Juillet, à été acclamée en quelque sorte comme un manifeste politique.
Abordons maintenant un statuaire qui appartient à une autre génération, Perraud, ( 1821 - 1876 ) : nous ne nous arrêterons pas sur son Désespoir, figure dont l'allure est peu mélodratique, mais son enfance de Bacchus, est assurément un des morceaux les plus réussis de la statuaire contemporaine.
« De nos jours, une des plus belles sculptures assurément, — une de celles qui ont obtenu et mérité la grande médaille d'honneur, — c'est le Faune de M. Perraud.
Tout à l'heure ce faune jouait de la syringe ou dansait avec les dryades en frappant ses cymbales. Maintenant il est assis sur un rocher, et il se défend contre les lutineries de Bacchus enfant. Aussi l'auteur a-t-il appelé son œuvre l'Enfance de Bacchus. Grimpé sur les épaules du faune, le jeune dieu veut d'une main le frapper de son thyrse, et de l'autre main il lui tire une oreille. Les bras levés, le faune retient les deux bras de l'enfant et sourit à ses malices. Malgré les écarts de membres auquels donne lieu le mouvement de ces deux figures, le groupe conserve son assiette sans avoir besoin de tenons, c'est-à-dire de ces épaisseurs de marbre étrangères au corps de la statue, et que l'on conserve pour donner plus de solidité aux parties détachées de la masse; et c'est déjà un mérite que cette stabilité rassurante dans un ouvrage aussi animé, aussi remué. Car, bien que les lignes en soient anguleuses et très-variées, elles se rachètent avec bonheur et se pondèrent. » CHALES BLANC. (Les Artistes ds mon temps.)
MUSÉE DES ANTIQUITÉS L'Égypte Les salles qui composent ce musée, ont été ouvertes sous Charles X. Elles se composent de deux parties distinctes, dontl'une est consacrée aux antiquités égyptiennes et l'autre aux antiquités grecques. C'est naturellement par les premières qu'il faut commencer. L'entrée de ce musée est en haut de l'escalier, placé au fond du Musée égyptien du rez-de-chaussée, dont la porte est sous la grande porte du bâtiment de la colonnade. On traverse les salles du bas (1), et après avoir monté l'escalier on trouve la première salle du musée Charles X qui a reçu le nom de salle historique.
(1) Voir page 233.
Salle historique Le plafond, peint par Gros, représente la Franceprenant la Grèce sous sa protection. — Cette salle est consacrée aux objets qui présentent un intérêt spécial pour l'histoire de l'Egypte. — Surlacheminée est une statuette d'un travail très-fin; elle représente Aménophis IV; c'est ce roi qui voulut détruire le culte d'Ammon et fit effacer le nom de ce dieu sur les monuments de Thèbes. Au centre de la salle, le roi Psamétique II est représenté dans l'attitude de la marche et les bras pendant le long du corps : chacune de ses mains tient un rouleau de papyrus. Des vitrines plates dont chaque compartiment répond à une lettre de l'alphabet sont placées autour de cette figure.
La plus intéressante est celle qui est désignée par la lettre H.
La coupe d'or porte le cartouche de Toutmès III, dix-huitième dynastie. Elle a été donnée, comme récompense, par ce roi à un fonctionnaire, gouverneur des îles, nommé Téti.
Les bijoux trouvés dans la tombe d'Apis ont été dédiés par le prince Scha-em-Tam, comme ex voto, dans les chambres qu'il avait fait construire en l'honneur d'Apis. Les grands personnages du même temps ont aussi dédié quelques-uns de ces bijoux.
La plaque découpée à jour, qui est au centre, est une sorte de pectoral. Un urœus et un vautour les ailes étendues représentent les déesses du ciel du Nord et du Midi; l'épervier à tête de bélier est une des formes du soleil. Il est surmonté d'un cartouche de Ramsès II, qui nous donne la date précise de ces bijoux. Celui-ci est en or, incrusté de pâtes de verre dont le temps a altéré les couleurs.
A gauche est un épervier les ailes étendues ; il porte également une tète de bélier. Cette tête est un chef-d'œuvre de ciselure. Tout le corps de l'épervier est couvert de petites plumes en lapis, cornaline ou feldspath vert, incrustées dans de petites cloisons d'or.
A droite, un épervier les ailes étendues; même travail que le précédent.
Le gros scarabée en lapis, monté sur un pectoral d'or, provient de la même trouvaille; à droite et à gauche les déesses Isis et Nephthys sont représentées en adoration : l'émail a disparu de ces figures.
Une plaque de serpentine verte revêtue d'or a été dédiée par Psar, un des principaux officiers de Ramsès II. C'est ce que nous apprend l'inscription gravée au-dessus du scarabée. Le revers porte une inscription gravée avec une délicatesse infinie.
C'est le même personnage qui avait aussi dédié la petite colonne en feldspath vert garnie d'or et le gros scarabée de feldspath vert.
Les cornalines rouges de diverses formes portent les noms du prince Scha-em-Tam et du même Psar.
Tels sont les bijoux que savaient faire les contemporains de Moïse. On voit que l'art de ciseler l'or, d'y incruster les pierres fines et de graver les matières les plus dures était porté au plus haut degré de perfection au moment où les Israélites habitaient l'Egypte.
Il faut encore citer le sceau du roi Horus, de la dix-huitième dynastie; il porte les titres ordinaires de ce roi et, sur le côté, un lion passant, du plus admirable style.
Un autre bague d'or, à chaton rectangulaire, porte le prénom d'Aménophis II.
Une bague d'or, d'une forme singulière, porte sur son chaton deux petits chevaux en ronde bosse. On peut y voir un souvenir des deux chevaux de Ramsès II ; ce prince les avait consacrés au Soleil, en souvenir de sa victoire, au retour de sa première campagne en Asie.
CAT. ROUGE.
Dans la vitrine I, on remarquera un masque composé d'une feuille d'or, trouvé dans la chambre d'Apis, ainsi que divers bijoux de même provenance. Les vitrines J, K, L, M, contiennent des figures funéraires trouvées dans le tombeau des Apis ; elles représentent des personnages importants de Memphis, dont l'époque se trouve précisée par celle de l'Apis auquel ils rendaient hommage en faisant déposer leur figure dans son tombeau. Tous les objets contenus dans la vitrine N ont appartenu à des Pharaons. La boîte d'ivoire placée au milieu est d'une excessive antiquité, puisque la légende royale qu'elle porte, la fait remonter à la sixième dynastie. Plusieurs gros scarabées de la dix-huitième dynastie sont intéressants par les renseignements que leurs légendes fournissent à l'histoire. L'un d'eux rappelle le mariage d'Aménophis III avec la reine Taia et prouve qu'à cette époque les frontières de l'Egypte s'étendaient jusqu'en Mésopotamie. On remarquera aussi un double étui à collyre qui porte aussi la légende de la reine Taia ; le petit instrument de bronze qu'il renferme, est probablement celui dont la reine se servait pour se noircir les cils avec du stibium importé d'Asie. Les scarabées contenus dans la vitrine 0, portent tous des cartouches royaux: plus de la moitié d'entre eux appartiennent à Toutmès III, qui fournit à lui seul plus de scarabées que tous les autres rois ensemble.
Les vitrines P, Q, R, S, sont placées devant les fenêtres. Les objets contenus dans les deux premières vitrines proviennent de la dix-huitième, dix-neuvième et vingtième dynasties. On remarquera les petites stèles en bois, où Aménophis 1er tranche la tête à ses ennemis qu'il a saisis par les cheveux, ainsi que les petits modèles de traîneau et l'outil à lame de bronze qui porte le nom de la reine Hatasou. — Il ne faut pas oublier non plus, dans la vitrine Q, l'encrier qui a appartenu à un fonctionnaire du grand Ramsès, et sur lequel une légende ordonne à tout scribe de dire une prière avant de se servir du godet. Les vitrines R et S placées devant l'autre fenêtre contiennent des objets provenant des dernières dynasties pharaoniques. On y remarque un joli sphinx en bronze incrusté d'or, des amulettes, des cônes funéraires et une ferrure en équerre, au nom de Darius.
L'armoire A est du côté opposé aux fenêtres. On y voit en bas plusieurs stèles provenant du Sérapéum; mais l'objet le plus intéressant de cette armoire est placé au milieu de la première tablette. C'est un charmant petit groupe de trois statuettes en or, représentant Isis et Horus (+) qui étendant la main sur Osiris en signe de protection. Osiris, dont le corps est enveloppé, est accroupi sur un dé en lapis-lazuli au nom du roi Osorkon II.
L'inscription du socle reflétée par une glace contient une formule religieuse en faveur du même roi. Il faut aussi remarquer dans cette armoire une jolie statuette en marbre blanc, dont la tête a malheureusement disparu, et qui représente le roi AménophisII agenouillé, ainsi qu'une figurine en faïence d'un bleu éclatant qui provient du tombeau de Séti Ier.
L'armoire B est de l'autre côté de la cheminée. Nous signalerons seulement, sur la première tablette, un statuette en bronze représentant une reine de la vingt-deuxième dynastie : elle était autrefois ornée d'une riche damasquinure en or qui relevait la gravure du vêtement et du collier. Sur la même tablette, on voit une bouteille plate en faïence verte qui a appartenu au roi Psammetik Ier de la vingt-sixième dynastie, et un petit volet en bois doré et émaillé qui montre le roi Amasis en adoration devant Horus. Ce volet qui provient d'une chapelle portative est au fond de la tablette et assez difficile à voir.
L'armoire C est placée près de la fenêtre. Le coffret rectan-
gulaire en faïence verdâtre que nous voyons dans le bas, a appartenu à la reine Hatasou, fille de Toutmès Ier et régente après sa mort. C'est une boîte à jeu : le dessus est divisé en cases régulières sur lesquelles les pions marchaient d'après eertaines règles. Le milieu de l'armoire est occupé par une collection de cartouches des rois d'Egypte depuis Ménès jusqu'à Antonin : le cartouche de Ménès est gravé sur une feuille d'or, mais son authencité est extrêmement douteuse. Sur la tablette, en haut de l'armoire, on aperçoit deux bas-reliefs intéressants dont le sujet se rapporte à la jeunesse de Ramsès II. Dans l'un deux, il est encore enfant et porte le doigt à sa bouche ; dans l'autre, il est déjà adolescent et se tient debout, près d'un lion, tenant son arc à la main.
L'armoire D, placée entre les deux fenêtres, renferme un choix de petites stèles provenant de Sérapéum, des cônes en terre cuite dont la destination est encore énigmatique, des fragments de pierre couverts d'écriture hiératique, et des boîtes à momie qui occupent le fond.
On voit encore au milieu de la salle une colonne tronquée, portant un vase d'albâtre qui a servi d'urne funéraire à un membre de la famille Claudia, mais qui originairement était un vase égyptien du dixième siècle avant notre ère.
Le bas-relief en bois, très-vieux, três-abîmé, qui est placé à gauche, en entrant dans la salle, mérite d'être examiné avec la plus grande attention, car c'est un des objets les plus anciens du musée ; le catalogue le décrit ainsi : « Bas-relief représentant un homme en marche, tenant une longue canne de la main droite et le sceptre pad de la main gauche. Il est vêtu d'une peau de panthère attachée par des bandelettes sur l'épaule droite, et coiffé à l'antique ; un enfant le suit.
En haut du panneau court un bandeau portant lalégende hiéroglyphique : « Le famillier du roi, Mer-ab. » Devant le personnage est gravé un vase à libation. Son fils porte le nom de Nezem-ab, intendant de la maison (du roi ?).
Il y a lieu de croire que ce Mer-ab est le même haut fonctionnaire de la quatrième, dynastie, fils d'une princesse, et dont le musée de Berlin possède le tombeau, reproduit avec tant de soin dans les monuments de Lepsius. »
Au-dessous de ce curieux bas-relief, on voit un papyrus encadré qui contient la première page du fameux poëme de Pentaour.
— Ce poëme, écrit sous la dix-neuvième dynastie pour célébrer la campagne de Ramsès contre la confédération des Khétas, en Asie, est le monument le plus important de la littérature égyptienne : sa popularité était telle qu'il a été gravé sur les pylônes de Louqsor et sur la muraille d'enceinte du temple de Karnac.
M. de Rougé en a donné la traduction.
En s'approchant de la fenêtre, on voit un portrait de Champollion le Jeune, qui le premier a découvert la manière de déchiffrer et d'expliquer les inscriptions de l'ancienne Egypte. Les anciens historiens ont donné le nom d'hiéroglyphes aux caractères de l'écriture monumentale égyptienne, qu'ils croyaient réservés uniquement à des sujets sacrés. L'écriture hiéroglyphique est formée de signes exprimant les uns des idées, les autres des sons. Il y a différentes espèces de signes : les signes figuratifs sont de simples images. Ainsi, pour écrire un lion ou une étoile, on donne au signe la forme de lion ou d'étoile. Mais pour des idées d'un ordre plus abstrait, il a fallu adopter des signes conventionnels qu'on désigne sous le nom de symboliques. Pour dire la guerre, par exemple, on représentait deux bras, dont l'un tenait un bouclier, l'autre une pique. Enfin certains signes appelés phonétiques, représentent un son ou une articulation. Ce système d'écriture n'étant pas assez rapide pour les choses courantes, on en fit promptement une abréviation où le tracé primitif devint presque conventionnel : c'est ce que Champollion a appelé l'écriture hiératique. Une abréviation encore plus sommaire a formé l'écriture demotique, qui est usitée surtout pour les contrats de vente, tandis que les signes hiéroglyphiques ont toujours été employés pour les inscriptions gravées sur les monuments.
Salle civile
Le plafond par Horace Vernet représente Jules II, ordonnant les travaux du Vatican et de Saint-Pierre à Michel-Ange, à Raphaël et à Bramante.
Cette salle est consacrée aux monuments de la vie privée des Egyptiens. La cheminée est occupée par quatre vases d'albâtre. Au mi-
lieu une tète de statue en pierre calcaire, peinte en rouge, attire les regards et saisit par le profond caractère de vérité qui est empreint sur les traits un peu vulgaires de l'Egyptien qu'elle représente. La parfaite simplicité de ce morceau nous engage à l'attribuer au premier art égyptien, aux artistes antérieurs aux pasteurs.
Nous n'en sommes pas réduit à des conjectures pour la figure du scribe accroupi, placée au milieu de la salle ; elle a été trouvée dans le tombeau de Skhem-ka avec les figures réunies dans la salle des plus anciens monuments. Elle appartient donc à la cinquième ou à la sixième dynastie. La figure est pour ainsi dire parlante ; ce regard qui étonne a été obtenu par une combinaison très-habile. Dans un morceau de quartz blanc opaque est incrustée une prunelle de cristal de roche bien transparent, au centre de laquelle est plantée un petit bouton métallique. Tout l'oeil est enchâssé dans une feuille de bronze qui rem- place les paupières et les cils. Les sables avaient très-heureusement conservé la couleur de toutes les figures de ce tombeau. Le mouvement des genoux et les dessins des reins sont surtout remarquables par leur justesse ; tous les traits de la figure sont fortement empreints d'individualité : il est visible que cette statuette était un portrait.
CAT. ROUGÉ.
Ici comme dans la pièce précédente des vitrines désignées par des lettres, sont disposées autour de la statue qui occupe le centre et la salle, nous commencerons par la lettre L.
Ce compartiment rassemble les échantillons des diverses variétés des faïences et des émaux et verres égyptiens. Cette industrie était extrêmement variée dans ses produits; les boules creuses et les boites en faïence bleue sont de véritables tours de force du métier. On remarquera à la tète d'une série de pions de jeu deux petits esclaves à genoux, les mains liées derrière le dos, dont l'un présente le type des nègres et l'autre la physionomie asiatique. Ces pions faisaient peutêtre partie de quelque jeu de combat. Les échantillons dé verre coloré dans la masse montrent un travail très-avancé dans cette partie de l'art. On savait dessiner, dans l'épaisseur, des fleurs et autres objets à l'aide de filets d'émail. Une série de tètes grotesques en verre jaune et bleu appartient a une autre fabrication. Les portions de corps humains en pâte de verre de diverses couleurs ont été taillées pour servir à composer des bas-reliefs polychromes. Le fond de la vitrine rassemble une collection de pendants d'oreilles et d'anneaux brisés, en toutes sortes de manières, où se distingue encore particulièrement le beau quartz rouge opaque et ses imitations en pâte de verre.
CAT. ROUGÉ.
Des objets de toilette occupent les vitrines M et N: les aiguilles de tête sont souvent ornées d'un singe assis; le petit prisonnier nègre qui a les mains liées, était un ornement. Parmi les boîtes
de toilette, il y en a une qui se forme d'une gazelle dont les pattes sont liées, nne autre d'un oiseau qui se ferme par ses' deux ailes. La plus jolie, est une femme nue, allongée comme en nageant et tenant dans ses bras une oie du Nil. Les cuillières de toilette, destinées à délayer un ingrédient avec de l'eau, représentent aussi des manches très-variés par leur décoration : Égyptienne coupant des lotus, jeune fille jouant du luth, jeune fille portant des fleurs et des oiseaux, eunuque portant une cruche, esclave emmenant un veau, chien allongé tenant une coquille dans sa gueule, etc. ba vitrine 0 contient des petits objets en os et en ivoire. Ce sont des pions travaillés dans une dent, une boîte ornée d'une tête de gazelle tout en ivoire, sauJles, dents, etc.
La vitrine P, qui contient les bijoux, est très-intéressante : Une grande partie des objets d'or appartenant aux galeries égyptiennes a disparu en juillet 1830 ; mais il en reste encore suffisamment pour se faire quelque idée des bijoux usuels des Egyptiens. Les chaînes d'or, travaillées en lacet, sont ausi souples que celles que peuvent faire nos meilleurs ouvriers d'Europe. Les colliers étaient souvent à plusieurs rangs ; ils étaient composés d'objets symboliques, comme les poissons sacrés, les lézards, l'œil d'Osiris, les fleurs de lotus. Les fermoirs sont fermés d'un petit verrou qui tient très solidement. La tète d'épervier servait souvent à décorer les extrémités des colliers, destinées à être attachées sur les épaules. Un charmant motif de chaîne, pour de petites pendeloques, se compose d'une série de vipères sacrées qui relèvent la tète : la pendeloque se termine par une tête de la déesse Hathor.
Une sorte de travail à grains, qui s'est perpétué longtemps en Asie, apparaît dans quelques objets, et surtout dans une pendeloque d'or, qui représente un épervier, les ailes étendues. Deux petits cylindres en or, ornées de légendes gravées, sont des phylactères destinés à porter un texte sacré écrit sur papyrus, comme amulette.
Les objets d'argent sont rares; une petite égide de ce métal, à tète de lionne couronnée, est d'un beau travail. On peut aussi citer un collier composé d'yeux symboliques en argent, avec des grains du même métal, entremêlés d'objets en terre émaillée. Le petit épervier à tête humaine, représentant une âme, qui est au milieu de la vitrine, peut être cité comme un exemple de l'émail cloisonné à base d'or. Un autre épervier aux ailes étendues présente également de petits émaux vitrifiés dans leurs cloisons d'or.
Une boucle d'oreille d'or est décorée d'une tète de gazelle très-bien modelée ; deux autres représentent l'égide de Pacht.
Les pierres dures étaient taillées avec une grande habileté ; des colliers entiers sont composés de pendeloques d'un quartz rouge opaque qui imite le corail et ne lui cède en rien pour l'éclat et la couleur. Une
collection de pendeloques en forme d'égides ornées de la tète de la déesse Maut, en cornalines blanches et rouges, provient des fouilles du Sérapéum, ainsi que le petit Horus coiffé d'un grand diadème divin, taillé dans une superbe sardoine. Des pendeloques et des grains de toutes matières montrent quelle variété de ressources possédaient les bijoutiers égyptiens.
CAT. ROUGÉ.
La vitrine Q renferme de superbes bracelets en or incrusté d'émaux , ou plutôt de pâtes de verre taillées à l'avance et ajustées dans des cloisons d'or comme des pierres fines. L'un d'eux, que l'on fait remonter à la dix-huitième dynastie, est décoré d'un lion et d'un griffon entre des fleurs de lotus. D'autres se composent de grains d'or, de lapis et de quartz rouge montés sur des fils d'or très-flexibles. Dans la vitrine R, nous avons une grande variété de colliers en terre émaillée et en verroterie; on y suspendait en général des amulettes et quelquefois des rangs entiers de scarabées. — Enfin la vitrine S'est consacrée à une collection de bagues à chatons gravés ou portant un scarabée au revers, ayant servi de cachets et probablements d'amulettes. Une bague d'or, très-finement gravée, représente une femme devant le dieu Osiris. Il y a aussi plusieurs jolies bagues de terre émaillée, qui sont décorées d'une tête d'Isis.
Les vitrines F, G, I et J, sont placées devant les fenêtres. La vitrine F renferme des manches de sceptre en os et en ivoire, des mains et des petits bras en ivoire destinés à marquer la mesure en accompagnant le chant, et plusieurs autres petits objets d'un intérêt secondaire. Des emblèmes et divers attributs portatifs en bois occupent la vitrine G. Devant l'autre fenêtre, nous trouvons dans la vitrine I, des fragments de meubles, la rame d'une barque sacrée, des bâtons pour la chasse au vol et une coudée égyptienne qui mesure très-exactement 525 millimètres. Elle est divisée en plusieurs parties, dont chacune a son nom et sa divinité protectrice. La vitrine J contient des échantillons d'étoffes, des aiguilles de bronze et des fuseaux en faïence verte.
L'armoire A, placée du côté opposé aux fenêtres, contient divers fragments de meubles, ainsi que des petites maquettes de maisons. On y voit des tabourets, des pliants et une grande natte ayant servi de lit. Mais ces pièces ne peuvent aucunement don-
ner l'idée du luxe des meubles égyptiens, dont on a de nombreuses représentations dans les tombeaux. Les motifs le plus généralement adoptés pour les pieds de lits, tables et fauteuils étaient les pieds de lions, de taureaux et de gazelles. Les bras des fauteuils ou des pliants sont souvent décorés de têtes d'oies ou de bouquetins. Quelques fragments qui nous sont conservés ont dû appartenir à des meubles extrêmement riches : on peut citer entre autres un bâton orné de cylindres en faïence bleue et en bois dorés qui sont placés alternativement.
Des statuettes de diverses époques sont placées dans le corps de l'armoire. On voit entre autres sur la seconde tablette une statuette fort curieuse : c'est un homme portant dans la main gauche un panier, que l'ont fait remonter aux temps du premier empire égyptien.
Des vases de terre jaune et rouge occupent le bas de l'armoire B. On voit aussi des vases et des ustensiles de bronze ; l'un d'eux est décoré sur sa panse d'un petit bas relief représentant un psylle qui enchante un serpent. Parmi les ustensiles il ne faut pas oublier une lampe qui a la forme d'une gazelle renversée sur le dos.
On a disposé sur une tablette de cette armoire des étoffes et des vêtements trouvés dans les tombeaux. Il y a de belles teintures sur laine, et des étoffes transparentes qui ressemblent à une sorte de mousseline, mais le lin est toujours la matière de ces étoffes, on n'en a pas trouvé en coton.
Dans d'autres compartiments on a placé des vases en verre et en terre cuite, qui présentent un grand intérêt pour nos industries modernes.
Parmi les faïences vertes et bleues, la palme appartient à un fragment de rhython, en pâte bleue, qui rappelle le style assyrien ; un lion, la gueule béante, tient entre ses pattes de devant un petit quadrupède dont la tète est brisée. Les yeux sont en pâte de verre avec une une feuille de métal ; des petits trous dans les gencives montrent qu'on y avait aussi rapporté des dents d'une autre matière. Les faïences couvertes d'émail bleu présentent des nuances vives et variées ; deux longues fioles sont d'une pâte particulièrement fine. L'une, gros bleu, est cassée, et le vernis s'est soulevé ; l'autre, vert céladon, s'est admirablement conservée.
Les bouteilles, en forme de gourdes plates, sont analogues aux eulogies chrétiennes ; leur goulot est formé d'une fleur de lotus, et
leurs petites anses de deux singes cynocéphales. C'étaient peut-être des cadeaux du nouvel an, car les inscriptions portent toutes un souhait de bonne année.
Parmi les objets en verre, il faut revendiquer pour l'Egypte la première fabrication des verres ornés d'ondulations de diverses couleurs, quoique on en trouve de semblables dans les tombeaux grecs et romains. En effet, on remarque dans les peintures de l'ancien empire, une foule de modèles de ces jolis vases avec les couleurs les plus variées.
CAT. ROUGÉ.
Des échantillons d'étoffes, des toiles; de momie, des plateaux, des coupes, des vases en pierres dures de forme très différente occupent l'armoire C. L'armoire D est fort intéressante, dans le bas on voit des objets en sparterie : les fibres de papyrus et les feuilles de palmier forment les matériaux de ces ouvrages. De nombreux coffrets, placés dans le corps de l'armoire nous font connaître l'ébénisterie égyptienne. Les bois précieux étaient d'un grand usage, et figuraient toujours parmi les tributs imposés par les rois d'Egypte aux peuples qu'ils avaient vaincus.
L'ébène et l'ivoire venaient d'Ethiopie, mais l'Asie et l'Arabie, fournissaient les matériaux de la plupart des meubles.
On voit aussi plusieurs peignes dans cette armoire ; l'un d'eux est orné d'un bouquetin qui met un genou à terre.
Les petits pots et étuis de diverses formes, en bois ou en terre émaillée, servaient à mettre les ingrédients nécessaires à la toilette égyptienne. Le principal était le noir d'antimoine, destiné aux yeux ; les aiguilles de bois, de pierre ou d'ivoire, terminées en massue, avaient la forme convenable pour ne pas blesser les paupières dans cette délicate opération. Les petits pots ont tantôt la forme d'une colonne, tantôt celle d'un nœud de roseau qu'on imitait en terre émaillée. Le dieu monstrueux nommé Bès, qui, à ce qu'il paraît, présidait, malgré sa laideur, à la toilette des dames, forme aussi trèshabituellement le principal motif de la décoration de ces petits ustensiles. Un charmant petit vase en terre émaillée verte est orné de lions qui alternent avec le dieu Bès , lequel est représenté dansant.
Le nom des ingrédients que devaient contenir les petits vases y est quelquefois écrit. — Sur une petite boite à quatre compartiments, outre le stibium, on trouve les indications suivantes : Pour arrêter le sang, pour ôter la douleur.
Les perruques et les fausses tresses étaient très-usitées dans ce pays, où la chaleur engage naturellement à se raser la tête. On voit ici un échantillon de ces tresses : notre Musée ne possède pas
de perruques entières, mais une tête de momie a conservé une superbe chevelure divisée en tresses fines et nombreuses.
Sur les tablettes supérieures sont des chaussures égyptiennes.
Il y avait des brodequins et des sandales en peau très-forte pour les hommes, et des brodequins très-légers en maroquin blanc destinés à un pied féminin. Les sandales offrent la même variété; plusieurs paires fraîches et élégantes sont tressées avec du papyrus mélangé avec des matériaux de diverses couleurs. Les unes sont toutes plates, d'autres ont un petit rebord qui ne cachait pas les doigts du pied. Une paire de pantoufles en maroquin rouge est décorée de dorures; une découpure d'un joli dessin s'étendait sur le dessus du pied.
On voit aussi des chaussures d'enfant; ce sont des brodequins ou de légères sandales.
CAT. RCUGÉ.
Tous les objets de l'armoire E, près de la fenêtre, se rapportent à l'agriculture. Outre une collection de fruits et de graines trouvés dans les tombeaux, on voit aussi des hoyaux égyptiens, habituellement en bois d'ébène jaune; le bois suffisait pour cultiver le léger limon du Nil. Des peintures, trouvées dans les.
tombeaux de Thèbes, montrent l'emploi de la charrue, le foulage des grains , la moisson et le chargement des grains sur les bateaux. L'armoire H, placée entre les deux fenêtres, est consacrée aux ustensiles de chasse et aux instruments de musique.
Dans le bas, divers instruments, tels que le bâton pour porter sur l'épaule deux seaux ou d'autres fardeaux, et des bâtons à coches qui semblent un instrument de tissage. On y voit aussi un petit matelas d'enfant rembourré avec un duvet semblable à celui du chardon.
Sur la tablette, collection de flèches de chasse : les bouts sont ar- més de pierres tranchantes.
Cannes et bâtons : quelques-uns portent des inscriptions intéres- santes, telles que : bon bâton pour soutenir la vieilleese, avec le nom : du propriétaire.
Dans le corps de l'armoire sont les instruments de musique. Ce sont des cornes, des tymbales et une trompette en bronze; un tam- bour et un petit tambour de basque-; des luths et des harpes; l'une d'elles a conservé sa couverture en beau maroquin vert. On sait, , par les peintures des tombeaux, que ces harpes étaient en usage dès l'époque de Moïse. L'étui à flûtes est un objet extrêmement rare ; il est garni de deux flûtes en roseau; sa peinture montre la musicienne jouant des deux flûtes à la fois.
Une grande toile à franges tapisse-le fond de l'armoire ; les arcs y sont suspendus, ainsi qu'une béquille, une massue et une sorte de
bâton courbé en bois pesant. Les Egyptiens chassaient au vol avec ce bâton ; ils étaient assez adroits pour atteindre, avec ce projectile, les oiseaux d'eau à long cou qui s'envolaient devant eux. Ils ont souvent peint cette chasse, qui parait avoir été un de leurs divertissements favoris. Un projectile semblable, connu sous le nom de boumérang, est encore en usage parmi certaines peuplades de l'Océanie.
CAT. ROUGÉ.
L'armoire K, placée près d'une fenêtre, renferme un modèle de barque, des filets à pêcher, des petits chapitaux à colonnes, divers jouets d'enfant entre autres une balle et des poupées en bois, enfin une boite à jeu avec divers compartiments.
Salle funéraire
Le plafond, peint par Abel de Pujol, représente l'Egypte sauvée par le patriarche Joseph. Trois statues en bois, debout, placées au milieu de la salle frappent tout d'abord le visiteur. Celle du milieu, plus grande que les deux autres tient un bâton ; une pancarte placée au bas des statues nous avertit qu'elles remontent à l'ancien empire, et sont antérieures au trentième siècle avant l'ère chrétienne; elles ont donc environ cinq mille ans. Cette énorme antiquité, donnée à certains objets égyptiens, paraît quelquefois si étrange qu'on est tenté d'accuser les savants d'exagération; ceux qui connaissent des égyptologues, savent que bien au contraire, les savants sont extrêmement modestes dans leurs appréciations et que leur opinion très-sincère, va généralement au delà de ce qu'ils avouent.
Derrière ces vénérables monuments, on voit des meubles intéressants : un fauteuil, un tabouret et un coffret. La salle civile serait leur véritable place et c'est faute d'espace qu'on les a mis ici; la salle funéraire s'affirme pourtant bientôt par la grande table de marbre placée au centre.
Un coffret funéraire avec des canopes en bois peint, puis des momies, trois avec la face dorée et trois avec la face rouge garnissent cette table, qui se termine à l'autre bout par un personnage en pied, qui doit être également d'une antiquité assez respectable, et sur les côtés par des boîtes à momies.
Sur la table et à ses côtés sont exposés des cercueils en bois peint et des cartonnages de momies. La décoration de ces cercueils et de
ces cartonnages a varié, comme celle des sarcophages, suivant les différentes époques de l'histoire d'Egypte. On n'en possède qu'un très-petit nombre qu'on puisse, avec certitude, attribuer au premier empire. Quelques-uns imitaient la forme des sarcophages les plus anciens; ils étaient rectangulaires et portaient à l'extérieur les ornements qui caractérisent l'architecture des premières dynasties.
A l'intérieur, la décoration se composait d'une foule d'objets usuels peints et des diverses sortes d'offrandes; les noms et les quantités de ces objets sont ordinairement écrits auprès. Les flancs et les fonds sont ordinairement couverts de textes en écriture cursive empruntés au Rituel funéraire, qui, dès cette ancienne époque, avaient déjà le caractère de textes sacrés.
Les côtés de la table sont occupés par des cartonnages de momie : c'était la dernière enveloppe ; elle était à son tour recouverte par les divers cercueils et souvent par le sarcophage. Plusieurs ont la ligure dorée; lorsqu'on dorait la figure d'un homme, on en brunissait souvent la couleur par une teinte de bitume. Leur décoration se compose de tous les symboles que nous avons décrits aux boîtes de momie. Ce sont les scarabées, les béliers, les éperviers qui les enveloppent de leurs ailes; sur les pieds, les chacals des guides des chemins célestes, et sur les flancs les quatre génies fils d'Osiris et protecteurs des entrailles. A ces emblèmes ordinaires se mêlent une foule de scènes très-variées qui offrent le champ le plus large pour l'étude des croyances égyptiennes dans tous leurs détails.
Une toile de momie peinte par un Egyptien de l'époque romaine, est placée sur le panneau de la cheminée. Anubis, représenté avec la tête du chacal noir, tient dans ses bras le défunt dont la momie est placée à côté. Sous l'époque romaine un portrait peint sur la toile ou sur des planchettes, remplaçait souvent le masque antique de la momie. De beaux canopes d'albâtre sont placés sur la cheminée et ornent le dessus des consoles : ces vases servaient à renfermer le cerveau, le cœur le foie et les autres vicères que l'on embaumait séparément, ceux qui sont sur la cheminée, ont été trouvés dans la tombe d'un général égyptien qui vivait au sixième siècle avant notre ère.
Toute la doctrine funéraire des Egyptiens est exposé dans les < papyrus qui sont exposés dans le fond de la salle.
Une grande doctrine domine tout le système funéraire des anciens Egyptiens, et présida, depuis les temps les plus reculés, à tous les rites qui accompagnaient l'embaumement et la sépulture, ainsi qu'à tous les emblèmes qui couvrent les cercueils et les sculptures des tombeaux; c'est l'immortalité de l'âme. Cette immortalité était spécialement promise aux âmes qui auraient été reconnues vertueuses
par Osiris, juges des enfers. Elles devaient rejoindre leurs corps et l'animer d'une nouvelle vie que la mort ne pourrait plus atteindre ; quant aux âmes condamnées, elles devaient subir le supplice de la seconde mort. L'ensemble de cette doctrine, vraiment nationale en Egypte, ressort clairement de ce que nous pouvons déjà comprendre dans les textes du Rituel funéraire. Ce livre sacré, dont chaque momie devrait porter un exemplaire plus ou moins complet, contient une série d'hymnes, de prières et d'instructions, dont une partie est essentiellement destinée aux diverses cérémonies des funérailles. On y trouve aussi les doctrines dont la connaissance était regardée comme nécessaire à l'âme humaine pour jouir de tous les biens attachés à la proclamation de sa vertu. Le chapitre II est consacré à la vie qui commence après la mort, et le chapitre XLIV énonce formellement que cette nouvelle vie ne sera plus sujette à la mort.
Tel est donc le principe général qui a régi tous les rites funéraires des anciens Egyptiens, et, sans nier les raisons sanitaires que le climat justifie si bien, cette croyance a certainement exercé la plus grande influence sur la coutume d'embaumer les corps pour les conserver autant que possible dans leur intégrité; car, suivant la promesse formelle du Rituel (chapitre LXXXIX), l'âme devait un jour se réunir à son corps.
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Le mort était assimilé à Osiris dont il prenait le nom, car en parlant de lui on disait l'Osiris un tel. L'embaumement le plus complet durait 70 jours pour se conformer aux rites suivis par Horus dans l'embaumement de son père Osiris. L'âme du défunt vogue ensuite derrière Anubis, dans la barque du soleil, et accomplit certaines épreuves, et diverses transformations dans les sphères célestes.
Dans la bande supérieure, on voit d'abord les quinze portes des Champs-Elysées des Egyptiens : on les plaçait dans une contrée céleste, nommée Aaenrou. C'était dans la même région que les mânes devaient se livrer aux travaux agricoles pendant une certaine période de temps.
Après ces tableaux on trouve le chapitre curieux de la confession de l'âme. Les quarante-deux juges sont figurés dans les colonnes du papyrus : à chacun deux s'adresse une invocation du défunt, qui se justifie à chaque fois de quelque péché contre la morale ou la religion du pays. On peut y constater que les bases de la morale ont toujours été les mêmes chez les nations civilisées.
Le meurtre, le vol et l'adultère y figurent, ainsi que la profanation des choses saintes, parmi les crimes en horreur chez tous les peuples; mais on est plus étonné d'y rencontrer des défenses telles que celle des paroles trop nombreuses ou celle de faire pleurer son pro-
chain. La civilisation spéciale de la vallée du Nil a déjà empreint sa trace sur ce code sacré, en y ordonnant le respect des droits acquit sur les cours d'eau.
La scène qui suit représente le pèsement de l'âme et son jugement.
Dans les plateaux de la balance on voit, d'un côté, le vase, symbole du cœur du défunt, et de l'autre la plume d'autruche, symbole de la justice; le cynocéphale assis, qui repose au milieu de la salle, est l'emblème du dieu Thot, qui doit lire la sentence; le dieu est figuré ici sous cette forme, parce que le cynocéphale assis était le symbole du parfait équilibre. Les deux déesses debout, tenant des serpents en main, représentent la double justice, celle qui punit et celle qui récompense.
Cette scène est suivie de la vignette du bassin de feu, gardé par quatre cynocéphales : c'étaient les génies chargés d'effacer la souillure des iniquités qui auraient pu échapper à l'âme juste et de compléter sa purification. La vignette suivante montre le soleil représenté par un disque rouge sur une tête d'épervier; sa barque vogue sur les eaux célestes, et l'âme justifiée, dégagée de ses souillures, vient se joindre à la course de l'astre lumineux.
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Les divers papyrus qu'on voit ici dans les cadres, se rapportent tous au rituel funéraire dont on a d'assez nombreuses variantes. Pour la compréhension de ces scènes, il faut remarquer que l'âme humaine, lorsqu'elle vole au-dessus de son corps est toujours représentée par un épervier à tête humaine.
L'armoire A, placée à main gauche en regardant la cheminée, est la plus intéressante de salle.
Dans le bas sont placés des coffres funéraires. On en trouve un certain nombre dans chaque tombeau : ils servaient à déposer les figurines funéraires. Les formes et les grandeurs de ces coffrets sont extrêmement variées; quelques-uns, divisés en quatre compartiments, ont dû contenir les entrailles. Les quatre génies forment alors le principal motif de leur décoration. Sur d'autres, Nout, la déesse de l'éther céleste, apparaît dans son sycomore, versant l'eau qui doit rajeunir le défunt et rendre à son âme une vie nouvelle.
Sur la première tablette de cette armoire se trouvent de petits modèles de cénotaphes, où le défunt est couché, accompagné de son épouse et de sa sœur, comme dans les tombeaux du moyen âge.
Leur âme, sous la forme de l'épervier à tête humaine, vient rejoindre le corps qui lui a appartenu. Suivant la promesse contenue dans le chapitre LXXXIX du Rituel funéraire, l'âme justifiée, une fois parvenue à une certaine époque de ses pérégrinations, devait se réunir à son corps pour n'en plus être jamais séparée. C'est le souvenir de cette grande doctrine qu'éxpriment d'une manière sensible à tous
les yeux ces petits cénotaphes, où l'âme semble venir réveiller le corps qui l'attend sur son lit de repos.
Derrière ces lits funèbres sont des figurines funéraires en pierre.
Ces figurines, que l'on trouve quelquefois en très-grand nombre dans les coffrets, semblent avoir été déposées par les parents et amis du défunt au jour des funérailles. Le mort y est représenté les mains croisées sur la poitrine ; il est armé des instruments propres à la culture des champs célestes, dépeints au chapitre ex du Rituel.
Les mânes devaient y demeurer un certain temps et s'y livrer aux travaux des champs. Les attributs qu'on donne à la figurine sont une pioche et un hoyau à lame plate (que l'on a quelquefois pris à tort pour un fléau); un sac de semences pend ordinairement sur son épaule.
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Une longue suite de figurines funéraires occupe l'armoire B.
On en voit en terre émaillée qui sont d'un beau bleu brillant ; Celles-ci remontent àla dix-huitième dynastie, celles d'un rose vif sont un peu postérieures. L'armoire C nous montre des figurines funéraires en bois peint, des coffrets pour les contenir et divers ornements qu'on adaptait aux momies comme des colliers ou des sandales. Sous les sandales on peignait quelquefois les ennemis renversés et garrottés : c'était promettre au défunt la victoire sur les puissances malfaisantes. Des petits cénotaphes, des figurines funéraires en bois peint ou en terre cuite peinte, et des stèles funéraires peintes sur bois occupent l'armoire D.
L'armoire E offre des objets plus variés.
Les figurines funéraires de cette armoire appartiennent à la qualité de terre émaillée qui ressemble le plus à de la porcelaine. Ces beaux bleus, clairs et brillants, appliqués quelquefois sur une fritte tendre, mais quelquefois aussi sur une pâte solide et d'un blanc éclatant, appartiennent à l'époque saïte.
Au-dessus sont réunis divers masques de momie : on a cherché de tout temps, en Egypte, dans les embaumements un peu riches, à donner à ces masques la ressemblance du défunt.
Les cercueils du roi Antew montrent que, dès la plus haute antiquité, quelques-uns de ces masques furent dorés et ornés d'yeux incrustés en émail.
L'usage des masques composés d'une feuille d'or remonte au moins à la dix-huitième dynastie. Les masques en cartonuage doré furent usités dans tous les temps. Les masques dans lesquels on a donné à la peau une couleur rosée sont beaucoup plus récents ; plusieurs masques de femmes de cette couleur sont coiffés d'ornements étrangers à l'Egypte; ce sont des monuments gréco-égyptiens, ainsi que les masques en cartonnage doré du même style. Les portraits
peints remplacèrent les masques à l'époque romaine : ceux qui sont dans cette armoire appartiennent à la famille de Soter, archonte de Thèbes sous l'empereur Hadrien.
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Les armoires H et K sont placées entre les fenêtres. La première contient des momies égyptiennes revêtues de leur enveloppe, entre autres deux momies d'enfants. La seconde est surtout consacrée aux momies d'animaux.
Dans le bas, des animaux embaumés : on distingue particulièrement un crocodile, des poissons, des chats et des ibis, avec les vases de terre qui les contenaient.
Dans le corps de l'armoire, une tête de taureau et une tête de bélier sont les objets principaux. De petits chats sont emmaillottés et couchés sur le flanc ; d'eutres plus grands sont debout. Sur une momie d'ibis, on a figuré le dieu Tot par un entoilage bien découpé. On distingue aussi de nombreux éperviers ; l'un d'eux, trouvé au Sérapéum, est dans un cercueil de pierre calcaire ; il est représenté en bas-relief sur le couvercle. Dans cet endroit, on voit aussi une série de figures d'Osiris en bois doré ; elles sont adossées à un petit obélisque creux, dans lequel on trouve les débris d'un petit saurien embaumé.
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L'armoire N renferme une collection de coffrets funéraires.
Quelques figurines montrent le défunt pressant contre son sein l'épervier, emblème de son âme. C'est une promesse de résurrection que chaque assistant apportait au défunt, en déposant dans sa tombe, sa figurine ornée de ce symbole.
Examinons maintenant les vitrines plates, placées devant les fenêtres. La vitrine L nous montre des échantillons de manuscrits égyptiens et un spécimen de papyrus non déroulé. La vitrine M offre une collection d'hipocéphales. Ce sont des disques en toile que l'on plaçait sous la tète de la momie et qui, grâce aux légendes mystiques dont ils sont couverts, devaient conserver au corps sa chaleur vitale jusqu'au jour de la résurrection.
En F, nous trouvons des pectoraux ou ornements de momie, présentant la forme d'un petit édifice. Un scarabée, symbole de résurrection, ou un chacal couché sur le tombeau et gardant la momie, forment avec les déesses Isis et Nephtys, le motif habituel de leur décoration. Des scarabées funéraires occupent la
vitrine G : d'après les prescriptions du Rituel, il devait toujours y avoir un scarabée dans l'intérieur de la momie; ces scarabées sont souvent en faïence bleue.
Quant aux vitrines X et Z, qu'on voit devant la fenêtre du milieu, elles ne sont ici que parce qu'elles n'ont pu trouver place dans la salle civile, à laquelle elles appartiennent de droit. La vitrine X renferme des palettes de scribes.
Les palettes d'écrivain occupent ce compartiment. Ces petits meubles sont ordinairement en bois dur; un trou de forme carrée servait à insérer les calames ou roseaux taillés pour l'écriture. Plusieurs trous ronds contenaient des pains d'encre rouge et noire que l'écrivain délayait avec un peu d'eau contenue dans un petit vase rond qui complétait son bagage. Les palettes sont souvent ornées d'inscriptions très-finement gravées, ce sont des prières adressées à divers dieux par le possesseur de la palette. Une palette d'une forme singulière est surmontée de la tête de chacal, emblème des hiérogrammates.
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Des objets du même genre sont placés dans la vitrine Z, où l'on voit également les échantillons des couleurs dont on se servait, ainsi qu'une pierre de porphyre encore imprégnée du bleu qu'elle a servi à broyer. Enfin, on y voit un livret de doreur : les feuilles d'or ne diffèrent des nôtres que parce qu'elles sont plus épaisses.
Salle des dieux
Le plafond de cette salle peint par Picot, représente l'Etude et le Génie dévoilant l'Egypte à la Gréce. — Une belle figure d'Ammon, la grande divinité de Thèbes, occupe le centre de la cheminée. Une figure d'Osiris et d'Isis allaitant Horus sont placées à sa droite; de l'autre côté sont deux divinités assises et portant une tête de lion. Les principales divinités de l'Egypte sont placées par groupes dans les armoires de cette salle.
On ne doit pas s'attendre à trouver dans cette mythologie un tout bien coordonné, un système embrassant le ciel et la terre, sans lacune et sans double emploi. La religion égyptienne fut, comme l'empire lui-même, une réunion des cultes locaux; on y trouve par conséquent une répétition des mêmes idées sous différents types et avec des variantes importantes. Il serait de même très-inexact de penser que cette multitude de divinités adorées chez les Egyptiens eût complètement oblitéré chez eux la notion d'un dieu suprême et
unique. Les textes hiéroglyphiques apportent une lumière précieuse sur cette question. Le Dieu suprême, quel que soit le nom local qu'on lui ait appliqué, est souvent désigné par des expressions qui ne permettent point le doute à cet égard.
Le soleil est le plus ancien objet du culte égyptien que nous trouvions sur les monuments. Sa naissance de chaque jour, lorsqu'il s'élance du sein du ciel nocturne, était l'emblème naturel des idées que nous venons d'exposer sur l'éternelle génération de la divinité.
Aussi l'espace céleste était-il identifié avec la mère divine. C'était particulièrement le ciel de la nuit qui remplissait ce personnage.
Les rayons du soleil, en réveillant toute la nature semblaient donner la vie aux êtres animés. Ce qui, sans doute, n'avait été d'abord qu'un symbole, est devenu, sur les monuments égyptiens que nous connaissons, le fond même de la religion. C'est le soleil lui-même que l'on y trouve habituellement invoqué comme l'être suprême, et son nom égyptien Ra, ajouté souvent à celui de la divinité locale, semble témoigner que cette identification constitue une seconde époque dans l'histoire des religions de là vallée du Nil. C'est ainsi qu'Ammon est devenu Amon-Ra (Ammon-Soleil).
Ptah, le dieu suprême de Memphis, s'est peut-être maintenu longtemps dans une sphère plus élevée, car on ne le trouve pas iden-
tifié au soleil, tandis qu'ailleurs il semble même indiqué comme le père de cet astre.
Si le culte du soleil, comme dieu suprême ou comme manifesta- tion de ce dieu, paraît un trait général parmi les croyances égyptiennes, il en est un autre qui, du moins dans le second empire, n'était pas moins universel, c'est le culte d'Osiris, type et sauveur de l'homme après sa mort, tel que nous l'avons expliqué à propos des monuments funéraires. Osiris, en cette qualité, était aussi identifié avec le soleil infernal accomplissant sa révolution nocturne, jusqu'à ce que sa nouvelle naissance vînt lui rendre son caractère de dieu du jour.
Telles me paraissent avoir été les idées dominantes au milieu des innombrables superstitions de l'Egypte, où toute la nature avait fini par participer à la divinisation.
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Armoire A, près de la fenêtre. — On a réuni dans cette armoire les principaux dieux de la Thébaïde. Ammon est reconnaissable à sa coiffure : la couronne rouge, symbole de la souveraineté de la basse région, surmontée de deux longues plumes droites. Il porte une tunique courte, attachée à la taille par une ceinture, et tient un sceptre à tête de lévrier. Quelquefois le dieu est pourvu d'un large collier, symbole de virilité, et élève le bras droit à la hauteur de sa tête déployant la main : son corps est enveloppé comme celui d'une momie.
Maut, l'épouse divine d'Ammon, est coiffée du double diadème sur lequel est quelquefois un vautour, symbole de la maternité.
Le fils des deux divinités, Citons, le dieu de la médecine, apparaît tantôt avec la tête d'épervier, tantôt avec la figure humaine mais alors, il est coiffé du disque avec les deux cornes, et porte une tresse de cheveux pendants sur l'épaule.
Quand Ammon est considéré comme principe générateur, il prend le nom de Noum, ou Chnouphis et son attribut essentiel est alors la tête de bélier, avec la mitre blanche surmontée de plumes d'autruche pour coiffure. Quelquefois le dieu apparaît sous la forme entière d'un bélier. Dans le bas de l'armoire on a disposé des béliers et des vautours, symboles d'Ammon et de Maut; on y a placé également les images d'une divinité, qui n'a pas encore été expliquée d'une manière bien claire, et qu'on désigne ordinairement sous le nom de la bonne nourrice. Elle porte souvent une tête d'hippopotame, mais elle est surtout caractérisée par ses mamelles pendantes: un nœud particulier se voit souvent dans son costume, et un grand couteau pend quelquefois de sa ceinture.
Armoire B, à gauche, dans l'angle de la salle. — On voit d'abord les images de la déesse Neitls dont la coiffure est la couronne rouge avec un enroulement sur le devant. Les Grecs l'ont assimilé à Minerve à cause de son caractère guerrier ; en effet.
Neith est quelquefois armée. Cette déesse, quoique vierge, est la mère du Soleil, qui s'enfante lui-même dans son sein.
Ensuite nous voyons Ptah le dieu suprême de Memphis: sa forme habituelle est celle d'un homme dont la tête est rasée et qui est enveloppé comme une momie. Le fameux bœuf Apis avait le titre de vie nouvelle de Ptah, et de fils de Ptah. La vache qui le portait était censée avoir été fécondée par un rayon solaire. Apis est représenté ici par plusieurs figures en bronze provenant du Sérapéum.
Imouthès, dieu de la médecine à Memphis, comme Chons l'était à Thèbes, est également un fils de Plath: c'est un jeune homme à la tète rasé, vêtu d'une longue robe et lisant dans un volume posé sur ses genoux.
Ra, le soleil, était adoré dans toute l'Egypte: le dieu est représenté debout, dans l'attitude de la marche, ou bien assis
sur un trône; il a une tête d'épervier coiffé d'un disque auquel se rattache la vipère sacrée qui relève la tête. Avant son lever le soleil est appele Toum; il est présenté sous cet aspect sur une stèle de bois peint. Le corps du dieu est bleu et il porte une tunique verte avec un diadème d'or. Schou, la lumière, est un fils du soleil, et Ma, la vérité, est sa fille: Ma est coiffé d'une plume d'autruche. Hathor, autre fille du soleil a pour emblème la vache et le sistre. Sa tête est habituellement pourvue d'oreilles de vache; c'est ainsi qu'on la voit figurer sur les chapitaux des temples qui lui sont consacrés.
Enfin dans le bas de cette armoire, on voit de fort jolies chattes en bronze ou en faïence bleue; ces chattes montrent la forme que prend Pacht, la déesse justicière, lorsqu'elle est auprès des bons, car auprès des méchants elle garde la tête de lion que nous lui avons vue dans les grandes statues du rez-dechaussée.
Armoire C, à l'angle opposé. — Cette armoire est consacrée à Osiris et aux divinités qui font partie de sa légende. Osiris, la grande divinité d'Abydos, porte, comme juge infernal, un diadème composé d'une mitre comique, ornée de deux plumes d'autruche et de longues cornes. Son corps est enveloppé comme celui d'une momie, et il tient en main le crochet et le fouet, symboles d'autorité.
Raconter en détail la légende d'Osiris dépasserait de beaucoup les bornes de cette notice; en voici la substance : La déesse Nout, qui représente la voûte céleste, épouse du dieu Sev, assimilé par les Grecs à Saturne, était accouchée de cinq enfants, dans les cinq jours complémentaires de l'année. Le règne d'Osiris, le premier de ces cinq dieux, avait été l'âge d'or de l'Egypte. Le cartouche d'Osiris, considéré comme roi d'Egypte, lui donne souvent le nom d Ounnowré, qui signifie l'être bon par excellence. Son frère Set, le Typhon des Grecs, l'ayant détrôné, le tua et dispersa les fragments de son corps; mais Isis, sa sœur et son épouse ayant réuni ces parties, après de longues recherches, ressuscita Osiris par ses enchantements. Elle avait été principalement assistée dans ses soins pieux par Nephthys, sa sœur, par Horus, fils d'Osiris et d'Isis, et par Thoth et Anubis, qu'on donne comme ministres de ce dieu. Horus triompha à son tour de Set et recouvra glorieusement le royaume de son frère, après divers incidents de cette guerre des dieux, qui est souvent rappelée dans le texte du Rituel funéraire. Les prêtres égyptiens avaient lié avec cette fable une quantité d'allégories. Le chapitre XVII
du Rituel funéraire se joint au Traité d'Isis et d'Osiris pour nous faire considérer ce mythe comme se rapportant en partie à la cosmogonie : le triomphe d'Horus sur Typhon représente l'harmonie de la réaction succédant au désordre du chaos.
CAT. ROUGÉ.
Set ou Typhon a pour emblème symbolique un animal carnassier au museau long et pourvu de deux oreilles droites et larges du bout. Le disque avec deux cornes de vache, forme la coiffure ordinaire d'Isis qui, dans ce type, se confond presque complétement avec Hathon. Dans son rôle, de mère Isis présente le sein au petit Horus qu'elle tient sur ses genoux. Cette scène est représentée sur plusieurs charmants petits groupes.
Nephtys, la sœur d'Isis, a un geste symbolique qui consiste a porter la main à son front.
Anubis, le dieu des morts, est caractérisé par la tête de chacal et Thoth, l'inventeur de toutes les sciences et le conseiller d'Osi- ris, porte une tête d'ibis surmonté du disque et des deux cornes en croissant. Le singe cynocéphale est aussi un animal consacré à Thoth: ces signes sont, ainsi que les chacals d'Anubis, placés sur la tablette inférieure de cette armoire.
Armoire D, près de la fenêtre. — Horus enfant, est représenté le corps nu et les jambes encore légèrement courbées : il reçoit pour coiffure la tresse pendante, symbole de l'enfance et il porte le doigt à sa bouche comme les petits enfants.
Horus, comme dieu Soleil, avait un trône soutenu par des lions dont notre musée offre un bel échantillon en bronze. Horus, enfant, devenait alors le soleil levant; on le plaçait sur un lotus dont le bouton s'élance du fond des eaux, lorsqu'il va s'épanouir, comme le soleil levant du sein de l'éther céleste, que l'on croyait liquide.
Le Soleil, dans sa force, dissipant les ténèbres et desséchant les terrains impurs, était personnifié dans Horus vainqueur. On le représentait armé d'un dard et perçant le serpent géant Apophis, symbole de Set et, en général, des puissances malfaisantes.
Horus enfant, en égyptien Harpochrate, portait le doigt à la bouche ; c'était un symbole de l'enfance qu'on a pris mal à propos pour le signe du silence. Une figurine de terre émaillée, d'un bleu céleste, le montre dans catte attitude. Ce type a dégénéré dans les imitations grecques et romaines, et s'est divisé en variétés innombrables. Quelques terres cuites, placées sur la seconde tablette, montrent ce dieu avec divers attributs nouveaux qui ne se rencontrent pas dans les monuments de style égyptien.
Dans le haut de cette armoire, on a placé deux grandes figures d'Isis et de Nephthys dans leur rôle de pleureuses. Le bas rassemble les éperviers, symbole d'Horus, ainsi que les urœus ou vipères représentant des déesses.
CAT. ROUGÉ.
Dans la vitrine F, on trouvera des brûle-parfums, dans la vitrine G, des sistres, dans la vitrine I, divers attributs sacrés, et dans la vitrine J, des grands modèles de l'œil symbolique sur feuilles de métal.
Salle des colonnes
Le plafond, peint par Gros, et divisé en plusieurs compartiments, ne mérite pas qu'on s'y arrête longtemps. Cette salle contient surtout des monuments hors série, qui n'ont pu trouver de place dans les salles auxquels ils se rattachent par leur caractère. On y voit entre autre plusieurs cercueils qui devraient logiquement se trouver dans la salle historique, par exemple les deux boîtes de momie E et F.
Ces deux boîtes de momie sont une des plus précieuses acquisitions du musée égyptien du Louvre. Ce sont deux cercueils royaux qui ont appartenu à des rois de la onzième dynastie. Le premier, E, est fort simple; il semblerait avoir été improvisé. Le cartouche peint sur la poitrine a été évidemment ajouté lorsque la boîte était déjà peinte et décorée. L'inscription sur le devant est une courte allocution de la demeure funéraire qui va recevoir le roi défunt.
Le cercueil F est, au contraire, assez richement orné; il était entièrement doré, et les yeux sont incrustés en émail. Toute la décoration se compose de grandes ailes qui enveloppent tout le corps du roi défunt. L'inscription se compose d'abord d'un hommage au dieu funéraire Anubis. Après cette prière vient la mention curieuse que ce cercueil a été dédié au roi Antew l'aîné, par son frère le roi Antew. Il semble que les deux cercueils aient été destinés au même roi ; ils ne s'emboîtent pourtant pas l'un dans l'autre. Le cercueil doré ne serait-il qu'un cénotaphe, ou bien un hommage adressé au roi Antew l'aîné par son frère, qui aura trouvé le premier cercueil trop mesquin? C'est ce que je n'oserais décider.
La famille des Antew est la première dynastie thébaine, elle précède immédiatement la douzième dynastie dans l'ordre des temps.
Ces cercueils, et un troisième que possède le musée britannique, ont été trouvés avec le tombeau de ces rois dans la montagne funéraire voisine de Thèbes. Ces cercueils royaux sont donc d'une authenticité parfaite et d'une prodigieuse antiquité.
Ces deux remarquables boîtes à momie, garantie par un verre sont placées contre les premières colonnes de la salle. Une prêtresse d'Ammon, qui vivait sous la vingtième dynastie, et encore couverte de ses bandelettes se voit dans la boîte à momie près de la statue qui occupe le centre de la salle. Cette statue centrale est en granit noir; elle a été repolie et retouchée par une main moderne. Le personnage qu'elle représente était un commandant des provinces du Midi qui vivait au sixième siècle avant notre ère. Il tient sur ses genoux la triade divine, adorée à Elephantine, qui était probablement le lieu de sa résidence.
Il nous faut maintenant faire le tour de cette salle en commençant par le côté des fenêtres. Après un groupe de trois momies posées debouts, on trouve l'armoire E, qui devrait être dans la salle des dieux. On y voit tout d'abord le dieu Bès, qui apparaît tantôt sous la forme d'un guerrier farouche, tantôt comme un ami de la toilette et de la danse. Son caractère typique paraît asiatique plutôt qu'égyptien La scène qui réunit le dieu Bes à Horus se compose ordinairement d'une stèle en pierre à laquelle est adossé le jeune Horus. Ce dieu, dont le corps est nu et qui porte la tresse courbée, coiffure de l'enfance, est debout sur deux crocodiles qui retournent la tête. Ses mains tiennent un scorpion, un lion, deux serpents et une gazelle.
A droite et à gauche sont deux étendards, dédiés à deux formes du soleil. Quelquefois d'autres dieux accompagnent la scène principale, sur laquelle plane toujours la tête du monstre Bes. Ces monuments sont tous de basse époque, et leurs inscriptions, ordinairement mal gravées, sont très-difficiles à lire. La principale formule d'invocattion, celle qui me paraît caractériser le dieu dans cette forme, le nomme le vieillard qui redevient jeune. En suivant cette indication, son peut penser que cet ensemble de symboles représente l'éternelle jeunesse de la divinité, victorieuse du temps et de la mort; idée que le soleil levant personnifiait d'une autre manière. Le crocodile ne peut pas retourner sa tête : c'était, chez les Egyptiens, le symbole de la chose impossible. Le dieu, rajeuni, foule aux pieds cet emblème, il a triomphé de la mort, il a fait retourner la tête aux cro-' codiles, qui étaient aussi la figure des ténèbres. On peut penser que a tête du monstre Bes représente ici la force destructive, et complète idée du cercle perpétuel qu'établit dans l'univers la succession de sa vie et de la mort. Ces emblèmes ainsi rassemblés ne se sont pas rouvés jusqu'ici sur les anciens monuments.
Le bas de cette armoire renferme une curieuse collection d'enseignes ou bouts de bâtons de prêtres, destinés à figurer dans les rocessions. On. y distingue particulièrement le soleil sous la forme
du griffon; la chatte, dans une barque sacrée; l'ichneumon debout, c'est un symbole solaire, comme le montre le disque qui orne sa tète; Horus, enfant, sur un lotus qui s'épanouit, symbole du soleil levant; le cynocéphale de Thoth-Lunus et le scorpion de la déesse Selk.
CAT. ROUGÉ.
La vitrine T, U, appartenant à la salle civile, est placée entre ces deux premières fenêtres. Elle renferme en T des hachettes, des poignards, des couteaux et des rasoirs en bronze, en U des pointes de flèches et une collection de miroirs égyptiens. Devant la fenêtre du milieu on a placé le sarcophage quadrangulaire en bois peint d'une prêtresse d'Ammon : il est recouvert de représentations relatives à la vie d'outre-tombe et d'extraits du livre des morts. La vitrine V, placée près de la troisième fenêtre, appartient comme la précédente à la salle civile et contient divers instruments en bronze et même en fer, métal qui a toujours été assez rare dans l'ancienne Egypte : entre autres objets curieux on y voit des clefs égyptiennes.
L'amoire K de la salle des dieux est placé près de la dernière fenêtre elle renferme une collection de divinités égyptiennes avec leur nom écrit en-dessous, de façon que le visiteur puisse étudier facilement les attributs de chacun deux. En revenant du côté opposé aux fenêtres on trouve l'armoire T, qui contient des ustensiles religieux. La tablette du milieu renferme les seaux a libations.
Dans le corps de l'armoire sont des figurines de prêtres et d'adorateurs, et une série de petits seaux couverts de figures de divinités.
Parmi les seaux à libations, le plus grand est un don de Clot-Bey.
La principale des représentations qui y sont gravées se compose habituellement d'un sycomore entre les branches duquel apparaît la déesse de l'éther céleste. Elle verse l'eau divine à l'âme d'un défunt qui la reçoit à deux mains pour la boire. Les légendes expliquent que cette eau doit la revêtir d'une nouvelle jeunesse.
Le haut de cette armoire renferme une curieuse collection d'enseignes ou bouts de bâtons de prêtres, destinés à figurer dans les processions. On y distingue particulièrement le soleil sous la forme du griffon; la chatte, dans une barque sacrée; l'ichneumon debout, c'est un symbole solaire, comme le montre le disque qui orne sa tête; Horus, enfant, sur un lotus qui s'épanouit, symbole du soleil levant; le cynocéphale de Thoth-Lunus et le scorpion de la déesse Selk.
Les armoire placées de chaque côté de la porte ouverte sur le
musée Campana contiennent des fragments de papyrus et des stèles provenant du Sérapéum. Il faut jeter en passant un coup d'oeil sur le petit tableau accroché tout près de la porte. Il représente un défunt emmené par Apis dans les sphères célestes.
L'armoire H, la dernière à l'angle de la salle, renferme différents emblèmes religieux, entre autres une série d'éperviers à tête humaine, symbole de l'àme.
LES ANTIQUITÉS GRECQUES Première salle
Le plafond peint par Picot, représente La Terre protégeant Herculanum et Pompéi contre les feux du Vésuve. Ici nous quittons définitivement l'Egypte pour entrer en plein dans le monde grec. La vitrine qui occupe le milieu de la salle est consacrée aux petits objets rapportés de Tarse, par M. Langlois.
L'armoire placée à main droite en entrant contient des vases peints. Celui qui occupe la tablette du milieu est trèsremarquable par la nature du sujet qui est représenté : on voit ici Crésus sur son bûcher, qu'un serviteur s'apprête à allumer. Le roi de Lydie tient en main la coupe sacrée et s'apprête à faire la dernière libation. Dans la tablette inférieure nous signalerons un vase beaucoup plus petit, mais qui mérite bien qu'on se baisse pour en examiner les détails : il représente une caricature. L'artiste a montré en charge l'apothéose d'Hercule, et en cherchant le burlesque dans la tournure et dans les formes, il a trouvé un type dont certaines figures chinoises et japonaises sont singulièrement rapprochées.
Les vitrines placées devant les fenêtres contiennent descoupes ou nous ne signalerons rien de particulièrement intéressant.
Entre les deux fenêtres, il y a une autre armoire qui contenant des vases qu'on voit assez difficilement et qui d'ailleurs ne sont pas de première qualité. Il y en a pourtant un sur lequel nous appellerons l'attention. Il montre encore une caricature sur Hercule : le héros, ramassé en grotesque, couvert de la dépouille du lion et armé de la massue, combat deux oiseaux stymphalides dont la taille énorme contraste bizarrement avec la sienne: il a saisi le cou de l'un d'eux, tandis que l'autre va le mordre
au bras qui tient la massue prête à frapper. Les caricatures de ce genre ne sont pas rares dans les peintures de vases.
L'armoire placée en retour de la dernière fenêtre présente deux vases très-remarquables. Sur le premier, qui est placé un peu haut, on voit sous une forme archaïque, la lutte de Thésée contre le minotaure : tandis que le monstre succombe sous les coups du héros, les jeunes filles qui allaient être dévorées, assistent à la scène avec une remarquable impassibilité. Ici les figures sont noires sur fond rouge, ce qui indique toujours une fabrication plus ancienne que si elles étaient rouges sur fond noir.
Dans la même armoire, mais plus bas, on remarquera un vase de dimension plus restreinte, mais intéressant par les belles teintes violettes et blanches qui viennent rehausser le noir des figures. Celui-ci représente la Naissance de Minerve : la déesse s'élance toute armée, de la tête de son père, qui est assis au milieu de la composition. En face le roi des dieux, on voit la sage-femme, où pour parler plus exactement la magicienne, qui fait avec sa main le geste consacré, pour écarter les mauvais sorts, pendant cette délicate opération. Ce vase est d'une admirable conservation.
Dans l'armoire, qui fait pendant à celle-ci de l'autre côté de la porte, nous trouvons en bas une composition souvent reproduite sur Thésée combattant les centaures. Mais ce que cette armoire offre de plus particulièrement saillant, ce sont les trois amphores panathénaïques. Les prix décernés aux vainqueurs des jeux donnés en l'honneur de Minerve dans la grande fête des Panathénées, consistaient ordinairement en amphores pleines d'huile. On rappelait ainsi que la déesse avait planté l'olivier dont l'Attique tirait sa plus grande richesse. Le musée de Louvre possède plusieurs de ces vases qui sont appelés panathénaïques. Leur décoration est assez curieuse : on y voit Minerve debout, brandissant sa lance et portant son bouclier. La figure est conçue dans le style traditionnel des anciens monuments archaïques. Elle est placée entre deux colonnes supportant chacune un coq. Le coq en effet, était consacré à Minerve ouvrière.
L'armoire qui nous sépare de la cheminée est la dernière de
cette salle qui contiennent des vases peints à figures noires.
Comme compositions mythologiques, nous signalerons un Her- cule combattant le lion de Nemée, qu'il prend corps à corps, et un Hercule rapportant le sanglier d'Erymanthe à Eurysthée, qui sort avec peine la tète du tonneau où il a été se blottir par peur du terrible animal qu'Hercule porte sur son épaule. Il y a aussi une petite coupe trouvée à Sycrône par M. de Saulcy qui mérite d'être vue, mais n'offre pas d'intérêt par le sujet.
Une jolie terre cuite, représentant Pallas entre deux danseuses vêtues de la courte chemise dorienne, décore la cheminée.
Parmi les vases placés dans l'armoire qui suit cette cheminée, les trois grands, où se déroule une composition bachique, sont remarquables par la tournure gracieuse des figures. Mais il y a un vase tout à fait hors ligne dans l'armoire qui fait retour : il représente Hercule domptant Cerbère. Minerve est debout derrière le héros, qui tient en main la chaîne avec laquelle il va lier le terrible chien des enfers, qui, du reste a l'air assez inoffensif. On sait que la recherche du drame dans l'expression n'était pas dans les habitudes des artistes grecs qui décoraient les vases. Ceux-ci sont d'ailleurs d'une bonne époque, et assez bien conservés.
Deuxième salle
Le plafond de cette salle, a été peint par Meynier : le sujet, d'une allégorie assez obscure, représente les nyruphes de Parthénope (Naples), apportant leurs pénates sur les bords de la Seine.
Un magnifique vase placé au milieu de la salle montre le combat des Dieux contre les Géants. La vitrine plate qui en fait le tour contient plusieurs terres cuites dorées, provenant de la collection Campana, d'autres qui ont été rapportés de la Cyrenaïque, et quelques fragments trouvés dans l'acropole d'Athènes.
Les deux armoires placées près des fenêtres et celles du fond de la salle sont presque entièrement remplies par des petites figurines en terre, cuite qui proviennent des tombeaux grecs. On en découvre en ce moment par centaines dans les fouilles qui se font en Attique et en Béotie. C'est l'ancienne ville de Tana-
gra de Béotie, qui a fourni la moisson la plus abondante. Ces petites figurines funéraires dont l'antiquité faisait une consommation énorme, formaient naturellement l'objet d'un commerce extrêmement important. Il y avait probablement plusieurs centres principaux de fabrication, Pausanias cite la petite ville d'Aulis, l'ancien port homérique, dont toute la population était adonnée à des industries de ce genre: comme Aulis était dans le voisinage de Tanagra, on peut aisément croire que les petites figurines du Louvre ont été façonnées en ce lieu. Au reste, antérieurement aux fouilles récentes de Tanagra, on avait découvert un assez grand nombre de petites terres cuites, ayant eu une destination analogue sur différents points de la Cyrénaïque, et on peut sans témérité assurer que dans toutes les villes grecques on en faisait usage. Les gens qui fabriquaient ces charmantes statuettes n'ont laissé aucun nom dans la sculpture: ils s'intitulaient simplement faiseurs de poupées, et les petits chefs-d'œuvre qu'ils nous ont laissés ne semblent pas leur avoir demandé de bien grands efforts.
Ces petites figures constituent peut-être la découverte la plus importante de notre époque sur l'antiquité, dont elles révèlent un côté intime à peu près ignoré jusqu'à ce jour. Elles ne se rattachent en effet à aucune ville en particulier, à aucune époque nettement déterminée ; mais elles représentent la population féminine, qui suivait les convois, les pleureuses des nécropoles.
Si on dépose près du mort des vivres pour sa nourriture, des meubles et des ustensiles pour son usage, ne faut-il pas aussi des figures dont l'image lui rappelle la vie passée. En Inde, l'épouse cherche la mort sur le bûcher de son mari, en Grèce, elle dépose dans sa tombe l'image d'une compagne qui pense à lui et n'attend pour le rejoindre que l'arrêt du destin.
La plupart de ces petites figures, exquises dans leur tournure, ont une expression de tristesse bien en rapport avec leur rôle.
Un des types les plus communs est celui de la jeune femme voilée et enveloppée dans un grand manteau. Les mains sont presque toujours cachées, la tête l'est souvent en partie. Le voile était dans toute l'antiquité, l'emblème des femmes mariées, et à Thèbes en particulier, les femmes se masquaient presque entièrement le visage avec leur voile, comme font encore aujourd'hui
les femmes dans l'Orient. La femme mariée au reste ne paraît pas seule dans nos petites figures, on y voit aussi la jeune fille reconnaissable à sa tête découverte, mais dont les mains se cachent également sous le manteau. Ce geste est caractéristique dans les figures funéraires.
La femme voilée est quelquefois associée à une seconde figure qui s'appuie sur elle, ou bien les deux compagnes se tiennent étoitement embrassées avec un abandon charmant. Un de nos savants les plus autorisés, M. Heuzey, voit dans les groupes de ce genre les images sacrées de Demeter et Coré (Cérès et Proserpine) et un grand nombre de figurines dont nous avons parlé sont à ses yeux des représentations religieuses qui se rattachent au culte des grandes déesses. La manière dont le voile est ajusté, les couronnes de feuillages, les guirlandes, et jusqu'à la couleur bleue dont quelques-unes étaient recouverte, sont pour lui autant d'indices sur lesquels il appuie sa démonstration.
Sans vouloir pénétrer sur le terrain toujours dangereux du symbolisme, je ne puis m'empêcher de rappeler ici le rapport intime qui existait entre les déesses d'Eleusis et l'immortalité de l'àme, dont le rapt de Coré était en quelque sorte la démonstration mythologique. La graine des plantes et surtout du blé que Coré personnifie plus particulièrement, disparaît sous la terre pendant l'hiver pour reprendre une vie nouvelle au printemps et le défunt dont on dépose les restes dans le tombeau doit de même retrouver la lumière qu'il perd momentanément. L'enlèvement de Proserpine qu'on trouve sur les sarcophages romains n'a pas d'autre signification, et nos petites figurines grecques peuvent bien s'y rattacher également.
En Egypte, le défunt est assimilé à Osiris et cette assimilation est pour lui un gage d'immortalité : en Grèce ou la théologie est plus vague, les morts, par une raison analogue, quoique moins déterminée, étaient assimilés à Coré.
Remarquons en passant que le chapeau rond à grands bords que nous voyons à quelques-unes de nos figurines, n'infirme en rien le caractère funéraire que nous leur attribuons. Ce chapeau, dont l'origine est thessalienne, se portait toujours en voyage, et la mort était appelé le grand voyage. Aussi les monuments funèbres représentent fréquemment ce chapeau. Les pe-
tites figures de danseuses que nous voyons parmi ces terres cuites, s'expliquent également par les danses funèbres dont l'usage était universel dans l'antiquité.
Il faut maintenant nous occuper des lécythus athéniens, placés dans les vitrines du fond contre la cheminée.
Le lécythus à figures polychromes sur fond blanc est un genre de poterie particulier à l'Attique. Les plus anciens vases de cette catégorie remontent à la fin du cinquième siècle, et leur fabrication parait avoir duré environ deux cents ans. On a cherché pour quelle raison les lécythus blancs avaient été si rarement exportés, et on s'est demandé pourquoi ils n'ont pas été imités.
La raison que M. Albert Dumont a donné de ce fait, est que ces vases faisaient partie de cultes funèbres, en sorte que les sujets qui les décorent, retracent des cérémonies propres à l'Attique et différentes de celles des autres contrées.
Ces vases sont assez rares dans notre musée, mais il paraît qu'à Athènes, on en trouve un assez grand nombre dans les collections.
Les collections athéniennes permettent d'affirmer que les scènes représentées sur les lécythus n'offraient pas une grande variété.
Tous les sujets que j'ai pu étudier se ramènent à la classification suivante : 1° Offrandes au mort; témoignages de douleur et de pieux souvenir donnés à celui qui n'est plus. — Ce motif est de beaucoup le plus fréquent. Le centre de la composition est occupé par Je monument funèbre; à droite et à gauche sont divers personnages. A cette division se rattache la rencontra prés du tombeau. On y voit le plus souvent un éphèbe en costume de voyage, comme si le jeune homme, au retour d'une absence, venait honorer la sépulture de ses parents ; 2° Toilette funèbre. Le personnage principal est une femme, d'ordinaire la morte même à qui on rend hommage; elle est assise devant la stèle et entourée de ses parents ou de ses suivantes, qui lui présentent les ornements dont elle doit se parer. On sait que ce sujet est sculpté sur un grand nombre de bas-reliefs, principalement en Attique ; 3° L'exposition ; le mort est placé sur le lit; ses parents font des gestes de douleur. Un des plus beaux exemples de cette scène se voit au Louvre sur un vase d'un style admirable ; 4° La déposition; deux génies funèbres soutiennent le mort et semblent le descendre dans le tombeau. Les vases qui représentent ce sujet sont encore inédits; 5° Charon recevant le mort dans la barque infernale;
6° L'adieu, scène rare sur les lécythus, plus commune qu'aucune autre sur les stèles et sur les grands vases de marbre qui surmontaient les tombeaux en Attique ; 7° Cavalier combattant, sujet dont je ne connais qu'un seul exemple conservé au Louvre; 8° Divinités. La seule divinité que j'aie vue sur un lécythus est Déméter, peinte sur un vase inédit.
Tous ces sujets ont un caractère commun, ils sont funéraires. Déméter figure sur ces vases comme protectrice des initiés, auxquels elle assurait le bonheur de la vie future. Au contraire des monuments de marbre, ces vases représentent la mort sans voile ; ils ne cherchent pas les allégories; ils montrent le défunt couché sur le lit avant les funérailles, emporté par des génies ailés, reçu par le nocher des enfers. Ce n'est pas que la déposition, l'exposition et même Charon ne se rencontrent jamais sur les stèles; mais les sculpteurs n'ont traité ces motifs que par exception, au lieu que les peintres céramistes les préféraient. Les lécythus reproduisent les rites funéraires des Athéniens; ils fournissent les renseignements les plus précis que nous ayons pour étudier le culte des morts en Attique.
Ils commentent les épitaphes de l'Anthologie ; ils nous font comprendre les émotions très-particulières que les Athéniens éprouvaient en face de la mort.
Les plus anciens lécythus datent de la fin du cinquième siècle; cette fabrication paraît avoir duré environ deux cents années. Elle appartient donc à l'époque la plus florissante de la civilisation attique. Ces peintures, en général, sont traitées avec une grande facilité; quelques coups de pinceau suffisent pour rendre la pensée.
Tel de ces tableaux paraît n'être qu'une esquisse, beaucoup de ces dessins sont improvisés.
A. DUMONT. (G. des Beaux-Arts.) Dans les mêmes armoires on voit quelques fragments en marbre, parmi lesquelles il faut signaler une superbe tête de Méduse, découverte à Athène par M. Poujade et donnée par lui au musée. On y voit les bas-reliefs rapportés d'Eleusis par M. François Lenormant. Dans les vitrines plates disposées devant.
les fenêtres, on a disposé divers objets rapportés de Macédoine par M. Heuzey, et un très-beau miroir grec, trouvé à Corinthe et donné par M. Dumont.
Troisième salle
Le plafond peint par Heim représente Jupiter donnant au Vésuve l'ordre de détruire Herculanum et Pompéi. — De grands vases à figures rouges admirablement conservés sont disposés sur une table de marbre placée au milieu de la salle. Toutes les armoires
renferment également des vases à figures rouges. Le caractère dominant des compositions qui les décorent est l'enchevêtrement et quelquefois la confusion des personnages, ce qui d'ailleurs n'empêche aucunement les figures d'être d'une grâce charmante quand on les considère isolément. Dans cette époque, les vases prennent de très-grandes proportions, les anses se couvrent de volutes, d'enroulements de toute espèce, et le luxe se montre partout.
Dans les peintures de la décadence, où les plans ne sont pas séparés par les lignes bien arrêtées, où les figures se promènent les unes au-dessus des autres, sans aucune idée des règles de la perspective, on reconnaît cependant qu'on a eu l'intention de faire divers plans. Assez fréquemment les lignes pointillées qui courent dans le champ et séparent les rangées et les groupes sont employés pour indiquer les inégalités du terrain. Quelquefois les personnages figurés dans le plan supérieur ne sont présentés qu'en buste, comme s'ils se trouvaient derrière une colline; par suite de cette disposition, ces personnages ne semblent être que des spectateurs de la scène qui se passe dans le registres inférieurs de la composition.
Le désir de décorer un grand espace avec le plus de luxe possible fit recourir à une foule de moyens et de procédés qui rappellent les vases d'ancien style. On chercha d'abord à étendre les compositions et à y faire entrer un grand nombre de personnages d'un ordre se- condaire et souvent inutiles ou complètement étrangers au sujet ; et, pour remplir les espaces vides, on sema dans le champ des rosaces, des fleurons, des plantes, une sphère, un flabellum, un tympanum, une ciste, un vase, et mille autres accessoires. L'édicule, d'assez grande proportion, qui forme le centre d'un nombre considérable de ces sortes de peintures, facilitait la disposition des figures placées autour; ce point central une fois trouvé et adopté, soit dans les sujets d'un sens funèbre, soit dans les sujets mythologiques, il ne s'agissait plus que de grouper autour, et dans des plans superposés, les personnages qui devaient entrer en scène. Cet arrangement s'exécutait avec plus ou moins d'habileté, et dépendait du goût de l'artiste et des modèles dont il se servait. Les zones d'animaux reparaissent, et souvent on y voit des poissons. Les ornements, empruntés au règne végétal, couvrent toutes les parties du vase laissées libres, et enveloppent, comme d'un réseau, les compositions à figures; autour de grandes palmettes s'enroulent et s'entrelacent de mille façons des tiges de végétaux aquatiques ou de branches de lierre qui couvrent le col, souvent le pied, et grimpent le long des anses. Ces enroulements de branches et de tiges, au milieu desquels s'épanouissent des fleurs, affectent la plupart du temps l'aspect le plus gracieux, quoique souvent, à vrai dire, il y ait profusion et surcharge d'ornements. Des têtes de femme, des génies ailés sortent
du milieu des fleurs ou de la tige d'une plante, des Victoires planent dans l'espace, et, dans ces sortes d'ornements, on reconnaît déjà les types des figures ailées, si souvent reproduites dans les peintures murales des temps postérieurs.
DE WITTE. (G. des Beaux-Arts.) Cette salle a trois fenêtres : devant celle du milieu, on a placé des phalères, décorations militaires chez les Romains.
Les phalères étaient des ornements en pierre dure ou en métal précieux, travaillés avec art et affectant généralement la forme d'un gros médaillon. A l'origine, on s'en servait pour orner les harnais des chevaux; mais plus tard, les soldats et officiers qui avaient fait une action d'éclat, en reçurent comme témoignage honorifique. On les portait alors par-dessus l'armure : elles étaient suspendues sur la poitrine au moyen de buffleteries qui passaient devant la cuirasse. Plusieurs monuments représentent - des soldats romains pourvus de cette espèce de décoration militaire.
Les deux autres fenêtres montrent une collection de lampes.
Les lampes antiques même les plus communes sont rarement dépourvues d'ornements. Un petit sujet en relief, grossièrement sculpté, la plupart du temps, remplit ordinairement le milieu de la cuve ; mais on remarquera que le trou destiné à verser l'huile est toujours placé en dehors de la sculpture. Ces sujets sont quelquefois tirés de la mythologie; plus souvent ils représentent un animal ou un simple ornement. Il y a des lampes qui ont appartenu à des artisans et sur lesquelles on voit figurer des scènes ou des instruments relatifs à leur métier. Celles-là fournissent de précieux renseignements à l'archéologue. Les lampes de terre à un seul bec étaient surtout à l'usage des pauvres gens.
En parlant des devoirs d'un gouverneur de province, Ulpien dit que les hommes qui n'ont qu'une seule lumière pour les éclairer ne doivent pas être astreints à loger des militaires, parce que leur pauvreté est suffisamment démontrée. Aristophane se moque d'un avare qui, pour économiser l'huile, se sert d'une lampe à un seul bec. On trouve un grand nombre de lampes antiques pourvues de deux, trois, quatre et cinq becs. Une petite chaînette est souvent attachée à ces lampes qui se suspendaient à la manière de nos lustres. Il y a plusieurs lampes qui
affectent les formes les plus bizarres, un oiseau, un poisson, un pied d'homme, une outre, etc., et bon nombre de ces lampes, d'un usage souvent fort incommode au point de vue pratique, se gardaient comme souvenir sans qu'on songeât même à les utiliser. Les fabricants semblent s'être ingéniés à trouver des singularités dans le décor.
Quatrième salle Le fameux tableau de l'apothéose d'Homère, par Ingres, décorait autrefois le plafond de cette salle. Depuis qu'il a pris place dans les salles de tableaux, une copie a remplacé l'original. La vitrine centrale renferme des bois antiques trouvés en Crimée, sur l'emplacement de l'ancienne Panticapée (aujourd'hui Kertch), des ivoires antiques, entre autres le fameux diptyque des Muses, des ivoires du moyen âge, des verres chrétiens, des poteries grecques vernissées, des verres rapportés de Tarse, en Cilicie, par M. Langlois, et un beau gobelet en verre bleu émaillé, découvert à Nunies.
Dans une des armoires, on a placé des vases étrusques noirs et une remarquable série de vases grecs à vernis noir et à applique blanche, puis des poteries rouges et des verres antiques, d'ont nous retrouverons une autre série dans la dernière salle du musée Campana.
MUSÉE DES ANTIQUITÉS Les salles du bord de l'eau
Ces salles sont parallèles à celles que nous venous de visiter.
Leur entrée est dans le Salon des sept cheminées, dans l'angle du panneau où est la Bataille d'Eylau, par Gros, et de celui où se trouve le Naufrage de la Méduse, par Géricault.
Salle de Chypre Le plafond, peint par Alaux, montre Le Poussin, présenté par la cardinal de Richelieu au roi Louis XIII, qui le nomme son premier peintre. On voit que cette peinture (et il en sera de même pour les suivantes), dont le sujet était parfaitement convenable, lorsque cette suite de salles étaient consacrées aux tableaux de l'école française, est tout à fait hors de
de propos, maintenant qu'on en a changé la destination.
Le nom de salle de Chypre donné à cette pièce, indique assez le genre d'antiquités qu'on peut y étudier. Cinq statues trouvées dans l'île de Chypre occupent le milieu de la salle. La plus grande est probablement un roi : c'est une figure maigre, aux allures hiératiques, avec des plis symétriques à peine indiqués sur la pierre, la barbe et les cheveux très-soigneusement fixés et une couronne sur la tête. Ce qui frappe tout d'abord dans cette figure et dans celles qui l'avoisinent, c'est le rapport qu'elles présentent avec certaines statues du moyen âge : on apercevrait sans trop de surprise une image pareille dans une niche de nos vieilles églises, et il faut s'approcher pour voir que les détails sont complètement différents.
Les figures de femmes appartiennent probablement à la même époque que le personnage du milieu. Comme valeur artistique, nous recommanderons particulièrement la figure dont la tête est couronnée de tours ; malgré l'archaïsme de sa tournure, elle a dans le maintien une véritable élégance. Ces figures tiennent généralement une fleur, symbole extrêmement ancien, et dont l'Egypte et l'Assyrie nous offrent maint exemple.
La fleur que la déesse tient à la main, paraît être un emblème caractéristique du culte de Vénus à Chypre ; Vénus est, en effet, dans cette contrée, le symbole du printemps et, à ce titre, elle est l'épouse d'Adonis, le bel adolescent qui, chez les Phéniciens, personnifie le soleil au moment de la première végétation.
Un autre trait caractéristique de ces figures, c'est l'énormité de la couronne et l'importance des colliers. Une de ces statues en est littéralement surchargée. La robe, quelquefois frangée par le bas, est souvent en forme de gaîne et dépourvue de plis.
Nous allons maintenant faire le tour de la salle, en commençant par l'armoire qui est à main gauche en entrant. Les premières antiquités qu'on y voit appartiennent à la Phénicie et ne se recommandent pas par leur valeur artistique. La plupart de ces objets sont affreux, et quelques-unes de ces images peuvent hardiment marcher de pair, sous le rapport de la laideur, avec les idoles informes que font encore aujourd'hui les Polynésiens ou les nègres de l'intérieur de l'Afrique. C'est que les peuples sont comme les hommes : le point de départ est, à peu de chose
près, le même pour tous ; seulement il y en a qui s'élèvent et grandissent, d'autres qui restent toujours enfants.
Parmi ces idoles rapportées de Phénicie, il y a une petite figure de nain monstrueux, qui rappelle ce vilain dieuBès, dont nous avons vu si souvent l'image dans les salles égyptiennes. Cela, du reste, ne prouve nullement un emprunt fait à l'Egypte, puisque nous avons vu que, bien au contraire, ce dieu, par ces allures, dénote une origine purement asiatique. Les petites divinités nues nous intéressent davantage, non qu'elles soient belles, il s'en faut, mais enfin, c'est parmi ces grossières idoles qu'il faut chercher l'aïeule de Vénus. On en voit qui ont des colliers et des boucles d'oreilles : un croissant d'or sur la tête semble quelquefois indiquer la lune; ailleurs le dauphin sur lequel la figure est couchée montre qu'il s'agit d'une déesse marine.
La dernière partie de cette armoire et toute la grande armoire qui occupe le fond de la salle, vis-à-vis des fenêtres, sont consacrées aux antiquités de Chypre. Toute cette suite d'antiquités cypriotos présente un bien grand intérêt pour l'histoire de l'art et de l'industrie dans l'antiquité. Les fouilles exécutées, surtout depuis 1865, à Citium, à Paphos, et dans d'autres sanctuaires, ont amené de nombreuses découvertes archéologiques. En 708, Sargon, roi de Ninive, fil la conquête de Cypre, après avoir pris Samarie. Une stèle monumentale, la stèle de Larnaca (l'ancienne Citium), montre le roi Sargon et porte une inscription qui constate la conquête. Nous en avons parlé déjà à propos du musée assyrien, qui possède un moulage de cette stèle, dont l'original est à Berlin. L'influence assyrienne est manifeste sur quelques monuments cypriotes, mais elle est peu visible sur ceux que possède le Louvre. En revanche on peut y étudier parfaitement la période de transition entre la Phénicie et la Grèce.
Le fond de la population cypriote était phénicienne, mais les colonies grecques remontent à une antiquité extrêmement reculée. Ce mélange de race produisit le culte d'Aphrodite ou Vénus, qui n'était véritablement que l'Astarté phénicienne ; de Chypre, il se répandit dans les îles de la Grèce et ensuite dans tout l'Occident. Ce fait s'est traduit mythologiquement dans la fable : la déesse, sortie de l'écume des flots sur le rivage de Cypre, navigue ensuite vers la Grèce et aborde à Cythère. Tout le
monde est aujourd'hui d'accord pour attribuer à l'Asie l'origine non-seulement de l'art grec, mais encore d'une grande partie des fables de la mythologie. Mais, pour ne parler que de Vénus, il ne faut pas oublier que c'est en Grèce qu'elle est devenue belle ; les images phéniciennes et cypriotes en sont la démonstration la plus évidente.
Parmi les idoles phéniciennes de Cypre qui sont au Louvre, il en est une au front orné d'une couronne où l'on remarque encore les trous destinés à recevoir des étoiles ou des fleurs. Des colliers entourent son cou et tombent sur sa poitrine. La main droite de la déesse se porte vers son sein, la gauche vers les flancs sacrés d'où les dieux et les hommes sont sortis. N'est-ce point là le geste de l'Aphrodite de Cnide et de la Vénus de Médicis? C'est le même geste; seulement il ne faut point songer à voir ici l'indice d'un sentiment de pudeur émue et craintive. La mère universelle, qui a tant d'enfants, et dont les créatures puisent une vie toujours nouvelle à ses mamelles intarissables, loin de cacher son sein robuste, le montre, non sans orgueil, aux hommes et aux dieux. Son peuple de colombes, qui tout le jour roucoule amoureusement sous les sombres cyprès qui croissent dans les bosquets sacrés du temple, les milliers d'hiérodules des deux sexes qui la servent, les foules do pèlerins qui viennent, au temps des fêtes, pleurer et se réjouir tour à tour dans le sanctuaire et sous les tentes peintes des prêtresses, tout éloigne de la bonne déesse et de son temple cette grâce chaste et pudique qui charme les sens affinés et blasés de l'homme trèscivilisé. Au fond, cette grossière terre cuite et l'œuvre des sculpteurs grecs sont un même et unique symbole. On pourrait dire que les métamorphoses de cette idole sont l'image fidèle des transformations par lesquelles la vieille civilisation de l'Asie antérieure, transmise par l'intermédiaire des peuples de l'Asie Mineure, est devenue la civilisation grecque.
JULES SOURY. (Éludes historiques.) En se plaçant au point de vue technique, on peut voir dans ces monuments cypriotes, la marche régulière et progressive de la sculpture à ses débuts. D'abord il faut remarquer que les premiers monuments sont toujours des représentations en ronde bosse, et le potier qui les a façonnés semble n'avoir eu à sa disposition aucun outil, et s'être uniquement servi de ses doigts: les parties saillantes sont beaucoup plus accentuées que les parties rentrantes, ce qui est du reste un caractère de la sculpture tout à fait primitive. En effet, pour faire un nez, par exemple on applique une boulette de terre et le nez se trouve
fait : aussi ces bons Phéniciens, tout étonnés de leur savoirfaire, donnaient à leurs nez un volume surprenant et celui de notre polichinelle semblerait un nez mignon, à côté de ceux qu'on voit aux statuettes phéniciennes. Le menton peut encore se faire : c'est une boulette qu'on ajoute. Rien de plus facile que les bras, si l'on peut qualifier ainsi des moignons ; il suffit de coller sur la poitrine des boulettes de terre qu'on a allongées en boudins. Mais la bouche! mais l'œil ! c'est là où mon pauvre artiste phénicien se trouve toujours arrêté : aussi il se dispense volontiers de les faire et on peut voir au Louvre des têtes dont le visage se compose uniquement d'un nez et d'un menton. En revanche, les colliers et les bijoux ne sont pas négligés. Telle est à peu près l'impression que produisent les terres cuites primitives de Chypre qui représentent des figures humaines : quant à celles qui représentent des animaux, c'est montrer de l'indulgence que de les comparer aux animaux en pain d'épice qu'on vend dans nos foires.
Les spécimens de cet art primitif et enfantin ne sont pas les plus nombreux. En effet, ces grandes têtes taillées dans un calcaire blanc, poreux et friable, qui est particulier à l'île de Chypre, révèlent la présence des Grecs, et à mesure qu'on avance, l'influence phénicienne est de plus effacée sur les monuments; dans les derniers, elle a disparu complétement. Cette période de transition, qui doit remonter à peu près pour l'île de Chypre, au cinquième siècle avant notre ère, est très-intéressante à étudier surtout si on la compare aux statues d'Egine et des écoles douenires de la Grèce d'Europe. A Chypre, la vie athlétique n'a jamais eu d'importance, et la statuaire se préoccupe assez peu des musculatures puissantes, qu'elle n'aurait d'ailleurs guère occasion de montrer, les figures qu'elle représentent à cette époque étant presque toujours vêtues. Les seuls rapports qu'on puisse établir sont dans la coiffure ; les mèches en tirebouchons, très-soigneusement bouclées et d'un parallélisme rigoureux, paraissent avoir été communes à toutes les popula- tions de la Grèce aussi bien qu'à celles de l'Asie. Le type des têtes cypriotes est particulier à l'île : de grands yeux fendues en amande, le nez droit, assez fort et un peu arrondi du bout, le menton légèrement proéminent, la bouche
très-petite, mais charnue. Quelques-unes de ces figures, notamment celles que distingue une couronne démesurément grande, indiquent un art assez avancé et même sûr de lui. Mais il ne faut pas oublier qu'à cette époque, la Grèce était arrivée déjà à un point de splendeur, dont l'Asie n'a jamais appro- ché. L'influence grecque devient d'ailleurs tout à fait prépondérante dans les derniers monuments de Chypre : dans les figures barbues à cornes d'Ammon, on sent l'époque des Séleucides et des Ptolémées. Toute originalité est alors disparue et Chypre va subir le sort commun, s'identifier avec Rome et cesser d'avoir une existence propre.
Cette île a été beaucoup explorée dans ces dernières années.
Les fouilles, souvent malheureuses dans les endroits historiques sur lesquel on comptait le plus, ont au contraire donné des résultats inespérés dans des lieux où on hésitait à s'arrêter. De vastes fosses remplies de débris systématiquement entassés, ont caché pendant des siècles, des chapiteaux, des statues, des bustes, des bas-reliefs, qui avant de venir à cette place avaient été broyés et mutilés à dessein.
« Ici, vingt têtes dans un seul trou, écrivait M. de Vogué à M. Renan, en lui rendant compte de sa mission ; ici, des bras, des torses; là, des ex-voto de la nature la plus singulière. Il est évident qu'à une certaine époque on a brisé systématiquement toutes les statues, et qu'on les a jetées dans des fosses creusées près des temples qui les renfermaient. C'est probablement au quatrième siècle, lors du triomphe définitif du christianisme, que cette grande destruction aura eu lieu. »
Le commencement de la troisième armoire est encore occupé parles monuments de Chypre, mais on les quitte assez promptement pour arriver à ceux de Rhodes. Nous trouvons ici des figurines d'un caractère franchement asiatique, unies à des emblèmes égyptiens. Nous voyons aussi le commencement des vases peints et des coupes, dont les salles suivantes nous offriront des séries si variées. Ici le type est tout entier emprunté à l'Orient : des zones divisent le vase et sont parcourues par des animaux dont le corps a une longueur demesurée. Les feuilles et les palmettes se ressentent aussi du voisinage de l'Asie.
Les vitrines placées devant les fenêtres renferment des pro-
duits d'une espèce différente, mais provenant des mêmes contrées et des mêmes époques. Devant la première fenêtre, nous voyons des objets phéniciens, se rattachant à la mission de M. Renan. Ce sont des bijoux, des colliers, des pointes de flèches, et des petits ustensiles d'ivoire dont la plupart ont été trouvés sur l'emplacement de l'ancienne Sidon.
Un beau collier phénicien et des bijoux très-remarquables, découverts dans l'île de Rhodes sont devant la fenêtre suivante. Nous devons appeler l'attention des visiteurs sur les petites plaques métalliques dont le collier est composé : elles représentent alternativement une Diane persique et un centaure sous la forme archaïque. On désigne généralement sous le nom de Diane persique, une figure ailée tenant un animal fabuleux dans chacune de ses mains ; c'est un type originaire de l'ancienne Asie, et qu'on retrouve assez fréquemment sur les monuments étrusques.
Quant au centaure, il présente la plus ancienne forme de cette création mythologique, celle d'un homme au dos duquel s'adapte la croupe d'un cheval. Ce type grossier se trouve également sur les vases grecs de l'époque archaïque, mais la coiffure égyptienne donne à celui-ci une physionomie tout à fait spéciale.
L'idée primitive du centaure parait avoir pris naissance en Asie, mais la Grèce qui a tout emprunté, a su aussi tout transformer, et c'est à elle seule qu'on doit le type magnifique qui a prévalu dans l'art, celui d'un cheval dont la poitrine et la tête sont remplacées par le haut du corps d'un homme.
Le contraste de la raideur phénicienne avec la souplesse décorative des ornements grecs est remarquable dans la jolie boucle d'oreille en or que nous voyons ici et qui semble appartenir à une époque de transition bien intéressante. La petite figure de nageuse placée dans le coin est curieuse par sa ressemblance avec celles qui servent de manche aux cuillers detoilette que nous avons vues dans les salles égyptiennes. Il est probable que ce type, qui est originaire d'Egypte, a été pendant quelque temps à la mode dans les contrées voisines. Enfin, il ne faut pas quitter cette fenêtre sans voir le beau canthare en argent qui provient de l'île de Rhodes.
La vitrine de la troisième fenêtre renferme des plats en terre cuite, couverts de peintures extrêmement grossières, et qui
comptent parmi les plus anciennes productions connues de l'art céramique dans l'île de Rhodes.
Salle des terres cuites
Le plafond peint par Steuben représente Henri IV après la bataille d'Ivry. — Un groupe de vases d'un caractère très-ancien occupent le milieu de la salle. Ces vases appartiennent à la catégorie de produits céramiques qu'on désigne ordinairement sous le nom de vases à reliefs de style asiatique. Ils ont été trouvés pour la plupart dans le tumulus ou collines artificielles de l'antique Cœré en Etrurie. Ces vases dont quelques-uns sont de grande dimension, étaient destinés à contenir du vin ou de l'huile. Quelques-uns sont simplement décorés de cannelures : d'autres sont ornés de bas-reliefs en forme de frise, représentant des animaux, des combats ou des chasses, traités dans le style oriental. Quelques grands plats sont également décorés de reliefs généralement placés sur les bords. Nous avons ici deux grands vases cannelés et dont le col est décoré d'une bande d'animaux en procession. Il faut aussi remarquer dans ce groupe les bassins ou grands plats dont le pourtour est décoré de figures
ailées et de chars alternés et en relief. Le grand bassin placé au milieu est surmonté d'un vase orné de méandres et de compartiments contenant chacun un animal ailé.
En approchant de ce vase on verra que ces ornements en relief ont été obtenus au moyen d'estampilles et de rouleaux qu'on passait sur la terre molle, procédé que nous voyons fréquemment employé dans les monuments découverts en Etrurie.
La première armoire de cette salle (à main gauche en entrant) contient une collection de petites figures en terre cuite, prove- nant en grande partie des fouilles exécutées dans la Cyrénaïque.
Ces figurines ont souvent un grand trou dans le dos, ce qui semblerait indiquer qu'elles étaient destinées à être accrochées; elles ont été trouvées dans les tombeaux. Autrefois elles étaient de la plus extrême rareté, mais des fouilles récentes en ont mis au jour une si énorme quantité, qu'il n'est guère aujourd'hui de collection d'antiquités où on en retrouve un certain nombre.
Elles sont d'ailleurs de qualités fort différentes, mais quoique traitées fort librement, il y en a souvent d'une tournure vrai-
ment exquise. Nous appellerons plus particulièrement l'attention sur la danseuse, sur la femme à sa toilette, et le petit génie ailé. Quant à l'usage queues petites figures avaient dans l'antiquité, il n'est pas encore bien nettement déterminé ; nous ne pouvons que renvoyer à ce qui en a déjà été dit à propos de celles qui sont exposées dans le musée Charles X.
Les petits bas-reliefs en terre cuite qui occupent le fond des casiers proviennent presque tous du musée Campana. Beaucoup de ces plaques de terre sont munies de trous pratiqués pour laisser pénétrer les attaches : ce sont des montants, des métopes, qu'on faisait glisser dans les coulisses des triglyphes, des chéneaux, qui conduisaient l'eau des toits à l'extérieur, et à l'intérieur des cours; des tuiles avec leurs couvre-joints, des acrotères et des antéfixes. Les figures qui les décorent sont presque toutes de style grec, mais. l'usage même de ces terres cuites paraît avoir été moins fréquent en Grèce qu'en Etrurie et dans l'Italie centrale.
Il faut se rappeler que les carrières de Carrare n'ont été exploitées que sous les empereurs romains, et que pendant fort longtemps ces peuples paraissent avoir ignoré l'existence des carrières d'où on a tiré plus tard tant de beaux matériaux; ce qui est certain c'est que l'usage des constructions en bois a duré fort longtemps dans l'Italie centrale, et que ce bois, toujours colorié, était en outre décoré par places de plaques de terre moulées et peintes. Les terres cuites servaient non-seulement pour les habitations et les petites chapelles rustiques, mais on les employait même dans des édifices beaucoup plus importants. C'est ainsi que dans l'acropole d'Athènes, on a retrouvé près de l'Erechteion des poteries peintes qu'on suppose avoir orné les anciens monuments détruits par Xercès.
Nous n'avons pas besoin de nous étendre ici sur les merveilles de la plastique sculpturale; la collection sans pareille réunie au Louvre montrera aux curieux, mieux et plus éloquemment que toutes les descriptions, à quelle perfection cette branche de l'art était parvenue, soit chez les Grecs commerçants avec Rome, soit dans les mains des Hellènes établis en Italie. Une lettre de Cicéron à Atticus nous apprend qu'on tirait alors d'Athènes un grand nombre de ces bas-reliefs, et le grand écrivain demande lui-même à son ami les types dont il désire orner son atrium. Aussi, bien que la plupart des
ouvrages classés au Louvre proviennent de Tusculum ou de Roma vecchia, localités de la campagne de Rome où s'élevaient les plus magnifiques villas, nous ne chercherons même pas à distinguer, dans ces ouvrages, ceux évidemment grecs de leurs imitations.
Ce que l'observateur reconnaîtra d'abord, c'est que la plupart des sujets traités se rapportent à la mythologie héroïque de la Grèce : c'est Hercule, le héros dorien par excellence, tuant l'hydre de Lerne, domptant le taureau de Crète, ou combattant le lion de Némée; Thésée, l'hercule ionien, se signalant par la défaite des brigands et des monstres, ou bien encore luttant contre les Amazones.
JACQUEMART. (Céramique.) La série de ces petits bas-reliefs se déroule tout autour de la salle. Rappelons pourtant qu'ils ne sont pas tous placés dans le même endroit et qu'un certain nombre d'entre eux sont disposés sur l'escalier du pavillon Daru.
Quelques-uns de ces bas-reliefs en terre cuite avaient acquis dans l'antiquité même une grande célébrité, puisqu'on les voit reproduits sur nombre de monuments. Nous pouvons citer entre autres la jolie frise connue sous le nom des vendangeurs. Deux faunes foulent aux pieds le raisin déposé dans une cuve. Ils exécutent ce mouvement en cadence et au son de la double flûte que tient un gracieux adolescent placé derrière l'un d'eux, tandis que derrière l'autre un vieillard apporte d'autre raisin dans une corbeille. Les traces de peinture sont ici trèsapparentes. Les oves, les cheveux, les peaux de léopard et les draperies se détachent en jaune clair sur un fond bleu qui se retrouve aussi dans les palmettes du bas, mais celles-ci s'enlèvent sur un fond brun rouge.
Une suite de bas-reliefs dont le sujet se rattache aux noces de Thétis et de Pélée, montre de ravissantes figures, qui sont devenues très-populaires parmi nos artistes. Le héros, dont le bras gauche est enveloppé du manteau qu'il retient autour de son corps, présente la main à Thétis, qui porte le voile nuptial retombant sur les yeux. Une suivante qui la soutient par derrière tourne en même temps la tète vers les personnages qui forment le cortège et qui apportent des présents à la mariée. Ces personnages sont les Heures ou les Saisons, personnifiées par de charmantes jeunes filles. La première qui porte des fleurs épanouies, caractérise le Printemps : sa tournure presque enfantine
contraste avec la robuste jeune fille qui vient après et qui représente l'Eté. Celle-ci tient dans la main droite une couronne de feuillage, et dans la gauche des épis. L'Automne tient une corbeille pleine de fruits et traîne après elle un agneau. Enfin l'Hiver, quelquefois séparé de la saison précédente, par une figure d'Hercule, est couvert d'un manteau et tient des pièces de gibier, un sanglier, un lièvre et une couple de perdrix.
Parmi les sujets représentés sur les petits bas-reliefs qui décorent la première armoire, on reconnaîtra aisément Ulysse et les sirènes et la construction du navire Argo. La série se continue tout autour de la salle : on trouvera donc de nouveaux sujets dans la seconde armoire. La danse autour du berceau de Bacchus est parmi les scènes mythologiques une de celles dont on a retrouvé le plus d'exemplaires. On voit aussi des pygmées sur leurs bateaux; des scènes de gladiateurs, par exemple les bestiaires aux prises avec les lions, des réprésentations de gymnases, etc. Enfin pour en finir avec les bas-reliefs en terre cuite nous signalerons dans la dernière armoire, le Thésée découvrant les armes de son père sous le rocher où elles étaient cachées, et les Corybantes dansant en choquant leurs boucliers pour étouffer les vagissements de Jupiter enfant. —
Nous nommerons encore Persée tenant la tête de Méduse, ou délivrant Andromède, Oreste sur l'Omphalos de Delphes, Thésée domptant le taureau de Marathon, morceau d'une élégance et d'un style admirables, les combats des Griffons contre les Arimaspes dont ils triomphent quelquefois, ou bien contre les Amazones par qui ils sont toujours domptés, l'Hercule étouffant le lion de Nemée, composition d'une grandeur et d'une puissance saisissante, enfin les délicieux bas-reliefs relatifs à l'histoire d'Hélène.
Nous n'avons parlé que des bas-reliefs à sujets, mais nos artistes de l'industrie connaissent bien les charmants motifs d'ornement que fournissent les terres cuites antiques.
Les chimères, les griffons, les dieux marins terminés en enlacements d'acanthes et de dauphins, les enroulements de feuillage les plus variés, les plus gracieux, les plus imprévus, forment de cette série de bas-reliefs le plus admirable ensemble qu'on connaisse pour l'étude de l'ornement antique.
Revenons maintenant à la grande armoire, celle qui fait face aux fenêtres. Sur la tablette supérieure on voit les vases à relief de l'Italie méridionale; ils forment dans la céramique antique une classe de monuments tout à fait à part et demeurés jusqu'à ce jour assez énigmatique.
« Il y a quelques années, ces ouvrages intéressants étaient représentés, chez nous, par le seul spécimen offert au Louvre par M. le baron de Janzé; l'acquisition de la collection Campana, en multipliant les exemplaires, en montrant des formes variées, a prouvé du moins que le vase de M. Janzé n'était effacé par aucun autre.
Le plus ordinairement, Jes terres cuites à sculpture affectent la forme d'une hydrie déprimée à goulot latéral ; le corps, sorte d'outrerenflée et couchée, est surmonté d'une anse en arc qui, de l'extrémité postérieure, vient rejoindre la base du col; mais cette disposition se perd et s'efface sous une accumulation de pièces accessoires de nature à prouver que l'artiste n'avait point à se préoccuper des nécessités de l'usage. Ainsi, sur le col incliné du vase, s'implante une statuette de divinité drapée et placée debout; aux deux côtés surgissent des Tritons ailés dont la croupe anguiforme s'applique'sur le renflement utriculaire, tandis que leurs pieds de chevaux marins battent l'air presque au niveau de l'orifice du tube; d'autres divinités s'élèvent, et sur l'anse, et sur les parois latérales du vase, composant un groupe savamment balancé qui ressemble plus à un élégant panthéon qu'aux accessoires d'une œuvre céramique. Souvent des teintes roses ou bleu céleste couvrent les draperies des figures ; le corps du vase lui-même est diapré de zones doucement colorées, d'imbrications roses ou bleues bordées des de gris noirâtre, en sorte que l'aspect général est harmonieux et laisse dominer les lignes sur l'intensité des tons, ainsi qu'il convient à des ouvrages de sculpture. »
A. JACQUEMART. (Céramique.) Les plus grands parmi ces vases ont une forme sphérique : quelques-uns ont une grande ouverture comme celle des vases ordinaires, d'autres ont plusieurs goulots. Il y en a un qui est formé tout entier par une tête de femme, à laquelle s'adosse une longue poignée décorée celte fois d'une statuette entière : de chacun des côtés de la poignée, une petite tête surgit du calice d'une fleur. Ces vases, dont le centre de fabrication paraît avoir été l'Apulie, ont souvent exercé la sagacité des archéologues, qui ont cherché dans le symbolisme l'explication des bizarreries que nous avons signalées. Mais jusqu'à présent on n'est arrivé sous ce rapport à rien de bien satisfaisant.
On peuten dire autant d'une série de monuments exposés dans la
même armoire, mais dans la vitrine d'en bas. Ce sont des petits sarcophages en terre cuite coloriée et dont la couleur est restée en beaucoup d'endroits. Le bas-relief qui décore ces sarcophages représente uniformément ce mystérieux combat, où on voit un guerrier qui en transperce un autre de son épée. On a voulu quelquefois voir dans cette scène le meurtre de Pyrrhus par Oreste, mais la présence si fréquente de ce sujet sur les monuments funèbres, est une énigme qu'on n'est pas encore parvenu à déchiffrer.
Occupons-nous maintenant d'une série de petites figurines comiques placées dans la troisième armoire, à peu près vers le milieu. Ces espèces de caricatures en terre cuite étaient fort communes dans l'antiquité, mais celles que nous voyons ici paraissent se rapporter, du moins en grande partie, à une catégorie spéciale, de mimes et de bouffons, dont l'origine est probablement grecque, mais qui obtint une grande vogue en Italie à l'époque de Cicéron. Ces acteurs de bas étage étaient dans l'antiquité, ce que furent en Italie, les Franca-Trippa et Fritellino, si bien représentés par Callot, ou bien encore les Arlequins et les Colombines, dont Watteau nous a transmis l'image. Ils ne jouaient pas des pièces écrites; ils improvisaient, en reproduisant toujours certains types et certains caractères que le public connaissait à l'avance, mais qui l'amusaient toujours, comme chez nous les Mayeux et les Polichinelles.
Nos petites figurines en terre cuite ne montrent la plupart du temps pas autre chose que ces mimes dont la tournure plaisante, ou la difformité égayaient tant la populace romaine, et dont l'industrie faisait ensuite des jouets que l'on donnait aux enfants et que nous recueillons aujourd'hui dans nos collections.- Il y a aussi des petits animaux, des amours grotesques, des danseuses, et une foule de figurines en terre cuite, dont quelquesunes sont d'un travail exquis et d'une étonnante conservation.
Si l'on veut voir de-véritables poupées de petites filles, on en trouvera dans les vitrines placées devant les fenêtres. L'enfant qui jouait avec ces poupées ne s'attendait guère assurément à l'importance qu'on y attacherait un jour et aux savantes dissertations qu'elles motiveraient. On verra aussi dans les mêmes vitrines une collection assez complète de masques en terre.
Salle des vases noirs
Un joli plafond, peint par Eugène Deveria, montre la cour de France réunie dans le parc de Versailles, et Puget présentant au roi Louis XIV son groupe de Milon de Crotone. Au point de vue de l'histoire, cette scène est absolument apocryphe, et rien de semblable ne s'est jamais passé : mais le tableau est élégant, la couleur agréable, et l'artiste n'est pas responsable des bévues de l'administration, si elle lui commande des sujets historiques dont elle n'a. pas vérifié l'exactitude. — Maintenant, examinons le contenu de la salle; les objets qu'elle renferme sont tous de fabrication étrusque. La plupart sont des vases à couverte noire, remontant à une très-haute antiquité, mais qui présentent en somme plus d'intérêt pour l'antiquaire que pour l'artiste.
Ces poteries, qui forment dans la céramique une classe absolumentspéciale, se trouvent en Italie. On en a recueilli dans les tombeaux de l'ancienne Cœré (Cervetu), à Clusium, à Veies, qui sontentièrement noirs et sans glaçure. Ces vases ne portent généralement aucune peinture, mais ils sont quelquefois décorés de figures gravées ou modelées enrelief avant que la pâte aitétédurcie.Autrefois on donnait le nom de vases étrusques à tous les produits céramiques revêtus de peintures : on sait aujourd'hui que les vases peints sont presque tous de fabrication grecque, les Etrusques et les Italiens n'ayant commencé à en faire que fort tard et en imitation du goût grec. C'est donc ici qu'il faut étudier les vases qui méritent véritablement la dénomination d'étrusques.
La couleur noire de ces vases ne tient pas à une terre particulière, et semble plutôt avoir été obtenue à la cuisson,car l'argile qui est noire à la surface, va en s'éclaircissant à mesure qu'on se rapproche du centre où il est même quelquefois tout à fait jaune : c'est ce qui a été plusieurs fois constaté dans ceux qui ont une brisure.
Les plus anciens vases de la salle sont ceux qu'on a placés dans la première armoire à main gauche en entrant; ils ont pour tout ornement de simples raies gravées à la pointe sur l'argile fraîche et qui font le tour du vase ou bien dessinent de petits enroulements dont la combinaison est assez primitive. On y voit aussi des imitations très-grossières de la nature humaine, ou bien
des monstres empruntés à l'Asie : ces dessins bizarres sont représentés soit en creux, soit en relief, et on peut supposer que chaque centre de fabrication avait ses préférences. Ainsi à Chiusi, à Volterra et à Vulci, on trouve surtout des vases avec dessins en relief, tandis qu'à Veies on en découvre plutôt avec des ornements en creux.
Les influences orientales sont très apparentes sur ces vases, où l'on trouve tantôt des sphinx ou des têtes qui rappellent Isis, tantôt des taureaux à face humaine, des centaures à pieds d'hommes, des lions ou des panthères, motifs de décoration évidemment originaires d'Asie. On pourrait même croire que certaines chasses qui se déroulent sur la panse de ces vases ont été gravées en y appliquant un cylindre assyrien. Ailleurs ce sont des poissons, des masques, des fleurs, des guerriers, etc. La forme des vases est souvent bizarre : il y en a dont le couvercle est une tête humaine. On trouve des coupes, des amphores, des canthares, des brasiers carrés décorés de figures bizarres, des réchauds à quatre pieds, différentes espèces de fournaux dont quelques-uns sont assez compliqués et d'un usage difficile à expliquer. Il serait d'ailleurs téméraire d'assigner une date quelconque à ces produits, car quelques-uns sont d'une trèshaute antiquité, tandis que d'autres paraissent remonter tout au plus à la fin de la république romaine. Pline nous apprend qu'il y avait sous Numa une population nombreuse qui fabriquait des poteries : c'est le seul renseignement historique que nous possédions.
Salle du tombeau étrusque
Le plafond, peint par Fragonard (le fils du peintre du dixhuitième siècle), représente François 1er recevant les tableaux et statues que Primatice a rapportés d'Italie. — Un des plus précieux monuments antiques du Louvre occupe le milieu de cette salle : c'est le grand tombeau en terre cuite qu'on a si longtemps désigné sous le nom de Tombeau lydien (+). Il a été découvert dans une des chambres funèbres de l'antique Cæré.
Il représente un homme et une femme couchés sur un lit mortuaire. L'homme posé sur ce lit présente un visage allongé, un menton pointu, des pommettes saillantes, des yeux forte-
ment tirés vers les tempes. Ces caractères, qui se rattachent à un type oriental plutôt que grec ou italien, sont extrêmement remarquables, mais on les retrouve également, quoiqu'à un degré moindre, sur les monuments d'Egine, dont l'origine grecque ne saurait être contestée : ils ne sont donc pas suffisants pour attribuer à l'Asie ce monument.
Pour en faire un ouvrage lydien, on avait également invoqué les pieds évidés du lit, sa décoration peinte et ses palmettes, parce que les mêmes ornements se retrouvent sur plusieurs monuments de l'Asie Mineure : mais la Grèce et la Macédoine offrent aussi des exemples analogues. La mitre orientale et les souliers à pointes recourbées ont été aussi regardés comme des arguments d'une certaine valeur; cependant comme des ajustements pareils sont constatés sur plusieurs monuments, on en a conclu que celui-ci pouvait aussi bien que les autres avoir été fabriqué dans le pays ou on l'a trouvé : c'est ainsi que ce monument, si connu il y a quelques années sous le nom de tom- beau lydien, est maintenant qualifié de tombeau étrusque. Toute cette discussion n'a peut être pas en somme une très-grande importance, aujourd'hui surtout que les rapports des Etrusques avec les populations de l'Asie Mineure, constituent un fait acquis à l'histoire. Il importe peu au fond que les ouvriers soient étrusques ou lydiens, et le tombeau peut fort bien être appelé étrusque, bien que le style soit en réalité celui de la Lydie, dont, suivant beaucoup d'historiens, les Etrusques sont originaires.
Dans la première armoire à gauche dans la même salle, on a placé, sur la tablette du bas, un certain nombre de monuments funéraires qui proviennent également de l'Etrurie. Quelquesuns sont extrêmement curieux : il y en a un qui représente une véritable maison. Sur plusieurs on voit des personnages qui ne sont pas sans une certaine analogie avec le grand sarcophage placé au centre de la salle. Dans d'autres, le lit funèbre n'est en quelque sorte que la couche ou le mort doit dormir, et nous le voyons en effet avec les yeux fermés et le corps recouvert du drap mortuaire. Ces monuments sont considérés comme plus anciens que ceux ou le mort est accoudé sur des coussins, et tient en main la coupe à libations.
Le banquet funèbre, qui a tant d'importance dans les usages
de l'ancienne Etrurie, est figuré sur un grand bas-relief placé dans la case au-dessus : on y voit les joueurs de flûte et les animaux sous la table des dîneurs. Un autre bas-relief plus petit montre les pleureuses près du lit funèbre : sur un autre, on voit le bœuf amené à l'autel pour le sacrifice. Au coin, près de la porte, un très-curieux bas-relief peint montre Minerve qui verse à boire à Hercule.
Voyons maintenant les grands vases assez grossiers qui sont dans l'armoire qui fait face aux fenêtres.
Il existe dans la collection Campana un certain nombre de grands vases d'une fabrique toute particulière, et qui paraissent remonter à une haute antiquité. Tous ne sont pas du même style, ni évidemment de la même époque. Ces vases ont été trouvés dans la tombe de Cæré, d'où a été retiré le grand sarcophage de terre peinte auquel on a donné si improprement le nom de tombeau lydien, ou, s'ils n'ont pas été découverts dans la même sépulture, c'est dans les environs qu'on les a rencontrés. Il y en a, parmi ces vases, qui, par leurs peintures et leurs ornements, rappellent les vases de style oriental; d'autres, à couverte noire, ont des peintures à teintes rouges, blanches et brunes, superposées sur la couverte. Ces peintures représentent des animaux, soit naturels, soit fantastiques.
D'autres montrent de chasses. La plupart de ces vases ont quatre et même six anses. Quelques-uns ont des couvercles, et ces couvercles sont enrichis eux-mêmes de peintures et d'ornements variés.
Je ne crois pas qu'aucune collection, hors le musée Napoléon III, possède des échantillons de ces vases d'une fabrique toute particulière.
DE WITTE. (G. des Beaux-Arts.) Des peintures trouvées également dans les tombes de Cæré, sont exposées dans la troisième armoire. Enfin les vitrines placées devant les fenêtres nous font voir des plaques d'ivoire sculptées et un beau relief en terre cuite venant de Toscanella.
Le couloir par lequel on quitte cette salle, est garni de planchettes ou on a placé des antefixes en terre cuite, représentant des masques d'homme et de femme : quelques-uns sont d'un beau caractère.
Salle des vases corinthiens
Le plafond de cette salle, peint par Heim, se rapporte à la renaissance des arts en France. On y voit la France offrant ses
trésors aux Arts, qui accourent au bruit de la Renommée et auxquels la Gloire donne ses couronnes.
Des vases grecs sont placés dans toutes les armoires de cette vaste salle : des noms écrits en caractères de l'ancien alphabet employé à Corinthe, ont fait donner le nom de vases corinthiens à toute une catégorie de vases grecs dont la fabrication paraît remonter au septième ou au sixième siècle avant notre ère.
Quelques-uns de ces vases ont été trouvés à Corinthe même, mais la plus grande partie provient des fouilles de l'Italie centrale. On sait que parmi les colons qui, vers l'an 655, furent chassés de Corinthe et vinrent s'établir en Etrurie sous la conduite de Démarate, il y avait plusieurs artistes, et c'est à eux ou à leurs élèves qu'on attribue généralement l'extension de l'industrie céramique en Italie. Le musée du Louvre possède une riche collection de ces vases à inscriptions corinthiennes. Avant d'examiner ces vases, il est bon de rappeler les origines de cette fabrication.
Après les méandres, les chevrons et les ornements quadrillés des vases du plus ancien style, on voit apparaître des animaux naturels ou fantastiques, toujours disposés en zones et se suivant comme dans une procession. On a donné à ces produits céramiques le nom de vases peints de style asiatique. Ces sortes de compositions paraissent être imitées de celles qui décoraient les tissus et les tapis de l'ancien Orient. Aristote parlant d'un tissus de ce genre, dit : « Le haut représentait les animaux sacrés des Susiens, le bas ceux des Perses. » Un des caractères de l'art oriental consiste dans l'association bizarre de la forme humaine à celle de certains animaux, quadrupèdes, oiseaux ou poissons. On remarquera aussi dans les marches d'animaux, la longueur démesurée du corps : ce sont des formes toutes conventionnelles, mais dont la belle allure n'échappera à personne.
Les plus anciens vases de cette catégorie se trouvent dans les armoires placées à droite et à gauche de la porte d'entrée.
Les vases peints de style asiatique peuvent se diviser en deux classes : les plus anciens portent seulement des marches d'animaux, tandis que dans les autres on voit des sujets mythologiques encadrés dans les zones d'animaux. Les vases décorés de figures humaines sont toujours d'une fabrication plus récente.
Toutefois on ne peut faire à ce sujet que des appréciations relatives, parce que l'art ayant progressé plus rapidement en Asie, des vases à figures venant de cette contrée peuvent être contemporains de vases tout à fait archaïques fabriqué en Occident. Selon M. de Witte, il y a pour le moins un siècle d'intervalle entre les produits de l'art céramographique en Occident et les produits du même art en Orient. Les vases placés dans cette salle sont tous antérieurs aux guerres médiques, et comme la colonie corinthienne amenée en Etrurie par Démarate date de €55 avant Jesus-Christ, la plupart doivent remonter au sixième ou à la seconde partie du septième siècle. Il n'y a, du reste, aucune différence entre les vases corinthiens trouvés en Italie et ceux trouvés en Grèce.
Les figures des vases les plus anciens ont dans la forme un style particulier qui les fait aisément reconnaître. Les potiers ne sont pas arrivés tont de suite à la simplicité qui caractérise la grande époque. Les personnages font, au contraire, toutes sortes de contorsions et le dessin en est extraordinairement maniéré : les attaches sont d'une finesse exagérée et les parties charnues sont au contraire démesurément enflées. Il est telle de ces figures dont la partie postérieure fait penser à la Vénus hottentote. Ce caractère toutefois n'a pas duré, ou du moins il a été particulier à une fabrication, car sur d'autres vases les figures prennent au contraire une simplification archaïque dans le contour qui n'est pas dépourvue de charme. Les figures de ces anciennes poteries peuvent donc se rattacher à deux types principaux dont les pôles extrêmes sont une recherche du mouvement poussée jusqu'au maniérisme, et une recherche de la simplicité qui est voisine de la raideur.
Dans les vases d'ancien style, les principaux muscles et les plis des draperies sont généralement gravés avec la pointe.
Les yeux des hommes sont ordinairement indiqués d'une autre manière que les yeux des femmes. Ceux des hommes sont gravés au trait sous forme d'étoile, tandis que les yeux des femmes sont allongés et taillés en amande avec le fond blanc et la pupille noire et souvent rouge. Les contours dans les corps des hommes sont plus anguleux, plus prononcés que dans les corps des femmes, où l'on trouve des formes plus arrondies. Aussi Pline, en parlant de l'origine de la peinture dit que l'Athénien Eumarus réussit le premier à distinguer les deux sexes.
Toutes les têtes, dans ces peintures anciennes, sont dessinées de profil et manquent de caractère et de vie; ce n'est que par excep- tion qu'on rencontre des têtes de face; en général l'effet en est médiocre; on y reconnaît une grande maladresse et une inhabileté prononcée. On exagère la forme des épaules, des hanches, des cuisses, des mollets. Souvent les mouvements sont violents et forcés; ce qui manque surtout à ces sortes de compositions, c'est la grâce et le naturel, mais on y trouve beaucoup de naïveté. Et cependant, malgré toutes les imperfections qu'on peut signaler dans ces peintures, on est obligé de reconnaître une certaine habileté et un art qui tend à se développer.
DE WITTE. (G. des Beaux-Arts.) Quand l'anse est placée au milien d'un vase, elle est souvent encadrée dans un système ornemental qui sert à séparer les sujets dont chacun occupe un des côtés de la panse. Ces ornements sont ordinairement composés d'enroulements et de palmettes qui sont quelquefois d'un agencement très-heureux. Les- sujets dans les temps primitifs n'occupent jamais toute la hauteur de la panse, qui est divisée en zones avec des animaux disposés toujours d'une manière symétrique. Ces animaux, tantôt réels, tantôt fantastiques, présentent souvent l'association de la figure humaine au corps de l'animal, et se développent autour du vase comme une procession. Les sirènes, c'est-à-dire les oiseaux à têtes de femmes sont particulièrement fréquentes.
Quant aux sujets, bien que la plupart se rapportent à la mythologie, on y trouve de bien précieux renseignements sur les les mœurs de l'antiquité. Près de la porte qui ouvre sur les salles égyptiennes, on voit sur les vases toutes les représentations relatives aux repas : les personnages couchés sur les lits, les musiciens qui les égayent, les serviteurs qui apportent à boire, les animaux qui cherchent les débris. Il y a aussi des scènes funèbres fort intéressantes, par exemple, celle qui représente Achille mort pleuré par les Néréides. Il semble que le potier ait voulu traduire exactement les indications d'Homère. « Le roi et le héraut, dit le poëte, déposèrent le corps sur un lit magnifique et l'entourèrent de chanteurs qui entonnèrent l'hymne des funérailles : les femmés y répondirent par leurs gémissements. » Seulement c'est d'Hector qu'il est ici question, tandis que c'est Achille qui est représenté sur notre vase. Le héros est étendu sur le lit au pied duquel on voit ses armes, un
casque surmonté de panaches et un bouclier sur lequel est figurée une formidable tête de Gorgone. Des néréides pleurent et chantent autour de lui. On voit aussi d'autres scènes de la guerre de Troie, par exemple le départ d'Hector, qui monte sur son char en disant adieu à sa famille, enfin des scènes purement mythologiques, comme Persée poursuivi par les sœurs de Méduse. Ce grand vase placé à droite de la porte par laquelle on passe dans la salle suivante, est extrêmement curieux par l'extrême barbarie du dessin. Poursuivi par les sœurs de sa victime, le héros s'échappe emportant avec lui l'effroyable tête avec laquelle il va pétrifier ses ennemis. Les Gorgones sont pourvues d'ailes : leurs cheveux sont hérissés de serpents, la langue pend démesurément entre les deux rangées de dents ou plutôt de crocs, qui garnissent une effroyable bouche fendue jusqu'aux oreilles. Les yeux, le nez, les sourcils et les joues sont une espèce de dessin calligraphique, dont on retrouve l'analogue chez certains monstres chinois. Enfin le génie de la Grèce n'a pas encore mis son souffle sur cette conception toute imprégnée de style asiatique. Il ne faut pas non plus manquer de regarder dans les vitrines des fenêtres, la curieuse coupe archaïque, qui représente Prométhée déchiré par le vautour. C'est une coupe à fond blanc avee peinture noire et rouge. Salles des vases à figures noires Le plafond peint par Fragonard, représente François Ier armé chevalier par Bayard. Cette salle , à laquelle on arrive par un couloir où sont rangées des terres cuites, est surtout remarquable par les vases de la fabrique de Nicosthènes (+) qui sont placés dans une vitrine spéciale au centre même de la pièce.
Les vases et les coupes de la fabrique de Nicosthènes, qui ont été classés séparément dans cette immense collection, constituent une des plus intéressantes séries pour l'étude des fabriques. Nicosthènes a fait un grand nombre de vases ; presque tous ceux qui font partie de la collection se distinguent par une forme particulière; ce sont de petites amphores garnies d'anses larges et plates.
Les anses, aussi bien que la panse du vase, sont elles-mêmes enrichies de peintures. Le plus grand nombre de vases qui portent la
signature de Nicosthènes, connus jusqu'à ce jour, sont à peintures noires sur fond rouge. Il y en a pourtant à peintures rouges, et d'autres ont des peintures blanches appliquées sur le fond noir. Et, comme on trouve également'des vases à reliefs en terre noire de travail étrusque, ayant la forme exacte des petites amphores signées par Nicosthènes, plusieurs archéologues italiens ont été portés à admettre une fabrique locale et toute particulière de ces amphores à anses plates. Cette fabrique aurait duré plusieurs siècles ; il y aurait eu d'abord des vases noirs avec ou sans reliefs, d'autres avec des ornements rouges et blancs superposés; d'autres à peintures noires sur fond rouge ou blanc, ou à peintures blanches sur fond noir. Ce sont les vases à figures d'hommes ou d'animaux noires, rouges ou blanches, ou simplement décorés de palmettes, qui portent seuls le nom de Nicosthènes. On trouve bien quelques amphores à anses plates avec le nom de Pamphaios, et l'on propose de voir dans ce dernier artiste un élève de Nicosthènel. » DE WITTE. (Notice.) Les armoires rangées autour de la salle renferment des vases qui proviennent pour la plupart de fabriques inconnues, mais qui sont tous décorés de figures noires se détachant sur un fond rouges ou jaune : les contours sont tracés avee une pointe et gravés dans la terre molle. Un détail caractéristique, c'est que les chairs des femmes sont coloriées en blanc. Certains ornements de cette catégorie sont également rehaussés de blanc et même de violet. Les coupes sont décorées d'après un système analogue et la plupart du temps il y a un sujet à l'intérieur aussi bien qu'à l'extérieur. Le cinquième et le quatrième siècles avant Jésus-Christ paraissaient avoir été l'époque où cette fabrication a eu le plus d'importance en Grèce, mais il semble probable que l'usage de détacher les figures en noir s'est perpétué plus longtemps en Italie.
Parmi les sujets de la vie domestique représentés sur les vases à peintures noires, je citerai les exercices agonistiques, les luttes du gymnase, les chasses, les banquets, les femmes qui vont chercher de l'eau à la fontaine ou qui se baignent, qui se livrent aux soins du culte, qui cueillent des fruits, occupées de leur toilette, etc. Les cérémonies nuptiales sont figurées sous la forme d'une procession solennelle, et ordinairement les mariés sont montés sur un char, tandis que des divinités protectrices les accompagnent à pied pour les conduire à leur demeure. On trouve aussi, mais çes représentations sont rares, les travaux de l'agriculture, la cueillette des olives, l'art du potier, la fonte des métaux, la navigation, etc.
DE WITTE. (G. des Beaux-Arts.)
On trouve aussi dans cette salle quelques vases panathénaïques, et un grand nombre de vases décorés de sujets mythologiques, mais nous voudrions appeler l'attention sur l'ornementation particulière des coupes réunies dans une vitrine de la fenêtre.
Il est à remarquer qu'on a persisté pendant longtemps à. représenter le Gorgonium à l'intérieur des coupes; à l'extérieur ce sont de grands yeux qui vers les anses servent d'encadrement aux autres peintures; ces yeux se reproduisent aussi sur les amphores, sur les tasses, à la proue des vaisseaux, usage qui s'est conservé jusqu'à nos jours à Naples, en Sicile et à Malte, où les barques des pêcheurs portent encore à la proue de grands yeux peints. On mettait également des sphinx et des sirènes près des anses ; c'est comme une réminiscence des longues zones d'animaux des vases de style oriental.
DE WITTE. (G. des Beaux-Arts.) Salle des vases à figures rouges Le plafond peint par Schnetz, représente Alcuin montrant à Charlemagne les manuscrits de ses moines. — Dans cette salle, comme dans la précédente, un choix de vases occupe la vitrine centrale. Au milieu de cette vitrine, est un vase de moyenne grandeur et remarquable par sa couleur qui diffère totalement des autres. C'est le fameux vase d'Andocides (+): il représente pardevant des amazones se livrant à leurs exercices; outre la valeur artistique de ces figures, on y trouve les renseignemeuts les plus curieux sur l'histoire du costume : il y a tel personnage qu'on prendrait volontiers pour un page du moyen âge. La petite figure à cheval, coiffée d'un capuchon, est d'une tournure ravissante.
L'envers du vase représente une scène d'un tout autre genre : ce sont des femmes au bain, s'exerçant à la natation, sujet trèsrare. Il n'est pas unique dans la céramique grecque. Les frises et les anses sont ornées de palmettes et de guirlandes de lierre en noir, tracées sur fond rouge d'après le système ordinaire.
Le superbe monument céramique est fait avec une terre d'un grain très-fin et couverte d'une engobe d'un beau poli.
Un superbe cratère à figures rouges, considéré par quelques personnes comme le vase le plus important de la collection, est placé tout à côté du précédent, mais il est beaucoup plus grand.
Le cratère, signé d'Euphronios, représente la lutte d'Hercule et
Antée. Un autre cratère, également très-célèbre qui montre Apollon et le géant Tityus, lui fait pendant. D'autres vases, tous remarquables et de fort belles coupes, ont également trouvé une place d'honneur dans cette vitrine.
Les armoires placées autour de la salle, renferment une série nombreuse de vases, dont les figures se détachent toujours en rouge ou en jaune sur un fond noir, quelquefois opaque, mais plus souvent assez brillant. Presque tous les sujets représentés se rattachent à la mythologie : parmi les plus remarquables, nous citerons dans la première armoire à main gauche, Diane et Actéon, que ses chiens sont en train de dévorer, et dans les suivantes, les Muses, Cérès et Triptolème, le retour de Vulcain dans l'Olympe, Bellérophon tuant la Chimère, de beaux vases bachiques, des combats, etc.
Salle des Rhytons Le plafond peint par Drolling, représente Louis XII proclamé père du peuple aux Etats généraux de Tours, en 1506. — La vitrine centrale renferme une riche collection de rhytons et de vases dits de forme singulière. Il faut voir tout d'abord à l'angle de cette vitrine le vase formé par le double masque du fleuve Alphée et de la nymphe Aréthuse (+). La partie supérieure qui forme au-dessus de la chevelure comme un diadème, présente la forme d'un canthare à deux anses. Ce monument céramique appartient à la plus belle époque de l'art grec. Parmi les vases présentant des types analogues, il faut citer la double tête de Pan cornu, la double tète d'Hercule et Omphale, les têtes de nymphes, de nègres, de satyres.
Les rhytons, dont l'origine est la corne de vache avec laquelle- les paysans thraces buvaient l'eau des sources, présentent une étonnante variété comme types décoratifs. Des têtes de bœuf, de cheval, de mouton, de cerf, de griffons, de canards, etc., en forment les sujets les plus ordinaires, et quelques-unes de ces têtes sont elles-mêmes enrichies de peintures à sujets. A côté de ces vases aux formes grotesques et capricieuses, on a également placé des lampes affectant la forme d'une grenouille, d'un cochon, etc.
Les armoires placées autour de la salle contiennent aussi des
produits céramiques extrêmement variés. Dans l'armoire à gauche en entrant, on voit d'abord les poteries d'Arezzo, consistant en quelques vases et un grand nombre de plats en terre rouge vernissée. Puis nous trouvons une série assez importante de coupes en terre noire, décorées au fond d'une figure en relief dont la saillie est en général assez prononcée.
La seconde armoire contient des vases dont la fabrication ap-' partient à une époque de décadence : quelques-uns néanmoins sont très-remarquables. Il faut citer entre autres une grande et large œnoché récemment acquise et couverte d'enroulements de feuillage fort élégants, au milieu duquel on reconnaît un groupe représentant l'enlèvement d'Orithye par Borée. Mais de tous les vases exposés ici, le plus beau saus contredit est celui qui représente Oreste réfugié près de l'autel d'Apollon à Delphes.
Le héros est assis, le dos appuyé contre l'omphalos; il tient de la main droite le glaive nu, tout dégouttant du sang de sa mère. Derrière le meurtrier apparaît Apollon debout sur les marches de l'autel.
Le dieu est vêtu d'un riche manteau, et de la main droite étendue tient par une des pattes de derrière un petit cochon, animal employé dans les cérémonies expiatoires, et qu'il semble agiter au-dessus de la tête du parricide, comme pour en répandre le sang purificateur sur son corps. De la main gauche, il porte un rameau de laurier. Diane, en costume de chasseresse, et armée de deux javelots, se tient debout derrière son frère, au bas des marches de l'autel. De l'autre côté, à gauche, sur un plan plus élevé, paraissent deux Furies endormies ; une troisième, vue à mi-corps, sort de terre au bas du tableau. Devant les Furies endormies se présente l'ombre de Clytemnestre qui vient tirer de leur sommeil les déesses infernales et leur ordonne, comme dans les Euménides d'Eschyle, de tourmenter le coupable. Un voile, ainsi que cela se voit ordinairement dan s les représentations des ombres, recouvre la tête de l'épouse d'Agamemnon.
DE WITTE. (G. des Beaux-Arls.) La seconde partie de la deuxième armoire et toute la troisième sont consacrées à un ensemble de productions qu'on pourrait appeler l'extrême décadence. Dans ces derniers produits de l'art céramique en Italie, produits qui sont tous d'une date relativement récente, le goût grec a complètement disparu. Il est remplacé d'abord par une tendance au réalisme, qui dans les arts décoratifs est toujours un signe de déclin : les ailes, qu'on voit aux figures sont tout ce qui reste des ancienn es traditions
étrusques. De grandes têtes blanches couvrent quelquefois toute la surface du vase; puis elles disparaissent et on ne voit bientôt que des feuilles blanches très-grossièrement peintes et des ornements rudimentaires, sur des pots noirs luisants, qui gagneraient assurément à n'être pas décorés du tout. Cette troisième armoire montre en effet la chute définitive de l'art céramique dans l'antiquité.
Salle des peintures antiques Le plafond, peint par Léon Cogniet, est relatif à l'expédition d'Egypte : on y voit le général Bonaparte, sous une tente, entouré de savants et d'artistes qui se livrent à leurs recherches.
Plusieurs peintures antiques, provenant de Pompéi et d'Herculanum, ont fait donner à cette salle le nom sous lequel elle est désignée. On y voit entre autres de belles muses qui firent longtemps partie des collections de la Malmaison, et plusieurs peintures données par le roi de Naples, en 1825. Quel que soit l'intérêt qui s'attache naturellement à ces peintures, il ne faut pas s'abuser sur leur mérite artistique : dans l'art antique, elles n'ont pas plus d'importance que n'en ont chez nous des enseignes de boutiques ou des décorations de café. Elles ont surtout l'avantage de montrer les procédés techniques employés dans l'antiquité, et elles montrent parfois dans la tournure un charme singulier, qui provient moins du talent personnel de l'artiste auquel elles sont dues, que des réminiscences d'ouvrages plus parfaits, dont il était nécessairement imprégné.
Dans la vitrine placée au milieu de la salle, on a réuni de nombreux échantillons de verreries antiques, des plats en verre peint ou doré, des camées, et quelques fragments antiques.
Le musée britanique est plus riche que le nôtre en verres antiques, néanmoins nous en avons une collection très intéressante pour 'histoire de l'industrie. On voit que les fameux verres de Venise ne sont qu'une continuation de la fabrication des anciens : nous avons ici plusieurs pièces qui offrent avec ces verreries de singulières analogies.
Nous signalerons un flacon de forme lenticulaire couvert d'un émail bleu d'outre-mer. Sur l'arête du contour s'enroule un ordon de verre bleu à filets blancs se recourbant en anses à ses
deux extrémités. Un champ circulaire d'émail blanc occupe le centre du vase. Il y a aussi de jolis flacons en verre blanc laiteux et couvert de stries peintes en brun violâtre. On voit que l'artiste a cherché à produire les effets des veines naturelles du gypse ou de l'albâtre.
MUSÉE DES ANTIQUITÉS Salle des bronzes antiques
Cette salle est située au premier étage. Quand on monte par l'escalier situé sous le pavillon de l'horloge, on trouve à sa main droite le musée Lacaze et à gauche les salles consacrées aux dessins de maîtres. C'est à gauche qu'il faut aller avant d'arriver à la première salle des dessins, on verra entre les deux escaliers, et juste vis-à-vis de la fenêtre, une porte en fer admirablement travaillé, qui provient du château de Maisons. Cette porte donne accès à la salle des bronzes antiques.
Approchons-nous d'abord des trois fenêtres qui l'éclairent : l'embrasure de celle du milieu renferme un siège antique en bronze, et en face de la fenêtre, on trouve une figure d'Apollon de grandeur naturelle et entièrement dorée. Elle a été trouvée en 1823, près du théâtre antique de Lillebonne (Seine-Inférieure).
Une autre statue d'Apollon en bronze et beaucoup plus petite, mais portant également sur un piédestal isolé, fait vis-à-vis à la fenêtre de gauche, celle-ci est infiniment plus précieuse. Elle est debout et, comme la précédente, entièrement nue : le pied gauche; est un peu en avant. La main droite tenait un animal et la gauche un arc, mais elles sont vides aujourd'hui. Les cheveux encadrent le visage de boucles symétriques, et les yeux qui étaient en argent ont disparu. Cette figure est de travail grec d'ancien style.
Un enfant tenant un oiseau et portant au cou la fameuse bulla fait pendant au petit Apollon grec. Les vitrines plates placées devant les fenêtres contiennent une riche collection de miroirs et de boîtes à miroirs décorées de sujets mythologiques.
On y voit aussi des tuyaux en plomb, des patères et des inscrip-
tions sur des plaques de bronze, l'une d'elles émane de Paul Emile et remonte à 190 ans avant Jésus-Christ.
Le milieu de la salle des bronzes est occupé par une vitrine ronde, au centre de laquelle est une lanterne renfermant plusieurs statuettes remarquables, parmi lesquelles nous signalerons un Hercule au repos, un Amour, et une très-curieuse image d'Atys, le ministre phrygien de Cybèle.
« Son costume extraordinaire, ni grec ni romain, dit Clarac, le désigne assez pour un personnage dont le culte mythologique fut apporté de l'Asie en Grèce et en Italie. On y retrouve ces anaxa- rydes ou grands pantalons des peuples de l'Orient que l'on voit à des statues de princes ou de soldats barbares et aux amazones. Mais ici, l'ajustement en est tout particulier par les boutons qui, de chaque côté, en réunissent comme par des crevés les deux parties sur le devant de la cuisse et de la jambe. On voit aussi que les parties supérieure et inférieure de l'habillement n'en font qu'une et que les longues manches y tiennent. Ce vêtement s'ouvre d'une manière bizarre sur le milieu du corps, qu'il laisse à découvert. La chaussure fixée est haute comme dans la plupart des figures orientales. Par la manière dont s'enfle le vêtement de cet Atys, et par ses mains élevées vers le ciel, il Semble tourner sur lui-même de manière que la rapidité de son mouvement agite le vêtement, ce qui faisait partie des actes frénétiques d'adoration des prêtres de Cybèle. »
C'est en effet dans le culte phrygien de la mère des dieux qu'il faut chercher l'origine d'une pratique dont l'usage s'est perpétué parmi les derviches tourneurs de l'Orient. La statuette en bronze que nous venons de décrire est placée dans la lanterne centrale juste en regard de la porte.
Tout autour de la lanterne dont nous venons de parler, sont des vitrines plates, qui renferment une riche collection de cachets et de miroirs, des fibules et bracelets, des sceaux de potiers, des mors de chevaux. L'une des sections de cette vitrine renferme des antiquités asiatiques dont quelques-unes sont extrêmement curieuses : nous citerons entre autres les tablettes du règne de Sagon, en or, argent, bronze et terre cuite, des bijoux d'or assyriens, des statuettes en bronze trouvées à Baby- lone, et des coupes d'argent doré trouvées dans l'île de Chypre, et données au Louvre par M. de Saulcy (+). Ces coupes présentent un singulier mélange d'emblèmes asiatiques des différentes époques, et peuvent nous donner une idée des vases de métaux
que les Phéniciens portaient aux Grecs et dont parle Homère, nous voyons aussi comment les Grecs, disciples et imitateurs des Asiatiques, pour tout ce qui touche l'industrie ont pu être amenés à introduire dans leurs ouvrages des symboles tout à fait étrangers à leur nationalité.
Tout autour de la salle sont des grandes vitrines contenant des statuettes de divinités dont les unes se rattachent à la my- thologie générale, tandis que les autres se rattachent à des cultes locaux. Comme iconographie la collection est assez riche; il y a aussi une très-nombreuse série de petits animaux. Mais les monuments de beaucoup les plus intéressants sont ceux qui concernent les mœurs intimes de l'antiquité.
Nous appellerons d'abord l'attention sur les cistes, faciles à trouver à cause de leur dimension, et dont plusieurs sont décorées de figures du plus beau caractère.
Sans parler de la curieuse suite d'ustensiles étrusques et romains que cette collection met sous nos yeux et qui jette tant de lumière sur la vie privée des anciens, nous devons signaler les cistes de bronze ou vases fermés qui y sont joints et dont on doit l'acquisition à M. Brunn. Trois de ces cistes proviennent des belles fouilles que le prince Barberini a fait faire à Palestrina (l'ancienne Préneste) ; elles sont gravées avec uue aisance et une élégance de style qu'on ne saurait assez admirer. La plus grande est au moins égale à la fameuse ciste athlétique du musée Kircher, au collège des jésuites, à Rome, qui représente les Argonautes en Bébrycie. Mais deux de celles que possède maintenant la France sont surtout intéressantes, parce que les sujets qu'elles offrent semblent déterminer l'usage le plus fréquent de ces vases, usage encore mal connu.
L'une nous offre une scène nuptiale : on y voit figurés l'époux et l'épouse, la couronne à la main, chacun avec sa suite. Une ciste y est représentée, qui paraît renfermer les présents de noces, ou tout au moins les objets de toilette qui servaient à la femme. Sur l'autre ciste, Persée délivre Andromède et Thésée enlève la reine des Amazones : deux scènes qui font allusion au mariage. Il y a donc lieu de croire que ces vases de bronze étaient des espèces de corbeilles de noce. Une ciste de moindres dimensions, et dont la gra- vure est plus belle, nous présente, dans un style aussi élégant qu'é- levé, l'histoire de Prométhée créant l'homme, puis la création de Pandore, son arrivée chez Epiméthée, la punition du Titan créateur et sa délivrance par Hercule.
A. MAURY. (Rapport officiel de 1867.) Il faut aussi remarquer les chaudrons, les vases de tous
genres et de toutes formes, les coupes les plats dont plusieurs sont d'une belle conservation et qui sont disséminés à peu près dans toutes les vitrines. Il en est de même des candélabres dont le musée possède à peu près tous les types usités dans l'antiquité.
L'origine du candélabre n'est pas autre chose que la tige d'une plante ou d'un roseau, qu'on entre dans la terre, et en haut duquel on met un plateau pour y poser une lampe. Ce sont là sans doute ces candélabres primitifs que Caton comptait au nombre des ustensiles indispensables dans une métairie. On fit de ces tiges des imitations en métal, dans lesquels le plateau prit bientôt la forme d'une fleur ou d'un vase, tandisque la base fut formée de pieds d'animaux et plus spécialement des griffes d'un lion. La plupart des tiges des candélabres sont de longues colonnettes cannelées; quelques-unes pourtant appartiennent au style rustique et affectent d'imiter un tronc d'arbre ou un roseau, mais celles-ci ne sont pas pour cela d'une date plus ancienne, seulement elles montrent une fois de plus le goût qu'ont montré plusieurs fois les anciens pour un retour aux formes primitives.
Il faut signaler aussi quelques objets d'un caractère plus spécial, par exemple les strygiles dont se servaient les athlètes pour se gratter la peau encore toute imprégnée d'huile et de sable, et qui plus tard sont devenus d'un usage général dans les bains publics. Quelques figurines d'acteurs et de mimes, des acrobates faisant divers tours, des masques tragiques ou comiques, des figures grotesques, des figures de gladiateurs et d'auriges, rappellent la passion des anciens pour les spectacles.
Enfin il faut avant de partir signaler une suite très importante d'armes, de casques et de boucliers antiques du plus grand intérêt.
Salle des bijoux
Cette salle, placée entre le salon des sept cheminées où sont les chefs-d'œuvre de l'École française moderne, et le vestibule où est la grille de la galerie d'Apollon, est décorée d'un plafond de Mauzaisse, qui représente le Temps parcourant l'espace avec la faux qu'il tient à la main. On y a placé
des bijoux antiques qui proviennent surtout de l'ancienne collection Campana. On y voit aussi plusieurs objets importants qui ont une autre origine, par exemple les monuments d'argent trouvés à Notre-Dame d'Alençon, près Brissac. Il y avait en ce lieu un temple de Minerve. Lorsque le Trésor de Notre-Dame d'Alençon fut acquis pour le Musée, un examen attentif de la surface de tous les objets qui le composent nous fit reconnaître l'existence de seize inscriptions tracées à la pointe, si légèrement, qu'il est difficile de les relever sans le secours d'une forte loupe. Treize de ces inscriptions contiennent le nom de Minerve plus ou moins abrégé, et, si on les joint aux dédicaces de Gaudilia et Crimilla (nos 548 et 549), elles forment un ensemble qui démontre clairement que le sanctuaire où avaient été déposés les objets que nous décrivons ici était consacré à la fille de Jupiter. Les graffiti sont de diverses mains, et, s'ils sont l'œuvre des donateurs, on s'étonnerait de les voir placés d'une manière si peu apparente. Mais les marques pondérales et le nom divin si fréquemment abrégé étaient peut-être tout simplement à l'usage des gardiens du temple, chargés de conserver d'autres ustensiles non dédiés avec lesquels les offrandes ne devaient pas être confondues.
L'écriture n'a rien de monumental, elle est cursive et négligée. On y remarque l'emplci de l'E composé de deux barres parallèles, que les Gaulois ont très-anciennement emprunté aux Romains.
LONGPERRIER, (Nutice des bronzes antiques.) Parmi ces monuments, on remarque un masque de Minerve travaillé au repoussé, un médaillon de patère orné d'une figure d'Apollon, un médaillon d'Antonin Caracalla, debout et tenant un globe surmonté d'une victoire, des patères avec inscription dédicatoire, enfin des vases avec différents fragments.
Il y a encore en dehors des bijoux proprements dits, plusieurs pièces, entre autres un beau casque de forme conique, au-dessus duquel s'élèvent deux ailerons de fer qui lui donnent un peu l'apparence d'une lyre. Une fourche à deux dents est plantée sur le sommet du casque dont la base est ceinte d'une couronne de feuilles de laurier en or. Ce beau casque trouvé dans la grande Grèce est placé au-dessus de la vitrine centrale; un autre casque placé à côté est aussi d'une forme très-singulière; il est d'ailleurs beaucoup moins ancien et se rapporte à l'époque romaine puisqu'il a été trouvé en Normandie.
Les bijoux antiques sont repartis dans diverses vitrines, placées au centre et sur les côtés de la salle. Grâce à l'acquisi-
tion du musée Campana, notre collection de bijoux antiques peut aujourd'hui rivaliser avec les plus importants qu'il y ait en Europe, celle du musée grégorien de Rome, celle du musée de Naples et celle du musée de Saint-Pétersbourg. Seulement la collection de Naples et celles de Saint-Pétersbourg sont surtout riches en bijoux de fabrication grecque, tandis que la collection du Louvre et celle du musée grégorien à Rome, sont surtout remarquables par les objets étrusques qu'ils renferment.
Nous commencerons notre revue par les diadèmes et les couronnes. On sait que chez les anciens, la couronne n'était pas une marque d'autorité souveraine, et c'est seulement parmi les peuples modernes de l'Occident qu'elle est devenue l'emblème de la royauté. Le diadème est donc simplement un bijoux d'ornement au même titre que le bracelet et le collier. Le musée en a plusieurs qui sont de toute beauté. Quelques-uns sont fort simples et consistent en une lame de métal souple et étroite faisant l'office du ruban qui séparait les cheveux de devant de ceux du reste de la tête. D'autres, au contraire, sont d'une extrême richesse comme travail ; l'un d'eux est considéré comme un chef-d'œuvre de bijouterie.
Ce diadème gréco-étrusque, en or et en émail, se compose d'un assemblage de deux petites lames d'or plus ou moins découpées et reliées entre elles par une bande, estampée .en astragale, qui relie le bord inférieur du diadème. Toute la surface antérieure est couverte d'ornements divers disposés avec beaucoup d'élégance, quoique sans symétrie réelle, et fixés sur les lames d'or qui servent de fond, les uns par de petites charnières, les autres par de petits pivots rivés. Vers le milieu de la hauteur, on remarque, sur toute l'étendue du diadème, une série de petites marguerites dont le centre est orné d'une perle de pâte de verre, et qui sont entourées d'autres fleurs semblables, plus petites, et de quelques palmettes émaillées.
Une foule d'ornements du même genre couvrent tout le reste de la surface; tous sont façonnés de la manière la plus élégante, en feuilles d'or, en cordelé et en émail, et entremêlés de perles de pâte de verre de teintes très-douces. Le bord supérieur est formé par une série de palmettes ornées d'un grand nombre de petites perles de verre d'un beau bleu. Le diadème se termine de chaque côté par une petite pièce cylindrique très-élégante, dont l'extrémité porte un anneau auquel s'attachaient les cordons destinés à le fixer sur la tête.
Les différentes parties dont se compose ce diadème sont combinées avec tant de goût et d'une manière si heureuse, qu'il est considéré comme un monument d'orfèvrerie unique et presque inimitable.. CH. CLÉMENT. (Notice des bijoux.)
A côté des diadèmes proprement dits, il y a des couronnes d'or en feuillage d'une délicatesse exquise. Quelques-unes étaient assurément des parures de femmes. Cependant comme plusieurs monnaies montrent Minerve ou Mars portant un casque orné d'une de ces couronnes, on peut supposer qu'elles étaient quelquefois décernées comme récompenses honorifiques : le beau casque décrit plus haut et sur lequel nous avons vu une couronne de lauriers en serait un curieux exemple. Mais il y a aussi des couronnes dont les feuilles d'or se rettachent à une tige d'une telle ténuité qu'elles ne paraissent pas avoir pu être portées. On présume que ce sont des ornements funéraires fabriqués tout exprès pour être déposés dans la tombe avec lus restes du défunt.
Les colliers forment parmi les bijoux antiques une série extrêmement importante.
Ces colliers se composaient soit de simples fils d'or tressés ou con tournés en nœuds ou en agrafes, soit d'une série de grains d'ambre, de grenats ou d'émeraudes (auxquels on supposait des vertus médicales particulières), soit de perles fines, de pâtes de verre ou d'émaux entremêlés par groupes ou alternant avec des boules, des vases, des glands, des coquilles, des têtes d'hommes ou d'animaux en or ciselé ou estampé. Quelquefois cette première série est accompagnée de deux autres qui descendent plus bas, jusque sur la poitrine ; mais, plus fréquemment, c'est un nombre variable de chaînettes qui viennent se suspendre à la chaîne principale ou s'y attacher en festons. Le milieu du collier porte généralement un pendant de dimensions plus grandes. Tantôt c'est une fleur, une tête d'animal ou un scarabée ; d'autres fois un morceau de silex taillé en pointe de flèche ou en foudre. Ces sortes de pierres, qui se retrouvent aussi dans d'autres ornements, étaient des amulettes et avaient une signification particulière dans la céraunoscopie, c'est-à-dire dans la science fulgurale des augures étrusques. Souvent, enfin, le pendant du milieu est formé par une bulle d'or, ornée de bas-reliefs ciselés ou estampés.
Dans la riche série de colliers qui composent notre collection, nous appellerons plus particulièrement l'attention sur le collier d'or étrusque, auqnel est suspendue une petite tête barbue portant des cornes et des oreilles de taureau, et dans laquelle on a cru reconnaître un Bacchus Hébon ou une représentation de fleuve. Cette tête est de style archaïque, mais d'un archaïsme volontaire et savant, qui n'indique aucunement un art dans
l'enfance, mais au contraire un art sûr de lui-même et imitant l'époque primitive avec un savoir consommé. La face est ciselée et estampée avec une incroyable habileté; la barbe est cou - verte de granules d'or excessivement fins et réguliers, et les cheveux sont imités avec des fils d'or tournés en spirale et terminés au centre par un petit grain. La tête est coiffée d'un diadème et suspendu par une belière à un cordon de fils d'or tressés et terminés par des agrafes. Ce bijoux, d'un travail exquis et d'une conservation parfaite, est considéré comme un des plus précieux de la collection.
Les bracelets antiques que nous possédons sont en général d'un, travail assez simple. Ils sont formés soit d'un fil en or, en argent ou en bronze, soit de bandes ou de plaques réunies, plus ou moins ornés de fils appliqués, de cordelé ou de granulé, terminées de diverses manières, surtout en têtes de serpents. Il est à remarquer que ces objets ne portent presque jamais ni les pierres fines, ni les pâtes de verre, ni les émaux qui entrent très-fréquemment dans la composition des colliers, des pendants d'oreilles et des bagues, et que le travail du métal fait tous les frais de leur ornementation.
CH. CÉLMENT. (Notice des bijoux.) On remarquera qne les bracelets ont eu dans la haute antiquité une importance assez minime, relativement, à celle des colliers et des couronnes. On en trouve même assez rarement sur les figures qui décorent les vases grecs. Ce bijou est devenue à la mode sous l'empire romain. En revanche les pendants d'oreilles ont été de tout temps le bijou favori des dames de l'antiquité.
« L'ornementation de ces pendants d'oreilles est très-riche et très-variée. Des fleurs, des fruits, des animaux réels ou fantastiques, des amphores et autres vases de toutes formes, des disques, des cornes d'abondance, s'entremêlent à des rosaces, à des houppes, à des croissants, à des boules, à des chaînettes de tout travail et de toute grosseur, et se groupent de mille manières, au gré de la capricieuse imagination de l'artiste. D'autres fois, ce sont des têtes d'hommes ou d'animaux, des Amours, des Génies, dans les poses les plus variées, assis, ou debout, ou couchés, tantôt sur un cygne, tantôt sur un dauphin ou une colombe. Des grenats, des émeraudes opaques, des perles de pâte de verre, des émaux dont les couleurs sont d'une délicatesse exquise, relèvent encore la beauté de ces bijoux, C'est surtout dans les pendants d'oreilles dits à selle, que l'on trouvera des exemples admirables de perfection du tra-
vail et d'élégance de forme ; ils datent de la meilleure époque de l'art étrusque; mais, jusque bien avant dans la décadence, les ouvrages de cette nature ont conservé une beauté relative qui s'explique, sans doute, par l'importance que les femmes ont toujours donnée à cet ornement.
Les pendants d'oreilles funéraires étrusques se distinguent, comme tous les autres bijoux mortuaires, par leurs très-grandes dimensions. En revanche, ils ne sont jamais massifs, et sont formés de lames d'or excessivement minces. Le culte des morts était un des dogmes principaux de la religion des populations de l'Italie centrale, et le positif Etrusque trouvait ainsi moyen de se donner les apparences d'un luxe pieux qui n'avait au fond que très peu de réalité.
Les pendants d'oreilles de travail romain sont moins variées de formes, d'une exécution moins soignée et moins délicate que ceux de fabrication étrusque ; mais la profusion des pierres, des perles et des pâtes, de verre masque, jusqu'à un certain point, la pauvreté du travail et le manque d'élégance de la disposition générale. »
CH. CLÉMENT. (Notice des bijoux.) Il faut signaler aussi les bijoux qui ont été trouvés dans les fouilles faites à Camiros, dans l'île de Rhodes. M. Salzmann qui les a découverts, les considère comme provenant de fabrication phénicienne et en fait remonter la date au huitième siècle environ avant notre ère. Ce ne sont pas à proprement parler des pendants d'oreilles, mais plutôt des pendeloques destinées à être accrochées après le vêtement. Dans la première, un lion de style assyrien, forme le milieu d'une plaque carrée ornée de trois rosettes en haut, et en bas de deux têtes d'aigle. Trois anneaux suspendus à la base de la plaque, supportent, celui du milieu une fleur de grenade, et celles de côté des chaînettes auxquelles sont adoptés de petites têtes portant une coiffure égyptienne ; des espèces de grelots suspendus à ces petites têtes complètent la décoration de cette pendeloque. L'autre est formée de deux plaques enrichies de rosettes , mais c'est une figure et non un lion qui occupe le motif central de la décoration. Ces bijoux sont actuellement dans l'embrasure de la fenêtre du milieu de la salle de Chypre et Rhodes.
La série des bagues est également très-intéressante : l'usage en est extrêmement ancien en Egypte et en Asie, et il est venu de là en Grèce; il ne semble pas cependant que l'usage en ait été connu au temps d'Homère. A Rome, ce n'est que fort tard qu'on
a porté des bagues comme bijoux, mais alors on en a porté avec profusion. Les bagues sont souvent ornées de pierres fines : on appelle intailles celles qui sont gravées en creux; camées, celles qui sont gravées en relief.
Les pierres fines qui ornent les bagues sont généralement entourées d'un chaton proprement dit, plus ou moins saillant, de forme variable et à ornements divers. Quelquefois le chaton est remplacé par un simple élargissement de l'anneau qui s'aplatit sur le devant. Dans le plus grand nombre de cas, il n'y a qu'un seul chaton ; plusieurs bagues cependant en ont deux, l'un antérieur, l'autre postérieur, et quelquefois même les deux chatons sont placés sur le devant, l'un à côté de l'autre.
Les bagues avec des initiales ou des noms complets, gravés en creux, en sens inverse de leur forme et de leur direction naturelles, servaient évidemment de cachet; mais une foule d'autres bagues gravées, sans inscription, remplissaient sans doute le même office, à une époque surtout où l'usage des petites serrures était encore peu répandu, et où l'on cachetait généralement les cassettes et les coffres qui renfermaient des objets précieux.
Les bagues ornées de deux mains jointes, de figures de l'Amour et de Psyché, etc., étaient probablement des bagues nuptiales. Celles où l'on voit des chars, des cavaliers, des animaux féroces, passent pour être des bagues d'athlètes ; mais l'existence seule de ces figures ne nous semble pas autoriser suffisamment cette hypothèse.
CH. CLÉMENT. (Nutice des bijoux.) A côté des bagues, il y a la série extrêmement nombreuse des scarabées. Nous avons déjà parlé des scarabées que les égyptiens considéraient comme un symbole de l'immortalité de l'âme. Les scarabées étaient également très-employés dans la bijouterie étrusque, mais bien que le type employé soit le même, il est permis de supposer que la signification religieuse avait disparu, et qu'il ne faut voir dans ces objets qu'une mode importée de l'étranger, mais dépourvue de toute idée symbolique.
Nous terminerons par les épingles et les fibules. Les épingles à cheveux avaient dans la toilette féminime un rôle entièrement important.
Leur forme, leurs dimensions, la matière dont elles se composaient, variaient suivant le rang, l'âge, le costume, les circonstances particulières du moment, le goût ou le caprice de celles qui les portaient, et les dames romaines en possédaient un nombre considérable. L'extrémité supérieure de ces épingles était quelquefois per-
cée d'un trou où se passait le lacet destiné à séparer les cheveux de derrière arrangés en tresses, de ceux de devant, ordinairement frisés et relevés au moyen du fer chaud. D'autres fois elles servaient à retenir sur le sommet de la tète l'échafaudage plus ou moins élévé de la coiffure ; plus rarement enfin elles s'attachaient d'avant en arrière, de manière à séparer les cheveux en deux bandeaux semblables.
La tête de ces épingles était formée tantôt par un simple bouton de métal estampé ou ciselé, tantôt par un gland, une grenade ou une fleur; quelquefois par une tête d'animal ou par un buste humain ; souvent par un chapiteau supportant un génie, un amour, une figure quelconque, ou même un groupe complet.
La tige des épingles à cheveux est souvent creuse, et, dans ce cas, elle renfermait des parfums, et quelquefois du poison. Suivant Dion Cassius, Cléopâtre se serait donné la mort au moyen du poison qu'elle conservait dans une de ses épingles, et celui que l'on trouva dans les cheveux de Martina, la Brinvilliers du temps de Tibère, était peut-être aussi renfermé dans la tige creuse d'une épingle à cheveux.
CH. CLÉMENT. (Notice des bijoux.) On donne le nom de fibules aux broches et aux agrafes. Chez les hommes les fibules servaient à retenir sur le haut de la poitrine les extrémités du vêtement, et chez les femmes, on les employait à fixer le voile, ou le manteau dont les plis étaient disposés à l'avance avec le plus grand soin. Les fibules se composent en général d'une épingle fixée par une charnière à une pièce de forme variable : le plus graud nombre sont rondes ou ovales, mais chez les Etrusques, les fibules présentent plus ordinairement la forme d'un axe renflé vers le milieu : la pointe de l'épingle est alors recouverte par un espèce de fermoir.
LES OBJETS D'ART
La galerie d'Apollon Après l'incendie de 1661, dont nous avons parlé plus haut, l'ancienne galerie fut remplacée par une nouvelle, dont Lebrun ordonna la décoration ; elle fut dédiée à Apollon, par flatterie pour Louis XIV dont le soleil était l'emblème. Le berceau de la voute fut divisée en cartouches représentant les Saisons, le Soir et le Matin, la Nuit et le Jour, le Réveil des eaux, etc., tous ces sujets et les ornements qui les accompagnaient devaient se rattacher au soleil.
Le grand cartouche du centre n'était pas encore peint, lorsque la galerie d'Apollon et le Louvre, furent complètement abandonnés et oubliés, par Louis XIV, dont toute l'activité était absorbée par les immenses travaux de Versailles.
Cette galerie est restée dans un état complet de délabrement jusqu'aux restaurations entreprises sous la direction de Duban, après la révolution de Février 1848. Eugène Delacroix fut alors chargé de peindre le plafond central qui représente Apollon vainqueur du serpent Python, et il a donné lui-même de cette vaste composition la description suivante.
« Le dieu, monté sur son char, a déjà lancé une partie de ses traits; Diane, sa sœur, volant à sa suite, lui présente son carquois.
Déjà percé par les flèches du dieu de la chaleur et de la vie, le monstre sanglant se tord, en exhalant dans une vapeur enflammée les restes de sa vie et de sa rage impuissante. Les eaux du déluge commencent à tarir et déposent sur les sommets des montagnes ou entraînent avec elles les cadavres des hommes et des animaux. Les dieux se sont indignés de voir la terre abandonnée à des monstres - difformes , produits impurs du limon ; ils se sont armés.
Apollon, Minerve, Mercure, s'élancent pour les exterminer, en attendant que la sagesse éternelle repeuple la solitude de l'univers ; Hercule les écrase de sa massue; Vulcain, le dieu du feu, chasse devant lui la nuit et les vapeurs impures, tandis que Borée et les Zéphyrs sèchent les eaux de leur souffle et achèvent de dissiper les nuages. Les nymphes des fleuves et des rivières ont retrouvé leur lit de roseaux et leur urne encore souillée par la fange et par les débris. Des divinités, plus timides, contemplent à l'écart ce combat des dieux et des éléments. Cependant, du haut des cieux, la Victoire descend pour couronner Apollon vainqueur, et Iris, la messagère des dieux, déploie dans les airs son écharpe, symbole du triomphe de la lumière sur les ténèbres et sur la révolte des eaux.
La grille placée à l'entrée de la galerie d'Apollon provient du château de Maisons, bâti par Mansart : c'est un des chefs-d'œuvre de la serrurerie française au dix-septième siècle.
Outre les peintures et les sculptures des plafonds, la galerie d'Apollon a reçu vingt-huit portraits en tapisseries des Gobelins, qui sont placés sur les parois. Ils représentent en commençant par le côté droit : I. Le Sueur, peintre d'après Biennoury.
II. Pierre Sarrazin, sculpteur, d'après Pierre Brisset.
III. Germain Pilon, sculpteur, d'après Alexandre Hesse.
IV. Michel Anguier, sculpteur, d'après J. Duval.
V. Dupérac, architecte, d'après P. Larivière.
VI. Charles Le Brun, peintre, d'après E. Appert.
VII. Louis XIV, d'après E. Appert.
VIII. Napoléon III, d'après E. Appert. (Cette tapisserie a été enlevée.) IX. Jean Goujon, sculpteur, d'après E. Giraud.
X. Lemercier, architecte, d'après P. Larivière.
XI. Romanelli, peintre, d'après V. Chavet.
XII. André Le Nôtre, d'après E. Appert.
XIII. Jean Bullant, architecte, d'après Jobbé Duval.
XIV. Pierre Lescot, architecte, d'après A. Tissier.
XV. J. Androuet Du Cerceau, architecte.
XVI, Nicolas Poussin, peintre, d'après E. Appert.
XVII. Coisevox, sculpteur, d'après Emile Lecointe.
XVIII. G. Coustou, sculpteur, d'après L. Boulanger.
XIX. Philibert De lorme, architecte, d'après Jobbé Duval.
XX. Mansart, architecte, d'après H. Hofer.
XXI. Philippe-Auguste, d'après Pierre Brisset.
XXII. François Ier d'après V. Chavet.
XXIII. Pierre Mignard, peintre.
XXIV. Percier, architecte, d'après G. Marie.
XXV. Visconti, architecte, d'après Vauchelet.
XXVI. Chambiche, architecte, d'après Jobbé Duval.
XXVII. Girardon, sculpteur, d'après Auguste Hesse.
XXVIII. Perrault, architecte, d'après Marqau.
A l'entrée de la galerie d'Apollon, on rencontre tout d'abord une table qui a fait partie de l'ameublement du cardinal de Richelieu dans son célèbre château. Elle est en mosaïque de pierres dures et porte sur des pieds en bois doré. Les tables suivantes, sur les quelles reposent des vitrines contenant les Gemmes et joyaux, ont été faites sur les dessins de M. Rossigneux. Les collections d'émaux et d'orfèvrerie ont été placés dans douze vitrines adossées chacune à une fenêtre et dans cinq armoires placées sur le côté opposé. Enfin de riches armures, qui faisaient autrefois partie du musée des souverains, ont été placés au bout de la galerie, tout près de la porte qui donne sur le grand salon.
Gemmes et joyaux Les pierres précieuses ont été dès la plus haute antiquité employées dans les industries de luxe. On ne saurait dire même ap-
proximativement depuis combien de siècles oa sait les travailler en Orient. Après la conquête d'Alexandre, le goût s'en est promptement répandu en Grèce et ce goût devint une passion chez les romains. Les emblèmes païens qui décoraient les vases précieux, ont amené trop souvent de pieuses destructions dans les premiers temps du christianisme, mais l'ignorance naïve du moyen-âge en a fait conserver un grand nombre dans les trésors des églises, ou une attribution erronée était presque toujours donnée aux sujets antiques. Le trésor de nos rois n'a pas cessé de s'enrichir depuis Charles V et le décret de l'Assemblée nationale en 1791, a réuni en collection nationale tous les objets qui dans le mobilier de la couronne, présentaient un caractère artistique. Ce fut l'origine de cette belle collection qui s'est enrichie depuis par des dons particuliers.
Première vitrine. — TABLETTE SUPÉRIEURE E 248 — Vase antique en porphyre transformé au douzième siècle.
Le vase est une amphore égyptienne. Suger, abbé de Saint-Denis, expliquant le vase que nous avons sous les yeux, a, dans le livre de son administration, écrit la phrase que nous traduisons : « Un vase de porphyre, chef-d'œuvre de taille et de sculpture ; depuis longues années il était sans emploi dans l'écrin; d'amphore qu'il était, nous l'avons tranformé en un aigle, au moyen de l'or et de l'argent; nous l'avons adapté au service de l'autel, et sur ce vase nous avons fait inscrire les vers qui suivent, et que nous traduisons : « Cette pierre méritait d'être enchâssée dans les gemmes et dans l'or; marbre elle était, mais dans cette monture elle est plus précieuse que le marbre. » Il ne nous reste qu'à faire remarquer la fermeté de dessin et l'exécution large et franche de la tête de l'aigle, et particulièrement des serres qui, adroitement combinées avec les dernières plumes de la queue d'un oiseau, forment les supports du vase.
CAT. B. DE JOUY.
D 712 — Reliquaire du bras de Charlemagne ; coffret à couvercle. — fin du douzième siècle.
E 119 — Drageoir en cristal de roche pour les sucreries. —
Règne de Charles VIII.
— « — Vase de Suger.
E 185 — Bassin en jaspe vert à taches rouges, le plus grand qui soit connu. — Seizième siècle.
— « — Vase d'Alienor d'Aquitaine.
E 172 — Drageoir en jade de Hongrie. — Règne de Henri IV.
— « — Cassette de saint-Louis, provenant de l'abbaye du Lys, fondée par Blanche de Castille.
La décoration de la cassette a une signification qui lui est propre, l'usage auquel elle était destinée ayant motivé le choix des sujets figurés sur les médaillons ; le dragon, l'hydre, le griflon y personnifient les passions et les vices; les combats de l'homme contre ces animaux lui rappellent les luttes dont il doit sortir victorieux. Le lion, la panthère et l'aigle symbolisent les vertus chrétiennes ; lorsque nous voyons les animaux semblables s'unir, c'est pour doubler leurs forces; l'antagonisme des uns contre les autres exprime la révolte du bien contre le mal, l'attaque, la résistance, la défaite, le triomphe.
Si des ornements ciselés nous portons notre attention sur les émaux des écussons armoriés; après avoir remarqué combien leur variété et leur alternance avec les rondelles dorées est d'un heureux effet décoratif, si nous leur demandons le rang et le nom du premier possesseur de cette cassette, car l'âge n'est pas douteux, en aucun de ses détails, on ne saurait méconnaître l'art du treizième siècle, la réponse ne sera pas équivoque : Le possesseur fut un roi de France. L'écu que nous voyons sept fois sur les parois et sur le couvercle, de dimensions plus grandes, y occupant les places principales, c'est l'écu de France ancien, d'azur semé de fleurs de lis d'or sans nombre, c'est celui de saint Louis.
CAT. B. DE JOUY.
DEUXIÈME TABLETTE E 5 a 16 — Les douze Césars. — Les têtes en ronde bosses sont de pierres dures ; elels sont ajustées sur des cuirasses recouvertes en partie d'une toge qui est agrafée sur l'épaule par un bouton en pierre fine.
D 733 — Obstensoir cylindrique en argent, en partie doré.— fin du quinzième siècle.
D 121 — Vierge reliquaire du treizième siècle.
D 125 — Ciboire du treizième siècle.
E 149 — Vase à fleurs en cristal de roche. — Règne de Louis XIV.
D 729 — Statuette de la Vierge en argent repoussé. — Quinzième siècle.
D 70 — Reliquaire de saint-Henri. — fin du douzième siècle.
D 732 — Ciboire en cuivre doré quinzième siècle.
— « — Suite des douze Césars.
TABLETTE INFÉRIEURE D 734 — Ostensoir cylindrique du quinzième siècle.
— « — Anges, provenant de l'autel du Saint-Esprit.
D 102 — Reliquaire en forme de maison. — treizième siècle.
D 722 — Statuette reliquaire couchée sur un gril. — quatorzième siècle.
E 22 — Tète de mort en cristal de roche. — Seizième siècle.
E 276 — Patène d'un calice ayant appartenu à Suger.
D 94 — Reliquaire en forme de maison.
— « — Autel du Saint-Esprit.
Deuxième vitrine. PREMIÈRE TABLETTE
E 242 — Nacelle en lapis. — Règne de Louis XIV.
L'énorme morceau de lapis dans lequel a été taillée la coupe est de la couleur la plus vive que l'on ait jamais rencontrée dans d'aussi grandes dimensions; le dessins des godrons qui la décorent n'a plus l'élégance des œuvres du seizième siècle; la date que nous avons pu fixer à cet objet considérable est mieux précisée encore par le style de l'orfévrerie et par les figures qui y sont jointes. La statuette de Neptune qui domine la nacelle est d'argent doré, de même que les quatre sphinx en ronde bosse, accroupis, sur lesquels repose le pied de la coupe ; mais la tète d'un monstre marin qui ressort à la pointe de la nacelle, le grand mascaron grotesque appliqué contre la proue, ceux plus petits qui décorent le pied en balustre, sont émaillés sur or, comme sont aussi les draperies, les guirlandes de fleurs, les feuillages et les appliques qui sont distribuées sur les parties diverses de la coupe.
B. DE JOUY. (Notice des gemmes et joyaux.) E 126 — Hanap de cristal de roche gravé avec une monture en or. — Règne de François Ier.
La coupe est l'imitation d'une coquille; le dauphin, en ronde bosse, placé à l'origine des côtes qui la composent, n'est pas un simple motif d'ornement : il est évidé à l'intérieur, le petit vase en balustre qui le surmonte est mobile et pouvait être remplacé par un entonnoir dans lequel se versait un liquide. Si l'on remarque les petits appendices perforés dont l'un est ajusté dans la gueule du
dauphin et les autres, au nombre de sept, sont disposés sur le bord de la plinthe qui enveloppe le haut de la coquille, l'on se rendra compte que cette monture d'or émaillé est une sorte de réservoir : le liquide versé dans le corps du dauphin s'échappe en un mince filet par la gueule, et le trop plein se répandant dans l'intérieur de la monture, en sort par les sept petites lances que nous avons indiquées; elles livrent passage aux jets du liquide qui se précipitent et s'entre-croisent, de façon que la coupe est promptement remplie. Les deux mains de celui qui voulait boire pouvaient saisir commodément les anses rapportées, taillées en ronde bosse, représentant des sirènes. L'extrémité de la coquille est d'ailleurs disposée pour recevoir les lèvres et arrondie afin que le liquide réuni soit dirigé facilement. Le pied est rapporté.
BARBET DE JOUY. (Notice des gemmes et joyaux.) E 88 — Aiguière de cristal de roche avec des gravures représentant l'histoire de Noé; l'anse ornée de sirènes est aussi remarquable par la finesse des ciselures que par l'éclat des émaux et la profusion des rubis qui l'enrichissent. — Règne de Henri II.
E. 116 — Cuvette en cristal de roche ornée de gravures, représentant des cornes d'abondance et des branchages enlacés.
— Règne de Louis XIV.
E 170 — Drageoir en jade de Hongrie. — Règne de Henri II. E 145 — Vase en cristal de roche, orné de gravures représentant : d'un côté, Judith après le meurtre d'Holopherne; de l'autre, la chaste Suzanne surprise par les deux vieillards. Les anses figurent des serpents fabuleux. — Règne de Charles IX.
E 240 — Cuvette en lapis. — Règne de Louis XIV.
E 173 — Drageoir en jade de Hongrie, avec montures d'argent doré, enrichies de camées sur corail et de pierreries fines.
— Règne de Louis XIV.
DEUXIÈME TABLETTE
E 141 — Urne en cristal de roche ornée de gravures représentant un vieillard qui implore l'Amour pour obtenir un peu de la flamme qui brûle sur l'autel du jeune dieu. — Règne de Charles IX.
E 268 — Gobelet de sardoine orientale. — Règne de Henri IV.
E 89 — Aiguière en cristal de roche gravé. — Règne de Henri II.
E 214 — Drageoir en jaspe vert sanguin avec montures d'or émaillé, perles orientales et perles fines. — Règne de Henri II.
E 105 — Buire en cristal de roche gravé. — Règne de Henri II, avec cercle d'argent ajouté autour du pied sous Henri III.
E — 44. Coupe d'agate orientale, avec montures d'or émaillé et pierreries gravées. — Règne de Charles IX.
Le fond de la coupe et le couvercle, d'agates nuancées de tons fauves, sont décorés de forts reliefs taillés dans la masse, qui forment des lignes de godrons disposées en rosaces et, plus près des bords, des rangs de perles distancées ; remarquons que des ornements plus détaillés séparent les godrons et réunissent les perles qui, sur le couvercle, sont en alternance avec douze petits camées, d'agates onyx, représentant les douze Césars.
Deux camées, de plus grandes proportions, ont été adossés l'un à l'autre par l'orfèvre qui, en les ajustant dans un très-élégant cartouche, en a fait pour le couvercle et l'ensemble de la coupe, un bouton et le plus riche couronnement : l'une des pierres est une sardoine à trois couches et la tête gravée est celle de Caligula ; l'autre est une agate onyx à l'image d'Auguste.
Le travail d'orfévrerie de cette coupe magnifique peut être étudié, en le rapprochant de celui du bouclier d'or de Charles IX, comme un modèle de cet art parvenu à son plus haut degré sous le second fils de Henri II. La coupe a été certainement faite pour le roi : La couronne qui termine le bouton est la couronne des rois de France (la fleur de lis du cimier a été arrachée), les deux anges renversés sur les côtés de l'écusson sont les anciens supports des armoiries royales ; la richesse d'ornementation a été prodiguée sans exagération : sur les bords de la coupe une guirlande composée de feuillages, de boutons et de fleurs de rosiers, brille du plus vif éclat, des émaux colorés se détachant sur un large bandeau d'or que d'élégantes agrafes attachent au couvercle ; des moulures de profils hardis et de courbes élancées, en plusieurs endroits découpées à jour, émaillées avec goût, sont interposées entre le bouton et le couvercle, entre le fond de la coupe et le balustre d'agate onyx dont est formé le pied; répétées au-dessous, elles sont supportées par trois dauphins ciselés en ronde bosse dont la disposition réunit en même temps que l'apparence de la légèreté toutes les conditions de solidité qui sont exigées dans le soubassement d'une œuvre si précieuse.
BARBET DE JOUY. (Notice des gemmes et joyaux.)
E 151 — Verre à boire en cristal de roche. — Règne de François Ier.
E 38 — Aiguière en agate orientale. — Règne de Henri IV.
E 191 — Coupe en jaspe vert fleuri. — Règne de François Ier.
Elle se compose d'une tasse oblongue dont la taille imite un coquillage, d'un pied en balustre dans lequel sont évidés des canaux, d'une patte bombée sur laquelle sont tracées les divisions d'une coquille. L'